Animation Anne UZUREAU, chargée de mission CAB Pays de la Loire Numérotation - 31/05/2018 . Manifestation organisée par ETAT DES LIEUX DE LA FILIÈRE VIANDE BOVINE BIO Jean François DEGLORIE des EBF – 31 MAI 2018 . 3 La production Un potentiel de production en éleveurs et cheptels bio Les types et catégories de bovins bio finis Le mâle sous représenté L’état du
Tous les marchés publics et leurs DCE pour 89€/mois21108 appels d'offres, dont 3635 publiés depuis 7 joursDCE garantis - alertes illimitées - Marchés < 90K inclusAppels d'offres similairesElagage, abattage et dessouchage d'arbres sur le territoire communalCLIENTMairie d'ArcachonREGIONCLÔTURE12/09/2022taille, Abattage, Dessouchage et Rognage d'arbres sur la Commune d'arlesCLIENTville d'arlesREGIONProvence-Alpes-Côte d'AzurCLÔTURE28/09/2022Prestation d'élagage et abattage des arbres pour la commune de FloiracCLIENTMairie de FloiracREGIONNouvelle-AquitaineCLÔTURE16/09/2022prestations d'entretien d'espaces verts, d'élagage et d'abattage au profit des Gsbdd CFD et LVVCLIENTminarm/ema/sca/pfaf-ce/bapREGIONAuvergne-Rhône-AlpesCLÔTURE12/09/2022Elagage, abattage d'arbres du patrimoine communal et intercommunal sur le territoire de l'agglomération Roissy Pays de FranceCLIENTCOMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION ROISSY PAYS DE FRANCEREGIONÎle-de-FranceCLÔTURE20/09/2022elagage, abattage d'arbres du patrimoine communal et intercommunal sur le territoire de l'agglomération Roissy Pays de FranceCLIENTcommunaute d agl roissy pays de franceREGIONÎle-de-FranceCLÔTURE20/09/2022Entretien, abattage et élagage sur le patrimoine départemental du Pas-de-CalaisCLIENTCD62REGIONHauts-de-FranceCLÔTURE29/08/2022services d'élagage et abattage, d'entretien des espaces verts, de désherbage pour la commune de Beaucaire. Lot no3 Entretien des espaces vertsCLIENTville de BeaucaireREGIONOccitanieCLÔTURE23/09/2022Taille, abattage, essouchage et diagnostic phytosanitaire des arbres situés sur le territoire de la Ville de DugnyCLIENTVILLE DE DUGNYREGIONCLÔTURE08/09/2022aoo lbms 202262a0893 - entretien, abattage et élagage sur le patrimoine départemental du Pas-De-CalaisCLIENTconseil départemental du Pas-De-CalaisREGIONHauts-de-FranceCLÔTURE29/08/2022
Missions Instruction des demandes de reconnaissance sous signes officiels. Protection des signes et des dénominations. Supervision des contrôles des signes officiels. Délimitation des zones de production et protection des terroirs. Coopération internationale. Information sur le dispositif des signes officiels. Entrer dans une démarche
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Cetoutil a été réalisé avec la collaboration du Ministère du travail, de l'INRS et dans le cadre du PRST3 action 1.9 amiante de la région des Pays de la Loire. Il s'appuie notamment sur le guide de prévention INRS ED 6091 "Travaux de retrait ou d'encapsulage de matériaux contenant de l'amiante" et a pour objet de vérifer l'ensemble des élèments que doit contenir un PDRE (Cocher
N° 1237 ______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juillet 2013. RAPPORT D’INFORMATION DÉPOSÉ en application de l’article 145 du Règlement PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES sur l’élevage laitier et allaitant ET PRÉSENTÉ PAR MM. Germinal PEIRO et Alain MARC Députés. —— La mission d’information sur la filière bovine et la production laitière en France est composée de M. Germinal Peiro, M. Alain Marc, Mme Annick Le Loch, M. Dominique Potier, Mme Brigitte Allain et M. Thierry Benoit. INTRODUCTION 7 I.— DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES ET CONJONCTURELLES 9A.— LA CRISE DE L’ÉLEVAGE, UNE PROBLÉMATIQUE POUR LA VITALITÉ DES TERRITOIRES 91. Des conditions de vie difficiles 9 2. Un arbitrage de plus en plus difficile entre élevage et céréales 10 3. Une population vieillissante 11 4. Une crise de l’élevage en France problématique dans les zones à fort handicap naturel 12 B.— LA HAUSSE DU COURS DES MATIÈRES PREMIÈRES ENGENDRE UNE HAUSSE DES COÛTS DE PRODUCTION QUI N’EST PAS RÉPERCUTÉE À TOUS LES NIVEAUX DE LA FILIÈRE 121. La hausse et la volatilité du cours des matières premières 12 2. Une hausse des coûts de production 13 3. Une hausse et une volatilité des cours des matières premières agricoles qui ne sont pas entièrement répercutées au long de la chaîne de valeur 14 C.— LE LAIT LA FIN D’UN CADRE RÉGLEMENTAIRE QUI TERRITORIALISAIT LA PRODUCTION 181. Le système des quotas a permis de territorialiser la production 18 2. Les quotas n’ont pas empêché une concentration de l’élevage, qui risque encore de s’accentuer avec la fin de ce système 20 D.— LA VIANDE, UNE DÉCAPITALISATION INQUIÉTANTE 221. L’importance du troupeau allaitant français 22 2. Une production haut de gamme et peu d’activités d’engraissement 24 II.— D’INDÉNIABLES OPPORTUNITÉS QUI DOIVENT ÊTRE EXPLOITÉES 25A.— LA DEMANDE DES CONSOMMATEURS POUR DES PRODUITS TRACÉS ET DE QUALITÉ 251. Un étiquetage obligatoire des produits transformés à base de bœuf 25 2. Une politique de la qualité 27 3. Favoriser les circuits de proximité 29 B.— DES MARCHÉS EN CROISSANCE 301. Des marchés en croissance 30 a Le lait 30 b La viande bovine 32 2. Des opportunités pour la filière française 33 a La viande 33 b Le lait 33 III.— LES CONDITIONS DE LA REPRISE 37A.— L’AMÉLIORATION DES RAPPORTS PRODUCTEURS – FOURNISSEURS – DISTRIBUTEURS 371. La table ronde fournisseur distributeurs, une aide bienvenue mais ponctuelle 37 2. L’innovation du projet de loi relatif à la consommation, la clause de renégociation en cas de volatilité des matières premières 37 3. Le fonds de solidarité céréaliers- éleveurs, une péréquation intéressante 39 4. La contractualisation, un outil de régulation 39 B.— L’APRÈS QUOTAS LAITIERS 401. Le mini-paquet lait, une première étape 40 2. La concertation européenne sur l’après-quotas doit permettre de définir un cadre permettant de réguler le secteur laitier 41 C.— LA PAC APRÈS 2013 ET LA RÉFLEXION SUR LA PAC APRÈS 2020 421. Un premier pilier qui prend en compte les besoins de l’élevage 42 a Un niveau élevé d’aides couplées est indispensable 42 b La surprime aux cinquante premiers hectares et une pente de convergence des aides à l’hectare plus douce 43 2. L’importance du second pilier pour les zones défavorisées 43 3. Un système d’aides contracycliques doit être étudié dans le cadre de la réforme de la PAC après 2020 45 D.— UNE MEILLEURE AUTONOMIE DES EXPLOITATIONS 471. Une meilleure efficience énergétique 47 2. L’autonomie protéique et fourragère 48 E.— UN CHOC DE SIMPLIFICATION AU SERVICE DE LA COMPÉTITIVITÉ 491. Les tests ESB 49 2. Les installations classées 49 3. L’obligation de démédullation des carcasses bovines avant fente 49 CONCLUSION 51 EXAMEN DU RAPPORT 53 LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 73 Mesdames, Messieurs, L’avenir de l’élevage bovin revêt un caractère stratégique pour l’économie et l’emploi, ainsi que pour l’aménagement et la vitalité des territoires ruraux. L’élevage de ruminants est présent dans plus d’une exploitation sur deux et dans 95 % des cantons de l’hexagone. Avec près de 19 millions de têtes – dont 7,3 millions de vaches laitières et allaitantes, la France dispose du cheptel bovin le plus important d’Europe, caractérisé par une grande diversité de races. La balance commerciale de la filière est largement excédentaire et les opportunités à l’export n’ont jamais été aussi nombreuses, du fait de l’ouverture de nouveaux marchés sur le pourtour de la Méditerranée et de la forte baisse des exportations des pays d’Amérique du Sud. L’élevage bovin est un métier de passion. Il fait vivre plus de 71 000 éleveurs laitiers et 60 000 éleveurs allaitants 1. Pourtant, les éleveurs sont confrontés à de nombreuses difficultés, tant conjoncturelles que structurelles. Les conséquences sont dramatiques. On assiste à un accroissement des arrêts d’activité, entraînant des problématiques d’emploi et d’activité économique sur les territoires. En dix ans, le pays a par exemple perdu 40 % de ses producteurs laitiers. Les revenus des éleveurs sont parmi les plus bas du secteur agricole, surtout s’agissant de l’élevage allaitant. Il est donc essentiel de leur assurer une juste rémunération, qui soit en rapport avec les astreintes et les contraintes inhérentes à leur métier. Maintenir la production française dans sa diversité et ses garanties de qualité et de traçabilité doit demeurer une préoccupation permanente. Plusieurs réflexions ont donc orienté la démarche de vos rapporteurs comment éviter une végétalisation de la France au cours de la prochaine décennie qui aurait des conséquences dramatiques pour l’équilibre des territoires? Comment favoriser le maintien des exploitations d’élevages sur les territoires ? Comment assurer une juste rémunération aux éleveurs et des conditions de vie décentes ? I.— DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES ET CONJONCTURELLES A.— LA CRISE DE L’ÉLEVAGE, UNE PROBLÉMATIQUE POUR LA VITALITÉ DES TERRITOIRES 1. Des conditions de vie difficiles Le revenu moyen des agriculteurs français s’élève en 2012 à 36 500 euros. Cette moyenne cache des différences très importantes selon les filières. Ainsi, le revenu moyen des céréaliers a franchi la barre des 72 000 euros, tandis que le revenu des éleveurs bovins viande est de 15 400 euros 2. Bien que les prix de la viande restent fermes, les exploitants sont confrontés à la hausse du coût de l’alimentation animale et en particulier à l’envolée des prix des tourteaux. Les revenus des éleveurs laitiers sont de 26 500 euros. En outre, dans l’élevage laitier la durée de travail est de 3 600 heures par an contre 800 heures pour un exploitant de grande culture. Les vaches laitières sont traites deux fois par jour, tous les jours de la semaine. Il est donc très difficile pour un éleveur de s’absenter, y compris pour un simple week-end, de son exploitation. Cela n’est pas sans incidence sur la vie privée des éleveurs, dont le conjoint ou la conjointe possède de plus en plus souvent un emploi à l’extérieur. Les formes sociétaires offrent à cet égard une organisation du travail plus souple. Pour faciliter les conditions de travail, les éleveurs doivent bénéficier d’une politique forte de modernisation des bâtiments et des équipements, telle que le plan de modernisation des bâtiments d’élevage PMBE. Vos rapporteurs estiment par ailleurs indispensables de conserver, voire de développer, le crédit d’impôt remplacement. Le crédit d’impôt pour congés, reconduit depuis 2006, accorde aux exploitants agricoles dont la présence quotidienne est indispensable tout au long de l’année, une aide financière pour leur remplacement pendant deux semaines au maximum. L’Assemblée nationale a adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013 le 15 novembre 2012, un amendement qui reconduit le crédit d’impôt remplacement jusqu’en 2016. 2. Un arbitrage de plus en plus difficile entre élevage et céréales L’astreinte conjuguée à la pénibilité explique que certains préfèrent se concentrer sur la culture de céréales ou jeter l’éponge. Le nombre d’éleveurs de vaches laitières baisse ainsi de 4 à 5 % par an. Dans les zones à fort potentiel pédoclimatique, la conversion d’exploitation en grandes cultures, plus rémunératrices et moins astreignantes, est déjà une réalité tangible. Dans les zones à forte activité économique, si l’élevage est menacé, c’est plutôt par les alternatives offertes en matière d’utilisation des sols, que ce soient pour l’artificialisation ou l’urbanisation des sols. Or, ces alternatives signifient toujours un arrêt irréversible de l’élevage. Elles présentent en outre des risques en termes d’emplois, d’équilibre écologique, de fertilité organique et de capacité productive. 3. Une population vieillissante D’après les données fournies par l’Institut de l’élevage, en 2012, 50 % des éleveurs bovins ont plus de 50 ans. La transmission des exploitations est particulièrement difficile dans un contexte de dégradation de la rémunération des investissements et des conditions de travail pénibles. À revenu espéré comparable, le capital mis en œuvre dans les systèmes d’élevages bovins allaitant est le double du capital nécessaire en grandes cultures. En production laitière, ce capital est aussi 1,5 fois supérieur au capital engagé en grandes cultures. L’installation et la transmission des exploitations s’en trouvent rendues encore plus difficiles. On recense aujourd’hui 75 000 exploitations laitières. Selon les travaux démographiques réalisés par l’Institut de l’élevage, le nombre d’exploitations laitières présentes en 2035 devrait se situer dans la fourchette de 20 000 à 35 000, en fonction de la politique d’installation et de reprise qui sera suivie au cours des prochaines années. 4. Une crise de l’élevage en France problématique dans les zones à fort handicap naturel L’élevage contribue à l’identité des territoires, au maintien d’une vie sociale active et donc à l’attrait touristique des campagnes. Les personnes auditionnées par vos rapporteurs ont indiqué qu’un emploi d’éleveur crée sept emplois induits dans l’économie, contre deux seulement pour les grandes cultures. Il existe donc un indéniable enjeu à maintenir et développer l’élevage sur l’ensemble du territoire. Comme l’a indiqué la Confédération nationale de l’élevage dans son rapport L’élevage ruminant s’est historiquement développé et conserve une place particulièrement importante, dans les zones difficiles, telles que l’on en trouve dans toutes les régions, sur des terres mal adaptées à la mécanisation des cultures ou peu fertiles pentues, humides, caillouteuses où pousse naturellement une végétation que seuls les ruminants sont capables de digérer efficacement. Il a ainsi permis le développement et le maintien d’une activité économique dans des régions défavorisées en générant des emplois, une vie sociale et des produits à forte typicité. Cet effet positif sur l’animation de la vie économique et sociale est essentiel dans des zones à faible densité de population tendant à la déprise 3. » La Confédération nationale de l’élevage pointe donc le risque de délitement du tissu social dans les zones les moins productives si l’élevage y était abandonné. En outre, dans la plupart des régions de montagne, le troupeau laitier est le principal utilisateur des prairies. Il permet de maintenir des paysages ouverts et habités, favorables au tourisme, à la biodiversité et à l’environnement. Le tourisme rural représente près de 180 000 emplois. B.— LA HAUSSE DU COURS DES MATIÈRES PREMIÈRES ENGENDRE UNE HAUSSE DES COÛTS DE PRODUCTION QUI N’EST PAS RÉPERCUTÉE À TOUS LES NIVEAUX DE LA FILIÈRE 1. La hausse et la volatilité du cours des matières premières L’augmentation de la population mondiale et surtout, l’élévation du niveau de vie dans les pays émergents ont engendré une hausse importante et durable de la demande en produits agricoles, et par voie de conséquence, du prix de ces produits. La production mondiale de céréales, en revanche, croît désormais moins vite que la consommation, ce qui conduit à une réduction des stocks mondiaux depuis les années 2000, et donc à des tensions sur le marché et les prix. Le moindre incident climatique réduisant les perspectives de récolte dans une région du monde a donc un effet immédiat sur les prix mondiaux, en raison de réserves plus limitées que par le passé. En 2010, une canicule a frappé plusieurs États producteurs et provoqué la plus forte hausse des cours de céréales que le monde avait connue depuis 1973. Pour sa part, le Canada souffrait de fortes inondations. Au final, les seules difficultés climatiques, exerçant une pression déjà forte due à une baisse des stocks mondiaux, ont poussé la tonne de blé à la hausse, celle-ci cotant à Euronext à 223,50 euros la tonne début août 2010 contre 130 euros seulement début juillet, soit une hausse de 71 % en un mois 4 ! À ces facteurs climatiques s’ajoutent parfois les décisions politiques de certains gouvernements de limiter voire arrêter leurs exportations pour protéger leur marché intérieur des risques d’inflation. Le Gouvernement russe a décidé en 2010 de suspendre toute exportation de céréales entre le 15 août et le 31 décembre. Cette décision a provoqué de vives tensions sur les cours, qui ont été d’autant plus importantes que, dans le même temps, l’Argentine imposait des quotas à l’exportation, pesant également sur l’offre. Les investisseurs financiers qui ont pris position ces dernières années sur le marché des matières premières alimentaires ne sont pas les déclencheurs de la volatilité des marchés, mais ils en amplifient les effets, à la hausse comme à la baisse. Dans un rapport paru en juillet 2011, le groupe d’experts de haut niveau du Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale identifiait ainsi la régulation de la spéculation sur les marchés à terme comme l’une des solutions pour réduire la volatilité des prix alimentaires5. Il invitait notamment les gouvernements à l’adoption d’une approche de précaution », notamment à travers une réglementation plus stricte de la spéculation indiquant que les marchés à terme jouent un rôle central dans la formation des prix alimentaires internationaux et dans la sécurité alimentaire de trop de personnes pour que leur régulation ne soit dictée que par des considérations financières ». 2. Une hausse des coûts de production Comme l’a indiqué à vos rapporteurs, la Fédération nationale bovine FNB 6 les coûts de production ont fortement augmenté en 2012 pour les éleveurs allaitant, se situant plus de 30 % au-dessus de l’année de référence, 2005. La progression est notamment liée aux postes d’achat pour l’alimentation du bétail, directement corrélée aux prix des céréales et des tourteaux de soja. La hausse du coût alimentaire Le Centre d’économie rurale CER France a toutefois fait remarquer lors de son audition que des écarts significatifs de compétitivité existent entre les exploitations. Ainsi, il relève des écarts de 45 euros/1 000 litres sur le coût alimentaire, et entre 60 et 100 euros/1 000 litres au niveau de la marge selon les régions et les systèmes. Or ces écarts tendent à se creuser lorsque les cours des matières premières agricoles sont haussiers. Ils notent notamment que les meilleurs subissent la conjoncture, mais demeurent toujours rentables, tandis que pour les moins performants, l’excédent brut d’exploitation peine à couvrir les annuités quelle que soit la conjoncture » 7. 3. Une hausse et une volatilité des cours des matières premières agricoles qui ne sont pas entièrement répercutées au long de la chaîne de valeur Le secteur laitier se caractérise par une forte rigidité de la demande – peu sensible aux variations de prix – et de l’offre de court terme – liée au cycle de production. De même, le fort impact des coûts des intrants entraîne une rigidité des coûts de production. Ces rigidités participent, selon les experts, à la volatilité des prix des produits réalisés sur les excédents de stocks – beurre et poudre de lait – qui constituent la variable d’ajustement. Quand les cours des matières premières agricoles augmentent et que les éleveurs ne peuvent les répercuter sur le prix du lait ou de la viande, cela engendre un effet ciseau, qui entraîne une compression insupportable des marges des éleveurs. Ainsi, le prix du lait en 2012 se situe dans une moyenne haute par rapport aux prix des dix dernières années. Le problème réside essentiellement dans l’absence de répercussion des hausses des prix tout au long de la filière. Il en va de même s’agissant de l’élevage allaitant. La progression des cours des gros bovins finis n’a pas permis de rattraper la hausse des charges. D’après la FNB, l’indicateur du coût de production se situe à + 58 % par rapport à son niveau de référence de 2005, tandis que les cours des bovins maigres n’ont progressé que de l’ordre de 10 % par rapport à 2010. La FNB estime que par rapport à l’explosion des coûts de production, les cours moyens des bovins finis devraient se situer à environ 4,70 euros par kg carcasse, payé au producteur, alors que la cotation à l’entrée de l’abattoir est de 4 euros. De fait, il existe une dissymétrie des rapports de force économique dans les filières agro-alimentaires. La production agricole est dispersée face aux quelques transformateurs et distributeurs. L’existence de pouvoirs de négociation inégaux a un impact sur la transmission des variations de prix le long des chaînes de valeur. Ce problème de transmission imparfaite des prix est d’autant plus important quand ces marchés sont confrontés à une forte volatilité. En outre, comme l’a rappelé l’association des producteurs de lait indépendants APLI lors de son audition par vos rapporteurs, contrairement à un céréalier par exemple, c’est la nature même du lait, produit périssable et non stockable qui fragilise la position de l’éleveur dans la chaîne de la filière ». Une analyse de juillet 2009 du Centre études et prospectives du ministère de l’agriculture confirme les contraintes liées aux spécificités du lait pour les producteurs Les caractéristiques du lait, produit périssable et pondéreux, composé à 90 % d’eau, induisent des contraintes pour sa collecte. Elle doit être fréquente et régulière, sous un délai maximal de 72 heures. De ce fait, la première transformation ne peut être réalisée à une distance trop lointaine du lieu de production la transformation du lait au sein des exploitations ne concerne que 2 % de la production. Ainsi, à l’exception de quelques rares zones où la densité laitière est importante, il n’existe bien souvent qu’une usine de transformation qui collecte la production de l’ensemble du bassin de production environnant. Cette contrainte imposée par la nature du produit rend quasiment impossible la mise en place d’un marché concurrentiel entre la production et la première transformation. Elle place chaque producteur devant le risque d’être évincé de la collecte de son unique » client. En outre, à l’instar de la plupart des autres filières, les producteurs restent largement atomisés face à une industrie laitière de plus en plus concentrée. En France, on comptait 82 600 livreurs de lait en 2008. Face à eux, les 4 premières entreprises laitières françaises représentaient près de 41,1 % de la collecte et les 9 premières 50,4 %. Les relations entre les producteurs et la première transformation relèvent donc davantage d’un schéma du marché captif que de la concurrence pure et parfaite. Cet état de fait n’est pas sans conséquence sur la formation du prix payé aux producteurs. Cette question ne concerne bien évidemment pas les structures de transformation coopératives contrôlées par les producteurs eux-mêmes. Il apparaît même que la coopération, via le développement ou la prise de contrôle d’outils de transformation, a historiquement constitué la principale alternative à cette défaillance de marché. Les coopératives laitières danoises et néerlandaises sont à ce titre exemplaires que ce soit Arla Foods pour les premiers ou Friesland-Campina pour les seconds, dans les deux cas un groupe coopératif est en situation de quasi-monopole à l’échelle nationale » 8 Il faut toutefois noter que le rapport 2012 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, présenté en novembre 2012 a pour la première fois fait apparaître les marges nettes de la grande distribution et qu’il a montré une grande variabilité de la marge nette en fonction du rayon. Cette marge est par exemple négative de 1,90 euro pour le rayon boucherie. Observatoire des prix et des marges, 2012 En fait, on observe en France une faible répercussion des hausses et des baisses de prix aux consommateurs, ce qui explique les compressions des marges des différents acteurs de la chaîne de valeur quand les cours sont hauts. En Allemagne au contraire, les prix de détail pour le lait liquide, le beurre et les produits ultra frais ont fortement augmenté depuis l’été 2012. Évolution des prix sur le marché de détail en Allemagne CNIEL Vos rapporteurs ne plaident pas pour une forte augmentation des prix alors que le pouvoir d’achat des consommateurs est très contraint. Néanmoins, ils estiment qu’il faut trouver un équilibre, un juste prix, qui permette à chacun de pouvoir vivre décemment de son travail. Ils estiment qu’une stagnation des prix du lait ou de la viande alors que les coûts de production des éleveurs augmentent dévalorise leur travail. C.— LE LAIT LA FIN D’UN CADRE RÉGLEMENTAIRE QUI TERRITORIALISAIT LA PRODUCTION L’économie laitière 9 – une présence sur tout le territoire avec des systèmes de production diversifiés ; – 48 000 exploitations spécialisées et 24 milliards de litres collectés 2e producteur européen ; – un revenu longtemps stable autour de 20 000 euros, devenu volatil depuis 2006 ; – un revenu plutôt faible des éleveurs par rapport à leurs principaux concurrents européens où la moyenne des revenus s’établit à près de 40 000 euros ; – 1 000 entreprises, dont 260 coopératives, fabriquent des produits laitiers et emploient 51 000 salariés ; – la balance commerciale des produits laitiers est excédentaire de 3,8 milliards d’euros en 2012. 1. Le système des quotas a permis de territorialiser la production Après les crises de surproduction, le secteur laitier a été encadré au niveau européen par les quotas laitiers en 1984 et des instruments de soutien des prix à la production. Les quotas, en répartissant les droits à produire entre les pays, et en les fixant au sol, notamment en France compte tenu du lien fort entre quotas et foncier, ont permis de préserver une répartition géographique équilibrée de la production, alors que l’évolution antérieure avait tendance à déplacer les capacités de production vers le Nord de l’Europe et plus largement vers le littoral de la mer du Nord et de la Manche. Ces régions présentent en effet des éléments de compétitivité déterminants – la présence des grands ports d’importations de céréales et de soja, – le potentiel industriel, En outre, elles sont soumises à des contraintes pédoclimatiques qui rendent difficiles les conversions vers d’autres productions. Le lait était en revanche menacé dans les régions de montagne à plus fortes contraintes. C’est la raison pour laquelle des politiques spécifiques appliquées aux zones de montagne, en particulier l’indemnité compensatoire de handicap naturel ICHN, ont été mises en place afin de permettre le maintien de cette activité dans certaines zones à fortes contraintes. Cette territorialisation des productions ne s’est pas traduite par une homogénéisation des structures ni des systèmes de production entre pays. Aujourd’hui, d’importantes divergences existent dans la dimension des exploitations entre l’Europe du Nord et celle du Sud. A cet égard, la France se situe dans une position médiane, avec un quota moyen de 350 000 litres de lait par éleveur. Pour autant, comme le souligne la CNE dans son rapport, La supériorité de tel ou tel système de production, structure par pays, n’est absolument pas avérée. La seule démonstration faite tourne autour d’un avantage coût, lié à la productivité du travail pour un prix du lait donné, et ceci jusqu’à un certain seuil autour des 300 000 litres de lait par travailleur et par an, dans les systèmes de plaine. En deçà les exploitations peuvent être confrontées à de lourdes charges fixées à l’unité produite travail et capital. Au-delà les charges liées à la capitalisation et l’endettement qui s’en suit, peuvent rendre les systèmes extrêmement sensibles et vulnérables aux variations de prix et coûts des intrants, comme le montrent les résultats économiques particulièrement désastreux des exploitations danoises en période d’effondrement des prix du lait. » 2. Les quotas n’ont pas empêché une concentration de l’élevage, qui risque encore de s’accentuer avec la fin de ce système En France, un important mouvement de concentration s’est enclenché depuis 1984 et s’est accentué depuis les années 2000. Le nombre d’exploitations laitière est ainsi passé de 71 000 en 2000 à 47 000 en 2011. En moyenne les exploitations possède désormais 52 vaches laitières en 2011, contre 38 vaches laitières en 2000. Agreste, CNIEL Le cheptel laitier, lui, ne cesse de diminuer, de 13 % entre 2000 et 2011. Cette baisse du cheptel est toutefois largement compensée par une hausse des rendements. La majorité des exploitations laitières se situe dans le croissant laitier » qui s’étend de la Bretagne à l’Auvergne en passant par la Normandie, le Nord-Pas-de-Calais, la Champagne-Ardenne, l’Alsace-Lorraine, la Franche-Comté et la partie nord de la région Rhône-Alpes. Le CER France a pointé l’existence de quatre bassins laitiers en France, héritage de la politique des quotas à la française aux caractéristiques et résultats très différents. CER France Les exploitations laitières ont réalisé un effort d’investissement continu depuis dix ans, notamment dans le matériel et les bâtiments d’élevage. Ces investissements ont entraîné une nette progression du taux d’endettement et des annuités. Cette exigence de remboursement, dans un contexte de plus en plus volatil, fragilise les trésoreries, au point d’entraîner des arrêts d’exploitations. Évolution de la capacité d’autofinancement CER France Surtout, la fin des quotas en 2015 et la réforme de la PAC en cours participent à un climat d’incertitudes quant à l’avenir de la filière laitière. La restructuration des outils industriels permise par la fin des quotas et donc de la gestion des volumes au niveau départemental pourrait entraîner une spécialisation dans la production laitière dans certaines régions et une forte déprise dans les zones intermédiaires de montagne. D.— LA VIANDE, UNE DÉCAPITALISATION INQUIÉTANTE 1. L’importance du troupeau allaitant français La France détient le plus gros cheptel reproducteur bovin de l’Union européenne, avec 4 100 000 vaches allaitantes et 3 600 000 vaches laitières, soit 34 % des vaches allaitantes, et 22 % des vaches de l’UE. Elle est néanmoins devenue importatrice nette de viande bovine depuis les années 2000 au niveau européen 10. Échanges intra communautaires de viande bovine en 2011 FranceAgriMer L’élevage allaitant est majoritairement présent dans les zones intermédiaires et les zones de montagne. Trois espaces assurent la majeure partie de la production la périphérie du bassin laitier breton ; le bassin charolais et le bassin limousin. L’élevage allaitant est également présent en Lorraine et dans les contreforts du massif pyrénéen. De même que pour le cheptel laitier, un mouvement de concentration est à l’œuvre depuis plusieurs dizaines d’années. La taille moyenne des troupeaux s’accroît régulièrement, passant de 26 vaches allaitantes en 2000 à 34 vaches en 2010. En ce qui concerne le cheptel allaitant, une diminution est également en cours depuis 2010, qui s’est accentuée avec la sécheresse du printemps 2011. D’une part les prairies ne suffisaient plus à l’alimentation des bovins mis à l’herbe et, d’autre part, la pousse sur les prairies destinées au fauchage a été insuffisante, entraînant un déficit de stocks de fourrages futurs. Les abattages de gros bovins marquent une tendance à la baisse sur une longue période, dans le sillage de la baisse du cheptel. Les abattages de jeunes bovins ont également diminué sur cette période en raison d’une production en baisse en 2011 mais aussi de l’augmentation des exportations en vif, notamment vers la Turquie. Les viandes produites à partir du troupeau de vaches allaitantes représentent aujourd’hui 58 % du total des viandes produites en France. Ce chiffre s’élevait à 52 % au milieu des années 1990. Le reste de la production est assuré par l’abattage des vaches laitières de réforme. L’importance des apports sur le marché des vaches de réforme pèse sur le marché de la viande bovine issue de races à viande. Ainsi, en 2009, lorsque le prix du lait était faible, les éleveurs se sont séparés de manière anticipée des vaches les plus âgées, les moins productives, et ceci a pesé à la baisse sur les prix de la viande bovine issue du cheptel allaitant. 2. Une production haut de gamme et peu d’activités d’engraissement La production française de viande bovine ne correspond pas à la consommation domestique. Ainsi, on assiste à des importations de femelles et à l’export de jeunes bovins et de génisses. La production française a renforcé son potentiel et sa spécificité qui consiste à faire naître des animaux. Malgré l’exportation d’un grand nombre de broutards, 65 % des tonnages de viande produits en France correspondent à des produits du troupeau allaitant, et donc à des viandes dites de haut de gamme, issues de carcasses bien conformées. Or ces caractéristiques ne sont pas nécessairement en harmonie, en termes de prix, avec les attentes exprimées par la grande distribution, qui elle-même assure 62 % de la consommation totale. Les caractéristiques de ces viandes issues du troupeau allaitant ont notamment de grandes difficultés à correspondre aux exigences de prix exprimées par la restauration collective de type scolaire et institutionnelle. La production de viande bovine française se trouve ainsi prise en tenaille entre une réponse à des attentes qualitatives et des exigences de prix. Cette situation est aggravée par la distorsion de concurrence qui existe avec l’Allemagne, où le recours massif à une main-d’œuvre étrangère à bas coût par les industries de l’abattage et de la transformation leur permet de réaliser un gain de 9 centimes par kilo équivalent de carcasse par rapport à la France 11. La relance de l’engraissement des jeunes bovins est une piste régulièrement explorée pour améliorer la situation des éleveurs. Elle est défendue notamment par les jeunes agriculteurs. Cette relance de l’engraissement répond à une volonté de rapatrier la valeur ajoutée sur le territoire national. Dans une étude datant de 2008 portant sur l’avenir de l’engraissement des jeunes bovins en France, l’Office de l’élevage 12 identifiait les facteurs clefs de succès de projets de renforcement de l’engraissement La première difficulté tient aux besoins de trésorerie des exploitants. L’engraissement allonge en effet le délai de présence des animaux sur l’exploitation au lieu de vendre des broutards entre 8 et 12 mois, l’éleveur doit les garder une année de plus. La deuxième difficulté tient à la nécessité d’adapter les bâtiments d’élevage à la nouvelle capacité de l’exploitation, ce qui suppose de nouveaux investissements. La troisième difficulté consiste à disposer de plus d’alimentation animale ce qui se heurte à une insuffisante production de protéagineux, rendant nécessaire l’importation de tourteaux de colza, riches en protéines. La quatrième difficulté tient à la concentration des risques économiques sur l’éleveur puisque l’engraissement expose davantage l’éleveur aux aléas de la conjoncture, qu’ils soient climatiques ou économiques. II.— D’INDÉNIABLES OPPORTUNITÉS QUI DOIVENT ÊTRE EXPLOITÉES A.— LA DEMANDE DES CONSOMMATEURS POUR DES PRODUITS TRACÉS ET DE QUALITÉ 1. Un étiquetage obligatoire des produits transformés à base de bœuf Depuis la crise de la vache folle, l’étiquetage de l’origine de la viande bovine fraîche, c’est-à-dire non transformée, est obligatoire en vertu des règlements CE 820/97 et 1 760/2000 13. L’information du consommateur, en particulier par l’étiquetage des viandes, résulte de trois règlements européens. Cadre réglementaire actuel de l’Union en matière d’information du consommateur – Le règlement CE n° 178/2002 sur les principes généraux de la législation alimentaire et de la sécurité des denrées alimentaires, qui dispose que la législation alimentaire doit permettre aux consommateurs de choisir leurs denrées en connaissance de cause et doit empêcher toute pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur. Ce règlement prévoit aussi qu’il appartient aux exploitants de s’assurer qu’ils répondent aux exigences applicables de la législation alimentaire et qu’il incombe aux États membres de garantir l’application de cette législation ainsi que de contrôler et de vérifier que les exigences ad hoc sont respectées à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution ; – la directive 2000/13/CE sur l’étiquetage des denrées alimentaires, qui prévoit que celui-ci ne doit pas être de nature à induire le consommateur en erreur et que tous les ingrédients doivent figurer sur l’étiquette des denrées alimentaires préemballées destinées au consommateur final ; – le règlement CE n° 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires ; ce règlement, qui n’est pas encore entré en vigueur, remplace un certain nombre d’actes antérieurs, dont la directive 2000/13/CE. Il introduit l’obligation d’indiquer le pays d’origine à partir du 31 décembre 2013 pour les viandes fraîches des espèces porcine, ovine, caprine et de volailles pour l’espèce bovine, cette obligation a été introduite dans un règlement séparé à la suite de la crise de l’ESB. Ces dispositions ne s’appliquent pas, cependant, à la viande en tant qu’ingrédient dans les produits transformés. En vertu de ces règlements, la Commission doit présenter un rapport au Parlement européen et au Conseil sur l’indication obligatoire des pays d’origine et du lieu de provenance pour la viande utilisée en tant qu’ingrédient. Ce rapport est attendu au plus tard le 13 décembre 2013. L’amélioration de l’information du consommateur était donc envisagée avant le scandale dit de la viande de cheval ». L’actualité a cependant transformé cette éventualité en impératif. Le scandale de la viande de cheval Le 15 janvier 2013, l’autorité irlandaise de sécurité des aliments a annoncé avoir découvert de l’ADN de cheval dans un certain nombre de steaks hachés de bœuf vendus dans de grandes chaînes de supermarchés. Début février, d’autres cas de viande de cheval détectée dans des produits dont l’étiquette indiquait la présence de viande de bœuf ont été signalés au Royaume-Uni puis en France. Plusieurs analyses ont donc été effectuées pour vérifier, dans toute l’Union, le contenu exact des produits à base de viande transformée. De la viande de cheval a été décelée dans un large éventail de denrées alimentaires. La présence illégale de viande de cheval dans les denrées alimentaires a soulevé d’autres questions liées à la sécurité alimentaire. Un sujet a notamment suscité des inquiétudes la présence éventuelle de traces de phénylbutazone dans la chaîne alimentaire, soupçons qui se sont avérés dans au moins un cas en France. La phénylbutazone est un anti-inflammatoire vétérinaire administré aux chevaux, qui présente cependant des risques potentiellement graves quoique rares pour la santé des personnes. En vertu de la législation de l’Union, les chevaux auxquels ce médicament a été administré doivent être exclus définitivement de la chaîne alimentaire. Pour faire face à cette situation, il a été décidé de procéder à des analyses sur des viandes et des produits à base de viande dans l’ensemble de l’Union, à la suite de propositions formulées par la Commission et après consultation des États membres au sein des comités de réglementation concernés. En effet, le scandale de la viande de cheval, et la chute impressionnante des ventes de tous les produits transformés à base de bœuf ont montré que les Français sont toujours plus exigeants sur la sécurité et sur la qualité des produits. Comme l’a indiqué Interbev lors de son audition, que les Français s’approvisionnent auprès d’une chaîne alimentaire devenue complexe ou qu’ils privilégient les circuits courts et un approvisionnement de proximité, tous ont besoin des mêmes sécurités. Leur demande se diversifie et ils sont aussi de plus en plus attentifs aux conditions de production. Vos rapporteurs estiment impératif que la Commission accélère la remise de ce rapport, première étape nécessaire avant la présentation d’une proposition législative. Il convient d’autoriser au plus vite l’étiquetage viande bovine française » VBF pour l’ensemble des produits, nés, élevés, abattus et transformés en France. 2. Une politique de la qualité Le lait destiné aux fabrications de produits appellation d’origine contrôlée AOC et le lait bio, même plus chers, résistent mieux que le lait conventionnel quand les prix se contractent. En Allemagne, par exemple, le prix du lait bio a chuté de 22 % en 2009 contre 40 % pour le marché conventionnel. Lors de son audition par vos rapporteurs, Mme Massat, présidente de l’association nationale des élus de la montagne ANEM, a fait observer que l’on constate invariablement que les exploitations laitières de montagne en appellation d’origine protégée AOP ou indication géographique protégée IGP résistent mieux aux crises. Ainsi, l’Institut de l’élevage relève qu’en Franche-Comté, le prix du lait a continué à augmenter plus 20 euros par 1 000 litres en 2010, passant la barre des 40 000 euros de revenu par unité de main-d’œuvre. Ces types de production sont loin d’être marginaux puisque le lait sous AOP-IGP concerne 10 % de la production totale de lait mais 30 % du lait de montagne. CNIEL En France, le lait bio reste une production relativement marginale 1,9 % de la collecte, contrairement à certains pays de l’Union européenne. L’Allemagne, le Danemark et l’Autriche produisent à eux seuls la moitié de la production européenne 2,5 millions de litres en 2008, ce qui représente jusqu’à 10 % de la collecte de lait en Autriche 14. En 2008, le lait bio représentait en France 5 % de la consommation de lait liquide. 30 % de la consommation française est importée, ce qui montre que le marché existe et qu’il se développe. Les mêmes constats s’appliquent à la viande bovine. Il existe 21 IGP en viande bovine, selon l’Institut national de l’origine et de la qualité INAO. La qualité peut aussi être attestée par le label, du type label rouge », qui garantit le respect par le producteur d’un cahier des charges exigeant. Vos rapporteurs estiment en conséquence que l’encouragement à la valorisation du lait et de la viande en produits certifiés doit constituer donc un objectif prioritaire comme réponse à la disparition des quotas, en particulier dans les zones difficiles, où les coûts de collecte sont plus élevés. 3. Favoriser les circuits de proximité Selon le ministère de l’agriculture, est considéré comme circuit court un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire. L’ANEM estime que les circuits courts de type AMAP association pour le maintien d’une agriculture paysanne correspondent à un débouché en pleine expansion qu’il faudrait accentuer dans le secteur des produits laitiers, en ce qu’ils apportent satisfaction à la fois au consommateur et au producteur ; ce que résumait assez bien un exposant au Salon de l’agriculture en montagne, le reblochon acheté 3,60 euros chez le producteur est vendu 16 à 18 euros en grande surface et jusqu’à 24 euros en crémerie. Si je le vends 11,50 euros, tout le monde s’y retrouve » 15. Le lait liquide ne voyage pas ou très peu. Cette contrainte commerciale peut aussi se transformer en atout lorsque le lait est valorisé comme un produit de proximité. Comme l’indiquait le rapport du sénateur M. Jean Bizet, la valorisation locale peut se faire de façon implicite, comme c’est le cas au Royaume-Uni, qui a pour caractéristique d’être un pays gros consommateur de lait frais pasteurisé et par conséquent à durée de conservation courte 16. Le lait consommé au Royaume-Uni est donc par nécessité un lait produit localement. Il en va de même en Autriche. Ce même rapport montrait que la valorisation peut aussi être explicite comme c’est le cas chez certaines grandes enseignes commerciales qui vendent du lait de montagne » ou bien encore en Alsace, où, avec l’appui des autorités locales, les laiteries ont proposé du lait d’Alsace ». Cette initiative rencontrerait un succès certain. Dans le même ordre d’idée, il faut citer l’expérience des tanks » de distribution directe, sortes de distributeurs automatiques de lait, qui permettent de livrer du lait frais pasteurisé, sans intermédiaire, ni conditionnement 17. Un nouveau débouché doit également s’ouvrir en priorité à la filière viande française celui de la restauration collective. En effet, alors même que les enjeux politiques d’une relocalisation de l’approvisionnement de la restauration collective sont nombreux, 80 % de la viande consommée en restauration collective est issue de l’importation 18, malgré l’engagement de certaines enseignes comme McDonald’s, qui s’approvisionnent en viande hachée sur le marché français. Pour favoriser l’approvisionnement de la restauration collective via les circuits courts, le code des marchés publics a été modifié par décret le 25 août 2011. Il donne la possibilité aux acheteurs de retenir parmi les critères de choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture.» La notion de circuits courts ne désigne donc pas une préférence locale, ce qui serait contraire aux règles européennes de la commande publique, mais un mode de distribution. La Commission des affaires économiques a auditionné le 20 février 2013 le président du Conseil général du Gers de l’époque, M. Philippe Martin, qui a mis en place une opération intéressante visant à servir depuis le 1er janvier 2009, des repas de saison, biologiques, labellisés et locaux dans les restaurants scolaires des 19 collèges du Gers. Vos rapporteurs suggèrent de développer les circuits courts et les filières de qualité au sein de la restauration hors foyers, notamment en utilisant la possibilité ouverte par le décret du 25 août 2011. B.— DES MARCHÉS EN CROISSANCE 1. Des marchés en croissance En moyenne, à l’échelle mondiale, sont consommés, par habitant et par an, 100 litres de lait ou équivalents et 42 kg de viande, dont 9 kilos de viande bovine. Cette consommation est très inégalement répartie. Les Français consomment par exemple 300 litres équivalents de lait et 24 kilos de viande bovine. Le niveau de la consommation de protéines animales atteint en France et dans les pays développés n’est pas nécessairement généralisable, mais les experts misent sur une forte croissance de la demande mondiale et sur le maintien d’un haut niveau d’exigence qualitative. La progression de la consommation des protéines d’origine animale sur la planète a d’ailleurs été forte cette dernière décennie entre 2 et 3 % par an, en lait comme en viande. Selon la FAO et l’OCDE, la croissance devrait être la même, voire supérieure à l’horizon 2020. Dans les pays émergent, à faible diversification alimentaire, l’augmentation de la consommation de produits laitiers et de viande suit l’augmentation du pouvoir d’achat et l’émergence des classes moyennes. a Le lait La production mondiale de lait, de l’ordre de 440 millions de tonnes en 2010, progresse régulièrement, approximativement à la même vitesse que la population mondiale. L’Union européenne est le principal producteur avec 135 millions de tonnes, devant les États-Unis – 88 millions de tonnes – et l’Inde – 50 millions. La France et l’Allemagne sont les deux grandes industries laitières de l’UE. Les échanges sont en croissance en volume et en valeur. Ils sont réalisés essentiellement sous la forme de trois types de produits – les fromages et les poudres grasses, pour à la fois la matière grasse et la matière protéique du lait ; – le beurre pour la matière grasse ; – la poudre de lait écrémé pour la protéine. La CNE a souligné que Les poudres grasses ou écrémées sont largement produites pour les échanges internationaux, puisque pour ces produits les échanges portent sur une très forte proportion de la production mondiale respectivement 50 et 40 %. En revanche, en beurre et fromages, le commerce international ne porte que sur 10 % des volumes produits. L’Europe et les États-Unis, grands producteurs de fromages produisent d’abord pour leur marché intérieur. De même pour ce qui concerne la production beurre de l’Europe et de l’Inde. Il n’en demeure pas moins que l’Europe a pu exporter des volumes plus importants de fromages ces dernières années, en répondant à une demande de nouveaux consommateurs à bon pouvoir d’achat dans les pays en croissance. De nouveaux marchés s’ouvrent, y compris sur des produits industriels de qualité porteurs de valeur ajoutée ainsi du marché des poudres infantiles en » CNE b La viande bovine Au cours des années 2000, la consommation mondiale globale de viandes a progressé au rythme annuel de 2,3 % pour atteindre 286 millions de tonnes en 2010. Elle correspond à une consommation de 42 kg équivalent carcasse par habitant. L’OCDE et la FAO prévoient pour la décennie à venir que la consommation mondiale de viande continuera d’enregistrer l’un des taux les plus élevés de croissance parmi les principales denrées agricoles. Il est estimé à 1,5 % pour la viande bovine. Ces deux organisations prévoient également la poursuite de la forte tendance à la hausse des prix de la viande bovine sur le marché mondial. Cette dynamique se traduit par un resserrement des prix mondiaux, ce qui constitue une véritable rupture. Ce mouvement est enclenché depuis 2009 avec une forte hausse des prix chez les trois principaux exportateurs mondiaux Brésil, Australie, États-Unis. En deux ans, les prix brésiliens ont doublé pour se rapprocher des prix européens fin 2010. Dans son rapport daté de 2012 sur l’analyse stratégique de la filière de la viande bovine, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux CGAAER souligne que les pays du Moyen-Orient et du Maghreb constituent des cibles privilégiées, compte tenu de leur proximité et de leur appartenance à la zone de chalandise naturelle de l’Europe ». Ces pays vont sensiblement augmenter leurs importations dans les années à venir, offrant une véritable opportunité pour la filière française. 2. Des opportunités pour la filière française a La viande La France, forte de son troupeau allaitant, est sans doute l’un des pays européens les mieux placés pour bénéficier des opportunités offertes par le marché mondial. Si du fait de la baisse structurelle de la production liée à la baisse du cheptel laitier, la filière viande est déficitaire depuis 2003 en termes de volume, elle est largement excédentaire s’agissant des races à viande. Ce résultat est directement lié aux exportations d’animaux maigres mais aussi de jeunes bovins, à forte valeur ajoutée. Près d’un tiers des veaux nés du cheptel allaitant français sont exportés, principalement vers l’Italie et l’Espagne, et plus récemment, vers les pays tiers. La FNB estime que pour conforter la production de la filière, il est indispensable de renforcer les moyens engagés pour rechercher et développer ces nouveaux débouchés. Elle suggère en conséquence d’amplifier l’action du GEF groupement export France créé en 2011 par la filière bovine. Vos rapporteurs sont convaincus qu’il est également important de maintenir la mobilisation active des services de l’État pour obtenir la négociation des certificats sanitaires indispensables à l’ouverture des marchés, et entreprendre les démarches diplomatiques essentielles pour les relations commerciales au plan mondial. b Le lait L’Europe du Nord et particulièrement la France disposent des meilleurs atouts pour l’après quotas en raison de leur savoir-faire, de leurs potentiels humains et pédoclimatiques, et de leurs outils industriels. Le solde commercial des produits laitiers constitue le troisième excédent agroalimentaire français, en augmentation régulière. Les fromages assurent 1,5 milliard d’euros des 3,7 milliards d’euros du solde positif du commerce extérieur devant les produits frais qui représentent le deuxième poste positif, avec près de 450 millions d’euros, et les laits écrémés. L’Allemagne, la Pologne, l’Espagne et la Grande-Bretagne sont les principaux partenaires de la France. Au début des années 2000, le lait français n’était pas compétitif sur le marché mondial, ce qui explique que les exportations françaises sont destinées à 75 % à l’UE. L’écart de compétitivité avec l’Océanie s’est néanmoins sensiblement resserré depuis 2006, ce qui explique qu’on observe ces dernières années une nette progression des exportations françaises vers les pays tiers. En 2011, les exportations de la France vers l’UE et le reste du monde se sont élevées à 10,2 milliards de litres équivalents de lait, soit 42,5 % de la collecte, alors que les importations ont été de 5,2 milliards de litres. Service économique du CNIEL, juin 2013 Le mix produits » de la France compte une part importante de produits industriels 30 % des fabrications, contre 20 % en Allemagne, dont la valorisation est en lien direct avec les marchés mondiaux. Les autres produits fabriqués sont des produits de grande consommation à forte valeur ajoutée lait, yaourt, fromages. Le paradoxe français est d’avoir historiquement des entreprises nationales puissantes sur le plan mondial, très implantées industriellement sur les différents continents, innovantes en termes de produits qui dégagent de la valeur ajoutée, mais qui se sont peu positionnées sur les segments des poudres et des fromages standard qui s’échangent le plus sur le marché mondial. Les personnes auditionnées par vos rapporteurs ont néanmoins indiqué que la France développe ces activités de poudres, à très haute valeur ajoutée, notamment à destination du lait infantile. Eurostat/CNIEL Dans ce contexte général de demande soutenue, vos rapporteurs estiment que la formation d’un groupement d’intérêt économique en charge de la promotion des produits laitiers et de la recherche de nouveaux marchés permettrait de dynamiser plus encore les exportations françaises. 20 III.— LES CONDITIONS DE LA REPRISE A.— L’AMÉLIORATION DES RAPPORTS PRODUCTEURS – FOURNISSEURS – DISTRIBUTEURS 1. La table ronde fournisseur distributeurs, une aide bienvenue mais ponctuelle La table ronde organisée par le médiateur des relations commerciales agricoles le 8 avril 2013 est intervenue dans un contexte tendu, celui du ciseau insoutenable de l’augmentation des charges et de l’insuffisante répercussion à la hausse des prix de vente du lait. Pour leur part, les transformateurs dénoncent des négociations avec les distributeurs de plus en plus tendues au fil des années. Le médiateur des relations commerciales agricoles a néanmoins pu proposer le 26 avril à l’ensemble des intervenants de la filière laitière un dispositif permettant de financer un relèvement immédiat de 25 euros du prix payé aux producteurs laitiers pour 1 000 litres de lait collectés. Au 1er juin, les distributeurs ont accepté une hausse des prix payés aux industriels de 3 centimes le litre de lait de consommation et de 2 centimes le litre de lait intégré aux produits transformés, en fonction de coefficients techniques de transformation. Les producteurs devraient en échange s’engager à ne pas perturber l’activité des distributeurs et des industriels pendant la durée de l’accord. Globalement les hausses envisagées par le dispositif du médiateur correspondraient à une enveloppe de l’ordre de 300 millions d’euros. Il s’agit d’une solution utile et bienvenue pour les producteurs mais ponctuelle, qui ne résout pas les problèmes de fond de la filière. 2. L’innovation du projet de loi relatif à la consommation, la clause de renégociation en cas de volatilité des matières premières L’accord, signé sur la base du volontariat en présence du ministre de l’agriculture le 3 mai 2011, entre treize organisations professionnelles représentant agriculteurs, industriels et secteur de la distribution et qui prévoit la réouverture des négociations commerciales entre ces différents partenaires lorsque les prix de l’alimentation animale dépassent un certain niveau, à la hausse comme à la baisse est peut-être une piste intéressante pour limiter l’impact négatif de l’augmentation du coût des matières premières sur les éleveurs. Il faut pour cela que les prix de l’alimentation animale soit de plus ou moins 10 % par rapport au même mois de l’année précédente et pendant trois mois consécutifs. Par ailleurs, l’évolution de la part du coût de l’alimentation dans le prix à la production doit se situer à plus ou moins 10 %, au-delà ou en deçà d’une référence préétablie. Un corridor de prix est alors défini de manière à lisser l’impact de la volatilité des cours des matières premières agricoles au profit des filières des viandes bovine, avicole et porcine. Cet accord dont le champ d’application est restreint repose néanmoins sur une base volontaire. Le projet de loi relatif à la consommation qui a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 2 juillet 2013 prévoit donc une clause de renégociation en cas de fortes variations des prix des matières premières agricoles. Comme l’a indiqué notre collègue Mme Annick Le Loch, rapporteure de ce texte s’agissant des aspects relatifs à la loi de modernisation de l’économie Le nouvel article L. 441-8 du code de commerce est fondamental et répond parfaitement aux inquiétudes que les producteurs de fruits et légumes notamment mais la situation des éleveurs et des producteurs de produits d’origine animale, comme le lait, a également pu être affectée ont pu manifester au cours des années récentes. … Afin d’éviter toute dérive lors de la réouverture des négociations, il est également prévu que la clause de renégociation fasse référence à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires », définis par exemple par FranceAgriMer, l’Observatoire de formation des prix et des marges ou tout autre structure comparable. L’objectivité des indices ainsi définis devrait permettre aux différents acteurs de pouvoir négocier en toute transparence, sur des bases non sujettes à caution. Afin de garantir que ces négociations soient menées de bonne foi, il est par ailleurs précisé qu’un compte rendu doit être établi afin d’en retracer les étapes et les points de vue, celui-ci pouvant s’avérer particulièrement utile, notamment pour permettre aux autorités compétentes voire au juge d’apprécier le caractère sincère et constructif des discussions ainsi menées. » Les contrats tripartites entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs Système U a convenu en 2010 un accord tripartite avec le groupement de producteurs Biolait et la laiterie de Saint-Denis de L’Hôtel. Nous nous engagions pour la première fois sur une marque de lait bio de production française. Pour sécuriser les producteurs sur le prix, et en même temps inciter à la conversion un certain nombre d’éleveurs du conventionnel vers le bio, nous avons voulu prévoir dans nos contrats 3 centimes d’euros supplémentaires, orientés directement vers les producteurs. » Le mécanisme a si bien fonctionné qu’en trois ans, Biolait, au départ surtout localisé dans le Grand Ouest et désormais sur toute la France, est passé de 700 à 1 200 producteurs. Aujourd’hui, le nombre d’éleveurs étant jugé suffisant pour remplir les demandes de volume, l’accord qui visait à aider à la conversion ne va pas être reconduit. Le prix payé au producteur lui devrait être maintenu il est fixé à 43 centimes d’euros le litre, contre 31,5 centimes dans le conventionnel 21. Vos rapporteurs saluent l’introduction de cette clause de renégociation dans le droit français. 3. Le fonds de solidarité céréaliers- éleveurs, une péréquation intéressante Suite à la hausse des cours constatée au printemps 2012, un regroupement de producteurs de céréales et d’oléagineux, l’ORAMA fédérant trois associations spécialisées dépendant du syndicat majoritaire au sein des chambres d’agriculture l’AGPB, l’Association Générale des Producteurs de Blé, l’AGPM, l’Association Générale des Producteurs de Maïs et la FOP, Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux a proposé le 30 août 2012 de mettre en place un fonds professionnel de modernisation céréalier-éleveur de 100 millions d’euros en faveur des éleveurs. Le président de la FNSEA, M. Xavier Beulin a expliqué avoir soutenu l'initiative d'Orama sur le fonds de solidarité céréaliers-éleveurs, a-t-il rappelé. Face à la faible mobilisation autour de la mise en place d'une contribution volontaire pour alimenter ce fonds, et devant notre refus d'une taxe, nous proposons la mise en place d'une CVO contribution volontaire obligatoire qui sera modulée et modulable. Ce fonds devrait voir le jour dès 2013. »22 Selon ses promoteurs, ce fonds serait destiné à financer des mesures structurelles de soutien – investissements dans la rénovation des bâtiments, développement de la méthanisation ou du photovoltaïque sur les exploitations – aux filières d’élevage les plus touchées par la hausse des prix selon des modalités qui seraient définies ultérieurement par les céréaliers et les éleveurs. Cette proposition a suscité de vives réactions. Si le principe d’une solidarité des céréaliers envers les éleveurs mérite d’être étudié et salué, il conviendra d’examiner avec la plus grande vigilance les modalités de mise en œuvre de ce fonds. 4. La contractualisation, un outil de régulation Le rapport du CGAAER de juillet 2012 sur la contractualisation a permis de mesurer les premiers effets de l’article 12 de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche LMAP du 27 juillet 2010, et des décrets du 30 décembre 2010 qui ont rendu obligatoire la contractualisation dans le secteur du lait de vache et celui des fruits et légumes. Ce rapport ne remet pas en cause le principe de la contractualisation comme outil de régulation de la filière. Ses auteurs estiment que la contractualisation et les organisations de producteurs ont amélioré les rapports de force entre producteurs et industriels, apportant une assurance supérieure à celle que l’on pouvait attendre des contrats tacites non écrits existants jusqu’alors». Le rapport souligne que le contrat est d’abord un instrument dans la négociation », mais qu’il ne peut se substituer à la totalité des instruments de gestion des marchés. Il propose que la contractualisation soit également appliquée à la viande bovine. Interbev a proposé un accord-cadre sur la contractualisation en filière bovine tenant compte des coûts de production. L’accord-cadre offre la possibilité aux abatteurs et aux éleveurs de passer des contrats. Aujourd’hui 15 à 20 % des bovins français sont sous contrats. Interbev se fixe comme objectif 30 % en trois à cinq ans. Vos rapporteurs estiment également que la contractualisation est l’un des outils permettant de réguler la filière laitière. En cela, ils plaident pour l’extension de la contractualisation à la filière de la viande bovine. B.— L’APRÈS QUOTAS LAITIERS 1. Le mini-paquet lait, une première étape C’est dans le contexte globalement favorable à une application stricte des règles de concurrence, qu’est intervenu le mini-paquet lait », le 14 mars 2012. Le secteur laitier sortait alors de la crise particulièrement grave de 2009. Le règlement UE n° 261/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 relatif aux relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers a introduit des modifications substantielles au règlement OCM unique qui régit l’organisation du secteur en reconnaissant – le rôle des OP et de leurs associations dans le secteur du lait et des produits laitiers ; – la qualité des OP pour négocier les prix et les volumes, sous certaines conditions, avec les transformateurs. Il s’agit, en quelque sorte, d’une autorisation explicite, bien que sous conditions, des ententes dans ce secteur. Le règlement précise les conditions de négociation des contrats par les OP au nom des producteurs de lait. Trois conditions doivent être réunies il faut que le volume de lait cru faisant l’objet de ces négociations n’excède pas 3,5 % de la production totale de l’Union, 33 % de la production nationale de l’État membre dans lequel est produit le lait cru et 33 % de la production nationale de l’État membre où est livré le lait cru. Cette limite de 3,5 % de la production correspond de facto à la production d’un grand bassin laitier ou à la part de la production nationale dans la production européenne d’un grand producteur. Ainsi, l’objet de ces OP dépasse celui des regroupements actuels. Une OP reconnue pourra négocier le contrat de vente avec l’industriel transformateur au nom des agriculteurs qui en sont membres, qu’il y ait, ou non, transfert de propriété du lait. Les États membres peuvent également reconnaître les organisations interprofessionnelles qui ... c mènent une ou plusieurs activités suivantes ... i amélioration de la connaissance et de la transparence de la production et du marché, au moyen, notamment, de la publication de données statistiques relatives aux prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus pour la livraison de lait cru, ainsi que de la réalisation d’études sur les perspectives d’évolution du marché au niveau régional, national ou international ». S’agissant des prix du lait, depuis 1997, le Centre National Interprofessionnel de l’Économie Laitière CNIEL communiquait des recommandations de prix trimestrielles, non obligatoires mais qui servaient de référence au niveau des centres régionaux, les CRIEL, et des acteurs de la filière éleveurs et fabricants. Cette pratique a été condamnée et a été abandonnée. Elle a été remplacée par un dispositif plus neutre d’indices de tendances dont la légalité a été assise par un amendement à la loi de finances pour 2009. Même si le règlement ne traite pas de l’ensemble des difficultés du secteur laitier – il n’aborde notamment pas la question de la régulation – vos rapporteurs se réjouissent de ce premier pas et de l’évolution de la Commission européenne, qui reconnaît désormais la nécessité d’adapter le droit de la concurrence aux spécificités du secteur laitier. 2. La concertation européenne sur l’après-quotas doit permettre de définir un cadre permettant de réguler le secteur laitier L’Union européenne aura besoin d’un cadre efficace pour réguler » le secteur laitier après la fin des quotas, a estimé le commissaire européen à l’agriculture Dacian Ciolos le 21 janvier. Il a rappelé que le paquet lait n’est une première étape ». Il a également souligné la nécessité de disposer d’outils pour faire face aux crises sévères qui menacent tous les producteurs de lait, même ceux qui sont parfaitement compétitifs dans des conditions de marché normales. Le deuxième défi majeur de l’après-quotas est d’assurer la durabilité de la production laitière y compris sur le plan territorial. Le commissaire européen a souligné qu’il faut tenir compte non seulement de la compétitivité telle qu’elle est actuellement mais aussi des coûts environnementaux et de la durabilité à long terme des systèmes de production intensifs. Ces dernières années, on a vu l’impact négatif d’une hausse des prix des aliments pour animaux sur les exploitations laitières intensives. Une grande conférence sur l’après-quotas doit se tenir en septembre 2013 pour examiner les pistes d’évolutions. En lien avec l’avis du 30 mai 2013 du comité des régions, vos rapporteurs demandent des études complémentaires urgentes pour évaluer les impacts territoriaux de la suppression des quotas. Ils considèrent qu’un système efficace de gestion de crise doit faire preuve d’une bonne réactivité, qu’il est nécessaire pour cela de centraliser l’information nationale et européenne des livraisons par exploitation sur plusieurs années, de définir l’état de crise via les prix de référence et les marges, ce qui suppose une gestion directe via une Agence européenne de régulation. C.— LA PAC APRÈS 2013 ET LA RÉFLEXION SUR LA PAC APRÈS 2020 1. Un premier pilier qui prend en compte les besoins de l’élevage a Un niveau élevé d’aides couplées est indispensable Dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune PAC après 2013, le couplage à la vache allaitante reste une aide indispensable pour les producteurs de viande bovine. La France doit pouvoir mobiliser une enveloppe couplée suffisante, et la compléter par une prime nationale comme actuellement. L’aide actuelle correspond à 150 euros de prime européenne par tête, à laquelle s’ajoute une prime nationale supplémentaire de 50 euros. La FNB estime qu’une hausse de l’aide vache allaitante à 300 euros par tête est indispensable pour conforter le secteur, maintenir la production et améliorer le revenu des producteurs. Pour primer l’ensemble des vaches allaitantes présentes en France, de l’ordre de 4 millions de têtes, l’enveloppe doit être de 1 200 millions d’euros, soit 16 % de couplage pour cette mesure, indépendamment des autres mesures de couplage. Niveau actuel des crédits de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes » PMTVA – Enveloppe européenne 525 millions d’euros 150 euros par tête – Enveloppe de crédits nationaux 160 millions d’euros 50 euros par tête pour les 40 premières, 26 euros au-delà À l’issue des trilogues entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, le taux de couplage a été porté à 13 % contre 10 % actuellement. Une possibilité supplémentaire de 2 % a été obtenue pour la production de protéines végétales, qui permettra de soutenir le développement de l’autonomie fourragère protéique de l’élevage. Vos rapporteurs saluent cette grande avancée, favorable aux élevages allaitants. b La surprime aux cinquante premiers hectares et une pente de convergence des aides à l’hectare plus douce La convergence des aides directes, telle que proposée par la Commission européenne dans le cadre de la réforme de la PAC, consiste à rapprocher le montant de l’aide à l’hectare, aujourd’hui fondé sur des références historiques et de ce fait différent suivant les types de production, vers une valeur commune correspondant à la moyenne nationale. La Commission propose que la convergence à un paiement de base soit uniforme à l’échelle de la région ou de l’État en 2019 et que dès 2014, au minimum 40 % des paiements de base soient uniformisés. S’agissant de la France, ce scénario bénéficierait surtout aux élevages extensifs et pénaliserait l’élevage maïs qu’il soit lait ou viande. Il impacterait peu la situation des producteurs en grandes cultures car leur montant d’aide moyen à l’hectare actuel n’est que légèrement supérieur à la moyenne. L’évolution des aides serait la suivante – diminution de 15 % pour les grandes cultures ; – diminution de 15 % pour l’élevage bovins lait, et de 31 % pour l’élevage bovins lait maïs ; – augmentation de 14 % pour l’élevage bovins viande, et de 19 % pour l’élevage bovins viande à l’herbe ; – diminution de 10 % pour la polyculture-élevage. Tant le Conseil que le Parlement européen se sont accordés sur le principe d’une convergence plus lente afin de préserver l’équilibre économique des différents types de production. Vos rapporteurs soutiennent activement ce choix. En outre, à l’initiative de la France et de son ministre de l’agriculture, M. Stéphane Le Foll, a été introduite dans la position du Conseil du 19 mars un innovant paiement de redistribution » facultatif qui permettra aux États membres d’accorder un complément en plus du paiement de base pour les premiers hectares de chaque exploitation et, ainsi, de tenir compte de la plus forte intensité de main-d’œuvre qui caractérise les petites exploitations. La surprime aux 50 premiers hectares permettra d’atténuer l’effet de la convergence sur les élevages intensifs. 2. L’importance du second pilier pour les zones défavorisées Le régime de soutien aux zones agricoles défavorisées est compris dans l’axe 2 de la politique de développement rural pour 2007-2013. Le règlement CE 1257/1999 détermine trois catégories de zones agricoles défavorisées ZAD – les zones de montagne sont les zones handicapées par une période de végétation sensiblement raccourcie en raison de l’altitude, par de fortes pentes à une altitude moindre, ou par la combinaison de ces deux facteurs ; – les zones défavorisées intermédiaires» 23 qui présentent l’ensemble des handicaps suivants mauvaise productivité de la terre, production sensiblement inférieure à la moyenne en raison de cette faible productivité du milieu naturel et faible densité ou tendance à la régression d’une population qui dépend de manière prépondérante de l’activité agricole ; – les zones affectées par des handicaps spécifiques sont des zones où le maintien de l’activité agricole est nécessaire afin d’assurer la conservation ou l’amélioration de l’environnement, d’entretenir l’espace naturel, de préserver le potentiel touristique ou de protéger les espaces côtiers. Pour la période 2007-2013, 12,6 milliards d’euros ont été consacrés à ces aides, soit environ 14 % du financement total par le FEADER. Ces crédits ont principalement financé l’attribution de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels ICHN. Cette indemnité est accordée pour une surface maximum de 50 hectares, avec une surprime de 50 % pour les 25 premiers hectares. Elle pourrait servir de modèle à la surprime aux premiers hectares pour les aides directes du premier pilier. Le plafond de l’ICNH sera augmenté dans le cadre de la nouvelle PAC, ce qui constitue une très bonne nouvelle pour les éleveurs de montagne. Montant des ICHN Aide actuelle en France niveau moyen Plafond proposé dans la PAC 2014-2020 Zone Montagne 160 euros par ha 300 euros par ha ou 450 euros dans proposition Parlement européen Zone Défavorisée Simple 25 à 50 euros par ha 250 euros par ha La prime herbagère agroenvironnementale PHAE est un dispositif dont l’objectif est de favoriser la biodiversité sur les exploitations herbagères. L’objectif est de stabiliser les surfaces en herbe, en particulier dans les zones menacées de déprise agricole et d’y maintenir des pratiques respectueuses de l’environnement via des engagements pris sur cinq ans en contrepartie d’une rémunération. Le dispositif s’appuie sur un chargement limité, sur la présence d’éléments de biodiversité et sur une gestion économe en intrants. Plusieurs personnes auditionnées par vos rapporteurs ont estimé que cette aide était tellement contraignante qu’ils préfèreraient y renoncer. 3. Un système d’aides contracycliques doit être étudié dans le cadre de la réforme de la PAC après 2020 Mme Aurélie Trouvé, économiste et spécialiste du secteur laitier a souligné qu’en matière de régulation laitière, l’Union européenne était beaucoup plus libérale que les États-Unis Les États-Unis prennent le chemin inverse de celui suivi par l’Europe. Ils encadrent leur marché laitier sans aucun complexe. La Suisse a supprimé les quotas et mis en place une contractualisation avec les éleveurs. On peut parler d’échec. Si on ne fait rien, on aura une nouvelle crise du lait. On risque d’assister en France à un déménagement du territoire et à la concentration des élevages dans les régions les plus favorables à cette production 24. » Le futur Farm Bill 25 Si le futur Farm Bill n’est pas encore arrêté, les discussions témoignent d’ores et déjà d’une volonté affirmée de renforcer encore l’orientation anticyclique de la politique agricole américaine. C’est ce que traduit le vote de la future loi-cadre le 21 juin dernier au Sénat qui prévoit la suppression totale des aides directes découplées, à l’instar de ce qu’avait proposé la Maison Blanche dans un souci d’économies budgétaires. Ces aides, versées indépendamment des prix, des rendements, des revenus et de la production agricoles, sont en effet devenues difficilement justifiables pour le gouvernement et les congressmen, d’autant plus dans un contexte où les revenus agricoles ont atteint des niveaux records. Le vote du Sénat témoigne aussi d’une volonté de renforcer les dispositifs assurantiels, déjà particulièrement développés aux États-Unis, tout en cherchant à améliorer leur articulation avec les autres soutiens à caractère anticyclique. L’arsenal assurantiel existant est en effet globalement reconduit, tandis que de nouveaux programmes sont proposés notamment pour le coton ou l’arachide et de nouveaux enjeux pris en compte subvention additionnelle pour les agriculteurs récemment installés, meilleure prise en compte des spécificités des productions biologiques. Le Sénat propose également un nouveau dispositif additionnel de soutien, de type assurantiel, qui permettrait à un exploitant de compléter la prise en charge de ses risques en bénéficiant d’indemnités supplémentaires couvrant une partie de la franchise imposée par l’assureur. Versée en cas de pertes significatives au niveau du comté et non au niveau individuel, cette forme de couverture additionnelle, Supplemental Coverage Option SCO, serait même subventionnée à 70 % contre 62 % en moyenne pour les dispositifs existants. Plusieurs programmes nouveaux seraient également mis à l’étude ou expérimentés, tels une assurance sur indice climatique ou encore une assurance sur le revenu global des exploitations. Sans toutefois les remettre en cause, l’administration Obama proposait plusieurs ajustements significatifs destinés à améliorer l’efficience de ces programmes, considérés comme particulièrement coûteux, promettant une économie de plus de 8 milliards de dollars sur 10 ans. Le Sénat a choisi une autre voie, refusant de fragiliser ce qui devient de facto la clé de voûte de la protection contre la variabilité intra-annuelle. Toutefois, en vue d’assurer une meilleure cohérence entre les différents dispositifs, le Sénat a introduit deux inflexions pour ces programmes assurantiels. Il s’agit, d’une part, d’une certaine dégressivité des soutiens, avec un taux de subvention des primes d’assurance réduit de 15 points, dès lors que le produit brut de l’exploitation dépasse le seuil de 750 000 $. D’autre part, la perception des soutiens serait soumise à une conditionnalité environnementale, par la mise en œuvre de programmes de conservation » environnementale. Parallèlement, le Sénat propose de fusionner plusieurs aides anticycliques existantes, dont les paiements contracycliques et le dispositif ACRE Average Crop Revenue Election, qui avait été initié lors du précédent Farm Bill. Un nouveau dispositif viendrait les remplacer, ARC Agriculture Risk Coverage, qui reprendrait le principe d’une aide compensant, pour partie, une baisse du chiffre d’affaires interannuel des différentes cultures couvertes, en complément des dispositifs assurantiels qui couvrent uniquement les pertes intra-annuelles. De loin l’innovation la plus coûteuse du projet sénatorial, ce nouvel outil se verrait doté d’un budget de plus de 28 milliards de dollars. En termes d’articulation entre programmes, les niveaux de franchises pris en charge par le dispositif SCO tiendraient compte de la souscription à ce programme ARC afin d’éviter les doubles paiements. Le vote du Sénat témoigne par ailleurs d’une volonté d’intervention renforcée et innovante pour le secteur laitier. Les producteurs bénéficieraient d’un nouveau dispositif d’aides anticycliques composé de deux niveaux un paiement de base, couvrant un niveau minimal de marge différence entre la valeur de la production de lait et le coût de l’alimentation des vaches laitières ; et un paiement complémentaire, pour ceux désirant une couverture supérieure de leur marge, avec possibilité de choisir le niveau de marge sécurisé et le volume de production couvert entre 25 % et 90 % de la production. Ce programme anticyclique serait conditionné à la participation à un programme de stabilisation du marché des produits laitiers. En cas de baisse des prix et des marges, les producteurs seraient incités à réduire leur production par rapport à une référence évolutive dans le temps moyenne des 3 mois précédant la date d’activation du programme ou, au choix du producteur, de la production du mois de l’année n - 1 par rapport à la date d’activation du programme. Concrètement, à mesure que les marges baissent, les producteurs ne seraient plus payés sur les volumes dépassant entre 92 % et 98 % de leur référence selon l’intensité des déséquilibres. Les laiteries qui transformeront néanmoins ces volumes surnuméraires seraient alors tenues de reverser les montants correspondants à l’État fédéral, afin d’être utilisés pour dynamiser la consommation de produits laitiers. Le programme serait désactivé en cas de remontée des marges ou des prix des produits laitiers. Le calendrier se resserre pour le futur Farm Bill, la majorité des dispositions actuelles arrivant à échéance le 30 septembre. La Chambre des représentants étant à majorité républicaine, on peut s’attendre à une forte pression sur le budget agricole et alimentaire dans la mesure où le chiffrage des impacts budgétaires de la version émanant du Sénat conduirait à une quasi-stagnation par rapport au niveau actuel. C’est d’ailleurs ce dont témoigne déjà le vote en commission agricole de la Chambre du 12 juillet. S’il confirme les orientations émanant du Sénat, d’importantes réductions pour les programmes alimentaires sont aussi proposées. Les interférences probables avec la campagne présidentielle américaine pourraient également conduire au statu quo avec, à défaut d’accord, la prorogation du Farm Bill actuel au moins pour une année. Toutefois, bien que non terminées, les discussions confirment d’ores et déjà les options actées précédemment, à savoir une reconfiguration des soutiens au secteur agricole autour d’une orientation résolument anticyclique. Et elles soulignent également que les contraintes OMC, qui poussent au contraire à davantage de découplage, ne constituent pas un élément déterminant de l’évolution de la politique agricole américaine. Vos rapporteurs plaident pour que dès à présent une réflexion soit engagée sur la pertinence d’introduire une part de contracyclicité dans l’attribution des aides dans le cadre de la réforme de la PAC après 2013. Il est en effet incompréhensible aux yeux de l’opinion publique que des aides publiques soient attribuées en 2013 aux agriculteurs céréaliers alors que leurs revenus connaissent des sommets. D.— UNE MEILLEURE AUTONOMIE DES EXPLOITATIONS 1. Une meilleure efficience énergétique La perspective de tension durable sur les prix de l’énergie doit inciter le secteur de l’élevage à une meilleure efficience énergétique. Déjà pratiquée dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, la méthanisation constitue une voie de valorisation des effluents d’élevage alternative à l’épandage direct. La LMAP a encouragé sans réel succès la création d’unités de méthanisation collective, dont la production est assimilée à un produit agricole du point de vue fiscal et social. La France ne compte qu’une dizaine d’unités de méthanisation opérationnelles, contre près de 6 000 en Allemagne. La méthanisation produit du biogaz, qui peut soit être utilisé comme tel soit être transformé en électricité. L’unité de méthanisation produit également un digestat, qui peut être utilisé comme engrais organique et intégré dans le plan d’épandage et qui présente une meilleure valeur agronomique que les effluents bruts. Le retard français s’explique notamment par la faiblesse des tarifs de rachat de l’électricité produite à partir du biogaz. Il s’explique également par l’importance de l’investissement que représente l’installation d’une unité de méthanisation. L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie estime ces coûts à 5 000 euros le kW pour une installation de 100 kW, soit un investissement de 500 000 euros, sans compter les investissements de raccordement au réseau électrique existant, qui peuvent être élevés. Le 29 mars 2013 Mme Delphine Batho, alors ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt ont présenté le plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote » EMAA. Ce plan vise à développer un modèle français de la méthanisation agricole, privilégiant des installations collectives, des circuits d’approvisionnement courts et des technologies et savoir-faire français. L’objectif du Gouvernement est de développer en France, à l’horizon 2020, 1 000 méthaniseurs à la ferme. Le plan prévoit notamment – le lancement, en 2013, d’un appel à projets gestion collective et intégrée de l’azote » ; – l’optimisation du tarif d’achat pour l’électricité produite à partir de biogaz pour favoriser les projets de méthanisation collective à la ferme ; – la simplification des procédures administratives pour le développement des projets de méthanisation ; – un meilleur accompagnement des porteurs de projets ; – des efforts de structuration de la filière, dans le cadre d’un projet présenté au Programme investissement d’avenir pour créer une filière nationale dans le domaine des équipements de méthanisation et dans le domaine de la valorisation des digestats. 2. L’autonomie protéique et fourragère Plusieurs rapports récents – celui du CNE, celui de Mme Marion Guillou remis en juin 2013 au ministère de l’agriculture – ont mis en exergue l’importance de l’autonomie alimentaire pour les élevages. En effet, l’alimentation est le premier poste de charges dans les coûts de production. Les exploitations françaises en élevage allaitant et laitier sont globalement autonomes en fourrages mais sont plus ou moins dépendantes des aliments concentrés achetés 7 à 22 % de la ration. Les fourrages occupent près de 15 millions d’hectares de SAU, dont 80 % en prairie. La production fourragère est directement impactée par le changement climatique, notamment par les sécheresses de plus en plus fréquentes. Il faut souligner à cet égard l’intérêt agronomique et économique des systèmes de polyculture élevage. Le rapport Guillou identifie un certain nombre de pistes d’amélioration i l’accroissement de la part du pâturage dans l’alimentation des troupeaux via l’amélioration de la gestion des surfaces pâturées aujourd’hui très souvent sous-exploitées et l’extension des périodes de pâturage en intersaison ; ii les évolutions des techniques d’élevage pour en particulier mieux caler les phases de besoins élevés des animaux avec les périodes de disponibilité en ressources fourragères de qualité ; iii une légère extensification diminution du nombre d’animaux par hectare permettant d’accroître la part des fourrages dans l’alimentation du bétail et de dégager des marges de sécurité, ces deux dimensions n’étant pas incompatibles avec un maintien, voire une augmentation, des résultats économiques ; iv l’amélioration de la qualité des fourrages conservés pour limiter le recours aux concentrés achetés en dehors de l’exploitation ; v la recherche d’une meilleure complémentarité entre le maïs et l’herbe dans les zones où les deux cultures peuvent cohabiter ; et vi l’utilisation accrue des légumineuses de façon à réaliser des économies de tourteaux d’oléagineux utilisés en alimentation du bétail et des économies d’azote de synthèse sur les productions végétales. » 26 E.— UN CHOC DE SIMPLIFICATION AU SERVICE DE LA COMPÉTITIVITÉ Au cours des auditions qu’ils ont menées, vos rapporteurs ont identifié plusieurs mesures de simplification qui pourraient être utilement mise en œuvre. 1. Les tests ESB Par la décision 2009/719/CE la Commission européenne autorise à partir du 1er janvier 2013 certains États membres à déroger à l’obligation de dépister systématiquement tous les bovins sains abattus de plus de 72 mois. Le ministère de l’agriculture estime le coût des tests pour la seule partie publique à plus de 7 millions d’euros par an. Aucun cas n’a été détecté en abattoir depuis 2010. L’ANSES ayant émis un avis favorable le 11 mars 2003 à cette suppression, vos rapporteurs estiment qu’il convient de profiter de cette dérogation. 2. Les installations classées Pour maîtriser les coûts de production, vos rapporteurs sont convaincus qu’il faut, sans évidemment sacrifier les objectifs sanitaires et environnementaux, lever certaines contraintes qui pèsent sur les exploitations. La Fédération nationale bovine a ainsi fait part de son étonnement devant la persistance de normes plus sévères en France qu’en Allemagne, en matière d’exploitations classées pour la protection de l’environnement ICPE. Alors que les textes européens ne l’imposent pas, la France a ainsi mis en place un seuil d’entrée dans le régime d’autorisation des ICPE en élevage bovin à 50 vaches laitières et 100 vaches allaitantes, faisant peser sur tout projet d’agrandissement d’élevage un risque de refus, au terme de procédures longues et coûteuses. 3. L’obligation de démédullation des carcasses bovines avant fente Par dérogation au principe de saisie des trois carcasses collatérales à la carcasse testée positif à l’ESB, la France a décidé de rendre obligatoire la technique de l’aspiration de la moelle épinière avant la fente de la carcasse. Cependant, ce dispositif est délicat et cher à exploiter. Il nécessite des équipements, des consommables et surtout du personnel car il n’est pas automatisable. Cette estimation donne un coût d’exploitation de la démédullation situé entre 2,30 euros/tec et 10 euros/tec. En extrapolant ces coûts au tonnage abattu au niveau national, le coût de cette mesure serait estimé à plus de 6 millions d’euros par an. Il est largement supérieur à ce que coûterait le dispositif de destruction des carcasses édicté par le règlement CE 999/2001 sachant qu’aucun cas d’ESB n’a été recensé en France depuis 2010 et qu’en 2011, sur les 1 632 372 prélèvements réalisés à l’abattoir et à l’équarrissage seuls 20 ont donné lieu à un résultat non négatif. CONCLUSION La situation de l’élevage bovin laitier et allaitant en France nécessite une mobilisation sans précédent. C’est un véritable cri d’alarme qu’ont passé nombre des personnes auditionnées par vos rapporteurs. Les difficultés conjoncturelles et structurelles rencontrées par nos éleveurs ne sont pourtant pas irrémédiables. L’élevage a un avenir en France. De nombreuses opportunités existent et peuvent être développées. Vos rapporteurs plaident donc pour - Une politique forte de modernisation des bâtiments et des équipements, telle que le plan de modernisation des bâtiments d’élevage PMBE. Vos rapporteurs estiment par ailleurs indispensables de conserver, voire de développer, le crédit d’impôt remplacement ; - Un juste prix, qui permette à chacun de pouvoir vivre décemment de son travail. Ils estiment qu’une stagnation des prix du lait ou de la viande alors que les coûts de production des éleveurs augmentent dévalorise leur travail ; - Un étiquetage viande bovine française » VBF pour l’ensemble des produits, nés, élevés, abattus et transformés en France. Cet étiquetage nécessite une modification de la réglementation européenne ; - L’encouragement à la valorisation du lait et de la viande en produits certifiés comme réponse à la disparition des quotas, en particulier dans les zones difficiles, où les coûts de collecte sont plus élevés ; - Le développement des circuits courts et les filières de qualité au sein de la restauration hors foyers, notamment en utilisant la possibilité ouverte par le décret du 25 août 2011 ; - Le maintien de la mobilisation active des services de l’État pour obtenir la négociation des certificats sanitaires indispensables à l’ouverture des marchés, et entreprendre les démarches diplomatiques essentielles pour les relations commerciales au plan mondial ; - La constitution d’un groupement d’intérêt économique en charge de la promotion des produits laitiers et de la recherche de nouveaux marchés permettrait de dynamiser plus encore les exportations françaises ; - Le lancement d’une grande réflexion sur la pertinence d’introduire une part de contracyclicité dans l’attribution des aides dans le cadre de la réforme de la PAC après 2013 ; - L’extension de la contractualisation à la filière de la viande bovine. Vos rapporteurs estiment en effet que la contractualisation est l’un des outils permettant de réguler les filières ; - Un choc de simplification en simplification des procédures administratives lourdes dans le respect des exigences environnementales. Vos rapporteurs saluent - Le consensus, à l’issue des trilogues entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen sur la réforme de la PAC, sur un taux de couplage 13 % contre 10 % actuellement. Une possibilité supplémentaire de 2 % a été obtenue pour la production de protéines végétales, qui permettra de soutenir le développement de l’autonomie fourragère protéique de l’élevage ; - Le relèvement du plafond de l’ICNH, ce qui constitue une très bonne nouvelle pour les éleveurs de montagne ; - L’adoption à l’Assemblée Nationale en première lecture du projet de loi relatif à la consommation qui instaure une clause de renégociation en cas de forte volatilité des coûts des matières premières agricoles ; - Le plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote » EMAA lancé par M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt ont présenté. Ce plan vise à développer un modèle français de la méthanisation agricole, privilégiant des installations collectives, des circuits d’approvisionnement courts et des technologies et savoir-faire français. EXAMEN DU RAPPORT Lors de sa réunion du 10 juillet 2013, la commission a examiné le rapport de la mission d’information sur la filière bovine et la production laitière en France présenté par MM. Germinal Peiro et Alain Marc, rapporteurs. M. le président Brottes. Nous examinons aujourd'hui les conclusions du rapport de MM. Peiro et Marc sur la filière bovine et la production laitière en France. M. Alain Marc, rapporteur. L’avenir de l’élevage bovin revêt un caractère stratégique pour l’économie, l’emploi, l’aménagement et la vitalité des territoires ruraux. Ainsi, dans la plupart des régions de montagne, le troupeau laitier est le principal utilisateur des prairies. Il permet de maintenir des paysages ouverts et habités, favorables au tourisme, à la biodiversité et à l’environnement. Pourtant l’élevage connaît une crise profonde. Les éleveurs sont confrontés à de nombreuses difficultés, tant conjoncturelles que structurelles. Des difficultés conjoncturelles d’abord, car quand les cours des matières premières agricoles augmentent et que les éleveurs ne peuvent les répercuter sur le prix du lait ou de la viande, cela engendre un effet ciseau, qui entraîne une compression insupportable des marges des éleveurs. Ainsi, le prix du lait en 2012 se situe dans une moyenne haute par rapport aux prix des dix dernières années. Le problème réside essentiellement dans l’absence de répercussion des hausses des prix tout au long de la filière. En fait, on observe en France une faible répercussion des hausses et des baisses de prix aux consommateurs, ce qui explique les compressions des marges des différents acteurs de la chaîne de valeur quand les cours sont hauts. En Allemagne au contraire, les prix de détail pour le lait liquide, le beurre et les produits ultra frais ont fortement augmenté depuis l’été 2012. L’élevage connaît aussi des difficultés structurelles. L’astreinte conjuguée à la pénibilité explique que certains préfèrent se concentrer sur la culture de céréales ou jeter l’éponge. Le nombre d’éleveurs de vaches laitières baisse ainsi de 4 à 5 % par an. Dans les zones à fort potentiel pédoclimatique, la conversion d’exploitation en grandes cultures, plus rémunératrices et moins astreignantes, est déjà une réalité tangible. Dans les zones à forte activité économique, si l’élevage est menacé, c’est plutôt par les alternatives offertes en matière d’utilisation des sols, que ce soient pour l’artificialisation ou l’urbanisation des sols. Or, ces alternatives signifient toujours un arrêt irréversible de l’élevage. Elles présentent en outre des risques en termes d’emplois, d’équilibre écologique, de fertilité organique et de capacité productive Il est donc essentiel d’assurer aux éleveurs une juste rémunération, qui soit en rapport avec les astreintes et les contraintes inhérentes à leur métier. Plusieurs réflexions ont orienté la démarche de vos rapporteurs comment éviter une végétalisation de la France au cours de la prochaine décennie qui aurait des conséquences dramatiques pour l’équilibre des territoires ? Comment favoriser le maintien des exploitations d’élevages sur les territoires ? Comment assurer une juste rémunération aux éleveurs et des conditions de vie décentes ? La mission d’information était composée, outre de ses deux rapporteurs, Germinal Peiro et moi-même, de Mme Annick Le Loch, M. Dominique Potier, Mme Brigitte Allain et de M. Thierry Benoit. Nous avons rencontré une soixantaine de personnes, d’horizons très différents, syndicats, experts et personnalités qualifiées, organismes publics, entreprises, association d’élus Mme Massat, coopératives. Notre but était d’établir un panorama aussi complet que possible de l’état des filières bovines laitière et allaitante, de recueillir des propositions opérationnelles pour améliorer de façon concrète et immédiate la vie des éleveurs, d’étudier sur le temps long, quels ajustement structurels peuvent permettre à ces filières d’excellence de se développer en France, et à l’étranger. M. Germinal Peiro, rapporteur. C’est un véritable cri d’alarme qu’ont poussé nombre des personnes auditionnées par vos rapporteurs. La situation de l’élevage bovin laitier et allaitant en France nécessite une mobilisation sans précédent. Il est nécessaire de réorienter les politiques publiques. L’élevage est présent dans près d’une exploitation sur deux, et dans 95 % des cantons, autant dire sur tout le territoire. Il fait vivre près de 70 000 éleveurs laitiers et 60 000 éleveurs en viande bovine. Les difficultés conjoncturelles et structurelles rencontrées par nos éleveurs ne sont pourtant pas irrémédiables. L’élevage a un avenir en France. De nombreuses opportunités existent et peuvent être développées. La croissance mondiale est importante et pérenne. Pour la satisfaire, encore faut-il que nos éleveurs ne jettent pas l’éponge. Nous tenons à cet égard, avec Alain Marc, à saluer un certain nombre de mesures récentes qui vont dans le bon sens pour nos éleveurs Le rééquilibrage dans l’attribution des aides PAC, en faveur de l’élevage. Ainsi, un consensus a été trouvé, à l’issue des trilogues entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen sur la réforme de la PAC, sur un taux de couplage 13 % contre 10 % actuellement. Une possibilité supplémentaire de 2 % a par ailleurs été obtenue pour la production de protéines végétales, qui permettra de soutenir le développement de l’autonomie fourragère protéique de l’élevage. Nous saluons également la surprime aux cinquante premiers hectares, qui va avantager globalement l’élevage, car les premiers hectares sont les plus intensifs en emploi. Cela ne veut pas dire que la PAC est désormais contre les autres types d’agriculture. Mais les chiffres sont parlants un céréalier a gagné en 2011 72 000 euros, contre 26 500 euros pour un éleveur laitier et 15000 euros pour un éleveur en viande bovine. Le temps de travail est également très déséquilibré selon les filières. Il y a donc une menace sur l’élevage pour des raisons non seulement économiques, mais également sociales et sociétales. Toujours s’agissant de la réforme de la PAC, le relèvement du plafond de l’ICNH indemnité compensatoire de handicap naturel, ce qui constitue une très bonne nouvelle pour les éleveurs de montagne ; L’adoption à l’Assemblée Nationale en première lecture du projet de loi relatif à la consommation qui instaure une clause de renégociation en cas de forte volatilité des coûts des matières premières agricoles ; je tiens d’ailleurs à saluer tout particulièrement les rapporteurs de ce texte, Razzy Hammadi et Annick Le Loch Le plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote » EMAA lancé par M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt ont présenté. Ce plan vise à développer un modèle français de la méthanisation agricole, privilégiant des installations collectives, des circuits d’approvisionnement courts et des technologies et savoir-faire français. Mais toutes ces mesures ne sont pas encore suffisante, vos rapporteurs plaident donc pour – Une politique forte de modernisation des bâtiments et des équipements, telle que le plan de modernisation des bâtiments d’élevage PMBE. Nous estimons par ailleurs indispensables de conserver, voire de développer, le crédit d’impôt remplacement ; nous serons donc très attentifs au projet de loi de finances pour 2014. – Un juste prix, qui permette à chacun de pouvoir vivre décemment de son travail. Nous estimons qu’une stagnation des prix du lait ou de la viande alors que les coûts de production des éleveurs augmentent dévalorise leur travail. A cet égard, la récente médiation sur le prix du lait a porté ses fruits. – Un étiquetage viande bovine française » VBF pour l’ensemble des produits, nés, élevés, abattus et transformés en France. Cet étiquetage nécessite une modification de la réglementation européenne. Un rapport devait être remis en décembre 2013, il devrait en fait l’être dans les prochaines semaines. Nous avons eu des débats très vifs lors de la discussion du projet de loi relatif à la consommation. Il ne faut pas céder sur ce point. C’est ce que les consommateurs attendent. – L’encouragement à la valorisation du lait et de la viande en produits certifiés comme réponse à la disparition des quotas, en particulier dans les zones difficiles, où les coûts de collecte sont plus élevés. – Le développement des circuits courts et les filières de qualité au sein de la restauration hors foyers, notamment en utilisant la possibilité ouverte par le décret du 25 août 2011. 80 % de la restauration collective française est approvisionnée par de la viande bovine importée. – Le maintien de la mobilisation active des services de l’État pour obtenir la négociation des certificats sanitaires indispensables à l’ouverture des marchés. – La constitution d’un groupement d’intérêt économique en charge de la promotion des produits laitiers et de la recherche de nouveaux marchés permettrait de dynamiser plus encore les exportations françaises. – Le lancement d’une grande réflexion sur la pertinence d’introduire une part de contracyclicité dans l’attribution des aides dans le cadre de la réforme de la PAC après 2020. M. Dacian Ciolos, que j’ai interrogé à ce sujet, a répété que ce système n’était pas compréhensible pour nos concitoyens. – L’extension de la contractualisation à la filière de la viande bovine. Nous estimons en effet que la contractualisation est l’un des outils permettant de réguler les filières. – Un choc de simplification en simplification des procédures administratives lourdes dans le respect des exigences environnementales. M. le président François Brottes. Je vous remercie pour ces propositions concrètes, je donne maintenant la parole aux représentants des groupes politiques. M. Dominique Potier. Je vous remercie pour la qualité du travail fourni et pour votre capacité à prendre de la hauteur par rapport au sujet et à présenter des propositions prospectives. En définitive, la question que vous posez au travers de ce rapport, qui rejoint celle au sujet de la forêt, est de savoir si nous devons nous résigner à être un pays exportateur de matières premières et importateur de produits finis ou si nous avons l’ambition, dans le cadre plus global du redressement productif, de continuer à produire de la valeur ajoutée, de l’emploi et des externalités environnementales favorables par une défense de l’élevage. Nous sommes en effet un pays exportateur qui déménage sa production sur l’arc atlantique, selon une logique de ports, génératrice de diagonales arides pour des régions qui perdront de l’emploi, de la biodiversité et de la valeur ajoutée. Ce n’est pas le scénario que vous préconisez puisque vous évoquez des pistes de redressement réalistes. Votre diagnostic tient en quelques chiffres clés, 50 % des exploitations ont encore en leur sein des bovins, 50 % des éleveurs ont plus de cinquante ans et on constate 5 % de déprise annuelle. L’alerte est donc là et c’est ce qui ressort de ce rapport. Je vous félicite d’avoir pris en compte les données sociaux-culturelles qui sont essentielles. Comme l’avait indiqué notre collègue Hervé Gaymard dans le cadre de la mission d’information sur la PAC, la question de l’élevage, et tout particulièrement celle de l’élevage de montagne, n’est pas qu’une question de revenu mais également une question de qualité de vie et de passion du métier. Vous avez eu raison de souligner l’importance de beaux outils de travail, d’une fierté du métier, d’une filière d’enseignement de grande qualité et de des services de remplacement qui apportent un minimum de vie sociale moderne aux jeunes qui entreprennent dans ce secteur de l’élevage que je connais très bien pour y avoir évolué vingt ans durant. Je suis favorable aux services de remplacement, à des plans de bâtiment dans les contrats de plan, à des budgets européens fléchés en la matière. J’aimerais toutefois attirer votre attention sur un point très précis, les groupements d’employeurs ont pour l’instant, pour des questions juridiques, été exclus du bénéfice du CICE. Il est fondamental de soutenir le maillage autour des éleveurs, notamment dans les régions où l’activité est très difficile. Bien entendu le niveau des revenus compte également beaucoup pour l’attrait de ce métier. Sur ces questions macro-économiques vous avez pointé les avancées régulières conduites par ce gouvernement dont nous sommes fiers. Je pense notamment aux avancées portées par la rapporteure Annick Le Loch en matière de négociation avec la grande distribution dans le projet de loi sur la consommation et au combat mené par le ministre de l’agriculture dans le cadre de la PAC pour maintenir son budget et le réajuster. Je tiens à lui faire part du soutien de notre groupe dans le rééquilibrage à l’égard de l’élevage entre le premier et le deuxième pilier Je souhaite insister sur plusieurs régulations à venir. La PAC 2020 devra aller plus loin dans le rééquilibrage vers l’élevage, les 9 centimes de différentiel sur l’abattage avec l’Allemagne qui mène une politique sociale délétère appellent une régulation sociale très forte sur les outils agro-alimentaires à l’échelle de l’Europe, pour les céréales la création d’un deuxième marché à destination de la consommation animale serait une avancée décisive à l’horizon de 2020. Je tiens à souligner les avancées en matière de lutte contre la spéculation des denrées alimentaires, qui amplifient les phénomènes de hausse des cours des denrées alimentaires, dans le cadre de la loi de régulation bancaire. Enfin, rien ne sera possible sans une politique d’installation qui freine les politiques d’agrandissement et qui empêchent les initiatives en matière de poly-culture-élevage en dressant des stratégies qui se traduisent par des situations d’appauvrissement. M. Antoine Herth. Je tiens à mon tour à saluer la qualité de ce rapport qui pointe notamment la stabilité du revenu des éleveurs et la différence de coût de main d’œuvre avec nos voisins européens. Vous préconisez l’étiquetage des viandes bovines françaises, vous avez bien identifié le potentiel du marché à l’export vers la Chine et je vous rejoins dans l’idée qu’il convient de modifier la culture politique de l’Union européenne pour revenir sur la primauté des règles de la concurrence qui écrasent toutes les autres considérations. Le rapport souligne, à raison, les problèmes qui peuvent survenir en lien avec la suppression des quotas en termes de déménagements des élevages sur le territoire national. Je vous rejoins également sur l’analyse du Farm bill américain et sur la question des aides contra-cycliques qui sont demandées depuis des années par les céréaliers français. Vos propositions sur les effluents d’élevage vont dans le bon sens, il convient de réfléchir à la simplification des procédures en ce domaine. Enfin bravo pour vos propositions sur l’ESB qui sont très courageuses dans ce domaine politiquement et médiatiquement sensible. Il existe en revanche un certain nombre de points sur lesquels je pense qu’il est encore nécessaire de travailler. Je regrette notamment les chiffres que vous avancez sur le temps de travail qui me semblent proche de la caricature, 3 600 heures par an pour l’élevage contre 800 pour les céréaliers cela voudrait dire qu’un éleveur travaille onze heures par jour et un céréalier seulement deux ! Il y a désormais des réponses en matière d’élevage, les GAEC, les groupements d’employeurs, les CUMA et les robots de traite qui permettent d’avancer en matière de charge de travail. Il ne faut pas se tromper, lorsqu’un céréalier fait le tour de plaine pour observer ses cultures et essayer de réduire le nombre de traitements phytosanitaires, il travaille aussi ! Je pense qu’il faut s’en tenir aux données observables sans tomber dans la caricature. Sur la question du revenu agricole vous avez abordé des pistes intéressantes. Je crois qu’il faut retenir que ce revenu est la différence entre les charges et les produits. Vos propositions sur les charges variables, sur l’autonomie alimentaire, sont particulièrement importantes. Je vous appelle en revanche à la prudence s’agissant des charges fixes et la modernisation des installations agricoles. En effet l’éleveur va souvent au-delà de la seule modernisation et anticipe une augmentation de son cheptel, ce qui peut le placer dans une situation délicate en cas de modification de la conjoncture. En ce qui concerne le chiffre d’affaire, je vous rejoins sur la nécessité de trouver des stabilisateurs sur le prix payé au producteur. La subvention ne résoudra pas tout. Il y a enfin un besoin de capitalisation dans le cheptel, c’est un investissement que l’éleveur retrouve au terme de sa carrière mais qui pèse sur les jeunes voulant s’installer. Enfin, je souligne l’absence de développements sur la prise en compte du risque, risque climatique bien sûr mais aussi risque sanitaire, qui fragilise bon nombre d’élevages. Je rejoins notre collègue Potier sur le fait que l’indicateur de bonne santé du secteur c’est celui de la capacité à l’installation des jeunes. M. Thierry Benoit. Ce rapport ne peut que conforter les membres de la commission sur un certain nombre d’idées qui sont également celles des rapporteurs. Il convient de souligner les efforts considérables réalisés par les éleveurs français depuis de nombreuses années sur la qualité des produits mis sur le marché, qualité nutritive et qualité gustative. Les efforts en matière de qualité sanitaire, de sécurité alimentaire mais aussi en faveur de la reconquête de la qualité de l’eau et de la protection de l’environnement. Je trouve que ces différents éléments auraient pu être davantage mis en avant dans le rapport car ils ont incontestablement usés les agriculteurs. Il en va de même pour les contrôles des différentes administrations qui reposent trop souvent sur la suspicion à l’égard des agriculteurs et encore davantage des éleveurs. Nous devons modifier cette approche en renforçant la confiance à l’égard des agriculteurs. Le rapport aurait pu être encore plus précis sur les orientations. Il en va ainsi d’une nécessaire harmonisation européenne sur les ICPE, il en va de même de la modernisation de notre parc de bâtiments, de la qualité environnementale et du bien-être animal. C’est également le cas en matière d’évaluation des politiques publiques, notamment en matière de ZES qu’il convient d’évaluer et de remettre au goût du jour car des progrès considérables ont été réalisés sur le terrain. En ce qui concerne l’étiquetage, nous avons eu un débat intéressant lors du débat sur le projet de loi consommation. L’étiquetage sur l’origine des produits et de la viande dans les plats préparés constitue un enjeu considérable. J’insiste sur le sujet des contrôles qui sont bien entendus nécessaires mais qui doivent être effectués dans le respect des formes. En matière de simplification il faut désormais passer des paroles aux actes et l’harmonisation sur les ICPE participe à cette simplification. Il s’agit de mesures simples à prendre et qui ne coûtent pas. La précédente majorité n’a pas osé aller suffisamment loin sur ces questions, notamment pour ne pas heurter les associations environnementales. L’actuel gouvernement va réussir à avancer dans la voie de l’harmonisation car nous qui sommes dans l’opposition souhaitons aller dans le même sens. Sur les questions européennes, l’actuel ministre de l’agriculture poursuit le travail initié par la précédente majorité, ce qui va dans le bon sens. Il faut également avoir à l’esprit le fait que les décisions agricoles sont des décisions transversales qui concernent tout autant les ministères de l’économie et de l’environnement. Il faut enfin que les décisions prises par le ministre soient relayées en région par les préfets et les services de l’État DRAF, DSV qui doivent appliquer ces mesures sans les interpréter selon leur propre appréciation. Je soutiens donc ce rapport tout en indiquant qu’il était possible d’aller encore plus loin, sans dépenses supplémentaires. M. André Chassaigne. C’est un excellent rapport, ce qui ne m’étonne pas compte tenu de la composition de la mission d’information. Je regrette que de notre groupe n’ait pas pu y participer en raison de la charge de travail de ses membres. Il est urgent d’apporter des réponses concrètes à la crise de l’élevage car, comme celle d’autres professions, la souffrance des éleveurs est très forte. Sans ce type de réponses, quelle que soit la conjoncture, nous risquons une catastrophe économique. Comme je l’ai déjà dit en séance dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la consommation, la modification de la réglementation européenne en matière d’étiquetage ne serait pas suffisante. Une volonté politique forte est nécessaire, sans quoi nous aggraverons le sentiment de rejet vis-à-vis de l’Europe. Je suis favorable à votre proposition de développer les circuits courts et les filières de qualité au sein de la restauration hors foyers. Il convient pour cela de s’appuyer sur les bonnes pratiques au niveau local le conseil général de la Drôme et celui du Puy de Dôme ont ainsi mis en œuvre des circuits courts pour la restauration collective dans les collèges, dans le respect du code des marchés publics. Je regrette que les conséquences des accords commerciaux internationaux soient sous-estimées dans les conclusions du rapport. Vous ne mentionnez en effet que la négociation des certificats sanitaires, alors que la question des droits de douane est essentielle. L’accord entre l’Union européenne et le Canada qui doit être conclu prochainement aura inévitablement un effet sur les importations de viande bovine canadienne. Les États-Unis, dans les négociations qui se sont ouvertes avec l’Union européenne, ont une volonté très forte d’obtenir la fin de la protection de la viande française, ainsi que la modification des règles sanitaires. Mme Jeanine Dubié. Je salue ce rapport de grande qualité, qui dresse un état des lieux complet du secteur et formule des propositions pour soutenir les filières. Le secteur du lait rencontre de graves difficultés mais il reste stratégique pour notre économie. Les difficultés s’expliquent par le manque de rentabilité en raison de l’absence de compensation par les prix de la hausse des coûts de production. Le relèvement de 25 euros du prix payé aux producteurs pour 1 000 litres de lait collectés proposé par le médiateur des relations commerciales agricoles et accepté par les distributeurs est une solution ponctuelle qui ne résout pas les problèmes structurels de la filière. Le partage de la valeur ajoutée est en effet très défavorable aux producteurs. Il est donc nécessaire de réformer la contractualisation mise en œuvre dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010. Le regroupement des producteurs au sein d’organisations de producteurs peut apporter une solution car il renforce leur poids dans les négociations. Le projet de loi sur la consommation permet un rééquilibrage et un meilleur encadrement des relations commerciales avec les distributeurs, grâce à l’affirmation de la primauté des conditions générales de vente dans les négociations, au renforcement de la transparence des contrats et à la clause de renégociation des prix. Il conviendrait également de renforcer l’accompagnement technique des producteurs en matière d’alimentation et de génétique. La réforme de la PAC et la fin des quotas laitiers sont sources d’incertitude pour la filière. Les producteurs craignent que la contractualisation avantage exclusivement les transformateurs, qui pourraient en outre être tentés de favoriser les excédents pour peser sur les prix. Ne serait-il pas souhaitable de créer une instance de régulation européenne qui évaluerait les quantités nécessaires en fonction de l’offre et de la demande ? Par ailleurs, notre groupe soutient l’aide financière à la mise aux normes des bâtiments d’élevage, qui représente des investissements très lourds pour les éleveurs et n’est pas rentabilisée en raison du niveau insuffisant des prix. Pour la filière bovine, l’objectif est le maintien des exploitations tout en assurant une juste rémunération des éleveurs. Faut-il accepter la concentration naturelle des producteurs dans un objectif de rentabilité ou aider les petits éleveurs qui produisent des externalités positives en matière d’activité économique, de tourisme, de paysage ? La réponse ne doit pas se limiter aux subventions car il est essentiel que les éleveurs soient rémunérés au juste prix, afin de prendre en compte la hausse des coûts de production. Il faut revaloriser les prix car les transformateurs et les distributeurs imposent un niveau trop bas. Le risque est celui d’une désaffection des agriculteurs et des jeunes pour les filières d’élevage. Concernant l’étiquetage de l’origine nationale des viandes, nous sommes favorables à l’amendement qui avait été déposé par M. Germinal Peiro sur le projet de loi relatif à la consommation. Les circuits courts, qui répondent à une demande des consommateurs, doivent en effet être développés mais cela suppose la présence d’abattoirs à proximité, ce qui peut poser problème en milieu rural. Dans ma circonscription, l’enseigne Carré fermier » connaît un important succès dans le développement de circuits courts. Il convient d’encourager ce type d’initiatives et de les ouvrir aux filières de viande française pour la restauration collective. Mme Brigitte Allain. Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail et regrette de n’avoir pas pu participer davantage aux travaux de la mission d’information par manque de temps. Les revenus moyens varient de 1 à 5 entre éleveurs et céréaliers. Les données sur le temps de travail des éleveurs citées dans le rapport correspondent à la réalité. Nous partageons tous l’objectif d’assurer un revenu suffisant aux éleveurs et de permettre le maintien des exploitations sur l’ensemble du territoire, notamment dans les zones de montagne ou les zones à handicap naturel. Le système des quotas laitiers n’était pas parfait mais il permettait de réguler le marché. La contractualisation ne permet pas d’assurer des revenus suffisants ni de réguler la production. La faiblesse des prix va entraîner un recul du nombre d’exploitations et de la production laitière. Alors que l’Union européenne a décidé de maintenir les droits de plantation de vignes, et que les États-Unis et le Canada disposent d’instruments de régulation de la production laitière, pourquoi l’Europe ne mettrait-elle pas en place un nouveau système d’autorisations ? La réforme de la PAC vise à rééquilibrer les revenus et mieux répartir les aides entre les différents secteurs producteurs de fruits et légumes, éleveurs et pour les nouveaux États membres mais il est inacceptable que les aides soient actuellement distribuées de façon injuste. Le projet de loi relatif à la consommation prévoit une clause révision des contrats en cas de hausse des prix des matières premières et un renforcement de la transparence et des contrôles mais est-ce suffisant ? La présence du médiateur des relations commerciales agricoles a eu un effet régulateur. Tout l’enjeu est de remplacer les éleveurs qui vont prendre leur retraite dans les prochaines années, puisque 50 % d’entre eux sont âgés de plus de 50 ans. Dans une perspective d’avenir, il convient de développer l’agro-écologie et de favoriser l’autonomie protéique, grâce à un plan pour les protéines végétales tant dans le cadre de la PAC qu’au niveau national. Compte tenu du niveau élevé des importations de viande en France, il faut se montrer particulièrement ambitieux pour les filières de l’élevage. Cette question devra être l’un des sujets essentiels du futur projet de loi d’avenir pour l’agriculture. Il conviendra notamment de développer les formations en agro-écologie rotation des cultures, polyculture et les filières de consommation locale, ce qui répond à une réelle demande de la société. Mme Laure de la Raudière. Je félicite les rapporteurs pour leur excellent travail et les remercie d’avoir mis en avant cet important sujet. Nous devons en effet porter une attention particulière aux éleveurs. Le rapport fait état des revenus moyens des céréaliers en 2012, année où le cours du blé a été particulièrement élevé 260 euros la tonne contre 100 à 130 euros en 2009. Il aurait été intéressant de procéder à un lissage dans le temps ou de citer les chiffres des années précédentes. Je souhaiterais avoir l’avis des rapporteurs sur les possibilités de prévoir, dans le cadre de la PAC, des aides variables en fonction du cours des céréales, dans le contexte de forte volatilité des marchés. Mme Annick Le Loch. Il s’agit d’un très bon rapport, qui propose des solutions efficaces. Nous avons aujourd’hui une obligation de résultat pour l’avenir de la filière et des producteurs. Une juste rémunération des différents acteurs est nécessaire. L’accord du 3 mai 2011 entre agriculteurs, industriels et distributeurs sur la réouverture de négociations commerciales en cas de variations du prix de l’alimentation animale reposait sur le volontariat. Les industriels ont demandé leur part de la hausse des prix de 25 euros décidée récemment. En l’absence de solidarité des différents acteurs de la filière, les producteurs auront en effet des difficultés pour peser face aux distributeurs. Le projet de loi sur la consommation prévoit une clause de renégociation en cas de fortes variations des prix des matières premières agricoles. Il est prévu que la liste des secteurs concernés, qui inclura les produits laitiers, sera précisée par décret. Il est nécessaire que les éleveurs soient justement rétribués mais rien n’est garanti pour l’instant. La solidarité de la filière est nécessaire. M. Jean-Claude Mathis. L’accord tripartite du 3 mai 2011 entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs prévoit la renégociation des prix des produits agricoles en cas de forte variation des coûts de revient, du fait notamment de l’alimentation des animaux. Cela n’empêche pas la grande distribution d’exercer une pression en vue de la baisse du prix du lait. Comment favoriser, selon vous, l’application effective de l’accord et faire en sorte que l’augmentation des coûts de production des éleveurs soit répercutée sur les prix de vente des distributeurs ? Par ailleurs, comment parvenir à imposer l’étiquetage de l’origine de la matière première, qui offrira aux consommateurs une information loyale tout en valorisant les efforts de traçabilité réalisés tout au long de la chaîne ? Mme Frédérique Massat. Mon intervention portera sur l’élevage en zone de montagne, sujet sur lequel j’ai du reste été auditionnée par les rapporteurs au titre de l’association nationale des élus de la montagne. Cette audition a eu lieu au mois de mars dernier et des avancées au niveau européen sont intervenues depuis cette date. À la lecture du rapport, je comprends en quoi la convergence des aides risque de déséquilibrer les autres productions mais je tiens tout de même à relayer le souhait des éleveurs des zones de montagne d’une convergence plus rapide. J’insiste d’autant plus sur la nécessité de les sortir de la situation pénalisante actuelle que le secteur se trouve aujourd’hui dans une situation particulièrement difficile. Si demain il ne devait plus y avoir d’agriculture dans nos montagnes, l’entretien des paysages et la préservation de l’environnement seraient gravement remis en question. Il s’agit donc d’adapter les paiements de base aux spécificités de la montagne. Certes des avancées ont été réalisées, avec notamment le relèvement des indemnités compensatoires de handicaps naturels ICHN, mais demeure le problème de la prime herbagère agroenvironnementale PHAE, qui doit disparaître pour être précisément couplée aux ICHN. Les éleveurs vont-ils y trouver leur compte, telle est leur inquiétude aujourd’hui. M. Daniel Fasquelle. Le cri d’alarme que nous pouvons tous pousser ce matin ne concerne pas seulement les zones de montagne. L’élevage laitier est en grande partie déstabilisé partout en France, je partage le diagnostic dressé par ce rapport, et il est donc urgent d’agir sur les aides ou encore sur la revalorisation des produits. À ce sujet, je regrette que dans le cadre du projet de loi sur la consommation, nous ne soyons pas allés jusqu’au bout de la volonté d’indiquer l’origine des produits dans les plats préparés. S’agissant des rémunérations annexes, il faut à tout prix faire avancer le dossier de la méthanisation. Les projets qui sont aujourd’hui portés sur le terrain n’arrivent en effet pas à aboutir. Je souhaite revenir aussi sur la question de la fiscalité et des charges sociales, et plus généralement sur le sujet de l’environnement législatif et réglementaire. Pouvons-nous tirer des enseignements auprès de nos partenaires européens, en particulier l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas ? M. Hervé Pellois. Notre pays dispose de nombreux atouts, à condition de mieux les exploiter. Il sera notamment nécessaire de se battre sur la question des indications géographiques protégées IGP dans le cadre de la négociation de l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis. Je perçois par ailleurs une faiblesse à l’export du fait du trop grand nombre d’interlocuteurs et d’initiatives prises aujourd’hui, sans compter les races répertoriées et le nombre de labels. Chacun essaye de se positionner seul alors que nous devrions jouer groupés pour conforter nos points forts, comme par exemple notre avance en matière de génétique animale. M. Dino Cinieri. Je tiens à saluer le travail réalisé par nos deux rapporteurs avant de les interroger sur deux points. Tout d’abord, pensez-vous nécessaire d’élaborer un nouveau système de régulation du marché du lait au sein de l’Union européenne. Dans un rapport publié à l’automne 2012, la Commission européenne a en effet confirmé la suppression d’ici à 2015 du système des quotas, qui avait pourtant permis depuis 1984 de limiter les distorsions de concurrence dans le secteur laitier. Ce même rapport ne laisse par ailleurs entrevoir aucune perspective de mise en place d’un nouveau système de régulation. Les effets risques d’être dévastateurs sur la production de lait en Europe, d’autant que les deux tiers de cette production proviennent de zones défavorisées ou de zones de montagne. Avez-vous imaginé des solutions permettant de pérenniser les zones d’élevage les moins compétitives et pour assurer un revenu stable aux producteurs laitiers français et européens ? Hier, plus d’une centaine de producteurs laitiers de la Loire ont convergé vers l’usine de Lactalis à Andrézieux pour réclamer l’application des indicateurs économiques moyens, soit 345 € par tonne de lait en 2013. Lactalis, premier groupe mondial dans le secteur, propose un prix de 334 €, qui ne permet pas de compenser l’augmentation de 35 % du coût de l’alimentation des animaux. Comment faire en sorte que les industriels permettent aux producteurs de vivre décemment de leur travail ? M. Frédéric Roig. Cet excellent rapport pointe la souffrance d’une filière, mais insiste également sur sa fonction sociale et économique, ainsi que son rôle dans l’aménagement du territoire et l’entretien des espaces. Les enjeux en matière de sécurité alimentaire ont également été mentionnés, ainsi que la question des circuits courts et de la vente directe. Un vrai potentiel de croissance existe ! Je tiens à souligner à cet effet l’intérêt du projet de plateforme de commercialisation Agrilocal, mené par le conseil général de la Drôme, dont nous nous inspirons également dans l’Hérault. Je souhaite évoquer le modèle économique des abattoirs de proximité, que la concentration du secteur tend à faire disparaître. Dans mon département, nous avons adossé un atelier de découpe à l’abattoir, ce qui permet d’équilibrer la rentabilité de l’ensemble. Une telle piste mériterait d’être approfondie, dans le prolongement de votre rapport. M. Yves Nicolin. Ce rapport ne lève malheureusement pas les inquiétudes de la filière, qui sont aussi les nôtres. Nous traversons aujourd’hui une véritable crise de confiance qui met en péril le secteur et face à ce danger, les propositions que vous faites demeurent à mon sens un peu timides. Dans le domaine de la simplification, vous avez identifié de vrais sujets, je pense aux tests ESB et aux installations classées, mais si vous ne harcelez pas le ministère de l’agriculture pour que des mesures soient prises dans le sens que vous envisagez, je suis certain qu’il n’y aura aucune avancée. Ce travail constitue une base claire mais qui doit être consolidée. Une guérilla doit être menée auprès des autorités nationales et européennes par nos deux rapporteurs, avec l’appui du président de la Commission. M. André Chassaigne. Je partage cette suggestion ! M. Jean Grellier. Avez-vous pu dresser un premier bilan de la mise en œuvre de la contractualisation par la loi de modernisation de l’agriculture et comment appréciez-vous le cas échéant le rapport de force entre les contractants ? Ce système pourrait-il être étendu à d’autres secteurs, comme la viande ? S’agissant du secteur coopératif, la défiance des producteurs-sociétaires envers les coopératives se manifeste de plus en plus ouvertement. Dans ma région, le rachat de Bongrain par Terra Lacta suscite de vraies interrogations. J’avais déjà dénoncé, sous la précédente législature, la vente à des américains de Yoplait par le groupement coopératif Sodial. Au moment où d’importantes restructurations interviennent, qui éloignent les centres de décisions des producteurs, quelle vision portez-vous sur la gouvernance des coopératives ? Enfin, s’agissant de la surprime sur les cinquante premiers hectares, que j’avais accueillie favorablement, des effets de seuil annuleraient son bénéfice. Pouvez-vous nous éclairer et le cas échéant nous rassurer sur ce point ? M. Philippe Le Ray. Votre rapport est intéressant mais il faut employer des mots plus forts nous assistons aujourd’hui à un véritable écroulement de l’élevage, qui se manifeste par une production en baisse et une diminution du nombre d’éleveurs. Il s’agit de métiers très exigeants en main d’œuvre, en technicité, en investissements, du fait aussi des obligations sanitaires. La filière laitière, un peu d’ailleurs comme la filière porcine, se caractérise cependant par une véritable désorganisation et l’absence d’une stratégie claire pour faire face à l’avenir. La politique de l’après quotas est totalement improvisée de sorte qu’en l’absence de régulation, les prix se fixeront en fonction du marché. Après une période particulièrement dure, les éleveurs n’attendent plus grand-chose, et surtout pas des mesures de bricolage. De ce point de vue, je ne trouve rien de probant dans le projet de loi sur la consommation. On ne voit rien venir non plus du côté de l’Europe et pourtant, cela fait trente ans que nous réclamons un plan protéines ! Le besoin d’une politique claire est urgent, les discours ne suffiront pas à inciter les jeunes à s’installer… Mme Marie-Lou Marcel. Vous faites des suggestions concernant le développement des circuits courts. Des actions en ce sens ont été entreprises depuis longtemps par certaines collectivités, notamment la région Midi-Pyrénées. Comment concrètement aller plus loin ? Un fonds de solidarité des céréaliers éleveurs à hauteur de cinq millions d’euros a été mis en place par Orama, qui fédère trois associations dépendantes du syndicat majoritaire. Ce fonds, qui pourrait être utilisé pour la rénovation des bâtiments ou la méthanisation, a suscité de vives réactions. Qui est chargé des modalités de sa mise en œuvre ? Ne constitue-t-il pas en quelque sorte une aumône des céréaliers vis-à-vis des autres agriculteurs ? Enfin, sur la modernisation des bâtiments d’élevage, où en est-on de la fongibilité des aides entre régions, que j’avais évoquée dans mon avis budgétaire à l’automne dernier ? M. Damien Abad. J’espère que votre rapport mettra un peu de baume au cœur des éleveurs, qui n’ont pas toujours le sentiment que le ministre fait tout son travail pour les soutenir… Je voudrais rappeler combien en l’état la loi sur la consommation est décevante au sujet de l’étiquetage. Un véritable effort doit être entrepris, au-delà des étiquettes politiques ! Sur la politique agricole commune, il reste aussi du travail à faire, d’autant qu’une question émerge, dont vous ne parlez pas dans le rapport, à savoir l’harmonisation européenne des normes sanitaires et sociales. Je voudrais souligner l’importance du travail du Parlement européen sur ces sujets. Je rejoins votre préconisation concernant le développement des circuits courts et de proximité mais la question des modalités de leur promotion par les marchés publics reste entière. Je rejoins aussi ce qui a été dit sur les abattoirs de proximité, en lien direct avec la question des circuits courts. Vous avez pointé à juste titre le problème du différentiel entre les laits bénéficiant ou pas d’une AOC. Dans mon territoire du Haut-Bugey, le lait produit dans le périmètre de l’AOC Comté se vend ainsi à un prix correct, contrairement au lait industriel qu’on trouve dans le sud du territoire. Je souhaite enfin évoquer rapidement la question du fonds entre éleveurs et céréaliers – comment rendre ses obligations plus contraignantes ? –, les limites du principe de précaution, avec les tests ESB, et les retraites agricoles ! Ne les oubliez-pas ! Mme Michèle Bonneton. Merci pour ce rapport, très important. Effectivement, en France et en Europe, en particulier dans les pays voisins de la France, il est prévu que la demande, aussi bien en produits laitiers qu’en viande, augmente dans les années à venir. Or, le métier d’éleveur est très contraignant et mal rémunéré. Il est donc fondamental, pour nos territoires, qu’on encourage les éleveurs qui présentent souvent une diversification de l’agriculture très complémentaire avec les autres activités agricoles. Il est urgent d’améliorer leurs revenus et leurs conditions de vie. J’insisterai particulièrement sur la nécessité de développer les circuits courts, les abattoirs de proximité, dont un certain nombre sont menacés. J’ai bon espoir qu’on sauve le nôtre dans l’Isère. Mais on peut aussi aider à mettre en place des magasins de producteurs et favoriser, par l’intermédiaire des conseils généraux par exemple, ou d’autres collectivités locales, le développement de centrales d’achat locales. Ceci pourrait répondre au questionnement de M. Abad, d’ailleurs. Bien entendu, inclure dans les marchés publics des clauses spécifiques concernant les circuits courts, les produits locaux, serait très important. Je voudrais insister tout particulièrement sur des réglementations qui changent très fréquemment, notamment en ce qui concerne les bâtiments, ce qui demande aux agriculteurs des investissements importants, même s’ils font souvent eux-mêmes beaucoup de travaux. Quels aides pourraient-ils recevoir dans le cadre de fonds spécifiques ? M. François Sauvadet. Votre mission fait un certain nombre de constats et de suggestions, mais il faut désormais les porter rapidement auprès de la commission et du gouvernement, parce que le monde de l’élevage, qui souffre terriblement, attend des actes. En premier lieu, sur la question des charges, je vous invite à prolonger le travail en allant voir ce qui se passe ailleurs en Allemagne par exemple, notamment chez nos voisins, qui sont à la fois nos amis et nos concurrents directs. Ensuite, les contraintes qui pèsent sur les élevages doivent faire l’objet de mises au point, sans désarmer sur l’aspect sanitaire. S’il s’agit de lever le pied sur ce plan, il ne faut le faire qu’au niveau européen. J’étais président de la commission d’enquête sur la vache folle et c’est un désastre dès lors qu’il y a une suspicion de risque sanitaire à juguler. Cela nécessite des moyens. Sur la tuberculose, par exemple, qui touche beaucoup certains secteurs, le gouvernement tarde à indemniser pour les troupeaux abattus au point qu’un certain nombre d’éleveurs envisagent de ne plus faire les prophylaxies, faute d’être soutenus ; il faut faire attention et le gouvernement doit réagir sur ce sujet ! Troisièmement, il faut identifier quelle viande est produite pour la valoriser au mieux. Ce travail, déjà engagé, doit être poursuivi, de manière très volontariste. Enfin, faites très attention au sujet de la surprime à 50 hectares dans les zones d’élevage, notamment intermédiaires. Cela veut dire qu’on va supprimer un certain nombre d’élevages. Aujourd’hui, dans certaines régions, nous sommes en déprise de prés des exploitants n’exploitent plus leurs prés. Faire une surprime, sans distinguer région par région, et alors qu’un exploitant ne peut aujourd’hui s’installer sur moins de 120 hectares, peut conduire à déstabiliser complétement des zones extensives. Mme Marie-Noëlle Battistel. Je voudrais à mon tour, messieurs les rapporteurs, saluer votre travail de qualité sur ce secteur de l’élevage bovin, qui est stratégique pour l’économie et la vitalité des territoires ruraux. Le relèvement du plafond de l’ICHM est une bonne nouvelle, bien évidemment, pour les éleveurs de montagne, afin de leur permettre de maintenir leur capacité à investir. Concernant la modernisation des bâtiments, outre l’harmonisation européenne des normes, il faut veiller à ce que la règle des plafonds en matière de subventions ne pénalise pas les secteurs de montagne, où le coût de réhabilitation est plus élevé et souvent mal évalué. Or, sauf erreur de ma part, je n’ai pas vu cette question traitée dans votre rapport. Pouvez-vous m’en dire deux mots ? M. le président François Brottes. Messieurs les rapporteurs, vous avez de nombreuses sollicitations, notamment à continuer le travail, beaucoup de félicitations pour un rapport de grande qualité qui balaie l’ensemble de la problématique, même si quelques points ont semble-t-il été oubliés, ce qui est tout à fait normal, vu que l’on manque toujours un peu de temps. M. Alain Marc, rapporteur. J’ai bien noté que les aspects réglementaires et les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs ont été évoqués plusieurs fois. Nous allons demander à l’exécutif qu’au niveau de l’administration départementale, notamment, les éleveurs n’aient pas l’impression de subir, à chaque fois que des gens se déplacent chez eux, un interrogatoire parfois très traumatisant. Il faudra bien que soit débrayée l’information à partir du ministère jusqu’au niveau local afin que l’on n’ait plus ce type de comportements de la part de certains contrôleurs, qui y vont parfois un petit peu trop fort. Nous évoquons les installations classées. Il est complètement anormal que nous soyons soumis en France à ce type d’autorisations à installations classées pour des élevages à 50 vaches laitières, alors que, dans d’autres pays, c’est 100, ou plus. Il faut donc vraiment une harmonisation européenne. Nous allons bien évidemment le dire très très fortement. Le maintien des abattoirs nécessitera une mission beaucoup plus précise, car nous avons reçu les représentants des abattoirs et cette question centrale est très difficile à traiter - suivant les espèces, très peu d’entre eux arrivent à l’équilibre économique. La formation, qui n’a pas tellement été l’objet de nos auditions, est quand même très bien faite en France. Il y a eu certains soucis dans certains lycées et Michel Barnier nous a aidés, notamment à maintenir l’élevage ovin bio dans certaines zones. Les filières agricoles doivent sans arrêt être adaptées. En ce qui concerne les écarts de prix, Laure de la Raudière nous a dit qu’en 2009 le prix des céréales était bas. C’était aussi le moment de la crise laitière, où le prix du lait était encore plus bas qu’il ne l’est aujourd’hui, ce qui nous a valu toutes ces manifestations au niveau national. Ce qui compte, c’est bien sûr le prix auquel sont rémunérés nos agriculteurs, mais aussi le prix des intrants, le prix des céréales. C’est l’écart entre les deux qui permet le revenu. Lorsqu’il y a un effet de ciseaux, malheureusement, comme aujourd’hui avec l’augmentation sans précédent de ces coûts-là, on assiste à une baisse sensible du revenu des agriculteurs. Antoine Herth a évoqué ce que pourrait être la caricature du nombre d’heures travaillées si l’on comparait les éleveurs aux céréaliers. Les éleveurs sont à leur ferme 365 jours sur 365 et il est évident qu’à côté de ces problèmes conjoncturels de prix des intrants, il est bon de reconnaître la possibilité pour les éleveurs de partir en vacances grâce à la défiscalisation, ce qui n’était pas quelque chose d’assurée à un moment donné. Pour certains d’entre eux, c’était la première fois de leur vie, à quarante-cinq ans, qu’ils partaient en vacances. Cela ne leur était jamais arrivé auparavant. C’est donc quelque chose de très intéressant, qu’il faut continuer. Je ne voudrais pas que les circuits courts relèvent en quelque sorte de "la tarte à la crème". C’est une niche très intéressante ; au niveau économique, le montant global de ce que pourraient représenter l’intégralité des circuits courts ne ferait toutefois que quelques pourcents de la production. Je suis d’accord qu’il faut les favoriser. Mais il ne faut sans doute pas en faire l’alpha et l’oméga de ce que doit être l’agriculture française dans l’avenir. En ce qui concerne les exploitations et le groupement export France » pour la viande, il y a effectivement des possibilités extrêmement intéressantes au niveau international. Il faudra de plus en plus de lait de vache et la demande mondiale de viande est présente. En revanche, le vrai problème est d’assurer nos exportations. Sur la poudre de lait, par exemple, nous avions connu du retard, que nous sommes progressivement en train de rattraper. Nous ne sommes pas très outillés à l’export pour conquérir certains marchés. Nos ambassades et nos services économiques à l’extérieur ne sont peut-être pas suffisamment structurés pour permettre à nos grandes coopératives d’exporter sur les marchés émergents, malgré leur regroupement. A l’intérieur de l’outil qui pourrait être un GIE constitué, nous pourrions avoir des outils bien meilleurs de façon à acquérir ces marchés – ce que d’autres font, notamment les Allemands et les pays de l’Europe du Nord. M. Germinal Peiro, rapporteur. Tout d’abord, je voudrais dire à M. Sauvadet que tout le monde attend des actes, et le Gouvernement français les a posés en défendant le budget de la PAC, ce qui a été salué par toutes les organisations syndicales, y compris celles qui n’avaient pas appelé à voter pour lui. Les actes ont également été posés de manière partagée au niveau de la Commission, du Parlement et du Conseil européen, en augmentant la possibilité de recouplage des aides qui passe de 10 % à 13 %, – ce qui est très important –, et en offrant une marge de manœuvre de 2 % supplémentaire pour le plan protéines végétales ». Ce sont des avancées notables, mais il faut aussi aujourd’hui aussi poser des actes au niveau franco-français et c’est l’objet des scénarios que le ministre est en train de proposer aux représentants syndicaux depuis hier. En effet, selon le scénario, l’impact en faveur de l’élevage ne sera pas le même quelle sera la part laissée au recouplage sur le 1er pilier, car il est possible d’atteindre 30 % ? Quel sera le choix sur la convergence ? A cet égard, il va falloir concilier les demandes des éleveurs extensifs et des zones de montagnes qui actuellement sont à moins de 200 € de droits à paiement unique aujourd’hui et qui souhaitent atteindre rapidement une moyenne de 270 €, avec celles d’autres zones qui sont à 350 € voire 400 € et qui craignent une perte de revenus. Il faut donc que des choix soient réalisés au niveau national. Nous aurons ainsi l’occasion de montrer qui défend véritablement l’élevage. Concernant la surprime, il faut l’étudier de près pour l’élevage extensif car elle favorise aujourd’hui les exploitations jusqu’à 100 hectares, le point de bascule se faisant entre 90 et 100 hectares. Attention, il faut bien savoir que la surprime ne sapplique pas à l’ensemble du droit à paiement unique moyen la surprime est faite sur une partie de l’aide seulement. La difficulté est de savoir comment on encourage l’emploi. Les 9 Md€ d’argent public versés annuellement à l’agriculture doivent être utilisés de la façon la plus efficace possible en terme d’emploi, d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement pour que la France reste un grand pays producteur, comme l’a affirmé le Gouvernement et le Président de la république. Il est très difficile de trouver une formule qui aide l’emploi et la commission européenne l’a refusée. Au final la France n’aurait peut-être pas été gagnante en comparaison de pays comme la Roumanie ou la Bulgarie qui ont encore des millions d’agriculteurs avec de toutes petites exploitations. Supprimer les premiers hectares revient en réalité à aider l’emploi car les chiffres indiquent clairement que ce sont sur les exploitations d’élevage que se trouvent le plus grand nombre d’emplois. C’est donc avec des outils franco-français que l’on va pouvoir aider l’élevage ou d’autres secteurs. Nous aurons ainsi l’occasion de montrer si l’élevage est véritablement une grande cause nationale dans notre pays et s’il existe une volonté nationale de le soutenir. Je ne reviens pas sur l’aspect caricatural du rapport qui nous a été reproché, car ni Alain Marc ni moi-même n’avons voulu caricaturer les situations, mais c’est une évidence qu’un éleveur laitier doit procéder à deux traites quotidiennes alors qu’un maïsiculteur n’est pas obligé de vérifier son champ tous les jours de l’année. La question des revenus est également une évidence absolue, même s’il ne faut pas oublier qu’il y a 4 ou 5 ans, 1 500 tracteurs avaient envahi la place de la Nation à cause de la baisse des cours. La volatilité des prix peut donc toucher aussi le secteur des céréales. L’année 2013 étant annoncée comme une année record pour la production de céréales, on verra ses conséquences sur les prix, sachant aussi qu’il y a une demande croissante de céréales dans le monde. Il ne faut pas oublier que la charge principale qui pèse sur le budget des exploitations d’élevage est celle liée à l’alimentation, elle-même liée au coût des céréales. Un transfert doit donc s’opérer. C’est ainsi que nous avançons l’idée, pour une autre PAC, d’aides contracycliques, qui seront une forme de régulation. Au sujet des circuits courts, la France en est encore à la Préhistoire. Elle a intérêt à mettre en place un plan national de relocalisation des activités agricoles. J’y suis très attaché et défends cette idée depuis plusieurs années déjà car je crois à la proximité, à la traçabilité, au besoin des citoyens de consommer des produits qu’ils connaissent et qui représentent l’identité de leur territoire. La marge de manœuvre est énorme puisque 80 % de la viande consommée en restauration collective provient de l’importation. La France devrait parvenir à faire en sorte que les vaches charolaises de Bourgogne soient consommées sur leur territoire de production sans devoir faire appel à des vaches de réforme provenant des Pays Bas. Comme il l’a déjà été souligné, l’un des coûts les plus importants pour les éleveurs est l’alimentation, et le plan protéines végétales »est une bonne solution. Avec les 2 % que la PAC autorise aujourd’hui, il faut encourager la culture des féveroles, des pois, de la luzerne, etc… pour ne pas être totalement dépendant du soja OGM, venu notamment du Brésil. Concernant l’après quotas, l’Union européenne a malheureusement démantelé le système de régulation des quotas mis en place en 1984. Pourtant, celui-ci a permis non seulement de maintenir une production laitière en France, mais surtout de la répartir sur l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, sans les quotas, le risque majeur en France réside dans la concentration de la production laitière. Au sujet de l’étiquetage et de la traçabilité, nous sommes tous d’accord pour poursuivre les efforts. En matière d’accords internationaux, que ce soit ceux de l’OMC ou la libéralisation des échanges entre les États-Unis et l’Union européenne, il faut être vigilant puisqu’à terme, avec la pression pour l’ouverture de nos marchés, nous serons forcés d’accepter les produits aux hormones et aux OGM que nous refusons encore aujourd’hui. En conclusion, nous avons voulu, avec Alain Marc, pousser le cri d’alarme et poser des actes. S’il n’y a pas une meilleure répartition des aides de la PAC dans notre pays, l’élevage va quasiment disparaître dans beaucoup de régions, et cela ne va pas dans l’intérêt général de la France, qui consiste à maintenir une activité d’élevage répartie sur l’ensemble du territoire, créant des emplois et valorisant la production agricole en matière de lait, la France est un des plus grands producteurs de fromage et de produits transformés et pour la filière viande », il est aussi possible d’améliorer notre production. Il faut garder à l’esprit que si la France connaît un succès touristique aussi important avec 83 millions de visiteurs en 2012, c’est grâce à son patrimoine historique, naturel mais aussi gastronomique, qui fait de la France un pays un peu à part dans le monde. Monsieur le président Brottes. Merci pour ce travail d’une excellente qualité. Une audition spécifique sera organisée prochainement sur les abattoirs. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 26 mars 2013 Association nationale des élus de la montagne ANEM Mme Frédérique Massat, présidente M. Hervé Benoit, chargé de mission Institut de l’élevage M. Philippe Chotteau, chef du département économie M. Christophe Perrot, chargé de mission Économie, élevage et territoire Syndicat National de l’Industrie de la Nutrition Animale SNIA M. François Cholat, vice-président M. Stéphane Radet, directeur 2 avril 2013 Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service FNEAP M. André Eloi, directeur Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles FNSEA M. Henri Brichart, vice-président M. Antoine Suau, chargé de mission Économie Mme Nadine Normand, chargée des Relations avec le Parlement 9 avril 2013 Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service FNEAP M. André Eloi, directeur Fédération nationale des producteurs de lait FNPL M. Gilles Psalmon, directeur Coordination rurale CRUN M. François Lucas, vice-président de la CRUN M. Michel Manoury, président de la section viande de la CRUN Mme Véronique Le Floch, membre du conseil d’administration de l’Organisation des producteurs de lait OPL Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution FCD M. Mathieu Pecqueur, directeur Agriculture et qualité M. Gérard Cladière, représentant de la FCD au sein d’Interbev, M. Antoine Sauvagnargues, chargé de mission Affaires publiques Confédération paysanne M. Gérard Durand, Secrétaire national en charge du dossier élevage M. Jean Guinand, en charge du dossier lait M. Yves Sauvaget, responsable de la commission lait M. Christian Drouin, responsable de la commission bovins viande 16 avril 2013 SODIAAL M. Frédéric Chausson, directeur du développement coopératif Fédération Nationale des Coopératives Laitières FNCL M. Dominique Chargé, président Mme Christèle Josse, directrice Centre d’économie rurale M. Philippe Boullet, directeur du développement M. Alain Le Boulanger, spécialiste élevage, directeur des études économiques Cerfrance Normandie Maine, animateur du groupe veille économique filière lait du réseau Cerfrance M. Jean-Marie Seronie, responsable de la veille économique FranceAgriMer M. Frédéric Gueudar-Delahaye, directeur général adjoint M. André Barlier, directeur des marchés, études et prospectives M. Frédéric Douel, délégué de la filière lait M. Michel Meunier, délégué de la filière viande 23 avril 2013 Ministère de l’agriculture M. Jean-Guillaume Bretenoux, conseiller technique chargé des filières animales et agroalimentaires M. Bruno Ferreira, conseiller technique chargé des questions de sécurité sanitaire et de l’alimentation Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires DGPAAT Mme Véronique Borzeix, adjointe au sous-directeur produits et marchés Coop de France M. Bruno Colin, président de la filière bovine de Coop de France et vice-président de la Coopérative agricole Lorraine CAL M. Philippe Dumas, président de SICAREV, groupe coopératif en production bovine, porcine et abattage M. Denis Gilliot, coordinateur filières au pôle animal Mme Irène de Bretteville, chargée des relations parlementaires Fédération nationale bovine FNB M. Pierre Chevalier, président M. Guy Hermouet, premier vice-président M. Thierry Rapin, directeur M. Jean-Pierre Fleury, secrétaire général 14 mai 2013 Association des producteurs de lait indépendants APLI M. Paul de Montvalon, administrateur Interprofession de la viande Interbev M. Dominique Langlois, président M. Marc Pagès, directeur général adjoint M. Yves Berger, délégué général Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros de viandes FNICGV M. Hervé des Déserts, directeur général M. Henri Demaegdt, président de la commission gros bovins Mme Marine Colli, chargée des relations parlementaires Assemblée permanente des chambres d’agriculture APCA M. Daniel Gremillet, président de la chambre d’agriculture des Vosges 28 mai 2013 LACTALIS M. Michel Nalet, directeur des relations extérieures Syndicat national de l’industrie des viandes SNIV-SNCP M. Jean-Paul Bigard, président M. Pierre Halliez, directeur général Jeunes agriculteurs M. Jérôme Chapon, vice-président en charge de l’économie, Mme Suzanne Dalle, conseillère productions animales M. Régis Rivailler, attaché de direction, conseiller parlementaire et affaires publiques 4 juin 2013 Observatoire des prix et des marges M. Philippe Chalmin, président PAS VENU, auditionné par téléphone ?? Groupe Bongrain M. Daniel Chevreul, directeur des approvisionnements laitiers Centre national interprofessionnel de l’économie laitière CNIEL M. Thierry Roquefeuil, président M. Benoit Mangenot, directeur général M. Benoit Rouyer, chef du service économie Mme Marie-Pierre Vernhes, responsable de la communication institutionnelle 1 Rapport de la confédération nationale de l’élevage, 2012. 2 Ministère de l’agriculture, 12 décembre 2012. 3 Ibid. 4 Assemblée nationale, Rapport d’information n° 3863 marché des matières premières volatilité des prix, spéculation, régulation. Présidente Mme Pascale Got. Rapporteurs Mme Catherine Vautrin et M. François Loos. 5 6 FNB, rapport d’Assemblée Générale, 2013. 7 Contribution du CER France. 8 Centre études et prospectives du ministère de l’agriculture, analyse 11, juillet 2009. 9 Chambres d’agriculture. 10 Audition de la FNB. 11 Institut de l’élevage. 12 Aujourd’hui FranceAgriMer 13 Règlements européens. 14 Sénat, Jean Bizet, Le prix du lait dans les États membres de l’Union européenne », 2009. 15 Audition de l’ANEM. 16 Sénat, Jean Bizet, Le prix du lait dans les États membres de l’Union européenne », 2009. 17 Ibid. 18 Audition d’Interbev. 19 Rapport de la confédération nationale de l’élevage, 2012. 20 Proposition des chambres d’agriculture. 21 Agrapresse, n° 3393, lundi 8 avril 2013. 22 23 Voir l’encadré ci-après sur leur révision. 24 Ouest France, Anticiper de futures crises laitières », 14 décembre 2012 25 Centre d’études et de prospective, n° 53, juin 2012, Marie Sophie Dedie et Pierre Claquin. 26 Rapport de Mme Marion GUILLOU, mai 2013, sur l’agro-écologie à M. Stéphane LE FOLL, Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. © Assemblée nationale
1 2. 1. Le grand projet ferroviaire. Le grand projet ferroviaire de liaisons nouvelles Ouest Bretagne - Pays de la Loire (LNOBPL) consiste à améliorer la performance des liaisons existantes sur les axes Nantes - Rennes - Bretagne Sud et Rennes – Brest, à l’horizon 2035 et au-delà. 2. En dialogue avec le territoire.
TOME SECOND Volume 2 SOMMAIRE DES AUDITIONS retour au sommaire général des auditions Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission d'information la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses Pages __ M. Louis de NEUVILLE, président de l'Union nationale des livres généalogiques mercredi 17 juillet 1996. 235 __ M. Bernard TERRAND, président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail FNGDSB mercredi 17 juillet 1996. 246 __ Mme Marie-José NICOLI, président de l'Union fédérale des consommateurs UFC mercredi 17 juillet 1996. 255 __ M. Yves MONTÉCOT, président du Syndicat national des industriels de la nutrition animale mercredi 4 septembre 1996. 265 __ M. Jacques CHESNAUD, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs mercredi 4 septembre 1996. 282 __ M. William DAB, professeur à l'école nationale de santé publique mercredi 4 septembre 1996. 299 __ M. Jean-François GIRARD, directeur général de la santé mercredi 4 septembre 1996. 308 __ M. Pierre-Mathieu DUHAMEL, directeur général des douanes et droits indirects mercredi 4 septembre 1996. 322 __ MM. Christian BARTHOLUS et Jacques PUJOL, respectivement président et secrétaire général de la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services FNEAPS mercredi 4 septembre 1996. 333 __ MM. Philippe GROJEAN et Michel BOLZINGER, respectivement président et vétérinaire-export de la chambre syndicale de la boyauderie française, accompagnés de M. Christian PEIGNON, président directeur général de la SARL Peignon et fils mardi 10 septembre 1996. 347 __ M. Christian BABUSIAUX, directeur général de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes mardi 10 septembre 1996. 357 __ M. Louis ORENGA, directeur du Centre d'information des viandes mardi 10 septembre 1996. 370 __ M. Patrick LAGADEC, chercheur à l'École Polytechnique mardi 10 septembre 1996. 383 __ M. Jacques BARRIERE, président du Syndicat national des vétérinaires-inspecteurs du ministère de l'agriculture mardi 10 septembre 1996. 400 __ M. Michel TEYSSEDOU, président de la Chambre d'agriculture du Cantal mardi 10 septembre 1996. 412 __ MM. Gérard CHAPPERT et Alain GAIGNEROT, respectivement président et directeur du MODEF mercredi 11 septembre 1996. 426 __ M. Philippe GUÉRIN, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture mercredi 11 septembre 1996. 435 __ M. Thierry BARON, chef de l'unité virologie agent transmissible non conventionnel » au Centre national d'études vétérinaires et alimentaires CNEVA mercredi 11 septembre 1996. 447 __ M. Michel BARNIER, ministre délégué aux affaires européennes mercredi 11 septembre 1996. 456 Audition de M. Louis de NEUVILLE président de l'Union nationale des livres généalogiques extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 17 juillet 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Louis DE NEUVILLE Je vais d'abord vous présenter l'Union nationale des livres généalogiques que je préside. Dans le patrimoine français, il y a non seulement des exploitants et des exploitations, mais également des races. Pour me faire mieux comprendre, je vais vous parler de la première race française, qui est la race charolaise. Depuis très longtemps, la race charolaise a été identifiée par les Américains et beaucoup d'autres à travers le monde comme étant une race à viande qui a marqué d'une pierre blanche la production de viande dans le monde. Si le XIXe siècle a été le siècle de la production à partir des races anglaises, le XXe siècle a été celui d'une production non différenciée, depuis que les découvertes de Mendel sur le phénomène de vigueur hybride - connu par le biais de tous les végétaux - ont mis au second plan les races, car elles ont permis une production quantitativement importante. Il est d'ailleurs bien normal qu'en temps de guerre, on massifie la production, ce qui diminue l'importance de l'éleveur. Dès lors, le roi de l'élevage n'a plus été l'éleveur, mais le crayon. Ce n'est qu'en cette fin de siècle que nous revenons à une notion de race qui était extrêmement commune au XIXe siècle, car nous constatons qu'un certain nombre de besoins ne sont pas satisfaits sur le plan qualitatif. La technologie ne peut pas être un substitut à tout. L'Union nationale des livres généalogiques est une instance professionnelle de concertation qui a été créée en 1959, à la suite d'un comité spécialisé qui avait été institué par le ministère de l'agriculture en 1946. Aux termes d'une convention signée avec le ministère de l'agriculture, les principales missions de l'UNLG sont de concerter l'ensemble des races et des espèces françaises autour de la création et du progrès génétique attendu par les utilisateurs des animaux et des produits, de gérer et de valoriser la diversité génétique du cheptel national, d'améliorer l'efficacité de la génétique dans les filières animales françaises aux plans intérieur et extérieur pour les races bovines, ovines, chevalines, caprines, porcines et canines. La société centrale canine, qui regroupe actuellement 250 races de chiens, fait ainsi partie de l'UNLG. Tous les chiens, les chats, les chevaux ou les bovins d'une race déterminée sont regroupés dans une fédération d'espèce et ont un livre généalogique, seuls les chevaux de sang faisant bande à part, si je puis dire. La fédération dont je suis le président regroupe les livres de toutes les races bovines, des quarante-deux races ovines, des races canines, etc. C'est un élément essentiel du patrimoine français. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le charolais a révolutionné la production de viande dans le monde puisqu'il a ouvert la voie à la race limousine, puis à la race blonde d'Aquitaine. Toutes nos races laitières étaient nulles jusqu'à ce que la loi sur l'élevage adoptée en 1966 permette de faire de la génétique française un produit tout à fait particulier et leader sur le marché mondial. Ainsi, parmi les dix meilleurs taureaux mondiaux, trois sont français. Avant d'aborder le sujet qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, je tiens à préciser que je suis connu pour dire ce que je pense, ce qui n'est pas forcément ce que tout le monde pense. Je vais continuer dans cette voie. Certes, nous sommes actuellement dans une mouise épouvantable, mais personnellement, je souhaiterais que l'on s'attache davantage aux aspects positifs de la situation qu'à ses aspects négatifs, même si évidemment ces derniers ne doivent pas être négligés car c'est notre vie de paysan qui est en cause - j'ai moi-même une exploitation qui compte cent vaches de race spécialisée à viande -, mais d'autres le font beaucoup mieux que moi, notamment le syndicalisme agricole. L'encéphalopathie spongiforme bovine est le révélateur, au sens photographique du terme, d'un excédent structurel qui nous aurait conduits dans deux ans à une surproduction, laquelle n'est pas due, comme par le passé, à des excédents de production mais à une sous-consommation. C'est le cas non seulement en France mais aussi dans le reste du monde, à l'exception de la Chine qui voit l'émergence d'une classe moyenne qui a envie de manger autre chose que du canard, du poulet ou du porc. Nous devons donc faire face à la fois à un problème circonstanciel et à un problème de fond. Celui-ci a été caché jusqu'à présent pour une raison simple on a mal résolu le problème du lait avec l'instauration des quotas dans le sens où l'on s'est intéressé à la restructuration de l'élevage, sans se préoccuper de celle du troupeau. En outre, Bruxelles ayant un talent particulier pour édicter des choses à la fois simples et compliquées, on crée des inflexibilités qui n'arrangent pas la situation. Ainsi, des primes ont été créées en 1993 et en 1994, alors qu'on était en bas de cycle. De sorte qu'aujourd'hui on accumule les vaches nourrices, puisque le cycle reprend dans une période de sous-consommation, c'est-à-dire que tout se ligue pour que les choses n'aillent pas. Pour vous donner une idée de l'ampleur du problème, on compte aujourd'hui environ vingt six millions d'animaux produisant de la viande et, à cheptel constant, on enregistre un excédent d'un million de tonnes. Le calcul est simple sur 1,8 million de tonnes de viande produites, on va perdre quatre francs par kilo, soit sept milliards de francs. Ajoutés aux trois milliards de francs prévus pour la réforme de l'armée, nous nous interrogeons sur la façon dont le Gouvernement va trouver cet argent et nous ne cachons pas notre inquiétude. Cela étant, je voudrais vous soumettre un certain nombre de réflexions. Je suis étonné que l'on considère le problème en opposant le cheptel laitier et le cheptel allaitant. Je m'explique il y a effectivement une rivalité. On entend parler de la solution immédiate qui consiste à tuer les veaux laitiers pendant trois ans. Aujourd'hui, les associations protectrices des animaux ne poseront pas de problème parce qu'il s'agit d'une question de santé, mais l'année prochaine ou dans trois ans, il n'en sera peut-être pas de même. C'est donc une solution qui n'en est pas une. Il existe en fait une solidarité entre le cheptel laitier et le cheptel allaitant et peut-être faudrait-il, tout au moins le souhaitons-nous, que le cheptel laitier utilise ses capacités de production au profit de veaux de races allaitantes, qui produisent un certain type de viande qui a des débouchés que d'autres n'ont pas. Ce qui, par contre, pourrait être réalisé avec grand bénéfice serait une certaine territorialisation » de notre territoire. Nul doute que certains d'entre vous sont au courant d'une enquête sur le problème de l'eau qui a été faite dans 94 bassins aux USA et qui montre d'une façon particulièrement claire que la seule solution, d'une part au maintien de l'étiage des nappes phréatiques, d'autre part des rivières venant des montagnes, c'est la prairie pâturée. Certains pensent que, après tout, si on replantait le Massif central, ce ne serait pas terrible. Eh bien, si, ce serait terrible en ce qui concerne le régime de l'eau. Car de ce point de vue, la forêt est pire que la prairie et la prairie non pâturée est pire que la prairie pâturée qui, elle, est la condition du maintien de cet équilibre général. Et c'est là que le Massif central se différencie de la Bretagne. Ce n'est donc pas le laitier ou l'engraisseur breton qui se distingue de l'éleveur de vaches allaitantes du Centre, c'est bien le territoire. Cela paraît être très loin de l'encéphalopathie spongiforme, mais il faut partir de loin si l'on veut éviter de se cantonner aux solutions circonstancielles. Par conséquent, il me paraîtrait relativement intéressant de relier nos problèmes actuels au problème de fond de la territorialisation de notre territoire en matière de production de viande. Par ailleurs, je ne crois pas, au contraire d'un grand nombre de mes collègues, que le phénomène actuel de sous-consommation soit totalement irréversible. Il l'est dans sa tendance. Il est vrai que le taux de consommation de viande par habitant diminuera au cours des années à venir. Ce qui, en revanche, ne me semble pas irréversible, c'est l'ampleur de la diminution actuelle, que l'on peut évaluer à environ 15 %. La clé de la réversibilité de cette tendance est liée au fait que le consommateur souhaite qu'on lui dise que des contrôles ont été effectués et que l'on peut trouver tel produit sain à tel endroit. Or aujourd'hui, dans le domaine des hormones, par exemple - je m'écarte du sujet un instant, mais il sera à l'ordre du jour quand les Américains vont attaquer, au mois de septembre ou d'octobre -, il est frappant que l'on en soit encore aux analyses d'urines. Or, chacun sait comment il faut s'y prendre avant une analyse d'urines pour que le résultat en soit négatif. Et quand des contrôles sont effectués lors des foires, nous le savons ! Le problème, c'est que si les analyses sont bonnes, ce ne sont pas ceux qui font les analyses qui ont fait les prélèvements. Personne n'a l'air de savoir qu'il existe depuis de nombreuses années le diagnostic foliaire pour les végétaux. Aujourd'hui, le poil d'un animal est une preuve irréfutable de la présence d'hormones ou pas. Aucun laboratoire français ne s'en préoccupe, alors que c'est fondamental ! Après cela, on pourrait dire à tout le monde, et même aux Américains, que nous n'avons plus de problèmes, parce qu'on a le moyen de savoir que telle bête est shootée » et que telle autre ne l'est pas ! Puis on laissera le consommateur choisir. Et vous verrez comment il choisira ! C'est la même chose pour ce qui concerne la viande en général. Il existe des différences notables entre les viandes, en dépit de ce que disent la plupart des gens. Aujourd'hui, 95 % des gens vous disent qu'il n'y en a pas. Nous avons fait des analyses, nous savons que des différences existent, nous savons que des satellites de l'ADN permettent à des marqueurs de savoir que telle viande est de la charolaise ou que telle autre est de la pie noire. Mais ces résultats restent planqués dans tel IUT d'une obscure ville de province parce que, quand on demande les deux millions de francs nécessaires pour mettre au point l'analyse qui permettra à coup sûr de détecter la fraude de tel ou tel, on nous répond non ! Cela n'intéresse pas ! Je suis content à la limite que cette encéphalopathie spongiforme nous oblige à prendre le taureau par les cornes sur ce sujet car le produit viande n'est pas unique il y a le produit viande conviviale et la protéine carnée. La protéine carnée, certes, est intéressante elle est facilement digestible, elle contient du zinc, du fer, peu de graisse. Mais elle reste une protéine carnée industrielle ! La viande conviviale, c'est tout à fait autre chose. Elle présente les mêmes caractéristiques et les mêmes avantages, mais elle a en plus tout ce qui fait sa convivialité, c'est-à-dire notamment de l'épaisseur et une structure graisseuse distribuée de façon différente. Il faudra se résigner à convenir qu'il y a de la viande qui coûte cher et qui n'est destinée qu'à 30 % de la population. Cela n'a rien à voir avec le niveau de vie de l'acheteur. Il y a des gens pauvres qui achètent de l'excellente viande, ils le font seulement moins souvent que ceux qui ont des moyens supérieurs. Alors, je vous en prie, vous, mesdames et messieurs les parlementaires, ne vous enfermez pas dans une dialectique passéiste ! J'oserai ajouter d'ailleurs que cette crise est tellement exceptionnelle qu'elle ne peut pas être résolue par les structures actuelles. Et si nous ne faisons pas appel à des lumières extérieures au syndicalisme, nous aurons manqué notre vocation. Il n'y a qu'un seul corps qui peut le faire, c'est vous ! Mais il faut que vous ayez de l'audace. Si vous vous contentez d'écouter le choeur des pleureuses, dont je fais partie - je ne me désolidarise de rien -, vous n'aurez fait qu'un petit pas, que j'appellerais électoral. Pardonnez-moi, mais il existe un problème de fond dont il faut se saisir. La solution passe par la segmentation du marché. La viande ne peut pas rester le dernier marché non segmenté. Après le whisky, le chocolat, le beurre, tous les produits alimentaires, la viande est le dernier des marchés non segmentés. Il va se segmenter, c'est une loi fondamentale. Ma troisième réflexion consiste à dire qu'aujourd'hui est peut-être venue la grande chance des bouchers. Les bouchers ne sont plus les découpeurs de viande qu'ils étaient, ils sont devenus dans la plupart des cas des négociants en pièces de viande. Il faudrait donc peut-être profiter de la crise actuelle pour envisager une action de formation conjuguée avec la profession de la boucherie française. Il me semble qu'aujourd'hui - et c'est quelqu'un qui a fait un peu plus de cinquante fois le tour du monde qui vous le dit - notre pays a une vocation singulière qui est celle de réintroduire du qualitatif dans le quantitatif mondial. Ce n'est pas l'Angleterre, l'Allemagne, les Etats-Unis, l'Amérique du Sud, l'Australie ni la Chine qui peuvent le faire ! Seule la France est dépositaire d'une histoire et d'un savoir-faire qui lui permettent de jouer un rôle fondamental. Je n'hésite pas à le dire, nous pouvons devenir la nation semencière de l'univers. C'est en ce sens que nous sommes solidaires des céréaliers et de toutes les autres professions de l'élevage. Mais cela passe par une restauration des vieux métiers que nous savions exercer et par des actions de formation. Mme le Président A crise exceptionnelle, faut-il appliquer des mesures d'exception ? S'agissant de la qualité, que pourrait-on faire, outre les labels, pour augmenter la consommation de viande de qualité ? Ne pensez-vous pas qu'une part importante de la population ne pourra jamais acheter une viande à très haut prix ? Croyez-vous que la qualité trouvera suffisamment de parts de marché ? Est-elle vraiment nécessaire et comment la mettre en place ? M. Louis DE NEUVILLE Dans un premier temps, nous devons bien assimiler le fait que la viande, qui était autrefois un produit commun parce qu'il était symbolique de force et de virilité, a complètement changé d'image. Elle a actuellement non seulement ses propres substituts au sein des viandes blanches mais également des tas d'autres rivaux. Des expérimentations ont été réalisées à travers le monde et je suis en mesure de vous apporter des éléments de réponse certains. Premièrement, 70 % de la population n'achète qu'en fonction du prix et 30 % seulement de la population achète en tenant compte d'un ratio qualité-prix. Hâtivement, on pourrait dire que 70 % de la population n'aura pas accès à une viande dite de qualité - encore faudrait-il s'entendre sur le terme de qualité -. Mais si cette population ne prend pas les moyens d'accéder à cette viande, c'est parce qu'elle ne le veut pas. Nous avons fait des expériences sous toutes les latitudes et notamment au Japon, en Australie, en Amérique du Nord, dans les pays gros consommateurs de viande d'Amérique du Sud, mais aussi dans des pays tels que la Pologne ou la République tchèque, où le pouvoir d'achat est aujourd'hui très bas, ainsi qu'en Thaïlande, pays bouddhiste où l'on mange peu de viande. Nous savons que même des gens pauvres se régalent de viande une fois ou l'autre parce qu'ils sont en situation conviviale, à condition qu'ils sachent pourquoi elle est bonne. C'est donc une question de communication. Je sais bien que 99 % d'entre vous ne pensent pas la même chose, mais ce n'est pas une raison pour ne pas considérer que c'est la vérité. Nous avons commencé nos expérimentations en 1973 et nous savons cela depuis 1977. En 1977, à Pompadour, dans le Limousin, un Belge directeur de supermarchés est venu expliquer aux représentants d'un grand nombre de pays les expériences que nous avions réalisées à Charleroi. Mais les directeurs des chambres d'agriculture ni les parlementaires présents de l'époque n'avaient consenti à écouter ce message. L'Institut national de recherche agronomique vient d'ailleurs de publier une étude qui débouche sur la même conclusion, à un chiffre près j'évalue le pourcentage de la population intéressée par la qualité à 30 %, alors qu'elle l'évalue, dans la situation actuelle, à 35 % en France, à 20 % en Italie et à 10 % en Allemagne. Par conséquent, j'affirme que ce n'est pas un problème de niveau de vie, mais un problème d'attraction pour un produit déterminé dans un rapport qualité-prix, mais ce raisonnement ne peut être tenu qu'à condition que l'on admette qu'il y a une segmentation du marché et que les signes de qualité existent. Cela nous ramène aux labels qui posent un problème à la fois de communication et de contractualisation. Comme souvent, on a une belle législation, mais on ne prévoit pas le financement. Si bien que les labels ne se sont pas imposés encore, sauf dans le domaine de le volaille, où il se passe des choses tout à fait intéressantes après être passés par une phase d'implantation, puis de banalisation, nous sommes maintenant dans une phase de redifférenciation. Que faudrait-il faire pour faire prendre conscience du fait que la viande peut être un produit de qualité ? Premièrement, développer ce qui est fait déjà en corrigeant les erreurs. Deuxièmement, avoir un oeil neuf venant de l'extérieur. Je vous invite à interroger des représentants d'entreprises telles que L'Oréal ou Shell qui ont dû faire face à des problèmes analogues de désaffection du consommateur ou de disqualification, car c'est le grand mot aujourd'hui. Et aujourd'hui, je n'hésite pas à dire que nous vous faisons courir un grand danger à vous, parlementaires, en vous demandant des crédits parce que l'opinion, qui disqualifie actuellement les éleveurs, va disqualifier ceux qui viennent à leur secours si on ne prend pas un certain nombre de précautions de communication. Je ne dis pas qu'il ne faut pas nous aider, mais qu'il faut veiller à la façon dont nous communiquons. M. le Rapporteur L'étude des livres généalogiques vous permet-elle de déduire que tel ou tel facteur génétique prédispose une race par rapport à une autre à développer l'encéphalopathie spongiforme bovine ? Dans la mesure où la Grande-Bretagne est le pays le plus touché par cette maladie, vos homologues anglais ont-ils fait des études dans ce domaine ? Pouvez-vous proposer une stratégie pour tenter de mieux cerner le phénomène ? M. Louis DE NEUVILLE La réponse est oui, puisque nous garantissons les filiations à travers les groupes sanguins et grâce à des analyses fondées sur un modèle scientifique, de génétique quantitative. Ainsi, pour un bovin, nous disposons aujourd'hui, outre de son identification par son nom et son numéro de tatouage ou de boucle, de son numéro de groupe sanguin, c'est-à-dire des preuves totalement irréfutables de sa filiation. Par conséquent, nous pourrions remonter cinq générations en arrière en cas de besoin. Mais nous ne l'avons pas encore fait, faute de moyens financiers. A ma connaissance, l'Angleterre non plus. M. René BEAUMONT Je vous remercie de votre discours que je qualifierai de philosophique et d'humaniste et dont la hauteur de vues ne se rencontre pas si souvent. La segmentation du marché est un problème fondamental sur lequel nous butons depuis plusieurs années. Le partage entre le marché de la viande conviviale et de la viande nourriture protéique apparaît très difficile dans la mesure où nous avons affaire à de grands individualismes. Pour ne citer que le département que je représente ici, nous avons en terre charolaise trois labels, ce qui revient au même que si nous n'en avions aucun. J'ai apprécié le terme de territorialisation que vous avez employé car je pense qu'aujourd'hui, ce n'est pas en créant des labels que nous pourrons avancer, mais en établissant des certificats d'origine territoriaux. Partagez-vous ce point de vue ? Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, la possibilité de détecter la présence d'hormones chez les animaux est scientifiquement connue. De la même façon, outre le contrôle de l'identification des animaux, le contrôle génétique effectué à la naissance de chaque individu permettrait-il d'assurer la sécurisation de la traçabilité ? Ce matin, un responsable du commerce de la viande a affirmé que la traçabilité ne posait pas de problème technique. C'est vrai, mais à quel prix ? Enfin, je suis un peu moins d'accord avec ce que vous avez dit sur la production de veaux par les races laitières. Si j'ai bien compris, vous souhaitez que l'on revienne à des principes de croisement avec les races à viande pour assurer un potentiel de viande de meilleure qualité. Outre les problèmes structurels que cela risquerait de poser au sein du marché, je me permets de rappeler que les Français ne consomment plus de viande de veau depuis vingt ans à cause des hormones et de l'hypermédiatisation de cette question. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi demain, en pleine épidémie d'ESB, les consommateurs se remettraient à manger du veau, quel qu'il soit. C'est une utopie. Quitte à produire du veau, autant le produire avec des races laitières, puisque parmi les veaux, on a forcément des veaux mâles laitiers qui fourniront moins de viande que du veau croisé ou des veaux de race à viande. J'aimerais avoir votre avis sur ce point. M. Louis DE NEUVILLE Territorialisation, pourquoi ? Parce qu'il m'apparaît que la seule issue de notre agriculture est dans une valeur ajoutée, que celle-ci est essentiellement aujourd'hui une notion de service, qui se divise lui-même en deux, l'un que je dirais à la japonaise » qui, un jour, sera intégré dans le prix et un qui ne sera jamais quantifiable, c'est ce que j'appelle l'âme du produit. Cette âme se caractérise non seulement en fonction de la race, mais aussi du territoire. Cette approche du territoire se fera différemment selon la position par rapport au problème de l'eau, que j'ai évoqué précédemment. Mais cela nous emmènerait trop loin. En ce qui concerne la sécurisation de la traçabilité, elle ne peut exister qu'à partir de la génétique. La seule personne qui peut me dire que tel homme est mon père, c'est ma mère ! Et cela, cela ne coûte rien ! Une traçabilité à l'abattoir coûte beaucoup d'argent parce qu'il faut installer des puces sur toute la chaîne, il faut un ordinateur qui permette aux carcasses de s'aligner, il faut une traçabilité qui aille jusqu'à la découpe de la viande. C'est possible, mais cela coûte cher. Le système le moins cher est le contrôle par la génétique. Sans compter que tout autre moyen est entaché de suspicion. En utilisant la génétique, il n'y a plus de suspicion, il y a nettement fraude ou non. S'agissant de la production des veaux, la France de l'élevage est divisée aujourd'hui en deux parties et la situation des éleveurs de races spécialisées de la région du Centre est perturbée par l'arrivée d'un nombre incalculable de vaches dites nourrices. Pourquoi ? Parce que Bruxelles verse une prime qu'il suffirait de supprimer pour faire disparaître ces veaux engraissés blancs et noirs. Il s'agit de savoir quel produit nous voulons mettre sur le marché. Si le produit principal d'un éleveur est le lait, c'est le lait ! Il a un coproduit, très bien ! Si le produit principal d'un éleveur est la viande, qu'il nourrisse ses animaux avec de l'herbe ! Mais à partir du moment où sont versées des primes au maïs et que la pratique du maïs ensilage est encouragée, il n'y a plus de différenciation. Mais on veut faire plaisir à tout le monde ! Malheureusement, il ne s'agit pas d'un problème de production mais d'un problème de justice. Nous invitons aujourd'hui les producteurs, et certaines associations le feront demain, à élaborer des chartes prévoyant l'élevage des animaux sans ensilage. Et puis à un moment donné, il faudra peut-être que certains céréaliers ne fassent plus de carottes... Il faut corriger les abus parce que nous faisons la course au plus astucieux, mais c'est un vrai problème. Je suis très inquiet de constater que le massacre des veaux de huit jours est envisagé avec sérénité au ministère de l'agriculture. Comme je le disais tout à l'heure, il est possible, si la décision était prise, que les associations de protection des animaux ne s'y opposent pas et l'opinion, dès lors qu'il s'agit de sa santé, le supportera. Mais dans deux ou trois ans, je ne suis pas sûr qu'il en soit de même. Je suis très préoccupé par le fait qu'on prenne des mesures qui pourraient disqualifier les éleveurs aux yeux de l'opinion. Pourquoi les veaux des vaches allaitantes ont-ils de l'intérêt ? Dans le Limousin, le veau que l'on appelle de Saint-Etienne - il s'agit d'un veau de neuf mois qui pèse 220 kilos - de race spécialisée, Charolais ou Limousin, est qualifiable, alors que le même de race Pie noire-Holstein est disqualifiable. Au lieu de tuer des animaux pour réduire le tonnage, qu'on charge l'INRA et l'Institut de l'élevage de chiffrer des alternatives ! On chiffre des hypothèses négatives qui préconisent de tuer, mais pas celles qui seraient positives. Or, si un certain nombre de productions à la française étaient contractualisées, nous aurions des débouchés commerciaux dans un certain nombre de pays, tels le Liban par exemple. Nous avons fait face à des problèmes commerciaux plus difficiles que cela. M. Jean-Marc NESME Je ne reviendrai pas sur l'identification des animaux, qui est une nécessité. Pour reconquérir la confiance du consommateur, il est indispensable qu'il connaisse l'origine du produit. Cette identification passe par la territorialisation des productions car dans l'esprit du consommateur, il existe un lien très fort entre le terroir et la production. Il me semble que notre pays a commis, depuis 35 ou 40 ans, une erreur considérable l'hyperconcentration des centres d'abattage. La France est le seul pays européen à avoir mis en oeuvre une telle politique, avec des exemples sulfureux comme celui de la Villette. Or, il me semble que la garantie passe non seulement par le terroir, mais aussi, dans chaque bassin de production, par des centres d'abattage à taille humaine. Je préside - bénévolement - aux destinées d'un abattoir de 5 000 tonnes. On m'a toujours dit que cet abattoir déposerait très rapidement son bilan. Nous faisons la démonstration inverse. A l'heure actuelle, en pleine période de vache folle, l'abattage des bêtes charolaises - puisque cet abattoir se situe dans le bassin de production de la race charolaise - n'a pas diminué et nous assistons même à une progression de l'abattage des animaux labellisés. Comme le disait René Beaumont, il y a effectivement beaucoup trop de labels, les consommateurs n'y comprennent plus rien. Il faudrait sans doute que les éleveurs fassent un effort d'unification et de clarification dans ce domaine. Je crois qu'ils en sont conscients aujourd'hui. Mais il faut aussi mettre un terme à l'hyperconcentration de l'abattage. Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs, la viande est devenue une feuille d'impôt. A chaque maillon de la filière viande bovine, de la production à la distribution comprise, une tonne de viande supporte de plus en plus de taxes fiscales ou parafiscales. Le produit viande est ainsi devenu très cher, ce qui a pour conséquences, d'une part, de détourner le consommateur et, d'autre part, de pousser à un productivisme excessif au détriment de la qualité. Il serait intéressant de connaître - et à ma connaissance personne n'a fait cette étude - le poids fiscal et parafiscal que supporte une tonne de viande bovine sur l'ensemble de sa filière en France et par rapport à nos concurrents européens. Quel jugement portez-vous sur ce point ? M. Marc LAFFINEUR Pourriez-vous, monsieur le président, préciser votre conception de la segmentation du marché de la viande ? M. Arnaud LEPERCQ Dans le contexte actuel d'une situation de l'offre et de la demande complètement déséquilibrée, vous avez essayé de nous faire comprendre qu'il fallait éliminer l'hypothèse du retrait de veaux laitiers. Mais comment faire autrement si on veut ajuster l'offre et la demande à très court terme ? Vous avez par ailleurs parlé de la grande chance que la crise actuelle pourrait offrir aux bouchers et je partage votre point de vue, car l'existence d'une relation humaine entre le client et le boucher est importante pour la crédibilité du produit qui est en vente. Mais vous avez eu l'air d'émettre quelques réserves quant à leurs compétences. Pourriez-vous aller plus loin dans la réflexion sur ce sujet ? Enfin, à l'heure où la communication va être primordiale, avez-vous des idées à soumettre à l'ensemble de la filière pour essayer de reconquérir les marchés injustement perdus ? M. Yves VAN HAECKE J'ai écouté vos propos avec beaucoup d'intérêt parce que vous défendez une conception qui n'est pas celle qui a influencé la politique économique en matière d'élevage pendant de très nombreuses années. C'est à croire que les tenants de l'économie actuelle - les maisons de négoce international, les opérateurs installés à Rungis, quelques grandes coopératives - ont complètement disparu. Les propos que vous avez tenus sont satisfaisants, mais je serais plus rassuré si l'on pouvait faire passer l'idée que l'approche territorialisée est la bonne et qu'elle ne condamne pas exagérément la partie de production de viande qui viendrait d'autres troupeaux que les troupeaux allaitants traditionnels voire d'autres races que les races allaitantes traditionnelles. S'agissant de la segmentation du marché de la viande, comment harmoniser la race et le territoire ? Et comment entendre la notion de race ? Enfin, c'est la première fois que j'entends un responsable dire quelle avait été la conséquence de l'introduction en 1992 de la prime au maïs ensilage à l'égal de celle versée pour les céréales. Je crois savoir que ce n'est pas la commission de Bruxelles qui l'avait proposée, mais qu'elle a été décidée à la demande du gouvernement français, sans doute pour faire passer une bonne partie du dispositif qui se voulait déjà un peu favorable aux zones d'élevage traditionnel. C'est peut-être un des éléments qui ont contribué à créer la situation actuelle. M. Louis DE NEUVILLE L'abattoir de proximité fait effectivement partie du dispositif nécessaire pour assurer la traçabilité totale. Vous avez évoqué la viande devenue feuille d'impôt, je dirais oui et non. Il est vrai que la viande supporte de lourdes charges, mais il faut se rappeler que c'est bien le produit qu'ils vendent qui permettent à Nestlé, à Kodak et aux autres d'avoir des laboratoires de recherche. Il faut donc à un moment donné qu'il y ait un retour du produit pour le financement de la recherche et du développement. Jusqu'à présent, la France a choisi que le financement de la recherche soit à la charge de l'Etat. Pourquoi pas ? C'est une option. Mais à partir du moment où l'on réduit tous les crédits budgétaires, il faut bien que cette recherche soit financée et donc il faut qu'il y ait un retour sur le produit, comme c'est le cas par l'intermédiaire du fonds national de l'élevage. Je suis un peu surpris que tous les conseils régionaux et généraux ne parlent aujourd'hui que d'aides et qu'aucun n'ait songé à créer, par exemple, des sociétés d'économie mixte avec certains éleveurs pour introduire des aspects positifs de développement et de retransformation, en liaison avec la territorialisation. Il ne faut pas toujours penser en termes de primes ! Mais je reconnais que nous-mêmes, les éleveurs, nous n'avons pas posé cette question aux présidents des conseils généraux ou régionaux. Par conséquent, je ne blâme pas, je suis simplement étonné que dans cette crise formidable, cette approche n'ait même pas été évoquée. Monsieur Lepercq, il est vrai que les veaux laitiers sont indispensables puisqu'une vache n'a pas de lait si elle ne conçoit pas. Il faut donc bien en faire quelque chose. Je suis convaincu que la mise en place d'une contractualisation générale d'une chaîne de production allant jusqu'à la découpe et fabriquant des produits viande française » nous permettrait de commercialiser cette viande laitière à bas prix dans d'autres pays du monde. Je me tiens à la disposition de ceux qui le souhaiteraient pour approfondir ce sujet. Il existe donc une alternative à l'utilisation des veaux laitiers et je souhaiterais qu'elle soit chiffrée. Il faudrait que le Gouvernement, qui s'il prend la décision de tuer tous les veaux laitiers devra verser des sommes importantes pour l'indemnisation, se pose la question de savoir s'il ne serait pas possible de contractualiser toute la chaîne afin d'obtenir un produit et une valeur ajoutée. Les bouchers ont aujourd'hui besoin de pep talk », comme diraient les Américains. Ils ont une grande vocation, à l'heure où l'on parle d'identification. Quand je parle des bouchers, j'inclus ceux qui exercent dans les grandes surfaces, à condition que ce ne soit pas le directeur financier de ces supermarchés qui commande, mais que cela fasse aussi partie d'une contractualisation. Je ne crois qu'à la contractualisation. Le retour de la qualité dans le quantitatif moderne ne peut se faire qu'à travers des cahiers des charges, avec des gens qui connaissent les règles de la production de viande qui ne sont pas les mêmes pour les veaux laitiers et pour les veaux de races spécialisées. Tout cela est lié à la formation. On pourrait donner aux jeunes une vocation dans les lycées agricoles, ou ailleurs, avec la boucherie française - à condition qu'elle s'anime, elle aussi. La communication d'un bon boucher ne sera jamais remplacée par un étalage muet, aussi brillant et attractif soit-il. La viande conviviale, elle, ressort d'un dialogue. En matière de communication, l'exigence est, dans la situation que nous connaissons aujourd'hui, la requalification. L'Oréal ou Shell, que j'ai évoquées tout-à-l'heure, ont su se requalifier, mais il s'agissait de sociétés, alors que nous sommes, nous, dans le domaine coopératif ou collectif, ce qui suppose une approche relativement différente. Il est vrai qu'il faut définir la notion de race, mais elle est déjà très définie. Tout résulte de la notion d'identification. En réalité, il n'y a pas un consommateur, il y a des consommateurs. Je me permets de dire, quitte à aller encore une fois à contre-courant, que pour 70 % de la clientèle, il y a beaucoup trop de labels et de marques certifiées. Ces 70 % veulent qu'on choisisse pour eux et veulent simplement être rassurés sur un contrôle ou sur une marque unique, mais il y a 30 % des gens qui ont les besoins des premiers plus la volonté de choix. Par conséquent, nous devons affiner notre approche sur ce plan. L'histoire de la prime au maïs ensilage est simple la France détenant 38 % du cheptel spécialisé en Europe, sur le plan de la quantité, il est infiniment plus facile et plus économique de produire de la viande, à partir de races spécialisées ou non, avec du maïs ensilage. On avait dit qu'un jour on utiliserait des céréales parce que le prix des céréales allait baisser. Or, le prix des céréales n'a pas baissé et ne baissera jamais. La tendance mondiale va dans cette direction. Nous devons donc revoir une certaine politique. Mais à Bruxelles, on ne veut jamais revoir ! En outre, songez que si nous sommes obligés de garder nos broutards parce que nous n'avons pas de clients, notre fameux seuil de 1,4 à l'hectare va exploser et nous n'allons plus avoir de prime ! C'est stupide ! Messieurs les parlementaires, je vous adjure d'enfoncer le clou et de n'accepter de dialoguer à Bruxelles ou ailleurs qu'avec ceux qui ont l'esprit ouvert et qui ne se retranchent pas dans les tranchées de Verdun ! Je conclurai par la question de la segmentation du marché, que je vais illustrer par un exemple concret. En 1975, alors que nous gérions le rayon boucherie de cinq des supérettes d'un commerçant qui à l'époque en dirigeait onze, nous avons installé sur un même linéaire, sans aucune identification, deux types de viande. Pendant six mois, nous avons maintenu tous les produits à un prix identique. Au bout de six mois, nous avons augmenté de 4 % les produits situés d'un côté du rayon. La plupart des clientes ont acheté les moins chers, quelques-unes ont choisi le plus cher, en râlant, mais elles ont acheté. La demande a été chaotique pendant onze mois. Au bout de onze mois, la demande est devenue linéaire, en s'amplifiant peu à peu. Nous avions ainsi identifié une catégorie de clientes qui achetaient des produits dont le prix variait constamment de plus 18 % à moins 12 % . C'est de là que résulte le taux de 30 % dont je parlais tout à l'heure. La segmentation du marché signifie qu'il y a différents types de consommateurs. II faut donc s'adresser d'une façon différente aux différentes catégories de consommateurs. Mme le Président Je vous remercie. Audition de M. Bernard TERRAND, président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail FNGDSB extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 17 juillet 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Bernard TERRAND La fédération nationale des groupements de défense du bétail a été créée dans les années 50 pour aider l'administration à définir les prophylaxies, notamment celles de la brucellose et de la tuberculose. Les groupements, qui existent dans chaque commune, sont fédérés au niveau départemental, en passant par le canton. Chaque groupement compte 98 à 99 % des éleveurs, adhérents volontaires, ceux qui ne sont pas adhérents étant plutôt des marginaux notamment dans l'élevage ovin. La plupart des groupements de défense sanitaire gèrent directement ou indirectement l'identification du bétail dont nous reparlerons tout à l'heure. Les groupements de défense sanitaire ont un caractère interprofessionnel, puisque notre conseil compte aussi bien des éleveurs que des vétérinaires, des représentants d'autres organisations agricoles et l'administration par le biais du directeur des services vétérinaires de chaque département, membre de droit. La fédération s'intéresse aux maladies reconnues contagieuses, ainsi qu'aux maladies d'élevage. Nous avons mis en place un fonds spécial d'indemnisation contre la fièvre aphteuse car si cette maladie se déclarait à nouveau, rien n'est prévu pour les éleveurs qui subissent les conséquences indirectes d'un blocage autour d'un foyer - alors que ceux dont le cheptel est abattu sont indemnisés -. Le montant de la caisse de péréquation que nous avons mise en place s'élève à environ 100 millions de francs. Une telle somme peut paraître excessive quand il n'y a pas de danger, mais l'utilité de cette action se justifie aujourd'hui, où l'on voit apparaître des cas de fièvre aphteuse aux frontières de la CEE voire en son sein, comme c'est le cas en Grèce depuis quelques jours. Par ailleurs, en liaison avec l'administration et les vétérinaires, nous avons mis en place une association pour la certification des élevages qui débouche sur une épidémiosurveillance, ce qui nous fait dire que nous n'avons pas abandonné les missions premières des groupements de défense sanitaire que sont l'hygiène et l'environnement. En ce qui concerne l'ESB, nous n'avons pas la prétention d'en faire une analyse complète. Notre idée première est de ne pas nous occuper de cette affaire » sur le plan scientifique, c'est-à-dire que nous faisons entièrement confiance à la commission scientifique que préside le docteur Dormont, qui a d'ailleurs exposé ses conclusions lors de notre assemblée générale. Cela étant, la FNGDSB a émis un certain nombre d'alertes. En 1989, lors d'un déplacement en Angleterre, l'attaché d'ambassade chargé des problèmes agricoles nous a indiqué qu'il se passait des choses graves au Royaume-Uni. Dès notre retour, nous avons adressé un courrier au ministre de l'agriculture attirant son attention sur le caractère sérieux de l'affaire. Ensuite, à partir de données scientifiques recueillies par un vétérinaire de la fédération nationale, nous avons publié une note datée d'avril 1990 que vous trouverez dans le dossier qui vous a été remis. Depuis cette date, peu d'éléments certains se sont dégagés par rapport aux craintes qui s'étaient manifestées à l'époque, qu'il s'agisse de la transmission de la maladie entre bovins, de la transmission entre espèces ou de la transmission éventuelle à l'homme. Le monde scientifique semble bien n'avoir avancé qu'à petits pas dans ce domaine, sauf pour émettre des hypothèses du type il n'est pas impossible que... ». Le premier cas est apparu en France en 1991. Les autorités de l'époque ont envoyé les premiers animaux atteints par la maladie au CNEVA à Lyon, afin qu'ils soient examinés. Les autres ont été abattus et incinérés. L'administration a pris ces décisions en parfaite harmonie avec la profession malgré l'absence totale de fondements scientifiques. Il a fallu convaincre certains membres de l'administration qui considéraient que ces décisions paraissaient superflues en l'absence de tout fondement scientifique. Aujourd'hui, nous pouvons nous en féliciter. Je mettrai en parallèle le fait qu'au Royaume-Uni, non seulement les troupeaux ne sont pas éliminés en totalité, mais même les animaux atteints ne sont pas tous éliminés. La France a sans doute pris des positions par excès puisque rien ne les justifiait sur le plan scientifique, sinon le fait de ne rien savoir. Moralité nous sommes dans la même situation que ceux qui n'ont rien fait, et cela nous ennuie beaucoup. Il est anormal que nous soyons pénalisés de la sorte. Aux Etats-Unis, il nous semble qu'il y a une absence totale de déontologie des fabriquants de faines de viande qui ont abaissé le degré et la durée de cuisson des produits pour des raisons très diverses. Certains prétendent que c'est sous la pression d'écologistes qui ont demandé le retrait de certains solvants. Je pense que la raison première était l'abaissement des coûts de fabrication. C'est aussi une composante de l'attitude des Anglais. Par ailleurs, les fabricants d'aliments n'ont pas contrôlé ni analysé les produits de base qu'ils utilisaient. Or, normalement, quand on intègre un produit dans un produit fini, il faut au moins en contrôler l'origine et savoir exactement ce qui le compose. La politique ultra-libérale des gouvernements successifs du Royaume-Uni depuis 1986 est une évidence, et signifie que rien n'a été contrôlé. Enfin, je suis atterré de constater la passivité dont nos collègues agriculteurs anglais ont fait preuve dans cette affaire. Je voudrais maintenant vous soumettre quelques propositions. En premier lieu, j'insiste sur la nécessité d'appliquer strictement les réglementations communautaires quand elles existent. Je vous donne deux exemples du fait qu'elles sont actuellement appliquées de manière très inégale. En France, la brucellose bovine est quasiment maîtrisée, à part quelques poches dont nous allons nous occuper sérieusement avec l'administration pour en finir. Mais nous avons constaté à la frontière avec l'Espagne que la directive était interprétée très différemment dans ce pays. En Irlande, on assiste à un maintien voire à une recrudescence de la tuberculose bovine qui devient très coûteuse pour tout le monde. Un tel résultat est anormal après 25 ans de lutte contre cette maladie. En fait, les pays peuvent faire presque ce qu'ils veulent. Et je suis à la fois surpris et fâché de constater - comme je l'ai fait hier encore à l'occasion de rencontres que j'ai eues à Bruxelles - que les directives ne soient pas appliquées avec plus de sérieux. Quand les directives n'existent pas, il faudrait envisager la communautarisation » des mesures. Je veux dire par là qu'avant de prendre des positions nationales, et après avis des scientifiques et des personnes compétentes, il faudrait essayer d'arrêter des décisions uniformes, tant en ce qui concerne la surveillance du cheptel que les mesures de précaution ou de lutte contre les maladies. Pour remédier à l'application très inégale des directives existantes, il faut accroître la surveillance sanitaire avec des moyens renforcés. Savez-vous que pour surveiller les pays de l'Union et éventuellement envoyer des gens en mission dans les pays exportateurs ou importateurs, la Commission n'emploie que 41 vétérinaires inspecteurs ? A l'évidence, ces moyens sont totalement insuffisants. Je pose la question aux parlementaires français que ferons-nous quand, suite aux accords du GATT, nous recevrons de la viande hormonée ? Il faut par ailleurs procéder à une identification totale du cheptel de la CEE avec un fichier central interne à chaque Etat, et mettre en place le réseau animaux » qui a été accepté par tous les pays. A l'heure actuelle, l'identification des animaux est assez bizarre. Les pays qui respectent les critères de la directive européenne sont la Belgique, une partie de l'Allemagne - environ la moitié des länder - le Danemark, la Finlande, la France, les Pays-Bas et la Suède. Viennent ensuite l'Autriche, l'Espagne, l'Irlande et le Portugal où les directives sont en cours de mise en application. Enfin la Grande-Bretagne, la Grèce et l'Italie sont très en retard. Comment peut-on maîtriser une maladie quelle qu'elle soit sans disposer d'une identification parfaite ? C'est impossible ! L'identification française n'est peut-être pas parfaite mais elle nous permet de contrôler tous les animaux et tous leurs mouvements. Un contrôle très strict doit en outre être effectué aux frontières de l'Union européenne. Je n'aurai aucun mal à en justifier l'utilité dans la mesure où des cas de fièvre aphteuse sont apparus depuis quelques jours en Grèce. Enfin, il faut absolument établir l'identification complète de la chaîne viande, afin de connaître la provenance de l'animal. Si certains sont hostiles à cette mesure - les Belges ont perdu, heureusement, le recours qu'ils avaient intenté concernant ce type d'identification -, il y a peut-être des raisons, en tout cas elle ne gêne pas les producteurs de viande bovine française. Seule une parfaite identification nous permettra de sortir du ghetto où nous nous trouvons. Cette position rejoint d'ailleurs la demande des consommateurs. Les représentants d'associations de consommateurs que j'ai rencontrés dernièrement s'interrogent. Le consommateur sait d'où viennent les légumes, les fruits ou les boîtes de conserve, alors qu'il ne sait rien au sujet de la viande qu'il achète. C'est un souhait parfaitement légitime. Il faut que chacun fasse des efforts dans ce domaine pour y parvenir réellement. Un effort de rigueur doit être fait également pour rechercher les trafiquants » de farines de viande car, malheureusement, ils existent. Ce problème n'a pas été abordé jusqu'à présent, mais il va falloir que chacun prenne ses responsabilités et qu'on ne se reporte pas toujours au dernier maillon de la chaîne pour trouver quelqu'un qui ne fait pas son travail correctement. Cela suppose une augmentation des moyens de contrôle des services vétérinaires, car il est impossible de tout contrôler avec peu de moyens. Une volonté politique doit s'affirmer afin d'éradiquer toutes les maladies contagieuses, en particulier brucellose et tuberculose. Il faut en terminer également avec les fraudeurs. Je souhaite que tous les individus qui sont harponnés » parce qu'ils ont fait une faute ne reçoivent aucun soutien pour les aider à passer à travers les mailles du filet. Malheureusement, des exemples existent. Des gens épinglés » pour des trafics plus ou moins douteux dans le domaine des anabolisants voire des hormones ont bénéficié de certains coups de main qu'ils n'auraient pas dû recevoir. Je demande une très grande vigilance à l'égard de ces trafiquants, aujourd'hui nous n'avons plus le droit de laisser faire n'importe quoi à n'importe qui. J'ajoute qu'il serait souhaitable d'augmenter les crédits du chapitre 44-70 relatifs à la santé animale, malgré les exigences de la rigueur budgétaire. Dans la crise actuelle, la FNDGSB n'a pas voulu s'associer au vacarme médiatique dans la mesure où elle a un travail de technicien de fond. Par ailleurs, compte tenu du nombre de cas relevés en France - vingt-deux cas dans vingt-et-un élevage - je me permets de préciser que l'ESB n'a rien à voir avec une épidémie. Et compte tenu du caractère opérationnel de notre réseau de surveillance, on peut quasiment affirmer que tous les cas sont détectés. Enfin, la profession s'étonne que, sur l'ESB, les enchères soient montées aussi haut, tant au plan journalistique qu'au plan politique. Il n'y a quand même aucune commune mesure de danger entre l'ESB, l'amiante, le sang contaminé et le sida. Mme le Président Existe-t-il dans les autres pays de la Communauté européenne des groupements de défense sanitaire ? Il y a encore quelques cas de brucellose en France. Les bêtes sont abattues quand la maladie atteint un certain pourcentage d'animaux. Des contrôles semblables sont-ils effectués pour la brucellose dans les autres pays de la Communauté européenne ? Dans la mesure où quelques cas de fièvre aphteuse ont été signalés en Grèce, devons-nous envisager de vacciner à nouveau les troupeaux français ? M. Bernard TERRAND L'équivalent des groupements de défense sanitaire n'existe pas dans les autres pays de la CEE, sauf peut-être en Italie où cette action est liée au syndicalisme à vocation générale et en Belgique. Le Portugal commence à mettre quelques éléments en place. Tous les animaux français atteints de brucellose sont abattus. Dans ce domaine, les directives européennes ne sont pas interprétées ni appliquées de la même façon dans tous les Etats de la CEE, notamment en Espagne. D'une manière générale, sur le plan des conditions sanitaires, le Danemark occupe la première place. La France arrive ensuite. A l'heure actuelle, je ne pense pas qu'il soit utile d'envisager la vaccination contre la fièvre aphteuse. Si l'épizootie devait se développer, la vaccination deviendrait nécessaire. L'Italie a dû lutter contre cette maladie il y a deux ans. En Italie du Nord, l'épizootie a été enrayée dès le deuxième foyer ; en Italie du Sud, où les pratiques ne sont pas les mêmes, elle a duré beaucoup plus longtemps. Par conséquent, si les modalités mises en place par la CEE pour lutter contre cette maladie sont appliquées rapidement, il n'y a pas de danger d'extension. Je rappelle en outre que cette vaccination nous avait posé de sérieux problèmes de commercialisation, avec l'institution américaine des zones propres » et des zones sales ». Encore aujourd'hui, nous ne pouvons pas exporter dans certains pays car il y encore, paraît-il, des séquelles de vaccination. M. le Rapporteur Monsieur le président, je voudrais essayer de comprendre la cohérence de vos affirmations. Dans un premier temps, vous avez pris la précaution de dire qu'il n'était pas de la compétence de votre fédération de s'occuper de l'aspect scientifique. Dans un deuxième temps, vous ignorez l'aspect scientifique puisque vous dites que les mesures ont sans doute été prises par excès, vous précisez qu'il ne s'agit pas d'une épidémie, vous considérez que ces problèmes sont très limités et ne justifient pas toutes les mesures et vous déplorez que l'excès de mesures pénalise ceux qui ont fait le mieux leur travail comme s'ils n'avaient rien fait. Vous déplorez également les fraudes et le manque d'attention dans certains domaines. Pouvez-vous tenir tout votre discours en ayant d'emblée écarté les arguments scientifiques, y compris dans leurs incertitudes ? C'est en quelque sorte ce que vous avez fait. M Bernard TERRAND Non, je ne les ai pas écartés, monsieur le Rapporteur. M. le Rapporteur Pensez-vous que les mesures qui ont été prises sont excessives ? Avez-vous la preuve qu'il y a eu réellement des fraudes et que des farines animales pouvant être contaminantes ont été importées, stockées et distribuées bien après que les mesures d'interdiction aient été prises ? M. Bernard TERRAND Je n'ai pas écarté l'aspect scientifique, mais j'ai la conviction d'un scientifique, c'est-à-dire que je ne sais pas trop. Les scientifiques étant dans l'incertitude, il faut prendre toutes les précautions. J'approuve totalement les précautions qui ont été prises car il faut garantir la santé humaine. Les producteurs n'ont aucun intérêt à faire le contraire. Je n'écarte rien, je dis que je fais confiance aux gens dont c'est le métier et je les suis. Cela étant, je confirme que les mesures ont été sans doute prises par excès, au regard des connaissances scientifiques, mais étant donné les incertitudes il fallait les prendre et je les approuve. Je dis simplement que ceux qui les ont prises et ceux qui ne les ont pas prises sont victimes d'une punition collective. Je n'ai pas d'exemple précis sur les fraudes mais personne ne peut dire aujourd'hui que les mesures d'interdiction portant sur les farines animales venant d'Angleterre ont été appliquées à la lettre. M. Arnaud LEPERCQ Il est vrai que dans aucun autre pays que dans le nôtre on a autant fait et depuis aussi longtemps, d'une part, pour éradiquer les maladies contagieuses, d'autre part, pour identifier les animaux. Cela n'a pas été simple partout. Il y a trente ou quarante ans, un certain nombre d'éleveurs ont eu du mal à entrer dans les groupements de défense sanitaire et à en accepter les dures règles. Mais depuis plusieurs dizaines d'années elles le sont et avec une très grande efficacité. Je rends hommage au travail qui a été fait par les dirigeants de l'époque et d'aujourd'hui. Vous avez évoqué les problèmes liés à l'application des décisions de la CEE. Vous avez raison. J'ai participé il y a quelques années à la commission d'enquête sur les distorsions de concurrence sur la viande bovine et ovine. Nous avions déjà regretté vivement qu'aucun moyen de contrôle suffisant n'existe au niveau communautaire. L'augmentation du nombre de vétérinaires inspecteurs, qui est passé de 25 à 41, n'est pas suffisante par rapport aux enjeux, d'autant que la plupart des pays ne disposent pas d'un quadrillage aussi efficace que celui qui existe en France grâce aux groupements sanitaires du bétail. Des pays tels que l'Espagne ou l'Italie n'appliquent pas les règlements avec suffisamment de rigueur pour qu'on puisse leur faire confiance. La CEE n'a pas les moyens d'avoir des brigades de contrôle, bien qu'elle trouve des gens quand il s'agit de contrôler les surfaces PAC. La France a depuis longtemps mis en place le tatouage, puis le bouclage. De nouvelles techniques de marquage sont apparues, notamment la possibilité d'implanter chez l'animal une puce électronique permettant de reconnaître l'élevage, le lieu de naissance et sa filiation. Pensez-vous qu'il soit possible de généraliser cette technique ? Son coût serait-il supportable par la filière ? M. Bernard TERRAND Sur le plan technique, la puce n'est pas complètement au point. Implantée à un point précis sous la peau d'un animal, elle peut être retrouvée à un autre endroit. Beaucoup de progrès restent encore à faire dans ce domaine. Quant au coût, il est très élevé car il faut installer des lecteurs partout. Il est certain que ce serait la technique de haut de gamme, mais pour l'instant ce n'est pas possible sur le plan technique ni - et surtout - sur le plan financier. M. Rémy AUCHÉDÉ Vous semblez regretter les mesures qui ont été prises par la France et vous prônez la communautarisation ». Ne pensez-vous pas que s'il avait fallu les prendre au niveau communautaire, cela aurait été plus difficile et surtout beaucoup moins rapide, d'autant que la Grande-Bretagne compte parmi nos partenaires ? La CEE n'a-t-elle pas failli quant au trafic des farines de viande ? Estimez-vous qu'il soit toujours préférable d'attendre que les mesures soient prises par la CEE ? M. Bernard TERRAND En ce qui concerne les mesures qui devraient être prises, il n'est pas bon de partir trop tôt ou trop tard. On a pris en France le parti de dire que dans la mesure où on ne pouvait pas exclure que l'ESB soit une encéphalopathie spongiforme ovine, il fallait s'intéresser à la tremblante ovine qui existe depuis 1735. Si nous sommes les seuls à mener de telles recherches sur les causes de la maladie, nous risquons d'être pénalisés dans la mesure où cela peut faire croire que nous sommes les seuls à être atteints. Je ne critique pas les décisions qui ont été prises car elles peuvent éventuellement faire démarrer la machine dans le bon sens. Ainsi, on ne peut qu'approuver l'arrêt de l'importation de la viande bovine anglaise. Mais il faudrait essayer d'uniformiser les prises de décision quand elles peuvent attendre un certain temps. En ce qui concerne les farines, elles doivent être contrôlées par la CEE, mais aussi et avant tout par les pays. Le problème, en ce qui concerne les décisions prises notamment par le gouvernement français, d'interdire l'entrée des farines de viande en provenance du Royaume-Uni, c'est qu'il aurait fallu les faire appliquer, mais vraiment. Pour cela, il faudrait un nombre suffisant de personnes chargées de quadriller le territoire français afin que rien ne passe à travers les mailles du filet. Cela dit, nous n'avons sûrement pas à rougir de ce que nous avons fait en France, quand on compare nos 22 cas aux 160 000 anglais. M. Francis GALIZI Comment sont détectés les cas de brucellose ou de tuberculose ? Que deviennent les animaux atteints ? M. Bernard TERRAND Tous les ans, un vétérinaire sanitaire, qui est un vétérinaire libéral mandaté par l'administration, visite tous les élevages pour effectuer tous les prélèvements nécessaires à la détection des maladies reconnues contagieuses. Cela n'existe dans aucun autre pays, sauf en Autriche. Si un animal apparaît positif, il est abattu immédiatement. Lorsque plusieurs animaux sont atteints - 7 à 10 % du troupeau environ - tout le cheptel est abattu. La plus grande part de l'indemnisation est versée par l'Etat - le montant est plus important lorsque l'abattage est total -, une partie provient des collectivités locales - notamment les départements - et une autre de la profession, par le biais des groupements de défense sanitaire. M. Francis GALIZI Que deviennent les carcasses ? M. Bernard TERRAND Les animaux sont abattus dans des abattoirs agréés. Tous les abats sont détruits et la viande est utilisée essentiellement pour la fabrication de l'alimentation des animaux tels que les chats ou les chiens. M. Francis GALIZI Vous paraît-il anormal, dans ces conditions, que les Anglais aient utilisé les carcasses des moutons atteints de tremblante dans la fabrication des farines animales ? M. Bernard TERRAND Cela ne m'aurait pas choqué s'ils avaient agi dans les règles de l'art. Or, pour des raisons diverses, les fabricants de farines ont diminué le degré et la durée de la cuisson. Les problèmes sont apparus le jour où les règles habituelles n'ont plus été appliquées. M. Pierre HELLIER En sommes-nous sûrs ? M. Bernard TERRAND Il faut le demander à M. Dormont. J'ajoute que si certains en sont venus à incorporer de la farine de viande dans l'alimentation des ruminants, il y a une cause profonde. De plus en plus, certains commerçants ou certains fabricants cherchent à nourrir les gens à moindre coût. En tant qu'éleveur, si on me dit aujourd'hui de continuer à vendre le kilo de viande au prix où je le vends, je ne saurais plus le faire. Ce qui s'est passé, c'est tout simplement que certains éleveurs ont cherché des modes d'alimentation du bétail qui coûtaient moins cher que l'élevage traditionnel. Mais l'élevage français n'a aucun intérêt à traficoter » l'alimentation des bovins. Je connais des régions où je peux vous dire avec certitude aujourd'hui qu'il n'y aura pas de cas d'ESB parce que l'élevage traditionnel y a encore pignon sur rue. M. Michel VUIBERT Monsieur le Président, vous réclamez à juste titre la rigueur pour l'identification et le contrôle sanitaire. Pourtant, le comportement de rigueur que nous avons adopté a peut-être porté préjudice à nos éleveurs dans la crise que nous vivons actuellement. Cette exigence ne devrait-elle pas plutôt être désormais dirigée vers nos partenaires ? Je ne souhaiterais pas qu'il subsiste une ambiguïté sur le fait que les quelques éleveurs français, du dimanche, comme vous l'avez dit tout à l'heure, qui ne seraient pas en règle pourraient peser sur la qualité sanitaire de notre bétail. M. Bernard TERRAND Je n'ai parlé des éleveurs du dimanche qu'à propos du tout petit nombre d'éleveurs qui ne sont pas adhérents des groupements de défense sanitaire, mais non à propos de la rigueur. La rigueur s'impose à tout le monde et je félicite l'administration et les services vétérinaires en particulier qui ont brillamment fait leur travail. Je suis d'accord avec vous, de ce point de vue, la France n'a pas de leçon à recevoir, elle en a plutôt à donner, cela dit sans vouloir non plus culpabiliser personne. M. Jean-Marie MORISSET Vous considérez que les éleveurs sont punis pour un mal qu'ils n'ont pas commis et que nos entreprises sont pénalisées par des mesures parfois excessives. Le rôle de notre mission est d'écouter tous les intervenants afin que leurs réflexions nous permettent d'interroger ensuite les instances de décision qui ont pris ces mesures. Vous nous rappeliez que votre fédération avait été alertée en 1989, qu'elle avait écrit un courrier en 1990. Avez-vous reçu des réponses ? Ce dossier a-t-il été évoqué lors des assemblées générales annuelles de la fédération compte tenu du développement de cette affaire au Royaume-Uni ? M. Bernard TERRAND Nous n'avons pas reçu de réponse écrite à la lettre que nous avions envoyée, mais nous avons été reçu par le ministre de l'époque, M. Henri Nallet, qui nous a dit se pencher sur la question. Tant qu'aucun cas de ESB n'était signalé en France, ce sujet n'était pas à l'ordre du jour de nos assemblées générales. Il l'a été à partir de 1991, lorsqu'un cas est apparu en France. Je voudrais à mon tour poser une question. Compte tenu du système d'identification anglais au Royaume-Uni, j'aimerais savoir comment les Anglais pourront repérer les animaux de plus de trente mois pour les abattre, alors qu'il n'y a ni déclaration, ni identification, ni liaison entre les fichiers. Par ailleurs, comment pourrons-nous empêcher les Anglais d'acheter aux Etats-Unis des animaux de repeuplement qui leur seront payés en écus ? Ne pourrait-on pas les obliger à racheter des animaux en Europe ? Ne serait-ce pas un juste retour des choses ? Mme le Président Nous prenons acte de vos préoccupations et poserons le cas échéant ces questions aux interlocuteurs compétents. M. Bernard TERRAND Pour conclure, je voudrais dire, sans être corporatiste ni xénophobe, que la grandeur d'âme française à l'égard du Royaume-Uni - à moins qu'elle soit intéressée et dans ce cas nous attendons les compensations... - irrite les agriculteurs. Mme le Président Je vous remercie. Audition de Mme Marie-José NICOLI, président de l'Union fédérale des consommateurs UFC extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 17 juillet 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président Mme Marie-José NICOLI J'aborderai le dossier de la vache folle en distingant trois périodes avant 1990, 1990, de 1990 à 1996. Avant 1990, un certain nombre de signes avant-coureurs, que l'on peut aujourd'hui comparer à l'affaire de la vache folle - je pense notamment au veau aux hormones -, ont traduit le malaise du monde agricole avec l'apparition des élevages intensifs, les trafics en tout genre, l'émergence de la notion de rentabilité. Je rappelle aussi que c'est en 1981 qu'est intervenue en Grande-Bretagne la modification des procédés de fabrication des farines animales, qui nous a conduits à la situation actuelle. En 1988, le Bureau européen des unions de consommateurs avait déjà alerté la Commission. Nous étions très inquiets des suites de l'affaire de l'ESB en Angleterre. A l'époque, à la suite de l'affaire des veaux aux hormones, nous avions demandé une identification et une traçabilité de la filière bovine. Evidemment, on ne nous a pas donné satisfaction. A la fin de l'année 1989, l'Allemagne décide d'interdire l'importation de la viande bovine de Grande-Bretagne. La France fait la même chose six mois après, les Italiens le 2 juin. Ces trois pays ont eu le courage, contre l'avis de la Commission, d'interdire l'importation de viande bovine. Le 6 juin 1990, la Commission convoque un conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture. Après deux jours de débats houleux et musclés, les trois pays en question ont levé l'interdiction d'importation contre des promesses faites par le Royaume-Uni sur un certain nombre de mesures destinées à assurer que cette affaire en reste là. Nous savons aujourd'hui que les Anglais n'ont rien fait. Or, si les mesures demandées avaient été effectivement prises, peut-être ne serions-nous pas confrontés aujourd'hui à une crise aussi aiguë. Les articles parus dans la presse à ce sujet durant l'année 1990 sont très comparables à ceux qu'on a pu lire en mars 1996. Ainsi, sous le titre Une affection bovine prend en Grande-Bretagne une allure de catastrophe. Cette maladie est-elle transmissible à l'homme ? » un article paru dans Le Monde du 30 mai 1990 pose exactement les mêmes interrogations qu'en mars 1996. De même, un dossier de la revue Science et Vie publiée en juillet 1990 annonce l'apparition de gros problèmes de santé humaine, en expliquant que les Anglais nous ont fourgué » leurs farines contaminées, que la France a interdit l'importation de farines britanniques pour l'alimentation du bétail au mois d'août 1989, mais que de janvier à juillet 1989 les Anglais et les Irlandais nous ont vendu 21 313 tonnes d'aliments infectés qui ne manqueront pas de contaminer nos bovins et peut-être même nos porcs. Je tiens à votre disposition ce dossier de la presse de 1990, qui fait clairement apparaître que les interrogations, les réserves et les hypothèses émises sont les mêmes qu'aujourd'hui. En 1990, alors que les Anglais retiraient la viande bovine des cantines scolaires, la France levait l'interdiction d'importation de viande bovine. Pendant plusieurs années, nous avons ainsi été la poubelle » des Anglais pour un certain nombre de produits d'origine bovine. De 1990 à 1996, quelques décisions ont été prises mollement, mais la Commission n'a rien fait. En octobre 1990, dans une note un peu musclée, le service politique des consommateurs indique qu'il faut prendre une décision car il y a des risques de transmissibilité. Il ne faudrait pas croire que ce document qui fait aujourd'hui quelques vagues est un document isolé, il en existe d'autres du même type. Ainsi, en février 1990, le même service indique clairement qu'il existe de gros risques de transmissibilité à l'homme et qu'il faut faire attention. Sans doute parce que son premier souci était la mise en place du marché unique, la Commission a alors manifestement jugé préférable d'éviter un débat sur cette affaire. En 1996, nous constatons les conséquences de la situation onze personnes sont mortes au Royaume-Uni et cinq sont en observation, une personne est morte en France et deux sont en observation. Les scientifiques pensent de plus en plus qu'il y a de fortes probabilités pour qu'existe un lien étroit entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La politique d'attente de ces dernières années nous a conduits à une situation qui va malheureusement connaître des prolongements dans les mois à venir. Aujourd'hui, les consommateurs savent concrètement que leur santé n'est pas prise en compte par les décideurs et qu'en plus ils prennent des risques lorsqu'ils mangent certains aliments. Le plaisir de manger de la viande devient ainsi un risque mortel ». Le monde agricole est en état de choc, la filière bovine est sinistrée, et se pose pour les consommateurs un problème de confiance sur la qualité de notre alimentation. Depuis le mois de mars dernier, nous avons rencontré tous les intervenants de la filière bovine. Nous leur avons expliqué que nous voulions une meilleure information grâce à un étiquetage des morceaux de viande à l'étal du boucher ou dans les rayons des grandes surfaces et une transparence de la filière, en les menaçant d'un boycott sur la viande bovine si nous n'avions pas satisfaction sur ce point avant la levée de l'embargo. Nous en serions désolés parce qu'une telle mesure accentuerait la diminution de la consommation de viande. Que faire pour rétablir la confiance du consommateur et remettre à l'ordre du jour la qualité des produits agricoles ? L'affaire de la vache folle est une chose, mais malheureusement si des décisions ne sont pas prises très rapidement, on risque de se retrouver dans la même situation dans quelques mois pour le porc, pour la volaille, voire pour les poissons. Nous pensons en effet sérieusement que les farines animales devraient être complètement éliminées de l'alimentation des animaux que nous mangeons. Malgré la décision qui a été prise il y a quelques jours, il ne faut pas oublier qu'il existe des stocks qui vont être écoulés. Quand on sait que ces farines animales étaient fabriquées à partir non seulement de cadavres d'animaux jusqu'à ce jour contrôlés dans les abattoirs, mais également de cadavres d'animaux domestiques pas toujours morts de vieillesse mais aussi de maladie, et qu'elles étaient données en complément d'alimentation à des animaux élevés en batterie que l'on retrouvait ensuite dans nos estomacs, je comprends que l'on ait à l'heure actuelle quelques problèmes de santé. Nous demandons donc que ces farines soient supprimées de l'alimentation animale, d'autant qu'à partir du mois de décembre 1996, les industriels de ce secteur devront appliquer les nouvelles normes européennes. Or eux-mêmes disent, je les ai rencontrés, qu'il leur est techniquement impossible de mettre leurs usines en conformité avec ces normes. En outre, les normes qui sont préconisées sont des normes allemandes qui n'ont pas été testées. Il serait préférable de se passer de ces farines plutôt que de continuer à tergiverser et à perdre du temps. Ces farines pourraient alors être considérées comme de vrais déchets et être utilisées non pas dans la chaîne alimentaire mais plutôt dans la fabrication de certains matériaux. Le deuxième point important sur ce dossier concerne l'évolution des contrôles sanitaires. Evidemment, l'affaire de la vache folle est le dernier bienfait de la déréglementation et de l'autocontrôle pratiqués en Angleterre, et cela se propage en Europe. Cela peut très bien se faire, les professionnels sont suffisamment responsables pour s'autocontrôler, mais en aucune façon il ne faut perdre de vue que les vrais contrôles doivent toujours être effectués par l'Etat quand la santé et la sécurité des consommateurs sont en jeu. A l'heure actuelle, un grand débat est ouvert sur la question de savoir s'il ne faudrait pas réunir les diverses administrations qui s'occupent de santé publique et de santé animale. Nous pensons qu'un tel regroupement serait une bonne chose, à condition que la nouvelle structure soit indépendante de l'industrie agro-alimentaire, c'est-à-dire qu'elle soit placée sous la tutelle d'un ministère fort et non pas celle du ministère de l'agriculture. Vous devriez examiner prochainement la loi d'orientation agricole. Or se déroulent actuellement de grandes manoeuvres pour que tous les contrôles sanitaires effectués en matière d'alimentation reviennent au ministère de l'agriculture. Nous n'y sommes pas du tout favorables. Nous préférerions que ce soit un ministère de la consommation et de l'alimentation qui gère l'ensemble de ces problèmes en toute indépendance. Enfin, le Conseil national de la consommation travaille actuellement avec le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'agriculture sur la mise en place de méthodes destinées à assurer une meilleure traçabilité de la filière bovine, afin d'obtenir au bout de la chaîne une information loyale et claire du consommateur, sous forme d'un étiquetage. Les discussions sont longues et compliquées parce que les consommateurs sont traumatisés. Et comme la filière bovine est très opaque, aussi bien dans sa façon de fonctionner qu'au bout de la chaîne où aucune information n'est donnée au consommateur, à l'heure actuelle les consommateurs se déchaînent et demandent plus d'informations que ce que le raisonnable pourrait exiger. Mais il faut demander beaucoup pour obtenir un peu. A l'heure actuelle, nous travaillons sur l'origine de la viande, c'est-à-dire où la bête est née, où elle est élevée, où elle est engraissée. Nous apprenons ainsi des choses extraordinaires, nous découvrons des pratiques que nous imaginions difficilement. Certains pays engraissent, d'autres élèvent, d'autres font naître. Nous découvrons l'existence de bovins baladeurs en Europe. Est-ce que c'est bon pour la maturation de la viande ? De nombreux sujets, tels que la catégorie, la race, le lieu d'abattage font l'objet de discussions avec les professionnels et le ministère de l'agriculture. Enfin, pour que la confiance des consommateurs revienne, il faut reparler de qualité, entendue comme qualité de masse et non pas qualité sélective. Les labels et la certification sont de bonnes choses, mais ils représentent des parts minimes du marché. L'affaire de la vache folle donne un exemple concret à prendre en compte dans l'examen des projets de loi qui vous seront soumis dans les mois à venir. En particulier, avec la loi d'orientation agricole, les modes d'élevage, les circuits de distribution, toutes les filières, on est au coeur du problème. Cette affaire prouve que depuis trente ans le monde agricole marche sur la tête et qu'il faut revenir à des méthodes plus raisonnables qui tiennent compte davantage des désirs des consommateurs que des intérêts des intermédiaires des différentes filières. Mme le Président Je voudrais me faire un peu l'avocat du diable. Les consommateurs regrettent l'opacité de la filière bovine, mais celle-ci représente aussi des familles qui consomment, elles aussi. Pensez-vous que le monde agricole se plairait à intoxiquer le consommateur en s'intoxiquant lui aussi ? Pensez-vous que la filière bovine soit aussi obscure et aussi fautive que vous le dites ? Est-ce qu'on peut, à partir de vingt-et-un cas d'ESB en France, tirer le signal d'alarme aussi brutalement et dresser un tableau aussi noir que vous le faites de la filière bovine ? Je crois tout de même qu'il existe des gens responsables au sein de cette filière. Peut-être y a-t-il eu des dérapages en Grande-Bretagne, mais il n'y en a pas eu dans la même proportion en France. Ce matin, un chercheur de l'INRA nous expliquait que 90 % du cheptel français consomme 90 % de fourrage. Il faut bien sûr que des mesures soient prises pour qu'il n'y ait plus de dérapages, que les agriculteurs ne jouent pas aux apprentis sorciers, mais on ne peut pas dire que ces gens qui sont aussi des consommateurs veuillent intoxiquer leurs propres familles. Mme Marie-José NICOLI Tout le monde est consommateur, pas seulement les agriculteurs. Quand je parle de la filière bovine, je ne parle pas uniquement des agriculteurs, je pense aussi aux intermédiaires. Le ministère de l'agriculture représente de moins en moins les agriculteurs et les éleveurs et de plus en plus l'industrie agro-alimentaire. Le développement de notre agriculture est tel qu'on utilise des procédés industriels pour la fabrication de produits qui - pour ce qui concerne les produits de masse - ne sont pas forcément de bonne qualité. Or, dans la mesure où il n'y a pas eu de communication, le monde agricole est devenu opaque pour les consommateurs. En outre, quand on va sur le terrain, on constate que cette opacité existe vraiment d'un stade de la filière à l'autre. Ainsi, les éleveurs disent - et je veux bien les croire - qu'ils ignoraient la composition des farines animales. Tout au long de la filière bovine, chacun fait confiance au chaînon précédent, sans se préoccuper des pratiques ou des méthodes employées qui ne sont pas toujours claires. Nous essayons de mettre en place des moyens informatiques, manuels, magnétiques qui permettront d'obtenir une meilleure traçabilité de la viande, en partant de la naissance de l'animal jusqu'à l'étal du boucher ou le rayon de la grande surface. Je n'entrerai pas dans la polémique soulevée par la presse en ce qui concerne les trafics. Nous savons ce qu'il en est pour les veaux aux hormones puisque nous avons engagé une bataille à ce sujet depuis 1975. A l'heure actuelle, la situation s'est débloquée parce que nous avons choisi le terrain judiciaire. Les parquets commencent à nous accorder davantage de crédit, ne serait-ce que dans le montant des dommages et intérêts qui nous sont accordés. Nous connaissons tous les abus qui peuvent exister au sein du monde agricole, mais ce qui nous intéresse à l'heure actuelle c'est d'aller de l'avant, de travailler avec les professionnels pour essayer d'éviter les erreurs qui ont été faites jusqu'à présent. Nous ne pouvons toutefois y parvenir qu'en faisant pression car nous ne sommes pas les décideurs. M. le Rapporteur Est-ce que vous continuez à manger de la viande ? Mme Marie-José NICOLI Oui, bien sûr. Je ne mange plus d'abats, je mange de la viande, mais pas n'importe laquelle. M. le Rapporteur Votre réponse est mesurée. Mme Marie-José NICOLI Tout à fait. M. le Rapporteur J'ai lu dans les documents que vous nous avez transmis que vous conseilliez à vos lecteurs de faire une distinction entre les morceaux pouvant être contaminants - les abats- et les autres, en particulier le muscle. J'appelle votre attention sur le fait que les consommateurs d'une façon générale n'entendent pas un discours mesuré tel que vous l'avez écrit. Ils entendent ne plus manger de viande du tout. Par conséquent, si vous aviez un message très fort à faire passer, ce serait un message différencié. Par ailleurs, pourquoi n'êtes-vous pas aussi mesurée sur la question des farines animales, puisque vous nous avez dit que vous ne vouliez plus entendre parler de ces farines ? C'est sans doute que vous pensez aux possibilités de fraude, à l'écoulement de stocks antérieurs à l'interdiction. Mais s'il s'agissait de farines animales fabriquées à partir d'animaux clairement identifiés et selon les nouvelles normes, votre discours serait-il le même ou le moduleriez-vous ? Mme Marie-José NICOLI Je ne sais pas si nous le modulerons. Je me permets de laisser la parole au technicien qui m'accompagne pour vous donner des éléments scientifiques. M. Serge MICHELS On a choisi le procédé allemand qui est le plus rigoureux mais à notre connaissance, il n'y a pas eu d'expérimentation des différents procédés de fabrication de ces farines ni d'évaluation de leur capacité à détruire le prion. Par ailleurs, on va casser tous les outils de fabrication de farines en France alors que le procédé français n'a pas fait l'objet d'une évaluation. Ce qui nous gêne beaucoup, c'est que les décisions ont été prises sans que les procédés de fabrication des farines aient été évalués sur les différentes maladies à prion, alors qu'elles seront lourdes de conséquences et à très long terme. Or, les scientifiques avancent de plus en plus l'hypothèse que l'ESB n'est pas issue de la tremblante du mouton mais d'un agent différent existant chez les bovins et qui a été amplifié par les farines. Mme Marie-José NICOLI Il y a aussi un problème d'éthique. Ce raisonnement peut s'appliquer à la filière fruits et légumes. En effet les consommateurs se détournent des fruits car ils n'en sont plus satisfaits. Le problème tient à ce qu'on adapte les produits à la filière - en mettant au point par exemple des produits plus résistants - et que malgré l'insatisfaction du consommateur, il n'est pas question de modifier la filière. La recherche joue un rôle d'apprenti sorcier. Il faut dire aussi que pour que les fruits et les légumes arrivent mûrs dans nos assiettes, il faudrait que le paysan aille plus souvent dans son champ. Or il n'en est pas question ! Il faudrait aussi que les distributeurs fassent des stocks moins importants. Il n'en est pas question non plus ! On ne veut pas modifier les habitudes, alors on modifie les produits. Je considère que l'on marche sur la tête. On dit que les protéines animales ne sont pas plus dangereuses que les protéines végétales. Or un certain nombre de scientifiques recommandent la prudence. On ne sait pas tout. Pourquoi dans quelque temps ne connaîtrait-on pas des porcs fous ? Il y a bien des cas de chats fous en Angleterre ! Jusqu'à présent, les consommateurs ne connaissaient pas les farines animales. Mais si on commence à leur en décrire la composition, avec des termes bien précis, on va leur couper l'appétit. Ils iront sans doute de moins en moins vers ce mode d'alimentation. M. Jean-Marc NESME Vous avez été très sévère avec les agriculteurs au début de votre exposé. Vous m'avez un peu rassuré à la fin. Il faut éviter de faire des amalgames, dans tous les domaines. Je peux vous assurer que les agriculteurs français n'ont nullement l'intention de rendre malade la population de leur pays et que la très grande majorité d'entre eux sont soucieux de la qualité de leurs produits. Qu'il y ait eu des déviances, c'est une évidence, mais il ne faut pas dramatiser à outrance. J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit sur l'identification. Nous sommes tous des consommateurs et quel que le soit le produit que nous voulons acheter - alimentaire ou non - nous souhaitons de plus en plus en connaître l'origine, la composition, les modalités de fabrication et de distribution. Pour ce qui est de la viande bovine, comme pour la plupart des produits alimentaires, l'identification est pour les années à venir, tant sur les plans psychologique, économique et commercial que sur le plan de la distribution, la colonne vertébrale de l'avenir de la production. On parle beaucoup de traçabilité, mais je me méfie beaucoup des mots... Mme Marie-José NICOLI Ce n'est pas un mot français, en plus ! Il ne figure pas dans les dictionnaires. M. Jean-Marc NESME Qu'attendez-vous, dans le domaine de l'identification, du produit viande bovine ? Qu'est-ce que cela représente concrètement pour vous ? Mme Marie-José NICOLI Concrètement, je souhaite que lorsque j'achète un morceau de viande je puisse lire sur l'étiquette d'où il vient, comment l'animal a été élevé, quel a été son temps de maturation - les gens parlent plutôt de la tendreté de la viande, mais chacun sait que c'est un élément important de la qualité d'une viande - et quel a été le lieu d'abattage. Les agriculteurs sont prêts à nous aider. Les travaux ont commencé depuis peu, mais dès la première séance de travail au Conseil national de la consommation, nous avons eu des problèmes. Les réticences viennent de la grande distribution, des grossistes, des marques telles que Charal qui mélangent les viandes pour obtenir une viande stable et qui ne veulent pas donner la provenance de leurs produits. Nous ne sommes pas les seuls à demander cela en France. Toutes les associations de consommateurs européennes le demandent. Nous faisons pression auprès de la Commission, à tel point que s'est formé en son sein un groupe de travail composé de représentants de onze directions générales pour travailler sur le sujet. Nous travaillerons sans doute plus vite et nous espérons d'ici à la fin du mois de septembre avoir mis à plat tous les problèmes. Nous présenterons alors des propositions à la Commission pour que l'identification fasse l'objet d'une réglementation européenne. Je suis pour une réglementation. Je ne suis pas pour une sorte de déontologie qui sera accolée à une marque ou à un produit labellisé. Il faut que ce soit obligatoire pour tout le monde. Dans la mesure où nous sommes restés longtemps dans l'ignorance, nous devenons tellement exigeants que nous empiétons sur le domaine de la certification et de la labellisation. Mais nous faisons la différence entre une bonne information et la qualité du produit. Nous demandons que le consommateur soit informé. Cela signifie que le temps de maturation de la viande - 6 jours, 7 jours, peut-être 20 jours ou plus, je ne sais pas - doit être inscrit. Et nous expliquerons au consommateur qu'une viande de 6 jours est peut-être moins tendre qu'une viande de 20 jours. C'est là que se joue la qualité. La qualité n'est pas simplement un mode de communication, c'est un plus pour le consommateur. S'il n'y a pas ce plus, je ne vois pas à quoi servent les labels. D'ailleurs il en existe tellement que les consommateurs nous demandent quel est le meilleur. A cela s'ajoutent la certification, la normalisation... et les gens ne savent plus ce qu'ils achètent. M. Charles JOSSELIN Il est regrettable que les consommateurs restent encore insuffisamment organisés et présents dans notre pays en dépit des efforts que vous faites, Madame. La sécurité alimentaire n'a pas de prix, mais elle a un coût. Le consommateur est-il prêt à le payer ? J'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il fallait très probablement distinguer l'information liée à la sécurité de celle liée à la qualité au sens label ». Que pensez-vous de cette distinction ? Par ailleurs, vous avez évoqué la dictature, en quelque sorte, de la filière, en expliquant qu'on a tendance à conduire les réformes avec le souci de ne pas modifier son fonctionnement. J'ai entendu vos propos au sujet du terrorisme du stockage, du transport ou de la concentration de la distribution. Nous ferons profit de ces observations lorsque nous discuterons de la loi d'orientation agricole. Mais ces impératifs de la filière sont aujourd'hui la règle pour tous les pays producteurs. Dans la mesure où nous sommes dans un marché ouvert, tant en Europe qu'aux Etats-Unis où les consommateurs sont, paraît-il, encore mieux organisés et depuis plus longtemps, avez-vous des relations avec vos homologues étrangers, notamment les Américains et les Allemands ? Avez-vous eu des échanges sur le dossier de la vache folle ? Avez-vous eu l'occasion de vous étonner auprès d'eux que les Etats-Unis, avec leurs cent et quelques millions de bovins et en dépit des soupçons qui pèsent au travers de ce qui affecte les wapitis ou autres visons, affichent tranquillement qu'ils n'ont aucun cas de vache folle ? Qu'en pensent les consommateurs américains ? Enfin, vous avez évoqué la question des procédés de fabrication des farines. Nous n'avons pas eu encore l'occasion d'entendre les industriels de ce secteur, mais il y a là des enjeux industriels considérables selon que les procédés retenus et validés sont seulement les allemands ou aussi les français. La question est de savoir si, au sein de l'Europe, ce n'est pas finalement la volonté allemande qui est en train de prévaloir et cela me préoccupe. Mme Marie-José NICOLI Chaque fois que l'on veut amener une profession à produire de la qualité, on nous oppose le coût. Je ne sais pas si nous sommes prêts à payer plus, mais je sais que nous ne voulons plus manger des produits de mauvaise qualité. Les labels sont une réponse à une partie de la question mais pas à toute la question. La part de marché la plus importante revient aux labels pour les poulets. Ils représentent 25 % du marché. Mais que mangent les 75 % des gens qui n'achètent pas de poulets labellisés ? De la cochonnerie ? Il n'est pas vrai que la labellisation tire obligatoirement la qualité vers le haut. En fait, c'est davantage un moyen de marketing qu'un véritable élément de la qualité. Nous ne sommes pas dupes, la labellisation n'a pas été instaurée pour les consommateurs mais pour sortir de l'ornière une profession qui, à l'époque, avait de gros problèmes. Nous serions prêts à payer une certaine qualité, mais pas n'importe quoi. C'est à discuter et à négocier. M. Serge MICHELS Dans le secteur de la viande, les prix à la production baissent depuis des années, alors que les prix à la consommation ne cessent d'augmenter. La grande distribution notamment augmente ses marges sur la viande. On pourrait peut-être consacrer une partie de ces marges à produire de la qualité et à rassurer les consommateurs. Mme Marie-José NICOLI Nous entretenons des relations assez étroites avec les organisations de consommateurs européennes puisque nous avons une structure commune au niveau européen et au niveau international. Le seul pays avec lequel nous avons eu des relations depuis l'apparition de l'ESB, c'est l'Argentine. Nous n'avons pas eu de contact avec les Etats-Unis dans la mesure où nous considérions qu'il s'agissait d'un problème européen. Par contre, toutes les associations européennes se sont réunies pour émettre un certain nombre de demandes et d'observations qui ont été transmises le 25 juin dernier au Parlement européen. Toutes les associations vont dans le même sens et demandent la même chose. Vous aviez l'air de dire que du fait qu'en France et en Europe les associations de consommateurs ne sont pas très fortes, on a la vache folle ! On fait ce qu'on peut. On pourrait sûrement faire mieux. Aidez-nous, on fera mieux ! M. Charles JOSSELIN Il ne faut pas confondre le prix de la qualité et le coût de la sécurité. Je ne crois pas que la sécurité puisse être garantie sans le renforcement d'un certain nombre de contrôles, ce qui signifie qu'il faut davantage de personnels chargés du contrôle. Il faudra aussi, vraisemblablement, revoir certains processus de cela a un coût, ce sont ces points que je voulais souligner. Par ailleurs, je n'ai pas voulu vous reprocher de mal travailler, je regrette seulement que le mouvement consommateur dans sa globalité ne soit pas plus présent. J'aurais donc tendance à plaider dans votre sens. Mme Marie-José NICOLI La qualité sanitaire est le minimum que l'on peut demander. La question ne devrait même pas se poser. La sécurité sanitaire des produits alimentaires va de soi. Je ne pense pas que qui que ce soit ait envie de fabriquer un produit qui empoisonnerait ou rendrait malade le consommateur. M. Jean-Marie MORISSET Votre message est dur pour les éleveurs et pour la filière car celle-ci représente 50 % de la richesse de certains départements et fait fonctionner un certain nombre de structures. A mon sens, votre message n'est pas très clair à l'égard du consommateur. Vous disiez que manger de la viande est un risque mortel ». Or, vous avez confirmé vous-même que vous en mangiez. J'ai pris connaissance du dossier que vous nous avez transmis. Vous le dites vous même, il est bon d'informer pour un retour au bon sens. Or, vous faites état dans vos publications des notions de risque important », risque mal connu », risque apparemment limité », qui peuvent prêter à confusion. Dans les messages, je considère qu'il faut être clair. Mme Marie-José NICOLI Dans tous nos communiqués de presse, depuis le début de l'affaire de la vache folle, nous sommes sérieux, raisonnables, responsables. Nous n'avons pas affolé le consommateur. Par contre, nous sommes fermes et déterminés et nous l'avons traduit par des boycotts partiels, par le dépôt d'une plainte contre X avec constitution de partie civile au tribunal de grande instance de Paris contre les importateurs de farines animales britanniques. Mais nous ne sommes plus maîtres de notre information quand elle passe dans les médias. Il est vrai qu'il existe un décalage entre les informations parues dans les médias et celles que nous avons publiées. Mais en fin de compte, le consommateur a le droit de ne pas être raisonnable dans cette affaire il est inquiet, on l'a grugé, pendant des années on a pris des décisions, notamment au niveau européen, sans tenir compte de sa santé. Je dis qu'il a le droit de ne plus manger de viande. C'est une sanction. Il reviendra aux habitudes qu'il avait auparavant, mais ce sera très long. Pendant des années, la filière bovine a fait ce qu'elle a voulu en nous vendant ce qu'elle voulait. Les marchés se sont organisés sans notre avis. Que les consommateurs aient une réaction, qui n'est pas méchante, bien que vous la trouviez excessive, c'est un coup de semonce. Si demain on déclenchait un boycott total de la viande bovine, ce ne serait pas seulement de 25 % que la consommation diminuerait, parce qu'on donnerait les raisons de notre action. Mais nous ne voulons pas en arriver là. C'est pourquoi nous travaillons avec les éleveurs et toute la filière pour fournir aux consommateurs une information loyale et contrôlable. Les consommateurs reprendront alors le chemin des boucheries. Mais à l'heure actuelle, vous ne pouvez pas leur reprocher de réagir. J'estime même qu'ils sont raisonnables. M. Jean-Marie MORISSET Vous confirmez que le muscle ne présente pas de risque. Mme Marie-José NICOLI Nous l'avons toujours dit. M. Marc LE FUR Je comprends votre propos, Madame, mais sachons raison garder. Je suis un lecteur, certes occasionnel, de votre publication, mais je voudrais y trouver les mêmes dénonciations à l'égard des producteurs d'automobiles qui sont à certains égards responsables de bon nombre des près de 10 000 morts sur nos routes chaque année ou à l'égard des producteurs de tabac. Il faut savoir conserver une hiérarchie entre les différents risques et la vie est à certains égards un risque à assumer. Il est intéressant de trouver dans votre dossier la note datée du mois d'octobre 1990, dont la presse a parlé, qui révèle une attitude tout à fait surprenante de la part de la Commission européenne un responsable de la Commission, M. Castille, incitait à l'époque à organiser une véritable désinformation pour mettre cette affaire sous le boisseau. Je vous remercie de nous avoir donné connaissance de ce document. J'imagine que vous avez accueilli avec satisfaction l'attitude du ministre de l'agriculture qui, très vite, a décidé l'embargo et que vous êtes également favorable à la prolongation de l'embargo à l'égard des viandes britanniques. Mme Marie-José NICOLI Nous dénonçons régulièrement tous les sujets que vous avez abordés. Mais nous ne pouvons pas faire que de la dénonciation, il faut aussi être positif. M. Marc LE FUR C'est la proportion que je mettais en avant. Mme Marie-José NICOLI A l'heure actuelle, ce dossier est brûlant et nous sommes bien obligés d'informer les gens. Vous êtes les premiers à avoir copie de la note de M. Castille, à part un ou deux journaux. Je précise que n'est pas le seul document de ce type. D'autres antérieurs à celui-ci prouvent que la Commission était bien informée des risques qu'elle a mal évalués à l'époque. Audition de M. Yves MONTÉCOT, président du Syndicat national des industriels de la nutrition animale extrait du procès-verbal de la première séance du 4 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Yves MONTÉCOT Madame le président, mesdames, messieurs, la France comprend deux secteurs d'activité en matière de nutrition animale, l'un privé et l'autre public avec les coopératives. Je suis pour ma part président du syndicat des fabricants d'aliments du secteur privé. Il me faut tout d'abord préciser que les fabricants d'aliments pour bétail ne sont pas des fabricants de farines de viande. Il s'agit de deux métiers totalement différents, et je tenais en préambule à lever cette confusion qui a été entretenue dès le départ dans cette affaire. Pour ce qui nous concerne, les farines de viande constituent des matières premières qui n'entrent dans l'ensemble de notre production que pour 2 à 3 % suivant les espèces. L'industrie de l'alimentation animale française est la première d'Europe en volume avec 22 millions de tonnes produites annuellement. Dans ce total, le secteur de la volaille représente 40 % environ, celui du porc 29 % et celui des bovins 20 %, les secteurs privé et coopératif se partageant le marché à peu près à parts égales. Notre industrie s'est restructurée depuis une dizaine d'années elle compte aujourd'hui 425 unités de fabrication pour 385 entreprises de tailles très diverses, depuis l'entreprise multinationale jusqu'à l'entreprise régionale. Celles-ci connaissent en outre une implantation géographique variée due aux marges très faibles du secteur en termes de valeur ajoutée. Les matières premières représentant 80 à 85 % du prix de revient, les produits ne peuvent supporter des frais de transport élevés, ce qui explique l'implantation de nos entreprises dans toutes les régions et leur importance en matière d'aménagement du territoire. Un fort tonnage 40 % du total provient toutefois de l'ouest de la France et 10 millions de tonnes sont issues du reste du territoire. Confrontée au problème de l'ESB, notre profession a réagi très rapidement. Dès 1988, mais plus particulièrement dès 1989, nous avons pris des décisions qui anticipaient celles des pouvoirs publics. Il est clair que les farines animales ont toujours eu chez le consommateur une image négative, ce qui explique la vigilance de notre profession face à ces matières premières. Nous avons transformé ce handicap en avantage puisque cette situation nous a conduits à cette anticipation de nos décisions par rapport à celles des pouvoirs publics. Il nous a cependant été fait des reproches dans une certaine presse », le dossier de l'ESB étant devenu très médiatique à partir du mois de mars, avec une relance en juin. J'expliquerai pour quelle raison. A cet égard, il convient d'abord de préciser que l'utilisation de farines animales pour les ruminants n'est pas récente, puisqu'elle remonte à la fin du XIXème siècle, et qu'elle n'est pas contre nature. Elle n'a pas pour conséquence de rendre les animaux carnivores mais simplement de satisfaire les besoins nutritionnels complexes des bovins comme des autres espèces. Je rappelle ensuite que notre profession est très réglementée. Avant cette crise, nous avions même l'habitude de dire qu'elle était plus réglementée que celle de l'alimentation humaine puisque pour notre seul pays 52 ou 53 textes la régissent. En outre, elle est très surveillée, en particulier par deux administrations, celles de l'agriculture et des fraudes, les contrôles étant permanents. Le rapport Galland publié au mois de juillet dernier en fait d'ailleurs état. Tous les fabricants d'aliments pour le bétail ont pris l'habitude de se plier à ces réglementations et, dans certains cas, de les anticiper. Notre profession, ainsi que je le soulignais tout à l'heure, est importante pour l'aménagement du territoire. Mais elle l'est également pour tous les producteurs puisque, tous secteurs confondus, l'alimentation animale représente entre 70 et 80 % du prix de revient d'une viande. Nous entretenons de ce fait des relations permanentes avec tous ceux qui font partie de notre environnement, c'est-à-dire les éleveurs, les abattoirs et les pouvoirs publics. Pour évoquer l'historique de l'ESB qui remonte à 1988, nous avons pour notre part été alertés du problème qui se posait en Grande-Bretagne en septembre 1989 et, dès octobre 1989, mon prédécesseur adressait une lettre circulaire à tous nos adhérents leur recommandant de façon pressante de ne plus utiliser de farines de viande - je rappelle que les textes réglementaires interdisant leur utilisation datent de 1990. A partir de 1989, nous n'avons donc plus utilisé de farines de viande anglaises ou françaises, puisque cette recommandation avait été élargie à l'ensemble des farines de viande françaises. Je peux donc affirmer que depuis 1989 les farines de viande n'ont pas été utilisées dans l'alimentation des ruminants. Mme le Président Vous venez d'indiquer que depuis 1989 vos adhérents n'utilisent plus de farines animales pour l'alimentation des ruminants. En est-il de même pour les fabricants du secteur coopératif ? Par ailleurs, vous utilisez des farines animales pour la fabrication des aliments destinés à d'autres animaux, par exemple pour les volailles. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? M. Yves MONTÉCOT Pour ce qui est de votre première question, je prends la responsabilité d'affirmer qu'il en est de même dans l'autre secteur. Toutes mes interventions depuis quelques mois ont d'ailleurs concerné l'ensemble de la profession. Nous faisons le même métier avec les mêmes contraintes. S'agissant de l'alimentation de la volaille ou du porc, nous avons toujours utilisé des farines animales dans une proportion relativement faible - sachant bien toutefois que dans ce cas le problème tient moins à cette proportion qu'à leur utilisation elle-même - et nous continuons à les utiliser. Des contraintes nouvelles ont été récemment mises en place par le législateur et par les pouvoirs publics quant à l'utilisation des farines animales, en particulier l'obligation de séparer les farines provenant d'animaux sains et de l'équarrissage. Nous avions là encore anticipé puisque les farines animales ayant une image relativement négative, l'accord interprofessionnel concernant notamment les farines de viande est l'un des plus anciens. Depuis quelques années, il y avait donc en matière sanitaire des accords interprofessionnels entre les fabricants de farines de viande et les acheteurs que nous sommes qui allaient plus loin que la réglementation en vigueur et qui portaient notamment sur des exigences en matière de sécurité. Mme le Président Le conditionnement de l'alimentation animale comporte-t-il toute l'information nécessaire, notamment sur l'éventuelle présence de farines animales ? Tel ne semble pas avoir toujours été le cas. M. Yves MONTÉCOT La législation sur l'étiquetage de l'alimentation animale date de 1940. Cette information est beaucoup plus complète que pour l'alimentation humaine aucun aliment pour bétail ne peut être commercialisé en France si sa composition n'est pas indiquée sur l'étiquette. C'est un des points les plus surveillés et à juste raison. On a pu nous reprocher depuis les années 1990 une certaine dénomination des farines animales - celle de farines animaux terrestres » - mais nous n'avons fait là que respecter les derniers textes communautaires de 1990 qui nous ont imposé une telle dénomination. Jusqu'en 1990, nous devions porter la mention farines de viande » - ou farines de poisson ». En France, nous utilisons les céréales comme matières premières principales. L'étiquetage donne alors par ordre décroissant les éléments entrant dans la composition des produits. Les matières premières ou les groupes de matières premières sont donc bien indiqués et le terme de farines d'animaux terrestres » qui nous a été imposé par la réglementation européenne est clair. M. le Rapporteur Vous avez indiqué que votre profession était réglementée et contrôlée et que vos productions étaient de qualité, et je dois avouer que je ne connais pas de professionnels qui disent autre chose. Mais pour fabriquer vos produits, vous avez besoin de matières premières et je voudrais savoir si, au-delà du produit fini, les contrôles s'exercent sur les matières premières utilisées et selon quelles modalités, notamment en termes de qualité. Les récents développements montrent en effet très clairement que l'on ne peut s'abriter derrière des directives ou des règlements, notamment communautaires, pour penser que l'on fait bien. Pour en revenir à la période 1988-1989, vous nous avez dit avoir alors anticipé. Mais existait-il des stocks et, dans l'affirmative, pendant combien de temps pensez-vous que l'on ait continué à utiliser ces stocks qui avaient été produits selon des procédés de fabrication regrettables ? En ce qui concerne l'étiquetage, il semblerait que de l'alimentation animale importée à destination de la volaille et non des ruminants ait pu quand même être donnée à ces derniers puisque son utilisation appartient en dernier ressort à l'éleveur. Existe-t-il pour ces deux derniers points des modalités de contrôle ou de suivi et avez-vous connaissance de fraudes que de tels contrôles auraient décelées ? Plutôt que de nous parler toujours de ce qui est parfait, pourriez-vous nous faire part de tel ou tel manquement qui aurait pu se produire et des conditions dans lesquelles ils auraient été relevés ? Par ailleurs, exportez-vous et importez-vous et selon quelles modalités ? Dans ce cas, les exigences à l'importation sont-elles les mêmes que celles à l'exportation ? Enfin, pouvez-vous nous préciser les conséquences notamment financières de cette crise pour les industriels que vous représentez ? M. Yves MONTÉCOT Je l'affirme aujourd'hui, et nous avons fait des communiqués à ce propos, la profession a respecté la législation. Il est vrai que cela ne suffit pas. Notre contrôleur principal, qui est le service des fraudes, qui relève de M. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur, a donné une conférence de presse le 15 juillet et a rédigé un rapport. Je ne sais pas si vous en avez eu connaissance et je peux vous en donner les conclusions. Selon ce rapport, disponible auprès du ministère, sur les 486 entreprises, toutes ont été vérifiées - à quelques unes près. Il précise clairement que sur les 385 fabricants d'aliments pour le bétail, 377 ont fait l'objet d'inspections, que les contrôles ont montré que dans tous les cas, il y avait eu respect de la législation, qu'il n'y avait pas eu d'importations illégales et qu'il n'y avait pas eu d'utilisations illégales, à un cas près, qui date de 1992 et qui porte sur 4 tonnes de farines animales. Je ne me contente donc pas d'affirmer, je me base sur les rapports des services contrôleurs de l'administration qui sont compétents en la matière. Je suis moi-même industriel en Normandie et j'ai régulièrement la visite des services de la répression des fraudes. Récemment, ils ont passé deux, presque trois semaines dans mon entreprise, petite entreprise de taille régionale. Ils sont remontés sur plusieurs années, ont repris toutes nos fabrications et contrôlé l'ensemble des stocks pour voir s'il y avait cohérence. L'ensemble des fabricants a subi de tels contrôles et cela a été lourd. Certains de nos adhérents s'en sont plaints mais nous n'avons pas à nous en plaindre, au contraire, car nous souhaitons que les contrôles soient les plus fréquents et approfondis possible. Le rapport de M. Yves Galland est très important, en particulier en ce qui concerne les importations. Ses auteurs ont reconnu s'être heurtés à une incohérence des statistiques. Tout ce que j'indique n'est donc pas seulement l'affirmation d'un président, c'est l'affirmation d'une profession, étayée par des faits et par des contrôles. J'en viens maintenant au contrôle de la qualité. J'ai évoqué l'accord interprofessionnel sur la qualité des farines de viande. Depuis de nombreuses années, des addendums ont été rédigés et des accords techniques ont été passés sur les autres matières premières, notamment les céréales. Des accords déterminent donc les qualités à respecter et les contrôles à effectuer. Nous continuons dans cette voie. Nous avons signé, au début de l'année, des accords interprofessionnels sur les tourteaux de colza et sur les tourteaux de tournesol. Nous avons signé un accord il y a un an sur le son. Toutes les matières premières doivent être contrôlées et nous passons des contrats avec nos fournisseurs. Cela est très suivi. Autre point important du point de vue de la qualité la certification. Un certain nombre d'entreprises d'aliments pour le bétail sont certifiées et la démarche de certification et de conformité que nous avons engagée date de 1990 et n'a donc pas été provoquée par la crise actuelle. J'évoquerai maintenant les modalités des contrôles en usine. Généralement, nous avons deux types de contrôles tout d'abord, il y a un contrôle rapide avant déchargement ou en cours de déchargement des matières premières. Ce contrôle est visuel, mais aussi analytique. Nous disposons pour le réaliser de matériel qui permet d'obtenir instantanément des analyses de conformité protéines, matières grasses.... Ce premier contrôle rapide détermine la marchandise qui doit être exclue. Ensuite, il y a généralement un contrôle réalisé par un laboratoire extérieur. Certains échantillons sont prélevés de manière statistique et lui sont envoyés. A ce niveau-là, l'ensemble des matières premières est contrôlé. On ne peut pas analyser chaque lot, mais le contrôle est très précis. En ce qui concerne la période 1988-1989 et les stocks de farines de viande, il faut tout d'abord savoir que les matières premières de notre profession ne se stockent pas et que la durée d'utilisation des farines de viande est limitée à deux mois. Les stocks ne sont donc jamais importants dans nos usines. En outre, nous travaillons en circuit court, en flux tendus. Si tel n'était pas le cas, il faudrait des installations de stockage très importantes, compte tenu du volume. Pour ce qui est des importations, la synthèse du rapport Galland apporte de nombreux éléments d'information. Je vais prendre la peine de vous en lire quelques extraits pour vous éclairer sur l'interprétation qui en a été faite Des erreurs sur l'origine géographique et sur la dénomination des produits ont été commises. Certains produits qui, d'après la déclaration des douanes, auraient été importés du Royaume-Uni, étaient en réalité d'origine irlandaise, et donc non soumis à embargo. Des erreurs matérielles ont été commises dans l'établissement des déclarations des douanes. D'autres produits ont été déclarés par erreur comme farines de viande alors que ce n'était pas le cas et qu'il ne s'agissait pas de produits à risque-farines de volailles destinées à être incorporées dans les aliments pour chiens et chats, farines de biscuits, etc. ». Cela signifie que les chiffres qui ont circulé étaient faux, ce qui a eu des conséquences dramatiques. Si l'on remonte au moins de mars, qui correspond à l'arrivée de la crise, fin mai l'on peut affirmer que le problème était à peu près résolu. Début juin, il a été relancé par la parution de certains chiffres qui indiquaient que les fabricants français avaient importé des quantités phénoménales » de farines animales au cours des années 1988-1989. C'est ce qui a déclenché la deuxième crise, de loin la plus importante. Je vais maintenant indiquer quels étaient les chiffres réels. En 1989, 15 000 tonnes ont été importées en France. Il s'agit du début de la non-utilisation. En 1990, 17 000 tonnes ont été importées en Europe, dont 1000 tonnes en France. Ces 1 000 tonnes ont été importées avec des dérogations spécifiques des pouvoirs publics, pour des utilisations autres que l'alimentation des ruminants. En 1991, 25 000 tonnes ont été importées en Europe, 20 tonnes en France, avec des dérogations spécifiques. En 1992, aucune importation. En 1993, 600 tonnes en France, mais ce sont des farines provenant d'Irlande, ainsi que des farines de volailles. En 1994, 4 300 tonnes, là encore en provenance d'Irlande ou farines de volailles. Souvenez-vous des chiffres qu'on a pu lire, et qui étaient très différents. L'explication, malheureusement, est que les statistiques douanières, par erreur, ont mélangé des provenances. Les contrôles des services des fraudes ont prouvé qu'aucune de ces farines importées légalement n'a été utilisée illégalement. Même si des farines animales ont été importées, la traçabilité permet de remonter sans difficulté sur plusieurs années le parcours des produits, mélange par mélange. Quant aux importations d'aliments, elles sont peu importantes. Environ 200 000 tonnes par an sur 20 millions de tonnes d'importations d'aliment pour le bétail, en provenance de Belgique ou d'Italie. Ces produits ne pouvant pas supporter des frais de transport importants, il ne peut s'agir que de pays très proches. La réglementation communautaire sur l'étiquetage s'impose à eux et il n'y a pas de raison de penser qu'ils ne la respectent pas. Peut-il y avoir une erreur d'utilisation entre un aliment bovin et un aliment volaille ? Non. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. D'abord, la présentation est différente. Traditionnellement, les aliments destinés aux volailles sont en petites miettes, en petits granulés, les aliments pour bovins sont en granulés plus gros. Ensuite, l'identification par étiquetage est très complète composition du produit, garantie analytique, mais aussi mode d'emploi et espèce à laquelle il est destiné. Cela doit être indiqué clairement. Chaque sac - de 5 , 25 ou 50 kg - doit être cousu et porter une étiquette cousue. Cette étiquette est donc fixe, elle est inviolable, elle ne peut pas être modifiée. Si elle a été enlevée, on ne peut pas la remettre. Lorsqu'il s'agit d'une livraison en vrac, elle doit être accompagnée d'une étiquette, lot par lot, qui accompagne le bon de livraison, lui-même signé. Enfin, lorsqu'il s'agit de sacs, les fabricants, européens ou français, ont l'habitude de les identifier selon les espèces têtes d'animaux, couleurs différentes, etc. C'est un moyen de gestion des stocks et d'identification. Il n'y a pas, dans la profession, de sacs neutres, toutes espèces confondues. Je ne vois donc pas comme il serait possible de donner des aliments pour volailles à des bovins. En ce qui concerne les importations et les exportations, les exigences au niveau de l'aliment sont semblables. L'étiquetage est le même. Il n'y a pas de difficulté. Nous souhaitons cependant que les mêmes exigences sur le tri des farines animales d'origine - farines de viandes saines ou non saines - soient applicables à l'ensemble des pays européens. Pour l'instant, cela n'est pas prévu dans le droit français. Mais dans le dernier accord interprofessionnel que le SNIA a signé avec les fabricants de farines de viandes, les fabricants français s'engagent à exiger que les éventuelles importations de farines animales de l'étranger soient conformes à la législation française. Il semble que les pouvoirs publics français envisagent actuellement d'intégrer de telles dispositions dans la loi, mais il y a beaucoup de réticences dans les autres pays d'Europe. Mais notre profession, depuis le mois de juillet, dans un accord interprofessionnel, s'est donné cette contrainte. Nous souhaitons qu'elle soit intégrée dans la loi et qu'elle soit applicable au niveau communautaire. J'aborderai enfin les conséquences de la crise pour notre profession. Elles sont très importantes et elles concernent bien entendu l'alimentation des bovins-viande, et en tant que partie prenante de la filière, nous soutenons clairement les éleveurs pour les aider à passer cette crise. Le tonnage des aliments destinés aux bovins-viande a chuté, des baisses importantes de volumes ayant aussi été enregistrées sur le bovin-lait. Au mois de juin, la baisse était de l'ordre de 25 %. En termes de fabrication, juin n'est pas un mois facile à comparer car c'est un mois court. Par contre, pour juillet, la baisse de volume a été de 10 à 15 %. Alors que nous avons connu à ce moment, en particulier dans l'ouest, une certaine sécheresse qui, normalement, aurait dû se traduire par une certaine augmentation, nous avons enregistré une baisse de l'ordre de 10 à 15 %. Pour des usines et des entreprises très spécialisées dans les secteurs bovins, cela pose d'énormes problèmes en termes de résultats ainsi que des difficultés financières. Mme le Président Je voudrais revenir sur les importations britanniques. Un rapport de la direction des douanes fait état de 14 000 tonnes de farines carnées britanniques importées par la France entre 1993 et 1996. Je ne comprends pas comment cela a pu se faire. Cela n'aurait pu se faire que dans le cadre de dérogations, mais les services du ministère de l'agriculture disent qu'il n'y en a pas eu. M. Yves MONTÉCOT Pour 1993, j'ai le chiffre de 600 tonnes ; pour 1994, 4 300 ; pour 1995, 4 100. Cela fait environ 10 000 tonnes. En 1996, l'embargo a été décidé au mois de juin, je ne dispose pas des chiffres. Admettons que ce soit 2 000 tonnes. Le total s'élèverait à 12 000 tonnes, ce qui n'est pas incohérent avec le chiffre que vous indiquez. S'agit-il des chiffres après ou avant rectification des erreurs ? M. Yves Galland, dans son rapport, précisait qu'il y avait eu des erreurs d'imputation. Il y a eu assimilation, dans les chiffres publiés par la presse, entre les farines de viandes et les farines de volailles. Mme le Président Cela paraît très trouble... M. Yves MONTÉCOT Non... Mme le Président Le problème n'est pas qu'il y ait 12 000 tonnes ou 14 000 tonnes, mais qu'il y ait eu importation de farines carnées britanniques pendant une période où l'on n'importait plus qu'avec dérogations. M. Yves MONTÉCOT S'agissait-il de farines d'Irlande ou pas ? Mme le Président De farines carnées britanniques. M. Yves MONTÉCOT Là encore, le rapport Galland dit qu'il y a eu confusion avec l'Irlande. S'il s'agit des farines irlandaises, elles étaient effectivement libres d'accès. Il faut relativiser ces tonnages. Vous évoquez le chiffre de 13 000 tonnes sur trois ans. Cela fait 4 000 tonnes par an. Rien qu'en France, nous utilisons 400 000 tonnes de farines animales françaises. Comparons ces 4 000 tonnes au tonnage total français qui est de 22 millions de tonnes, et au tonnage européen, qui est de 100 millions de tonnes. Les pourcentages sont faibles. M. Charles JOSSELIN Chacun sent bien l'importance que présente pour cette mission l'audition des représentants des industriels de l'alimentation animale. Parmi les hypothèses pour expliquer la crise de l'ESB, il en est une communément admise la mauvaise affaire qui nous réunit aujourd'hui aurait débuté lorsque les Britanniques ont commencé à modifier le mode de fabrication de leurs farines animales. Et le lien entre l'alimentation animale et le développement de la maladie de la vache folle a été évidemment rapidement fait. Vous dites avoir été alerté en septembre 1989. Comment ? Par qui ? Etaient-ce les services publics, étaient-ce vos relations ? Si c'étaient vos relations, notamment avec vos collègues britanniques, n'est-il pas un peu surprenant qu'il ait fallu un an pour que l'information se propage ? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire comment ont évolué les cours des farines de viande britanniques durant la période ? Il semble bien que ceux-ci se soient effondrés en Grande-Bretagne, à partir du moment où l'utilisation de la farine de viande n'y a plus été permise. Certes, la loi -ou le règlement- a mis du temps avant de prendre la mesure de ces réalités, et on ne peut pas vous faire le reproche d'avoir eu des comportements illégaux par rapport à des réglementations qui ont tardé à venir. Il n'en reste pas moins que l'on peut vous reprocher d'avoir eu connaissance de la réalité britannique, et d'en avoir peut-être tiré profit en procédant à des importations à des prix plus alléchants. L'on comprend l'empressement qu'avaient les Anglais à se débarrasser d'une production qui n'avait plus de marché chez eux. Certains ont indiqué qu'au cours de la période qui va de leur interdiction en Grande-Bretagne à leur interdiction en France, il y aurait eu une augmentation brutale des importations de farines de viande britanniques en France. Je constate ce que dit le rapport Galland et je suis fort surpris de découvrir que ces statistiques n'auraient finalement aucune valeur et qu'on mélangerait allègrement les pays de destination. Pour un peu, on se tromperait de marchandise ! J'avais compris qu'on avait plutôt eu tendance à baptiser irlandaises des farines britanniques. Or vous nous dites que c'est l'inverse ce sont des farines irlandaises qu'on aurait baptisé britanniques ! Je cherche le mobile, car on aurait masqué le produit dans le mauvais sens. Il est d'ailleurs surprenant que brutalement, en quelques mois -toujours selon l'évolution des statistiques-, l'Irlande soit devenu pays producteur de farines de viande. Ainsi, au moment où les importations de Grande-Bretagne ont chuté, on a vu les importations d'Irlande augmenter brutalement. La question du calendrier est donc primordiale. Par ailleurs, quelles sont vos relations avec les opérateurs étrangers et selon quelles modalités vous procurez-vous vos matières premières importées ? Est-il vrai que les circuits qu'elles suivent sont parfois complexes et peu clairs ? Autre question quelles sont vos relations avec les fabricants de farines de viande ? Je pense à l'équarrissage. Vous avez dit souhaiter que les règles soient les mêmes dans l'ensemble de l'Europe. C'est aussi, très largement, je crois , le point de vue de notre mission. Mais actuellement, nos fabricants ne sont pas en mesure de respecter les normes qui ont été retenues pour la fabrication de farines de viandes, sous la pression des Allemands semble-t-il. S'ils devaient appliquer ces normes, cela induirait un surcoût qui se répercuterait sur le prix de leurs produits. Considérez-vous que ces farines présentent pour les éleveurs un intérêt tel que vous pourriez accepter une augmentation du prix de vos matières premières de façon à amortir les modification de processus de fabrication destinées à les rendre compatibles avec les normes européennes ? Dernière question, qu'avez-vous fait de vos stocks ? Comment vous en êtes-vous débarrassés ? M. Yves MONTÉCOT Vous êtes stupéfait par le rapport Galland. Ce n'est pas le cas de la profession. Personnellement, en tant que fabricant depuis une trentaine d'années, je ne suis pas stupéfait. Ce qui est stupéfiant, c'est que nous ayons été mis en cause depuis quelques mois. Nous avons essayé de répondre. On ne nous a pas écoutés. C'est cela qui est stupéfiant ! Certains grands distributeurs nous ont vilipendés. Je ne parle même pas de la presse, je parle de professionnels. Je tiens à votre disposition leurs déclarations. Pour revenir en 1988, il faut être très clair aujourd'hui, il n'y a pas de certitudes. Les scientifiques n'en ont pas. Est-ce que la contamination est simplement alimentaire ? On s'aperçoit qu'elle devient verticale. Est-ce qu'il n'y a pas d'autre contamination ? Je ne dispose pas de ces informations. Ce que je crains, c'est qu'à terme l'on découvre qu'il y a d'autres modes de contamination. Ce serait dramatique car l'on aurait inquiété peut-être inutilement les consommateurs. Aujourd'hui, on n'a pas de certitudes. Pour répondre à votre question, nous avons été informés par un courrier du ministère de l'agriculture, daté du 1er septembre 1989, de la tenue d'une réunion le 26 septembre 1989 à 9 heures 45 au ministère de l'agriculture. Je profite de l'occasion pour dire que cette invitation avait été faite à tous les partenaires de la filière bovine, y compris les organisations représentant les producteurs, et qu'ils y ont participé. Je n'y ai pas personnellement assisté car je ne dirigeais pas le syndicat à cette date, mais nos cadres étaient présents. C'est à partir de ce moment là que nous avons été informés. Notre profession compte environ 500 fabricants en France et nous ne sommes pas en liaison permanente avec nos collègues étrangers, car notre priorité est d'être présents dans nos usines, à contrôler nos matières premières, à améliorer la sécurité, à entretenir des relations avec nos clients. Nous ne passons pas notre temps à écouter ce que nos collègues étrangers ont envie de nous dire ou ne pas nous dire. En 1989, j'exerçais cette profession depuis plusieurs années déjà et je ne disposais d'aucune information. La première information officielle nous a été transmise par les pouvoirs publics en septembre 1989. Notre première réaction, avant la publication des nouvelles réglementations fut de rédiger une circulaire prévoyant une interdiction d'utilisation. A ce niveau-là, nous ne pouvions pas réagir plus vite. J'aborde maintenant la question relative aux prix. Il convient à cet égard de souligner que tant pour l'industrie française que pour l'industrie européenne, les farines animales ne sont pas des produits stratégiques, à la différence des tourteaux de soja ou, aujourd'hui, du blé. Les farines animales, quelles qu'elles soient, n'entrent que pour 1 à 2 % dans la fabrication de nos produits - un certain nombre de fabricants français n'en ont même jamais utilisé et n'en utiliseront jamais. Voici quelques exemples de prix pour 100 kg en 1988, 162 francs en février, 174 francs en mai, 225 francs en août et 207 francs en novembre. En 1989, 197 francs en février, 217 francs en mai et 187 francs en août. Le niveau des prix ne s'explique donc pas par le fait que les Britanniques nous auraient vendu de la marchandise à bas prix. Si tel avait été le cas, on aurait pu alors s'interroger. En revanche, les tourteaux de soja ont, eux, subi des variations de cours importantes 150 francs en février 1988, 170 francs en mai et 205 francs en août. Et lorsqu'une matière première leader » subit une augmentation, elle entraîne celle des matières premières secondaires. Ces chiffres peuvent être vérifiés. En aucun cas, les farines animales britanniques même à bas prix n'auraient donc pu représenter un intérêt économique suffisant pour faire prendre un quelconque risque. L'une des préoccupations majeures des chefs d'entreprise concerne la notion de risque et depuis toujours les fabricants d'aliments pour le bétail ont voulu le limiter. S'agissant de nos relations avec les opérateurs, celles-ci ne sont pas celles qui ont été décrites. Je ne connais pas de circuits parallèles de matières premières. La cotation des tourteaux de soja et des céréales existe au niveau mondial et toute opération donne lieu à document écrit, aucune affaire ne se concluant dans notre profession sans trois confirmations -celles du courtier, de l'acheteur et du vendeur. Avec ces confirmations croisées, existe ainsi une traçabilité permanente des opérations réalisées. Quand il s'agit de produits importés, un contrôle des services officiels a lieu. On ne fait pas disparaître ou changer de mains un bateau chargé de tourteaux de soja ou de farines animales. Il y a là aussi une traçabilité permanente. Il faut le dire, il était intéressant pour certains à un moment donné de trouver un bouc émissaire face à une incertitude scientifique totale sur la transmission de la maladie ou encore sur la durée de la crise. Notre profession a alors été visée et c'est pourquoi nous avons décidé de réagir très fortement. L'importance de la matière première en question, je le répète, doit être relativisée, même au niveau européen. Elle ne lui donne pas une valeur stratégique telle qu'elle pourrait conduire à l'instauration de circuits parallèles. Quant aux équarrisseurs, ils sont pour nous des fournisseurs de matières premières. Les premiers accords interprofessionnels sur les farines animales datent des années 70 et ont été révisés quatre ou cinq fois en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et des exigences du marché. Nous nous rencontrons régulièrement, notamment lorsque nous demandons à réviser ces accords, sachant qu'un accord interprofessionnel n'évolue pas à l'initiative du vendeur qui, lui, se satisfait toujours des dernières contraintes qui lui ont été imposées et se méfie de celles que pourrait exiger l'acheteur. Le dernier avenant a ainsi été signé au mois de juillet dernier. Nous nous sommes engagés alors à n'utiliser des farines animales qui ne seraient pas fabriquées en France que si elles correspondaient aux spécifications françaises. S'agissant du traitement des carcasses sous une pression de trois bars, je n'ai pas d'opinion personnelle. Tout doit être mis en oeuvre pour que la sécurité maximale soit acquise, et cela le plus rapidement possible. Si les équarrisseurs doivent investir pour se mettre en conformité avec la recommandation -sachant que s'il y avait une législation, ils n'auraient pas le choix- les pouvoirs publics doivent les aider au maximum. Ces investissements ne sont pas très importants et sont supportables par l'industrie. Il leur faut cependant des délais mais je crois que les équarrisseurs ont la volonté de se mettre en conformité avec cette recommandation le plus rapidement possible. En ce qui concerne les décisions prises par les pouvoirs publics français, nous les jugeons positives. La preuve en est que vingt cas d'ESB ont été relevés dans notre pays depuis dix ans contre combien en Grande-Bretagne -20 000 ? 160 000 ? 200 000 ? Mais les professionnels aussi ont pris les bonnes décisions depuis le début, ce qui nous a permis de limiter la crise. De même, la Suisse, le Portugal ont enregistré beaucoup plus de cas que nous. En Europe, la France a été le premier pays à prendre les bonnes décisions en matière de sécurité. Il y a pu y avoir des erreurs dans l'interprétation des données par les douanes, mais il faut les relativiser. En Europe, on fabrique 100 millions de tonnes d'aliments pour le bétail par an. Les 20 000 tonnes importées en question n'auraient pas eu d'incidence si elles n'avaient pas été mises en exergue, d'autant qu'il n'y a pas eu d'importation illégale. L'une des décisions fondamentales prises récemment par les pouvoirs publics a été d'isoler les circuits des farines animales, à savoir que toute viande qui n'est pas propre à la consommation humaine ne doit désormais pas entrer dans la composition des farines animales. Nous demandons que cette décision soit élargie à l'Europe mais d'ores et déjà les fabricants exigent le respect de cette décision de la part de leurs fournisseurs. Si notre rôle de professionnels est parfois de devancer la législation, il est aussi d'être un contrepoids économique car si un fabricant belge ou allemand veut aujourd'hui vendre de la farine de viande sur le marché français, il devra se mettre en conformité avec nos exigences. Ceci nous permet de réagir immédiatement, alors que la mise en oeuvre des règlements ou des lois demande du temps. Nos collègues bretons, par exemple, avaient dès le mois de juin lancé un ultimatum aux équarrisseurs en leur faisant savoir que s'ils ne modifiaient pas leur mode de fonctionnement, ils n'achèteraient plus leurs produits. Les équarrisseurs ont pris les bonnes décisions. Ils vont maintenant les mettre en application. Et sans vouloir les défendre particulièrement, on peut dire qu'ils ont réagi en professionnels. Pour ce qui est des stocks de farines de viande, tous ceux qui se trouvent aussi bien dans nos usines que chez les équarrisseurs ont été détruits ou vont l'être. Là aussi, les pouvoirs publics ont pris les bonnes décisions en prenant en charge le coût de ces matières premières. Une difficulté est apparue quant au prix demandé par les industriels pour pratiquer des incinérations, notamment ceux qui réalisent le traitement d'ordures ou qui exploitent les cimenteries, mais elle devrait se régler. En tout état de cause, l'ensemble des stocks est actuellement consigné à la fois dans les usines et chez les équarrisseurs. Nous avons estimé le stock d'aliments pour le bétail, avant conformité, à 2 500 tonnes. Les équarrisseurs ont bien été obligés de prendre en charge les animaux et l'on a vu les difficultés que cela a posé voilà quelques semaines. Pour notre part, nous aurions pu, en 48 heures, au mois de mai ou de juin, nous interdire d'utiliser toute farine animale. Cela aurait pu calmer les esprits mais que se serait-il alors passé dans les abattoirs et dans les élevages ? On évalue à 3 500 000 tonnes la viande fraîche et les déchets qu'il faut éliminer tous les ans et réduire en farine. Si nous avions pris cette décision qui aurait permis de satisfaire certaines exigences médiatiques, nous aurions alors mis l'ensemble de la filière dans une situation particulièrement dramatique. M. Marc LE FUR Pourriez-vous nous préciser le nombre d'emplois relevant tant du secteur privé que du secteur associatif de votre profession ? Par ailleurs, quelles seraient les conséquences sur le coût des protéines d'origine végétale, marché qui est largement dominé par les fournisseurs nord-américains, et sur le prix payé par le consommateur final, si certaine hypothèse jusqu'au-boutiste était retenue, à savoir l'interdiction brutale de toute utilisation des farines animales y compris pour l'alimentation de la volaille et du porc ? M. Rémy AUCHEDÉ Après 1989 et l'interdiction de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation bovine, je suppose que les producteurs de farines de viande ont recherché d'autres possibilités d'utilisation. A quoi ont donc servi les farines animales après 1989, hormis l'alimentation des volailles et des porcs ? Face aux incertitudes qui étaient encore plus grandes alors, les professionnels sont-ils à l'époque intervenus auprès des pouvoirs publics, notamment dans le domaine de la recherche sur la nutrition animale, pour essayer de comprendre un certain nombre de choses ? Vous avez par ailleurs parlé de baisse des ventes d'aliments pour bétail ces derniers mois. Pourtant, comme il y a moins d'abattages, il devrait y avoir davantage d'animaux à nourrir ! Mme Ségolène ROYAL Avez-vous identifié des distorsions - fiscales, techniques, industrielles, commerciales - qui incitent à une baisse de la qualité des produits autorisés pour l'alimentation animale ? A contrario, sur quels point faudrait-il revenir pour que l'ensemble des industriels de la partie de la filière que vous représentez soient incités à la qualité en matière d'alimentation animale et pas seulement bovine, puisque l'on a découvert à l'occasion de cette crise des méthodes d'alimentation peut-être autorisées mais pas toujours conformes à la qualité recherchée ? Quelles seraient vos propositions précises afin de sortir de cette crise par le haut et de progresser en matière non seulement de sécurité alimentaire mais également de qualité tout en prenant en compte vos contraintes ? M. Yves MONTÉCOT La profession représente 15 000 emplois. C'est donc un secteur qui n'est pas neutre. En ce qui concerne les protéines, la décision de supprimer toute utilisation de farines animales aurait augmenté de façon très significative notre dépendance protéique vis-à-vis de l'Amérique du Nord. Celle-ci qui, pour l'Europe, était de l'ordre de 60 %, serait passée à 75 où 80 %. En 1972 et 1973 déjà, l'embargo sur le soja avait fait passer le kilo de soja à 4 francs. Les bateaux mettaient ainsi quinze jours pour remonter l'estuaire de la Seine car entre-temps le prix de leur marchandise doublait presque. Et même en les payant très cher on ne trouvait pas forcément des matières premières de remplacement, ce qui conduisait à un blocage de l'élevage français. Pour ce qui est de nos propositions, nous demandons, en particulier, que des mesures françaises et européennes soient prises en faveur des protéines d'origine européenne et notamment des substituts possibles du soja. Il faut soutenir toute la filière protéagineuse et non pas diminuer les aides comme on veut le faire alors qu'elle est déjà en difficulté. Cela permettrait ainsi de diminuer notre dépendance vis-à-vis de certaines importations mais aussi de prévoir l'avenir car d'autres crises peuvent survenir sur d'autres produits De même, notre profession se bat depuis longtemps pour que les céréales soient accessibles aux fabricants plutôt que d'être laissées en stock dans les silos. Il y a quelques années on comptait 10 millions de tonnes de blé ainsi stockées qu'il aurait mieux valu permettre aux entreprises d'utiliser. La réforme de la politique agricole commune a permis une évolution et il faut poursuivre dans cette voie en rendant les céréales compétitives. Nous pourrons alors diminuer notre dépendance tout en jouant un rôle moteur en faveur des productions végétales. Nous sommes à un moment de l'agriculture française où les éleveurs ont le même intérêt que les producteurs de céréales. Cela n'a pas été toujours le cas et le grand enjeu des années à venir est que cette situation soit confortée. Les céréales sont devenues notre première matière première. Pour la saison dernière qui se terminait au mois de juin, 8 millions de tonnes toutes céréales confondues ont été utilisées pour 20 millions de tonnes fabriquées. On peut prévoir pour l'année 1996-1997 du fait de la qualité de la récolte et des volumes prévus, l'utilisation de 9 millions de tonnes, nouveau record historique - nous avons été en effet cette année les premiers utilisateurs de blé en France avant la meunerie. Des matières premières sont disponibles en France et en Europe -tourteaux de colza ou de tournesol, par exemple- et l'on va, je crois, assister à une nouvelle orientation de l'agriculture et de l'élevage. Quant au devenir des farines de viande qui n'étaient plus utilisables pour les bovins, il faut d'abord rappeler que les aliments bovins sont ceux qui utilisent le moins de farines animales. Leur volume ne doit pas représenter 1 % tous bovins confondus. La quantité disponible sur le marché était donc tout à fait réduite et ne pouvait avoir de conséquences ni sur les cotations ni sur la recherche de nouveaux produits. La ration de base du bovin est en effet composée majoritairement de produits issus de la ferme. La baisse des ventes d'aliments résulte de deux raisons. L'herbe est encore disponible dans les exploitations et les tonnages achetés sont donc moins importants. Par ailleurs, la crainte de la baisse des cours fait que les éleveurs achètent moins. Ils raisonnent en chefs d'entreprise en limitant leurs achats, quitte à perdre en performance. A l'inverse, les ventes de volaille ont augmenté. Le consommateur qui s'est mis à consommer moins de viande bovine, n'a pas, heureusement, cessé de consommer des viandes et a reporté ses achats en particulier sur le porc et le poulet. Des augmentations en volume suite à des transferts d'achat ont ainsi pu être enregistrées. Pour en revenir aux distorsions, il en existe en France et en Europe qui nuisent à l'évolution de la qualité. Je veux notamment parler de celles dues à la grande distribution et à la diminution des prix de vente. Il y a une vingtaine d'années, l'objectif était de réduire l'inflation, de faire baisser le prix du panier de la ménagère. Les pouvoirs publics n'étaient pas à cet égard innocents. Tout le monde allait dans le même sens. Mais cet objectif a également été repris par la grande distribution dont la pression a conduit à des baisses de prix dans des secteurs en difficulté avec pour risque supplémentaire une baisse de la qualité, cela afin d'augmenter les rendements. L'effet positif de cette crise sera de faire prendre conscience aux consommateurs, aux acheteurs et aux leaders d'opinion que la qualité se paie - je ne parle pas de la sécurité, notion qui doit exister même pour les produits à bas prix. La France est aussi leader en Europe en ce domaine. Les signes de qualité français sont très novateurs. La vision française de la qualité, de la qualité des viandes, en particulier, aurait besoin d'être élargie rapidement à l'Europe. Vous avez légiféré et pris de bonnes décisions dans ce sens, mais ces démarches sont relativement longues. Venons-en aux distorsions -et là je vais me séparer quelques minutes de mes amis du secteur coopératif. Il faudra bien régler les distorsions sur les taxes, sur les impôts, sur les contributions. Cela aboutit parfois à une compétition qui se fait au détriment de la qualité. Il y a d'autres distorsions au niveau des exportations. Je pense aux possibilités qu'ont nos entreprises d'exporter non plus de l'aliment pour le bétail, mais des produits finis. Parce que lorsqu'on exporte du poulet, on exporte de l'aliment, indirectement. Sur les exportations, il y a de nombreuses distorsions. Nous n'aurons pas le temps aujourd'hui, mais il est bon que vous le notiez. Nous sommes à votre disposition pour revenir plus en détail sur ces points, car il faut qu'il y ait effectivement égalité face à l'exportation et au développement. Un mot pour terminer nous avons réuni notre assemblée générale en juin dernier à Besançon. Notre objet était d'étudier l'évolution de l'agriculture française et des viandes dans les vingt ans à venir. Au niveau mondial, la consommation mondiale de viande de porc va doubler, ainsi que la consommation de viande de volailles. En revanche -c'était avant les conséquences de la crise- la consommation de viande bovine était déjà stable ou en régression. C'était déjà un produit difficile, pour d'autres raisons. Les enjeux sont importants. Qu'allons-nous vendre ? Des matières premières, des viandes ? Allons-nous participer à l'élaboration de ces viandes ? Ce sont les enjeux de la qualité. Mais cet aspect prospectif est primordial pour l'économie et l'agriculture françaises. M. Yves VAN HAECKE Je voudrais revenir sur la question des contrôles, mais auparavant, permettez-moi de relever quelques incertitudes dans vos propos, sinon quelques contradictions concernant le bilan général dans la Communauté, l'incorporation de matières premières riches en protéines dans les aliments, vous faites une place très importante aux farines animales... M. Yves MONTÉCOT Non ... M. Yves VAN HAECKE ... ensuite, pour ce qui concerne l'aliment bovin-viande, vous dites que c'est une part très faible, sinon nulle. Ces aliments sont souvent des compléments qui incorporent forcément le plus fort taux de protéines. M. Yves MONTÉCOT Non. M. Yves VAN HAECKE Par conséquent, on peut imaginer que parmi ces protéines figure de la farine animale quand celle-ci est vendue à prix compétitif. M. Yves MONTÉCOT Non. M. Yves VAN HAECKE Je m'interroge aussi sur ce que vous pouviez savoir en 1988-1989 car vous êtes tenu de vendre un produit sain et vous ne pouvez pas vous permettre de vendre un produit infecté ou contaminé. Vous êtes donc forcément en chasse » pour savoir ce qui se passe. Ainsi, nous sommes frappés d'entendre que vous savez ce qui se passe en Suisse et au Portugal et vous pourriez sans doute nous apprendre beaucoup de choses. A l'origine et même encore maintenant, comment assurez-vous le contrôle de ce que vous achetez, de la farine animale qui vient d'industries qui s'approvisionnent aussi bien à l'équarrissage qu'ailleurs ? Je veux parler de l'équarrissage malsain » - les animaux morts - et de l'équarrissage sain -les résidus d'abattoirs -. Ce n'est sans doute pas la même chose. Je crois savoir justement que l'industrie anglaise n'est pas très regardante et qu'on a pu mettre des animaux morts dans le circuit de la fabrication de farines. Quand vous recevez un lot de farines, est-ce que vous le recevez directement d'une usine anglaise, ou belge ou allemande ou française ? Y a-t-il l'indication d'origine, du fabricant sur le sac et sur le wagon de chemin de fer ? M. Yves MONTÉCOT Bien sûr. M. Yves VAN HAECKE Qu'est-ce que vous savez exactement ? On doit pouvoir savoir si telle farine, tel lot vient d'Irlande, l'usine étant en Irlande, ou de Grande-Bretagne, sachant qu'il n'y a pas de frontières entre les deux Etats. Que savez-vous des circuits ? Qui assure le contrôle de ces échanges à l'intérieur de l'Union européenne ? S'agit-il des douanes, des services de la répression des fraudes ? Et lorsqu'il y a contrôle chez vous, êtes-vous tenus de fournir des échantillons ? Le service de contrôle en exige-t-il systématiquement et est-il en mesure de les utiliser ? M. Jean-Yves LE DÉAUT Je voudrais tout d'abord abonder dans le sens de ce que vous avez dit sur la filière protéagineuse. Par ailleurs, vous avez dit que si jamais l'on arrêtait toute production de farine animale, cela aurait des conséquences catastrophiques pour la totalité de la filière. Mais à côté de cela, vous nous dîtes qu'on en incorpore très peu. Pour essayer de lever cette ambiguïté, il faut nous indiquer de la manière la plus claire possible, à l'heure actuelle, quelles sont les provenances de la farine animale -filière équarrissage ou déchets-, et combien de tonnes sont utilisées actuellement en France. Je souhaiterais savoir à quel moment on les fait entrer dans les fabrications et à quels animaux on destine ces farines animales ? S'agit-il des monogastriques, des volailles, des poissons d'élevage et dans quelles proportions ? M. Georges SARRE Vous m'avez appris tout à l'heure, et peut-être que certains collègues ont été un peu surpris comme moi, que les farines animales existaient, depuis plus d'un siècle. Moi qui suis originaire de la Creuse, je ne me souviens pas de telles pratiques. Même si je ne vivais pas dans une ferme, j'ai l'impression que les animaux étaient plutôt nourris autrement. Comment l'évolution s'est-elle faite et comment voyez-vous l'avenir de votre profession ? Vous nous avez annoncé pour les prochaines années une consommation accrue de porc et de volaille. Entre l'élevage intensif et l'élevage traditionnel, quel est pour vous le point d'équilibre ? Enfin, j'ai entendu dire cent fois pendant le mois d'août les éleveurs vendent leurs bêtes de moins en moins cher, et chez les bouchers et au supermarché, le prix de la viande n'a pas baissé. Comment expliquez-vous cette situation ? M. Yves MONTÉCOT La consommation française de farines de viande est de 400 000 tonnes par an, sur une production de 20 millions de tonnes d'aliments... Mme le Président Il y a eu beaucoup de chiffres dans votre intervention, il serait bien que nous puissions avoir une note ... M. Yves MONTÉCOT Nous vous transmettrons ces éléments. 400 000 tonnes sur 20 millions de tonnes, vous voyez le pourcentage que cela représente. Je le maintiens, les aliments pour bovins sont les moins gros consommateurs de farines de viandes. Je ne peux pas vous donner une réponse en disant, c'est 3%, 4%. Pour les aliments destinés au bétail, le pourcentage est en permanence en évolution, selon l'âge des animaux et leurs besoins. Il peut y avoir aujourd'hui un fabricant qui utilise 1% de farine de viandes et un autre qui en utilise 0,5%. Je vous ai donné des fourchettes d'utilisation. En aliments pour monogastriques, ce sont les plus gros utilisateurs -volailles ou porcs-, 3 à 6 %. En aliment pour bovins, cela va de 0%... M. André ANGOT Cela allait » ! M. Yves MONTÉCOT En effet. Cela allait de 0%, dans bien des cas, à 2 ou 3% maximum. Je ne peux pas être plus précis. Mais relativisons au niveau français les volumes de farine animale par rapport au volumes globaux utilisés en alimentation animale. Quelle serait l'incidence sur l'élevage de l'interdiction totale des farines animales ? 400 000 tonnes de farines animales, cela veut dire 3,5 millions de tonnes de déchets à traiter. Au moment où les pouvoirs publics se posaient la question de cette interdiction, nous estimions son coût à 3 à 5 milliards de francs par an. Mais ce coût n'est pas à notre charge, ce que l'on a beaucoup de mal à expliquer. Certains pensent que cela représente pour nous un intérêt économique énorme. Cela n'est pas exact. Le coût résultait du traitement, du stockage, de la destruction et de la pollution. Et nous avons pris en compte ces éléments. C'était notre rôle de le faire et de participer. Mais pour nous le coût, je l'affirme aujourd'hui, le coût de substitution en tant que tel est pratiquement nul. J'évoquerai maintenant le problème des contrôles. Pour bien comprendre les contrôles auxquels on procède, il faudrait que vous passiez une journée dans une usine d'aliments pour le bétail d'abord, réception des matières premières par camions de vingt-cinq tonnes. On les stocke dans les silos. On les broie, on les transforme en farine, on les mélange, on les pèse, on les transforme en granulés. C'est-à-dire qu'on détruit la structure des matières premières, on les remélange pour qu'elles puissent être agglomérées. Les contrôles ont lieu à toutes les étapes. Je vous ai déjà parlé des contrôles à la réception contrôle visuel, rapide, contrôle analytique, avec du matériel très rapide. Je vous ai dit que nous travaillons avec des laboratoires extérieurs. D'où des prélèvements sous forme d' échantillothèque » pendant la durée de validité des aliments, en général trois mois, ce qui permet de remonter sur trois mois. A toutes les étapes du processus de fabrication, il y a des contrôles. C'est ce que nous appelons l'assurance qualité. Je ne vais pas jusqu'à la certification. La certification est un choix, qui va au-delà. L'important, c'est que l'ensemble de la profession se soit engagé dans des procédures d'assurance qualité. Quel est le niveau de risque ? A quelle étape? Comment réagir ? Comment prévenir ce risque ? Les contrôles sont à la fois internes -dans l'entreprise- et externes lorsque les fabricants, de plus en plus nombreux, font appel à des organismes de contrôles. De toute façon, ils sont en permanence sous la responsabilité des pouvoirs publics. Ces derniers visitent les usines d'aliments pour le bétail. Vous trouverez les chiffres dans le rapport Galland. Le nombre de visites réalisées par an est important. En outre, deux administrations interviennent services de la répression des fraudes et services du ministère de l'agriculture. Il y a des agréments français pour un certain type de fabricants, les aliments médicamenteux, par exemple. Ne peut fabriquer des médicaments en aseptie que le fabricant qui a subi certaines vérifications de la part de l'administration. Je profite de l'occasion pour dire que nous avons proposé aux pouvoirs publics, pour aller très loin dans ce sens, une règle qui peut être instituée rapidement. Une directive communautaire existe sur l'agrément des aliments pour le bétail en Europe. Nous avons officiellement demandé -et nous sommes prêts à aller très vite- aux administrations et aux ministres concernés que cette directive soit transcrite et appliquée le plus rapidement possible en droit français. Elle reprend notre démarche vers cette assurance qualité et nous souhaitons qu'elle soit applicable partout en Europe. Nous souhaitons aller encore plus loin sur l'aspect qualité. Le risque zéro n'existe pas. Par contre, on doit tendre vers le risque zéro. Et toutes les mesures de prévention que nous prenons et que nous devons prendre doivent avoir cet objectif. J'en viens aux produits sains et aux matières premières. Je vous ai parlé tout à l'heure de l'accord interprofessionnel. Mais il existe aussi des textes de loi sur la qualité des matières premières, céréales ou autres. Les matières premières doivent être saines, loyales et marchandes. C'est aussi de la responsabilité du fournisseur de matières premières. Le premier qui doit s'assurer que la matière première est saine, loyale et marchande, c'est celui qui la vend. Nous avons réagi. On a très souvent confondu le rôle de fournisseur de matières premières et celui de fabricant, qui sont très différents. On a parfois cherché à nous faire endosser la responsabilité d'une contamination qui viendrait des matières premières. La première responsabilité incombe aux fabricants de matières premières. C'est à eux de faire le nécessaire pour que la matière première soit saine. Notre responsabilité à nous, qui passe par l'assurance qualité, c'est de nous assurer que le fournisseur a bien pris les bonnes précautions et que la matière première est saine. C'est là qu'interviennent les échantillons que nous faisons aux fins d'analyses, en particulier pour la recherche des salmonelles. On parlera peut-être un jour de salmonelle. Nous analysons les matières premières dans des plans de contrôles. Tous les points à risque » sont détectés. Au-delà du contrôle à l'importation des services des douanes, nous avons recours, dans notre interprofession, à des organismes indépendants, type QUALIMAC -il y en a à Rennes, à Bordeaux, dans le Sud-Ouest. Ce sont des organismes interprofessionnels, et nous faisons nous-mêmes des prélèvements sur les matières premières qui arrivent par bateau. Les importations sont donc contrôlées par les pouvoirs publics, mais nous avons aussi nos propres systèmes de contrôle interprofessionnels. Ces contrôles permanents permettent d'assurer la traçabilité, c'est à dire de retrouver l'origine d'un lot de matières premières et d'éviter la contamination croisée une matière première qui est bonne pour une espèce est moins bonne pour une autre et des précautions doivent être prises pour faire en sorte qu'il n'y ait pas d'incident. Terminons sur l'avenir de la profession. Un débat sur ce point s'engage effectivement. Cette crise montre les limites de l'intensification à outrance. Même s'il est nécessaire de fournir le marché mondial, qui est demandeur, il faudra à terme prendre des précautions et limiter l'intensification. Cela rejoint aussi la notion de qualité. Il faut peut-être répartir de façon plus réaliste les volumes fabriqués dans les différentes régions de France -c'est un problème d'aménagement du territoire. Les filières animales doivent être réparties sur l'ensemble du territoire. A ce sujet-là, j'indique que nous participons à la réflexion relative au projet de loi d'orientation agricole et nous pouvons vous transmettre notre synthèse sur ce texte. Mme le Président Je vous remercie. Audition de M. Jacques CHESNAUD, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs extrait du procès-verbal de la première séance du 4 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Jacques CHESNAUD Madame le président, mesdames, messieurs, je vous remercie au nom de mon organisation d'avoir bien voulu nous inscrire dans le calendrier de vos auditions afin de pouvoir exprimer en cette période de crise le point de vue de l'ensemble des bouchers français. Je vous en remercie d'autant plus que, exprimant pourtant depuis bien longtemps un message clair mais qui allait à l'encontre de la pensée dominante, nous n'avions pu capter suffisamment l'attention. Je vous en remercie aussi car depuis le début de la crise de la vache folle, c'est-à-dire depuis la fin mars 1996, nous n'avons pu qu'à de rares occasions accéder directement aux médias écrits et, mise à part une émission de 11 minutes sur LCI, jamais aux médias télévisés, ce qui, vous le reconnaîtrez, est une situation inconfortable pour notre métier dans la tourmente que nous traversons. Si vous le permettez, notre audition d'aujourd'hui sera donc pour nous l'occasion d'exposer aux représentants élus de la nation le point de vue des bouchers français sur le fonctionnement de la filière viande, sachant que si nous pouvons nous tromper, nous nous exprimerons avec beaucoup de sincérité. Je pense que nous serons tous d'accord pour reconnaître que la situation que nous connaissons résulte en l'occurrence d'un accident industriel de recyclage des produits alimentaires et non pas d'une crise de l'élevage comme on l'a faussement présenté au début. Selon nous, la cause de cet accident tient principalement à l'alimentation du troupeau laitier en période de lactation du fait de la politique des quotas, à la nécessité d'une production intensive de lait, à la pression sur les prix par le transformateur et au choix du cheptel - les Prim' Holstein qui sont des machines à faire du lait et que l'on a essayé de pousser à leur maximum par tous les moyens possibles et imaginables. Tout ceci tient à plusieurs raisons et l'on ne peut comprendre la situation actuelle si l'on ne remonte pas aux lois d'orientation agricole de la période 1960-1965, à l'industrialisation des productions, de la transformation et de la distribution, aux politiques agricoles communes successives et aux mécanismes d'intervention et d'exportation subventionnées par le système des restitutions. Cette politique, connue sous le nom de cogestion, associait les pouvoirs publics et un syndicalisme agricole majoritaire appuyé sur l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, siège de la grande coopération et des lobbies du lait, des céréales et des sucres, sans oublier le rôle d'Unigrains. La politique qui a conduit à la filière viande que nous connaissons aujourd'hui n'a pu être menée sans de fortes convergences d'intérêts qui font que chacun est un peu responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons la direction générale de l'alimentation qui, en autorisant l'incorporation de gras dans la viande hachée industrielle, a manifestement faussé les circuits ; les règles communautaires qui ont interdit à la boucherie française traditionnelle de ne servir nul autre que le consommateur final, tendant ainsi à l'éliminer de tous les services de collectivités ; le fonctionnement des abattoirs qui a totalement écarté de toute responsabilité la boucherie française depuis vingt ans ; la réglementation des prix, objet de tant de polémiques, et dont la mécanique du prix d'achat moyen pondéré aboutissait obligatoirement à un mélange des produits vendus à l'intérieur d'un même magasin, ce qui ne pouvait que pousser à la recherche du rendement ; les scientifiques de l'INRA eux-mêmes - ils me le pardonneront - qui récemment ont tenté de démontrer qu'après vingt jours de maturation toutes les viandes sont identiques, ce qui est faux, et qui ont ainsi apporté leur pierre à la banalisation des produits qui est une des erreurs de la filière ; les fabricants de farines de viande dont la défense met l'accent sur l'aspect financier du problème, évacuant complètement l'aspect sanitaire, que l'on ne peut ignorer ; la circulaire Fontanet relative au refus de vente et à l'extension de la TVA au stade du détail ; et enfin - et je pèse mes mots - une harmonie de vision, dans cette période et les années qui ont suivi, entre certains partis politiques, certaines centrales syndicales, certains médias et certains réseaux bancaires, car c'était le temps où il fallait à tout prix moraliser le commerce. Le tout a abouti à un changement profond du paysage au sein de la filière viande telle qu'elle était sortie de la dernière guerre mondiale, changement qui allait pêcher par excès à la fois dans la dimension et dans le temps - car cette politique qui au départ était une nécessité s'est prolongée trop longtemps. C'est ainsi que l'on a assisté à l'apparition d'ateliers de découpe à la fois surpuissants et incapables de vivre sans le système de l'intervention, d'un réseau d'abattoirs désaccordé du terrain, de 13 millions de mètres carrés de grandes surfaces au 1er janvier 1995, d'entités puissantes dans les secteurs du lait, des céréales, du sucre et, dans une moindre mesure, de la viande, ainsi qu'à la disparition de 15 000 points de vente artisanaux. Ce serait déjà beaucoup mais ce serait omettre le résultat principal de cette politique, à savoir une banalisation du produit par le bas et une pratique généralisée du mélange, cause principale de la livraison d'un mauvais produit et de la désaffection continue du consommateur pour la viande bovine - l'accident industriel n'étant que le révélateur. On peut s'interroger devant cette situation, non pas sur la responsabilité des autorités de Bruxelles dans le résultat des politiques agricoles communes successives car cette responsabilité est évidente, mais sur la forte réserve dont la Commission a fait preuve à propos de la maladie de la vache folle alors que son existence et ses causes en étaient connues depuis plusieurs années. Si la réserve et une certaine opacité des travaux de la Commission sont de règle, on peut donc s'étonner que cette fois cette réserve ait volé en éclat. Il fallait que la crise soit forte. J'en viens à la thérapeutique avec d'abord quelques remarques préalables. Pour ce qui est en premier lieu de l'aspect santé, il convient de remarquer qu'apparemment il n'existe aucune certitude du passage de l'encéphalite spongiforme bovine à la maladie de Creutzfeldt-Jakob de l'homme. Néanmoins, devant la gravité du risque, il est normal et nécessaire de faire comme si cela était le cas. Si les précautions devant le risque sont normales, on ne peut s'empêcher de relever que l'on a assisté à un fort matraquage publicitaire dans lequel il semblerait puéril de nier l'influence des Etats-Unis, très mécontents du refus opposé à leur viande aux hormones, ou encore le désir d'éventuelles délocalisations de la production et de la transformation » dans les pays de l'Est qui, pour la Commission de Bruxelles, peut du point de vue financier présenter un certain intérêt. S'agissant des médias en général et de la télévision en particulier, toute personne normalement cultivée sait que c'est la façon dont nous voyons le problème qui est le problème. Et tout le monde en tant que citoyen peut constater tous les jours dans tous les domaines qu'un fort matraquage assorti d'extraits de radio-trottoir » orientés et de montages par coupures d'émissions enregistrées permet d'imposer ou de tenter d'imposer avec une certaine réussite une sorte de pensée unique » découlant d'une vision unique, pensée unique » qui correspond bien sûr à celle des vrais décideurs du média considéré. Pour le citoyen que je suis et qui va prendre le pas quelques instants sur le président d'organisation syndicale, ces pratiques sont en train de fausser en France la vie de la démocratie. Par ailleurs, on s'est beaucoup préoccupé de savoir si la maladie était transmissible. Mais on n'a semble-t-il pas trop cherché à savoir pourquoi les vaches deviennent folles ! Imaginons une voiture dans le moteur de laquelle on mettrait du vin blanc au lieu de l'essence ou encore un central téléphonique dont on changerait tous les terminaux sans en avertir la mémoire centrale. La recherche de la cause du problème ne devrait pas être évitée. Quant au fameux logo VBF qui a joué incontestablement son rôle dans les deux premiers mois de la crise, il est devenu totalement insuffisant à partir du moment où a été constatée la porosité des frontières françaises aux farines anglaises et où le consommateur s'est rendu compte que ce logo, qui devait garantir une sécurité sur le plan alimentaire, était attribué à des troupeaux qui pouvaient présenter certains risques, en particulier dans le troupeau laitier. Il nous apparaît par conséquent indispensable sur le plan de la santé d'identifier, avec un processus de traçabilité à la française, les viandes européennes et celles des pays tiers autorisés, ainsi que de préciser, à côté de l'identification géographique - qui n'est pas suffisante car c'est une sorte de manteau de Noé qui recouvre des caractéristiques différentes - les races à viande, les races laitières, les jeunes bovins ou les races mixtes. Il sera également indispensable de préciser clairement l'alimentation du troupeau concerné et d'organiser la traçabilité de cette alimentation car les farines à base de viande étant autorisées dans certains cas et interdites dans d'autres, une erreur est toujours possible en l'absence de suivi informatique et d'impression sur les sacs. Dans la mise en place des signes identifiants répondant aux exigences précédentes, il faudra bien sûr, lorsque l'on pourra repartir à la conquête des consommateurs, favoriser la communication de signes identifiants résultant d'accords de vrai partenariat et distincts par circuit de distribution car l'expérience a montré que lorsque des identifiants sont identiques en grande surface et en boucherie traditionnelle, c'est l'échec qui est au bout. On pourra enfin s'interroger, même si ce sujet est aujourd'hui polémique, sur la création d'une éventuelle agence de la santé. Pour ce qui est, en second lieu, de l'aspect économique du problème, je voudrais dire que le mécanisme reliant les différents éléments de la filière viande regroupée au sein d'Interbev est assez particulier. L'amont de la filière - l'élevage - cherche et trouve peu à peu une partie importante de sa rémunération dans les caisses publiques. Le milieu de la filière - abattoirs, ateliers, grossistes - tente de compléter sa rémunération par le mélange des genres, des produits et des clients au moyen des services aux collectivités, des ventes directes, de l'intervention et de la disparité des prix de vente selon les circuits. L'aval de la filière -grande distribution et boucherie - est quant à lui forcé de trouver sa rémunération par la séduction de la ménagère, consommatrice maîtresse de son porte-monnaie, remarque étant toutefois faite que la grande distribution peut faire aussi de la pondération grâce aux milliers d'articles, y compris non alimentaires, qu'elle vend. Du fait de la diversité des sources de financement permettant d'atteindre le seuil de rentabilité, il n'est pas surprenant que des tensions règnent au sein d'une filière aux intérêts parfois complémentaires, parfois opposés. Cette disparité des ressources induit deux résultats. D'une part, la tendance forcenée au rendement au moyen des hormones, des farines et de l'élevage intensif. D'autre part, de très fortes pressions sur les prix de production - et j'ai utilisé les mêmes mots au Conseil national de la consommation devant les représentants des consommateurs parce que cette affaire est suffisamment grave pour que l'on ne tienne pas plusieurs langages - car un trop long temps s'est écoulé avant que les consommateurs et leurs organisations n'aient pris conscience, admis et reconnu que le prix ne doit pas être la seule motivation d'achat. A cet ensemble de données économiques, il faut ajouter la féroce et agressive concurrence des viandes blanches, des produits laitiers et des produits à base de céréales et de sucre. Dans ce contexte, la filière viande bovine, qui a répondu par la banalisation et le mélange, a été conduite à livrer très souvent un mauvais produit du point de vue de la qualité - non de la santé - et a vu les bons produits se dévaloriser par l'éclairage tendancieux et désinformant » mis sur leur prix. Je prendrai à cet égard l'exemple de la dernière émission télévisée ayant traité de ce point. Il date d'hier 3 septembre. On a pu alors entendre parler devant l'ensemble des Français du prix de la viande en général sans que soient distingués les cours d'achat par troupeau et par catégorie d'animaux. Le prix de vente d'un broutard qui s'effondre faute de pouvoir être expédié en Italie n'a pourtant rien à voir avec celui d'une vache limousine qui dispose encore d'un circuit de distribution. Parler de prix sans parler des prix d'achat et des qualités vendues par circuit n'a pas de sens. On sait très bien que deux circuits de distribution existent en France, l'un, globalement, s'approvisionnant sur le troupeau laitier et l'autre sur le troupeau allaitant. On ne peut parler de prix en confondant ces deux sources d'approvisionnement. De même, comparer les prix d'achat sur pied avec le prix de la viande nette sans tenir compte des pertes de poids successives - selon qu'il s'agit d'animal vivant, de carcasse ou encore de viande nette et de ses différentes catégories - ne peut être perçu par nous que comme une manoeuvre des producteurs de vaches laitières qui, par la pratique de l'amalgame, essaient de faire oublier qu'ils ont livré de mauvais produits et de nuire aux races à viande. S'opposent dans cette affaire les casseurs de préfecture » contre les marcheurs de Charroux ». Toujours hier, on pouvait lire au cours de cette émission sur un tableau, à côté du prix d'achat de l'animal estimé à 20 francs le kg et des frais de transport, des coûts d'intervention et de la TVA, que la viande devrait se vendre 50 francs le kg. Il s'agit là d'une plaisanterie ! Il est dramatique, dans un moment difficile, de dire des sottises pareilles. La confédération de la boucherie française qui demande depuis longtemps et par écrit une étude comparée des prix d'achat par circuit et qui est en train d'organiser une collecte de photocopies de ses factures d'achat, est sereine devant ces attaques car la coalition éventuelle de ses 25 000 points de vente qui pratiqueraient tous ensemble la même dérive des pratiques de vente lui est toujours apparue depuis les années 70 - la situation c'est vrai était différente dans la période antérieure - comme un serpent de mer, une réponse que l'on ressort lorsque l'on veut éviter de parler d'autre chose. Dans le cas particulier, on parle des prix en espérant éviter de parler d'une éventuelle réforme. Par conséquent, partant du fait, qui semble incontestable, que la bonne viande bien travaillée, que le bon boeuf bien travaillé, c'est bon et que le consommateur qui en mangerait aurait envie d'en racheter - au contraire du produit que l'on a quelquefois livré ces dernières années - il faut ajouter aux questions de santé le retour majoritaire à l'élevage extensif par une révision du système des primes et de l'intervention. A cet égard, et à condition d'en analyser toutes les conséquences, la notion de prime à l'hectare ne devrait peut-être pas être écartée complètement de nos réflexions. Il faudra aussi accepter que la qualité ait un prix mais celui-ci bien évidement doit être un juste prix. Dans le domaine des animaux de qualité, le système de labellisation qui, par sa structure économique, aboutit en fait à un mono-fournisseur sans possibilité de discussion de prix lors de la mise sur le marché, est un des éléments qui explique que ce secteur n'a conquis que 2 % à peu près du marché. Si les labels, qui sont une des réponses au problème, doivent se développer de façon satisfaisante, il faut réfléchir à d'autres conditions de mise sur le marché. En conclusion, dans une situation où tout le monde est responsable, il ne s'agit pas de dresser les gens les uns contre les autres mais de réaliser que les intérêts qui s'affrontent dans un marché qui dépasse annuellement les 80 milliards de francs de chiffre d'affaires sont tellement contradictoires et les lobbies d'agression et d'inertie » si puissants que - je pèse mes mots - si le Gouvernement commet l'erreur de donner l'argent des aides avant d'avoir réformé, il ne pourra plus jamais faire ces réformes. Le problème de la vache folle finira alors en dérobade à l'image de ce qui s'est passé avec la défunte charte du veau, avec tous les risques d'explosion que cela comprend. Pour en être convaincu, il suffit de regarder avec attention les textes des rescapés de la cogestion ». Ils parlent de milliards, de restructuration et d'assainissement, oubliant l'essentiel, à savoir le service aux consommateurs et la fourniture d'un vrai bon produit, qui permettraient à la filière de vivre autrement que de charité publique. On pourrait à cet égard penser qu'une conférence sur la qualité réunissant autour du ministre compétent toutes les parties concernées ne serait pas inopportune. Pour en revenir à la relance par le prix, nous avons vu que les animaux de moins de six ans, issus en particulier des races à viande, sont ceux qui offrent les meilleures garanties. On va vraisemblablement tuer les veaux de 8 jours, stocker les broutards de 6 mois et essayer de se dégager du troupeau laitier qui présente quelques risques lorsqu'il a plus de six ans par incitation sur le prix. Tout esprit sensé relèvera la bizarrerie de cette situation. Dans le même esprit de confusion, et alors qu'en matière de communication il faudrait mettre fortement l'accent sur la viande certifiée résultant d'un contrat de partenariat et d'un cahier des charges correct, certains parlent de ne communiquer que sur la certification elle-même, véritable manteau de Noé. A l'image du logo VBF, un unique tampon "Viande certifiée" recouvrirait en même temps les jeunes bovins, les races mixtes, le troupeau laitier, les animaux importés, sans véritable traçabilité. On compte à ce jour à peu près 25 000 bouchers français dont 7 000 à 8 000 sont acheteurs en vif - lesquels ont d'ailleurs superbement résisté dans la crise, étant à même de donner à leurs clients des preuves de la provenance de leurs produits. Ces 25 000 professionnels compétents ont fourni des efforts exceptionnels d'organisation, contrairement à ce que l'on a pu dire regroupement des achats avec une fédération de coopératives, la COOBOF; communication, plus ou moins bien réussie ; structure forte de formation ; contenu de formation ; outil de financement et également outil de formation avec les centres de gestion agréés. Les 25 000 bouchers français ont aussi réalisé avec d'autres professions alimentaires et les services officiels concernés une structure hygiène et qualité ». Le Parlement nous a aidés en votant la dispense à l'agrément de Bruxelles pour le service au consommateur autre que le consommateur final, et nous avons dans ce cadre mis en place des guides pratiques, des fiches techniques, des centres nationaux et locaux d'action qualité et des prêts à 3,5 % pour des entreprises indépendantes. Sur ces bases de travail - hygiène, qualité, compétence et clarté - ces 25 000 couples modestes, bien élevés et travailleurs - formule peut-être un peu ridicule mais que j'emploie à dessein car nos adversaires économiques ont parfois tendance à nous coller dans la presse l'étiquette de voleurs - qui ont été les seuls à accepter dès le début de la crise les contrôles, ont vu dans la crise de la vache folle se confirmer l'existence de leur bonne image de marque auprès des consommateurs qui ont reconnu en eux un maillon sérieux et fiable de la filière. Cela est si vrai que jusqu'au 12 juin, date de parution de l'article du journal Le Monde » sur les farines et la porosité des frontières ainsi que sur la transmission de macaque à macaque, le niveau d'activité des bouchers français était demeuré satisfaisant, il avait progressé pour ce qui concerne les acheteurs en vif. Il a fallu le choc du 12 juin pour mettre en péril à la fois l'emploi et la pérennité des toutes petites entreprises, pour lesquelles il va falloir trouver des solutions d'accompagnement. On constate cependant à la reprise d'activité après les vacances, qu'en ce début du mois de septembre, la confiance du consommateur français en son boucher s'est encore renforcée. Il y a donc en France de la bonne viande et de bons bouchers. Des mesures sont simples à prendre en ce qui concerne la traçabilité et le soutien à l'élevage extensif. Prenons-les en accord avec les organisations de consommateurs. Nous devrons aussi avoir à l'esprit qu'au-delà des mesures prioritaires concernant la santé publique, le rétablissement d'une concurrence objective et l'existence d'une boucherie française forte face aux mondialistes » et aux corporatistes » constitueront une arme pour éviter une nouvelle et inévitable crise et un moyen plus efficace, en produisant pour un marché, que l'appel permanent aux contribuables qui va finir par se retourner contre la filière elle-même. M. André ANGOT Mme Evelyne Guilhem ayant dû s'absenter quelques instants, elle m'a demandé de bien vouloir vous poser les deux questions qu'elle avait préparées à votre intention. Premièrement, votre profession a-t-elle tiré des bénéfices de la mise en place au printemps dernier du logo Viande Bovine Française ? Comment jugez-vous cette opération cinq mois après son lancement ? Deuxièmement, dans un éditorial de La Boucherie Française » daté de juillet-août, vous avez déclaré que la relance de la consommation par le prix se ferait uniquement au profit de l'écoulement des stocks sur pied d'animaux nourris à la farine. Vous sous-entendiez donc qu'il existe encore en France des stocks de viandes contaminés prêts à être livrés aux consommateurs. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Pour ma part, j'ai noté que vous mettiez en cause le rôle des médias dans l'intoxication, si j'ose dire, des consommateurs dans la crise actuelle. Pourtant vous vous servez vous-même d'une intoxication des médias en ce qui concerne la porosité des frontières et l'utilisation, bien après l'année 1990, de farines animales interdites. Est-il normal à la fois de condamner une méthode et de s'en servir ? M. Jacques CHESNAUD Manifestement, le sigle VBF, sur la période avril-mai, a été une bonne opération. Je rappelle qu'il fallait dans l'immédiat rassurer le consommateur sur la non présence de viande anglaise - on ne connaissait pas la suite du dossier. Il a été mis en place très vite, pratiquement d'un mercredi à un samedi, et il a joué un rôle important dans le circuit qui a pu l'afficher le premier - parce que tout le monde ne pouvait pas l'afficher. Il a contribué à maintenir une certaine confiance chez les consommateurs et la fréquentation des magasins. En revanche, il est très vite apparu que le logo n'était pas suffisant pour donner au consommateur les précisions nécessaires pour assurer sa tranquillité. A partir du milieu du mois de mai, le consommateur a commencé à se poser de nombreuses questions. On observe aujourd'hui un très net recul de la position du logo VBF, parce qu'il n'a pas été à temps différencié selon l'origine du troupeau troupeau laitier, troupeau allaitant, jeune bovin, troupeau mixte. On peut presque dire que, sauf dans certains cas, il est plus gênant qu'utile. Mais au départ, l'opération de mise en place a été vite faite, bien faite et a eu un résultat satisfaisant. C'est la situation qui a évolué. La deuxième question concernait la relance par le prix. J'ai peut-être écrit ce que vous avez indiqué, mais ce n'est peut-être pas tout à fait ce que j'ai voulu dire. Ce que j'ai voulu dire, c'est que lier à l'existence d'un logo VBF, qui couvre aussi bien le troupeau laitier que le troupeau allaitant, une relance par le prix qui permettrait aux entreprises qui ont les moyens d'acheter des pages de journaux - proposant à 59 francs le kg un animal acheté 20 francs alors qu'en parallèle des animaux achetés 30 francs portent le même logo VBF - et juxtaposer un logo imprécis à une politique de prix qui dépend des différentes catégories de viandes achetées, nous paraissaient extrêmement nuisible. Il nous fallait expliquer aux consommateur que le troupeau qui pouvait se vendre à un prix différent était un troupeau particulier. Tout le monde sait maintenant que l'alimentation par farines ayant été utilisée surtout dans le troupeau laitier en période de lactation et que l'interdiction des farines remontant à peu près à cinq ou six ans, tous les animaux d'un âge antérieur à cette période sont en zone de risque », alors que les animaux nés après cette période, sauf dans les cas où il y aurait eu des fraudes, ne sont pas en zone de risque » et enfin, que les animaux du troupeau allaitant ne sont pas du tout en zone de risque ». Par conséquent, si on fait une relance par le prix, il faut expliquer aux consommateurs ce qu'on leur vend. La boucherie française, c'est 25 000 bouchers il y a des acheteurs en vif, d'autres qui vendent du troupeau allaitant, d'autres qui ont essayé de concurrencer les grandes surfaces par une politique de prix. Il est possible de vendre des animaux de toutes origines, mais il faut dire au consommateur c'est du jeune bovin, c'est du troupeau mixte, c'est du troupeau allaitant, et donner l'âge. Si on ne donne pas l'âge des animaux, on trompe les gens. Enfin, vous avez essayé de m'emmener dans une discussion sophistiquée à propos des médias. J'ai parlé du matraquage publicitaire. Je ne me suis pas élevé contre le rôle de la presse, car je sais bien que sans elle, il n'y a plus de démocratie. On tient donc à la presse et aux polémiques qu'elle génère. Mais quand il y a un matraquage de la presse, manifestement disproportionné par rapport à l'événement, on peut considérer qu'elle tente de présenter le problème d'une façon à modifier le jugement. Cela dit, que Le Monde », dans un article du 12 juin dernier, ait montré ce qui était une réalité, à savoir la porosité des frontières françaises, et qu'il ait quelquefois publié des articles un peu longs à notre goût sur le sujet, n'empêchait pas de reconnaître avec objectivité qu'il s'agissait d'un bon argument. Je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas utilisé une vérité qui nous amenait à reconsidérer tout le dispositif de traçabilité, sous prétexte qu'on n'était pas très content de la façon dont on abusait des médias. M. André ANGOT Il se trouve que l'intervenant précédent s'est efforcé de nous démontrer que le service des douanes confirmait qu'il n'y avait pas eu de porosité des frontières. En même temps, le syndicat des fabricants d'aliments nous a expliqué quelles quantités de farine étaient utilisées. Il considérait justement que cette déclaration du journal Le Monde » faisait partie des intoxications médiatiques ». M. le Rapporteur Monsieur le président, merci de vos propos. Pour ma part, je voudrais vous poser des questions d'ordre général, sachant que dans la filière bovine vous êtes des intermédiaires, un maillon de la chaîne, avec en amont les éleveurs et en aval les consommateurs. Premièrement, vous êtes évidemment responsables de ce que vous vendez. Est-ce comme cela que vous le comprenez ? Et si vous êtes responsables de ce que vous vendez, quel est votre degré de certitude sur la qualité de ce que vous vendez ? Je parle en termes de conviction morale. Vous l'avez bien dit, les scientifiques ne savent pas. Mais il y a un moment où il faut assumer une responsabilité à la place qui est la sienne, et dans le doute, il est clair que vous ne vous abstenez pas. Vous continuez de vendre de la viande, et vous dites d'ailleurs que c'est de la bonne viande. J'aimerais bien que vous me disiez les convictions profondes qui vous conduisent à dire qu'aujourd'hui la viande que vous vendez est de bonne qualité et qu'elle n'est pas contaminante. J'aimerais savoir si vous en êtes vraiment persuadés et quels sont les éléments qui vous amènent à le penser. Quand on intervient en aval dans une chaîne, il est clair qu'on accepte d'entériner ce qui a été fait plus en amont. A partir du moment où vous achetez de la viande pour la vendre, vous engagez votre responsabilité sur la qualité. M. Jacques CHESNAUD Sur la qualité sanitaire ? M. le Rapporteur Bien entendu. M. Jacques CHESNAUD Les textes légaux français ont expulsé les bouchers français des abattoirs et ils n'ont plus le droit d'y intervenir. Même un boucher acheteur en vif laisse son animal à la porte de l'abattoir et le récupère à la sortie les quatre quarts, le suif et la corde avec laquelle il a amené l'animal. La vérification de la santé de l'animal, qui ne peut se faire sérieusement que quand l'animal est vivant ou quand il est abattu en carcasse et qu'on peut examiner notamment le sang, les viscères, les abats rouges et les abats blancs, est du ressort exclusif des services vétérinaires. Aucun boucher français n'a le droit d'aller dans un abattoir donner son avis sur un animal à partir du moment où l'animal abattu a été ouvert et où les viscères sont en vue. Cette mesure a été prise à l'époque où l'on avait décidé de moraliser le commerce. On voulait moraliser les abattoirs, de manière que les vilains marchands » ne laissent pas passer des animaux contaminés. Ainsi, la règle est formelle aucun boucher ni aucun représentant d'une grande surface- sauf si elles ont leur propre abattoir - ne peut intervenir au moment où l'on peut constater un éventuel vice de forme » du produit vendu. Par conséquent, de par la loi et les faits, pour nous, la conformité du produit est attestée par le certificat et le tampon vétérinaire. Si votre question avait pour but de m'amener à dire que nous devions mettre en doute la capacité et le sérieux des services vétérinaires français, je ne dirai pas cela. Je dis simplement que l'opération de vérification se passait à un endroit dont l'accès nous était interdit. Revenons à ce qui se passe aujourd'hui. Les événements étant ce qu'ils sont, nous avons été amenés à regarder tous ensemble, comme on le fait là, le problème de près. Il nous est apparu que les animaux de moins de six ans et que parmi les animaux de plus de six ans, et que parmi les animaux de moins de six ans, ceux élevés en élevages extensifs dits de races à viande » posaient encore moins de problèmes que ceux du troupeau laitier. Nous pouvons donc dire au consommateur que les animaux du troupeau allaitant ayant une traçabilité assurée ont le maximum de chances d'être sanitairement corrects. Il est vrai que dans les dix ans précédents, le même genre de recherches approfondies aurait pu être fait par l'ensemble de la filière, y compris par nous-mêmes. Il est vrai que personne ne l'a fait, puisque même l'Union européenne n'est plus intervenue sur le dossier, que le ministère de l'Agriculture, plus ou moins informé des travaux du Conseil économique et social, ne s'en est pas spécialement saisi, et que nous-mêmes, qui, dans la concurrence acharnée des circuits de distribution étions tous plus ou moins réfugiés dans le mélange et la banalisation du produit, nous ne nous sommes pas posé la question. Ce n'est plus vrai à l'heure actuelle, où l'on peut parler au consommateur et différencier selon le troupeau et l'âge... M. le Rapporteur Cela veut donc dire que vous vous déchargez de votre responsabilité administrative, à partir du moment où vous avez le certificat vétérinaire... M. Jacques CHESNAUD On nous en a déchargés, contre notre gré... M. le Rapporteur ...mais vous estimez donc que votre responsabilité administrative n'est pas engagée, et vous vendez un produit que l'on vous vend comme conforme aux impératifs sanitaires. M. Jacques CHESNAUD Oui, tout à fait. M. le Rapporteur Et votre responsabilité morale ? M. Jacques CHESNAUD Monsieur le professeur, elle aurait pu s'éveiller plus tôt, mais mieux vaut tard que jamais. Sourires. Seulement, tout le monde l'avait, cette responsabilité morale, y compris les scientifiques. Alors, je veux bien prendre ma part de péché, mais tout le monde la sienne... M. Pierre FORGUES Je tiens à dire que j'ai été particulièrement satisfait de ce que j'ai entendu. J'ai apprécié la critique objective de l'évolution de notre agriculture et notamment des conditions d'élevage. Il est incontestable qu'il y a eu une banalisation du produit vers le bas et que depuis plus de vingt ans, et l'on continue allègrement aujourd'hui, il y a un mélange du produit. Ce mélange du produit est fait dans les grandes surfaces, certes, mais aussi, dans les boucheries, dans les petites comme dans les plus grandes. Or, c'est une évidence aussi, il y a une relation de confiance entre le consommateur et son boucher. Et il me semble que vous, les bouchers, vous étiez vraiment les mieux placés pour donner toutes les informations aux consommateurs. Que veut le consommateur ? Il veut savoir d'où vient la viande, où elle a été abattue. Est-ce que c'est une viande qui vient d'une vache allaitante ou d'une vache laitière ? Il ne le sait pas. Moi-même je ne le sais pas, et j'ai des relations de confiance avec mon boucher. Il faut que je lui demande. Cela n'est en général pas indiqué. Il me semble que vous, vous auriez pu tout à fait faire figurer sur l'étal l'origine de la viande. Bien sûr, il y a des bouchers qui le font, mais c'est très très récent. Le mélange des genres existe depuis plus de vingt ans, et je suppose que vous n'avez pas attendu aujourd'hui pour faire l'analyse critique à laquelle vous avez procédée devant nous. Vous êtes responsable d'une catégorie professionnelle qui reste très importante dans la vente de la viande. C'est cette relation de confiance avec le consommateur qui a fait que les bouchers ont résisté. Alors je trouve que vous avez mis beaucoup de temps. Quand vous allez acheter l'animal à l'abattoir, il est parfaitement identifié. Mais il n'y a que 8 000 bouchers à indiquer précisément la provenance de l'animal. Restent les 17 000 autres bouchers qui achètent de la vache laitière et qui vendent le bifteck à peu près le même prix que celui d'une vache allaitante. Là, il y a quelque chose qui ne va pas. J'espère qu'à l'avenir les bouchers feront tout pour que le consommateur ait véritablement toute l'information. Alors vos propos, monsieur le président, prendront effectivement toute la dimension que pour l'instant je leur donne. M. Yves VAN HAECKE Vous avez cité l'agence de la santé. Quelle devrait être sa tâche, plus particulièrement vis-à-vis des bouchers ? Quels contrôles lui confieriez-vous ? A propos de l'identification, j'ai relevé vos termes, auxquels je souscris à 100 %. Vous avez à juste titre dénoncé la banalisation et le mélange. Pour reprendre les questions déjà posées concernant l'identification et l'étiquetage, qu'est-ce qui selon vous devrait être obligatoire et facultatif ? M. Jacques CHESNAUD Sans vouloir faire se battre les gens les uns contre les autres, vous savez comme moi qu'avant la crise de l'encéphalopathie spongiforme, le DAB, document d'accompagnement bovin » - à partir de la boucle d'oreille, pour se transformer en fiche d'accompagnement à l'abattoir -, n'était jamais ou mal rempli dans 75 cas sur 100. Il a fallu la crise pour que ces DAB soient remplis correctement. Certes, on aurait pu mettre le feu à quelques préfectures et défiler dans les rues pour attirer l'attention sur le problème. Je rappelle néanmoins que la communication faite par INTERBEV sur les fonds de l'interprofession est quasiment bloquée depuis trois ans parce que nous n'arrivons pas à faire passer, au sein d'INTERBEV, la notion de messages par types de troupeau, une partie importante d'INTERBEV, au sein duquel il existe un droit de veto, s'obstinant à vouloir faire une communication générique du type VBF, qui recouvre tout sans rien distinguer. Peut-être avons-nous manqué d'énergie. Mais il y a eu aussi des obstacles énormes, auxquels nous nous heurtons encore actuellement. Et je suis convaincu que si le Gouvernement ne fait pas une réforme maintenant sur ce point et ne met pas en place les aides correspondantes, il ne le fera plus après. Le DAB - vérifiez autour de vous, questionnez vos éleveurs et les gens des abattoirs - est devenu un document sérieux et fiable depuis la crise de la vache folle. Avant, il y avait de faux DAB, des DAB sans numéro, sans lettre, qui étaient pratiquement inutilisables. Le budget de l'interprofession est à peu près de 100 millions de francs par an et la communication qui devrait s'ensuivre devrait porter sur la clarté vis-à-vis du consommateur. Or il y a trois ans qu'on n'arrive pas à faire l'unanimité, parce que la tendance au logo manteau de Noé » est toujours présente et toujours chez les mêmes, que tout le monde connaît. L'agence de la santé, vous le savez comme moi, est un sujet polémique qui agite fortement le ministère de l'économie et des finances, le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation et les vétérinaires. Nous éviterons d'entrer dans ce débat et nous dirons simplement, vu du côté des usagers, que la disparité des directions - les fraudes, les services vétérinaires -, la proximité un peu trop étroite des services de répression avec ceux qu'ils contrôlent et l'absence dans ce dossier, depuis le début, d'avis clairs des services de la santé proprement dits, pourraient plaider pour une réorganisation des services pour en faire un outil efficace, indépendant, rassemblant à peu près au même endroit les choses possibles à faire. Et je ne suis pas sans peser les différences de statuts du personnel, la crispation des différents ministères sur les services de leur royaume ». N'empêche que sur le fond, on peut penser que ce serait une chose souhaitable, à réaliser progressivement. La certification est un cheminement devant lequel nous avions longtemps reculé. En effet, dans le système de certification de type label, l'acte de certification entraîne automatiquement une perception de droits, des possibilités de formation et de communication qui font que les outils certifiés deviennent de petites féodalités difficiles à réformer. En revanche, la certification de produits a notre accord, à telle enseigne que pour la marque BTB qui a été définie en partenariat avec la production, nous allons aller vers la certification. Je répète qu'il faut indiquer au consommateur l'origine de l'animal - en précisant où il est né, où il a été élevé, où il a été abattu - et ce pour tous les pays de la Communauté. Parce qu'à l'heure actuelle, si le contrôleur des fraudes vétérinaires passe dans la rue, devant une boucherie avec le logo VBF, il rentre et passe tout au tamis ». Mais s'il passe devant une boucherie qui vend un produit importé autre qu'anglais, qui est donc en règle mais n'a pas de logo, il sifflote et il ne s'arrête pas. Petit à petit, étant donné le tempérament français, les gens choisiront la situation la moins contraignante. D'où la nécessité de régler au plus tôt ce problème. Je pense qu'il y a au sein de la commission spécialisée qui travaille sur ce sujet au Conseil de la consommation un consensus fort avec les organisations de consommateurs. Leur différence de point de vue porte sur la liste des mentions à afficher, qu'il convient peut-être de raccourcir. Mais il faut indiquer au consommateur né, élevé, abattu, que ce soit pour les viandes allemandes, néerlandaises, danoises, belges, françaises... Il faut indiquer aussi race à viande, race laitière, jeune bovin et à l'intérieur de chaque section l'alimentation dont a bénéficié l'animal. Il faut organiser en même temps une traçabilité de l'alimentation. Car si on a des farines composées d'une façon pour l'alimentation des porcs et des volailles, d'une autre façon pour celle des bovins, et si on ne suit pas les quantités, il est évident qu'il y aura des problèmes. Il faut aussi indiquer le type d'élevage, extensif ou intensif. Mais il ne convient pas d'aller au-delà. Le mieux est l'ennemi du bien. Dans un premier temps, instituer un DAB précis et bien rempli et préciser l'origine, le lieu d'élevage, le lieu d'abattage, le type de troupeau, le mode d'alimentation, le type d'élevage, extensif ou intensif, on n'en a pas fait autant en cinquante ans ! Alors, si on faisait cela, ce ne serait pas si mal. M. Marc LAFFINEUR Nous sommes nombreux ici à partager votre point de vue sur le fait que les consommateurs ont confiance en leur boucher. J'ai remarqué aussi dans ma région que les ventes ont certainement beaucoup moins diminué chez les bouchers que dans les grandes surfaces. Quelle est donc actuellement la baisse enregistrée chez les bouchers par rapport à la situation antérieure au mois de mars et quel pourcentage de la vente de viande est réalisé par les bouchers ? Deuxièmement, pourquoi les prix n'ont-ils pas baissé ? Il serait intéressant que vous puissiez donner votre avis, parce que cela choque un peu le consommateur que la situation soit si différente au niveau de la production et de la consommation. Enfin, vous nous avez parlé de la traçabilité. Nous nous sommes aperçus, dans cette mission, qu'il était extrêmement difficile d'avoir une traçabilité dans laquelle on puisse avoir confiance. Pour être sûr, aussi bien chez le boucher que dans les grandes surfaces, de l'origine de la viande, comment faut-il faire techniquement ? M. René BEAUMONT Je voudrais d'abord vous remercier et vous féliciter d'avoir usé d'un certain bon sens pour nous faire comprendre les problèmes de la filière viande depuis quelques décennies. Nous l'avons beaucoup apprécié. Je vous remercie aussi d'avoir un peu démystifié les labels dans la mesure où c'est un vaste pluriel dans notre pays. Ils ne correspondent plus à une notion de qualité et ils sont pernicieux du fait de la notion de fournisseur unique, comme vous l'avez développé. J'ai cru comprendre, en revanche, que vous étiez favorable aux certifications d'origine d'alimentation, à condition que soit connu l'âge des bovins, et je crois que c'est dans ce sens qu'il faudrait que nous orientions une partie de nos conclusions. J'évoquerai rapidement un problème qui me semble essentiel pour l'avenir de la filière viande, la politique de traçabilité mise en place par le ministère aujourd'hui. On se gargarise dans ce pays, et en tant qu'ancien vétérinaire sanitaire, je sais de quoi je parle, de la qualité du service vétérinaire français et du contrôle sanitaire en général. C'est indéniable. Mais tout ceci, de même que le certificat d'origine évoqué à l'instant et le certificat d'alimentation et d'âge, ne reposent que sur des documents administratifs délivrés par les services de l'Etat. Et force est de constater qu'il n'y a pas longtemps encore des animaux arrivaient avec des documents incomplets, voire sans documents. Ainsi, très récemment, dans mon département, plus de trente bovins ont été identifiés » par les agriculteurs sur les routes ou dans les abattoirs, dépourvus totalement d'identification, de certificats, des bovins venant de Belgique s'étant même retrouvés qualifiés viande bovine française ». Je crois qu'il faut alerter les services administratifs de notre pays, et en particulier les services sanitaires. Ce n'est pas tolérable. Cela dit, monsieur le président, je suis vigoureusement opposé à la tentation que vous me semblez avoir d'opposer sur le plan de la qualité, non pas sanitaire mais organoleptique, deux types de troupeaux, le troupeau laitier et le troupeau allaitant. Cela, c'est criminel, monsieur le président, et ce n'est pas tolérable. Comment pouvez-vous dire qu'il suffit qu'un animal soit charolais ou limousin pour être de qualité ? Alors que nous exportons - avec difficulté, c'est vrai, actuellement - des broutards qui vont se faire engraisser en Italie ou en Espagne mais dans les ateliers d'engraissement et qu'ils nous reviennent ensuite en viandes de consommation. Ils ont été nourris comme on les nourrit en France dans les ateliers d'engraissement du Nord et de l'Est, avec des farines. Alors que des vaches qui certes, auront sans doute - celles qui ont plus de six ans aujourd'hui - mangé au cours de leur vie des farines de viande, mais dont la viande présente une qualité organoleptique bien supérieure à celle de n'importe quel jeune bovin, qu'il soit charolais ou laitier, engraissé dans un atelier d'engraissement. Il faut à tout prix éviter d'opposer ces deux types d'élevages. L'élevage laitier a toujours eu comme conséquence la production de viande. Même si cela déplaît, il faut savoir que pratiquement 60 % de la viande consommée en France provient du cheptel laitier et que le cheptel allaitant ne pourra jamais suffire à l'alimentation humaine ni dans notre pays ni dans l'Europe entière. En outre, que faire des vaches de réforme laitières ? Reste posé le problème des veaux. J'en profite pour dire que pour ma part je n'accepterais pas sans difficulté, en tant que vétérinaire, qu'on puisse sacrifier des veaux à la naissance. Mais j'accepterais que ce soit dans l'ensemble du cheptel français, parce qu'il y a aussi des veaux qui ne méritent pas forcément l'engraissement, y compris dans le cheptel allaitant. Vous avez enfin mis en cause les services vétérinaires. On ne peut pourtant pas leur reprocher de ne pas avoir détecté la maladie de la vache folle en France. S'il y avait eu à leur place des médecins - puisque vous avez évoqué une agence de santé - je ne crois pas que le résultat eût été meilleur. Les services vétérinaires - vous me pardonnerez de faire à mon tour une plaidoirie pro domo - sont parmi les plus performants à condition qu'on leur donne des moyens et, surtout, que l'administration suive bien leurs prescriptions et soit capable de gérer les documents techniques qui ne sont pas de la compétence des vétérinaires praticiens sur le terrain. M. Jacques CHESNAUD Je commencerai par répondre au deuxième intervenant, ayant été quelque peu traumatisé par l'emploi du mot criminel ». Le DAB, depuis la crise de la vache folle, fonctionne de façon satisfaisante dans 95 % des cas, ce qui est un grand progrès, même s'il peut toujours y avoir des tentatives de passage d'animaux français ou non sans DAB. On peut donc penser, en dépit du flou des trois premiers mois, que le pari de l'identification au moyen de la boucle d'oreille, du DAB et du document d'accompagnement peut être gagné. S'agissant du troupeau laitier et du troupeau allaitant, il est possible que je me sois mal exprimé. Tous les professionnels de la viande savent qu'une entrecôte de vache normande de 8 ans est dix fois meilleure qu'un morceau d'entrecôte de Charolais de 24 mois. Je n'ai donc pas voulu faire de discrimination envers le troupeau laitier. D'ailleurs M. le rapporteur sait bien que l'alimentation en viande de la bonne ville de Marseille s'est faite pendant longtemps à partir du troupeau laitier des vallées avoisinantes, situation dont nous déplorons fortement la disparition. Si j'ai différencié les deux troupeaux, c'est uniquement dans le cadre de leur alimentation et de la notion de risque afférente. Pour le reste, je ne peux que souhaiter que mes 24 999 confrères puissent trouver des vaches laitières de 5 à 8 ans, ce qui permettrait d'offrir aux consommateurs un meilleur produit que celui qu'on veut leur faire manger depuis vingt ans et qui provient de bêtes de 30 mois. J'espère que l'accusation de criminalité sera ainsi adoucie ! De même, je n'ai jamais voulu dire qu'il fallait remplacer les vétérinaires par des médecins. Les services vétérinaires français sont probablement ceux qui fonctionnent le mieux au sein de la Communauté. On ne pouvait en effet leur demander de déceler la maladie de la vache folle qui est indécelable en l'état actuel des choses à l'abattage. Quant à la création éventuelle d'une agence de la santé, il s'agit simplement de regrouper en un même lieu des gens qui s'occupent d'une même chose. A l'heure actuelle, le passage successif sur un même point de vente des vétérinaires et du service des fraudes ne permet pas toujours une harmonisation des remarques de ces agents. S'agissant de l'évolution des tonnages, on s'est aperçu que de fin mars à fin mai le tonnage n'avait diminué chez les bouchers français que dans très peu de cas - il s'agissait surtout de bouchers ayant voulu suivre les grandes surfaces dans la casse des prix » en vendant des viandes importées. Quant aux acheteurs en vif ou aux bouchers achetant des viandes labellisées ou identifiées, leur situation s'était même améliorée. L'article du journal Le Monde » du 12 juin dernier qui a détruit le logo VBF a conduit dans les huit jours qui ont suivi à une baisse de l'ordre de 20 à 30 % sur l'ensemble des points de vente. Le consommateur avait perdu tous ses repères. Le travail a repris lentement, sauf dans les magasins à petits prix, mais la consommation semble être repartie depuis la rentrée avec une perte de tonnage que l'on peut évaluer à 10 % par rapport à la période antérieure au 12 juin. Quant à la traçabilité au niveau des boucheries de détail, il faut avoir à l'esprit que ces magasins ont une surface de 30 à 100 mètres carrés, que le tonnage traité y varie de 12 à 100 tonnes par an, que les documents d'accompagnement y sont affichés, qu'un livre d'achat doit y être conservé pendant quatre ans et qu'il est donc facile de s'apercevoir si des marchandises ont été achetées en dehors de toute traçabilité. Nous sommes à cet égard d'accord avec les propositions des consommateurs sauf peut-être celle concernant l'indication vache » ou génisse », par exemple. Commençons par l'indication du type de troupeau et de l'origine. Dans leur vérification portant sur le sigle identifiant qu'est le BTB et qui rassemble 2 100 bouchers, les services de contrôle n'ont pas rencontré de difficulté en matière de suivi de la marchandise. Les habitudes prises pendant 50 ans sont telles que sans effort soutenu pendant un laps de temps suffisant, les risques de rechute existeront - mais je rappelle tout de même qu'il y a eu 10 000 contrôles. M. Jean-Yves le DÉAUT J'ai pour ma part visité avec votre groupement un certain nombre de boucheries de Meurthe-et-Moselle et j'ai pu m'apercevoir que la situation pouvait y être très différente. Si la baisse de 10 à 12 % est générale, certaines boucheries ont plus souffert que d'autres, notamment dans les villes. Dans les cités moins importantes où le boucher affichait déjà le nom du producteur, on a même pu assister dans un certain nombre de cas à une augmentation du chiffre d'affaires. La situation est donc variable. Il n'empêche que des baisses de prix auraient dû avoir lieu en raison des différences de qualité des viandes. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de répercussion sur le prix de vente au consommateur et qui a empoché la différence ? S'agissant des labels, il existe en Lorraine depuis trois ans, donc bien avant la crise, le label Lorraine Qualité Viande » qui répond aux critères que vous avez indiqués. Envisagez-vous de prendre également en compte dans la traçabilité que vous voulez mettre en place la transformation par le boucher de la totalité d'une pièce et de différencier celui qui transforme la totalité d'un boeuf ou les quartiers avant et arrière de celui qui achète de la viande en kit » comme on peut en trouver dans les grandes surfaces ? Un organisme indépendant devrait-il alors intervenir aux fins de certification et lequel ? Enfin, vous avez souligné que le Gouvernement commettrait une erreur en donnant l'argent des aides avant d'avoir fait les réformes. A quelles réformes pensez-vous ? M. Patrick HOGUET En ce qui concerne les labels, on peut dire qu'à la faveur » de cette crise, les éleveurs ont pris conscience que des efforts étaient à fournir et ils sont prêts à définir des cahiers des charges qui pourraient garantir les conditions dans lesquelles ils élèvent leurs animaux, tous éléments susceptibles de rassurer les consommateurs. Dans toutes les régions de production, un effort est ainsi fait pour mettre en place des marques de qualité locales - trop de labellisation risque en effet de tuer le label en le banalisant - qui permettent de renouer avec la confiance. A cet égard, deux conditions doivent être réunies. D'une part, que l'effort ainsi réalisé par les éleveurs soit relayé par l'aval de la filière - mais vos adhérents sont-ils prêts à participer à cet effort de mise en place de marques de qualité locales ? Et d'autre part, qu'il permette une valorisation de leurs produits - mais le coût de ces contraintes sera-t-il pris en compte lorsque les éleveurs proposeront leurs produits valorisés à l'aval de la filière ? M. Jacques CHESNAUD Les différences entre les 25 000 bouchers sont en effet grandes, qu'il s'agisse de la taille des magasins, de leur spécialisation - qui va du haut de gamme aux produits de grande distribution - ou de leur situation géographique. Les comportements des consommateurs ont effectivement été très différents selon qu'ils vivaient à la campagne ou en ville. La remarque sur la chute du chiffre d'affaires en centre-ville est donc fondée. Elle induit en outre ma réponse à la question du prix. Relever que les prix à la production s'effondrent et que ceux à la distribution restent stables n'a pas de sens si l'on ne différencie pas les produits - race à viande, race laitière, jeune bovin, race mixte -, les magasins et les prix d'achat. Nous avons la conviction que les grossistes, plus ou moins étranglés par la grande distribution qui représente environ 60 % de la vente de viande, avaient tendance à faire une marge sur des acheteurs qui avaient un pouvoir d'achat beaucoup moins important. C'est la raison pour laquelle nous demandons avec obstination, sans avoir été entendus jusqu'à présent, une étude comparée des prix d'achat. Outre qu'il convient de juger la situation troupeau par troupeau et acheteur par acheteur, il est possible qu'au sein de telle ou telle entreprise, dont l'activité principale est la viande, dont le résultat fait vivre toute une famille et dont le chiffre d'affaires a enregistré une baisse de 20 %, on n'ait pas répercuté immédiatement un écart de prix. Mais si les broutards en particulier ont vu baisser leur prix de moitié par suite de difficultés d'exportation en Italie, les écarts de prix sur le troupeau allaitant n'ont été que de 2 ou 3 francs. Nous ne sommes donc pas opposés à ce que l'on examine le problème des prix mais à condition de le faire à partir de factures d'achat et non en généralisant de façon injuste. Concernant la traçabilité, nous essayons, dans les discussions que nous avons avec le ministère des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat, de faire en sorte que le commerçant-artisan qui a droit à l'appellation boucher » soit celui qui achète lui-même son produit, qui le reçoit en quartiers, qui le dépèce et le désosse, qui le prépare et qui le vend. Ce point de vue semble se heurter à des réserves importantes de la part de la direction de la concurrence. Pour ce qui est des certifications, il convient d'abord de veiller au choix des moyens. Je citerai à cet égard qu'une interprofession bien connue avait commencé à travailler avec un outil de certification avant de s'apercevoir que le conseil d'administration était composé de gens du lobby du lait et de la maison Leclerc, ce qui a conduit à s'interroger sur l'objectif de l'outil. Je rappelle tout de même qu'une force importante de vérification existe avec la DGCCRF et les services vétérinaires. Quant aux réformes dont j'ai parlé, elles tendent à mettre en place de la naissance à l'abattage la traçabilité par troupeau, avec suivi de l'alimentation. Si en France on persévère, chaque fois qu'un ennui apparaît au sein de la filière viande, à ponctionner le Trésor public pour compenser les pertes, alors que logiquement on devrait fabriquer et vendre un produit avec une marge grâce à la séduction opérée sur le consommateur, le monde continuera de tourner à l'envers. Le consommateur n'acceptera de remettre de l'argent dans la filière que dans la mesure où on lui aura expliqué clairement ce qui s'y fait. S'agissant d'une formule autre que celle du label, autrement dit de vrai partenariat avec la production, je ne ferai pas de déclaration d'intention car cette formule existe. Nous avons défini, en accord avec les représentants des éleveurs du troupeau allaitant - c'est-à-dire de Limousins, de Charolais et de Blondes d'Aquitaine, en particulier - une marque collective BTB regroupant déjà 2 100 bouchers adhérents, en prenant grand soin d'en laisser la propriété à INTERBEV, de prévoir à l'intérieur de l'association un droit de veto et de convenir qu'en cas de désaccord entre les partenaires la marque serait détruite afin de ne pas se perdre dans la grande distribution. Pour ce qui est de promettre actuellement en France à un producteur qu'il retrouvera automatiquement dans le prix la compensation des efforts qu'il aura fournis en matière de qualité, sans que l'on entoure le dispositif de mesures particulières, c'est un mensonge. Et je ne pourrais qualifier autrement la démarche des magasins Carrefour. La promesse n'a d'ailleurs pu être tenue et a été tournée d'une façon peu convenable. Si les producteurs et les distributeurs s'engagent par contrat dans un partenariat avec l'accord de la Fédération nationale bovine et au moyen des fonds de l'interprofession, c'est-à-dire sans rien demander à personne, une forte communication sur le produit entraînera un relèvement du prix de celui-ci. Mais dire qu'ipso facto les choses se passeront ainsi serait mentir. Mme le Président Je vous remercie. Audition du M. William DAB, professeur à l'école nationale de santé publique extrait du procès-verbal de la première séance du 4 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. William DAB Madame le président, mesdames, messieurs, je suis médecin épidémiologiste formé ou déformé..., en Amérique du Nord, avec une pratique de l'épidémiologie de terrain sûrement différente de celle que l'on connaît de façon majoritaire en France. Je suis professeur à l'Ecole nationale de santé publique et je travaille - ce qui n'est pas inintéressant au regard du problème qui nous rassemble ici aujourd'hui - dans un service de recherche qui dépend d'EdF et de GdF, une de nos missions étant la veille scientifique et technique dans le domaine de l'environnement et de la santé. Un certain nombre d'enseignements dont je voudrais vous faire part me viennent de cette pratique. De même, certaines de mes réflexions viennent des discussions qui ont eu lieu au sein de la Société française de la santé publique - qui est une fédération des professionnels de santé publique dont j'assume la vice-présidence - au sujet de cette crise majeure qui restera dans l'histoire comme LA crise de santé publique du XXème siècle. Cette crise n'est pas apparue dans un ciel serein. Elle vient à la suite de très nombreux épisodes transmission transfusionnelle du sida, dépistage du sida, Tchernobyl, amiante, pollution atmosphérique et, voilà une dizaine d'années, pyralène . C'est même à un point tel qu'il faut peut-être se poser la question de savoir s'il n'y a pas là une spécificité française non pas que ces crises ne surviennent pas ailleurs mais il y a là en une décennie une accumulation de déstabilisations majeures dans le domaine de la santé publique qui devrait inciter la représentation nationale à s'interroger. A chaque fois, on retrouve un certain nombre de mécanismes semblables un élément déclenchant qui est une dénonciation juridique ou médiatique assortie d'une accusation de négligence ; des responsables dont la réaction immédiate et le quasi réflexe est de prétendre qu'il n'y avait pas de problème ; une grande incertitude des connaissances ; une utilisation incorrecte des connaissances épidémiologiques disponibles ; des arbitrages défavorables à la santé dès lors que des intérêts économiques ou industriels sont en jeu ; une carence de l'expertise, dispersée, fragmentée, inadéquate, superficielle, non indépendante, homogène - c'est-à-dire constituée de spécialistes issus d'une seule spécialité. En d'autres termes, nous ne disposons que d'une expertise en absolue décalage avec les pratiques internationales dans ce domaine. Le résultat de ce constat est sous nos yeux un effondrement total de la confiance du public dans la capacité des pouvoirs publics à garantir la sécurité sanitaire dans le pays. Les pouvoirs publics ne sont plus considérés comme crédibles et il sera très difficile de remonter la pente. On arrive à ce paradoxe que le professeur Tubiana dénonçait très pertinemment, voire très naïvement, dans Le Figaro » en se demandant récemment comment il pouvait y avoir un tel décalage entre la crainte du risque et son ampleur réelle. On ne peut comprendre en effet ce décalage si l'on omet de prendre en compte la confiance de nos concitoyens envers les services de santé, qui est véritablement au coeur du problème. Le facteur clé est à cet égard l'attitude à adopter quand on doit gérer un problème caractérisé par une incertitude scientifique et médicale très forte. On a complètement changé d'époque en très peu de temps à l'époque précédente, les pouvoirs publics, a-t-on pu dire, ont pris des décisions molles sur des connaissances dures, et la collectivité nationale va maintenant en payer le prix. Je citerai le cas de l'amiante voilà vingt ans que l'on sait que l'amiante est cancérigène et que des comités d'experts internationaux l'ont démontré - et de ce point de vue la récente expertise de l'INSERM ne nous a rien appris. Aujourd'hui, au contraire, les responsables politiques vont être conduits à prendre des décisions dures - par rachat envers cette époque de décisions molles - mais sur la base de connaissances molles. L'épisode actuel à la fois ressemble et ne ressemble pas à ces crises. Parmi les points communs, on relève d'abord qu'en Grande-Bretagne la possibilité d'une transmission à l'homme a été niée de façon dogmatique et non scientifique pendant des années et que le brutal retournement d'attitude ne pouvait que déclencher une réaction de type nucléaire, une réaction en chaîne incontrôlable. On retrouve aussi dans cet épisode, toujours en Grande-Bretagne, un grand succès épidémiologique caractérisé par une identification très rapide de l'épidémie, mais un énorme échec de santé publique. Cette situation est semblable à celle que l'on a connue avec le sida au 19ème cas de sida aux Etats-Unis, le Center for disease control avait détecté l'épidémie. Cet exploit épidémiologique s'est doublé d'un échec de santé publique, faute de pouvoir maîtriser le développement d'une épidémie pourtant détectée à son tout début. On note également des pratiques frauduleuses poursuivies au mépris de la protection de la santé publique. On retrouve de même des erreurs décisionnelles lancer le logo Viande Bovine Française sans penser - ce qui ne devait pas être très difficile à anticiper - que des farines contaminées auraient pu être importées de façon frauduleuse, était prendre un énorme risque économique et sanitaire. C'est en fait le syndrome de la ligne Maginot dont on connaît l'efficacité historique. Enfin, on voit depuis très longtemps qu'il y a un décalage entre l'approche du problème par les pouvoirs publics et sa perception par la population. On a fait pendant très longtemps de l'ESB un problème pour les éleveurs et la filière viande, alors que pour la population, c'est un problème de santé publique ! J'ajoute, avec tout le respect que je lui dois, qu'un ministre de l'agriculture est évidemment mal placé pour parler de santé publique. J'y reviendrai en conclusion. Tout cela a conduit -c'est un mécanisme très connu- à un effondrement de la confiance ; et qui dit effondrement de la confiance dit surdimensionnement des réponses. C'est-à-dire que maintenant, pour reconquérir la confiance, il va falloir mettre en oeuvre des mesures parfois sans proportionnalité avec l'ampleur des risques encourus. Mais en même temps, je ne voudrais pas tenir un discours trop négatif. Parce que je trouve que d'ores et déjà, un certain nombre de leçons ont été tirées des épisodes précédents. D'abord, la direction générale de la santé a établi une chronologie des décisions qui montre que les premières décisions de protection sanitaire ont été prises très très tôt. De ce point de vue, on a fait de grands progrès par rapport aux crises précédentes. Je note aussi que les décisions politiques et administratives ont été prises avant que cette affaire ne fasse les gros titres dans les journaux. Ceci aussi est nouveau. Il est clair que la décision d'embargo, par exemple, a précédé les gros titres dans les journaux et n'a pas été prise en réaction à une pression médiatique. Je note encore, cela me paraît très important, que pour le coup, on a compris comment faire fonctionner l'expertise. Je n'en fais pas partie, je suis donc tout à fait à l'aise pour le dire je trouve que le comité présidé par M. Dominique Dormont est remarquable, que sa composition a été vraiment bien pensée, que c'est une expertise pluraliste. Je ne crois pas du tout à l'indépendance des experts, mais je crois à leur multidépendance. C'est celle-ci qui va assurer l'indépendance de l'expertise collective. De ce point de vue, je trouve qu'on a fait un gros progrès. J'en viens aux enseignements et aux priorités actuelles. Il y a une question cruciale, à laquelle il n'est pas possible de répondre mais à laquelle la représentation nationale doit exprimer clairement son besoin d'avoir le plus rapidement possible une réponse sommes-nous dans une situation épidémique chez l'homme ? C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre -je parle en tant qu'épidémiologiste- à l'heure actuelle, parce qu'on ne sait pas si nous sommes capables de mieux repérer les cas parce qu'on y fait plus attention, ou si nous sommes effectivement au début d'une épidémie. Personne n'a évidemment la réponse, mais il faut demander le plus rapidement possible aux experts de mettre en oeuvre des techniques spécifiques d'analyse statistique des données disponibles, de façon à répondre de la façon la plus claire possible à cette question clé, qui détermine tout le reste du dossier. L'expertise aujourd'hui est correcte. Mais attention à la spécialisation, attention à la parcellisation excessive. Nous avons la manie de développer un comité d'experts par problème. On est en train d'épuiser le vivier d'experts disponibles dans le pays ! Vous avez un conseil scientifique pour l'établissement des greffes, un conseil scientifique pour l'agence du sang, un conseil scientifique pour l'agence du médicament, une expertise spécifique vache folle - prion». Ce n'est pas possible. A un moment donné, sur ces problèmes de sécurité sanitaire, qui relèvent tous des mêmes méthodes d'évaluation et de gestion des risques, il va falloir une expertise qui soit capable de penser globalement le problème. En termes épidémiologiques, il faut être capable de caractériser et de reconstituer l'exposition de notre population aux prions. Vraisemblablement, nous avons tous été exposés, mais de façon inégale. Il faudra étudier précisément cette question. Mais qui dit exposition ne dit pas seulement exposition à la viande. Par ailleurs, il faut penser à l'expertise globale. Il est facile d'interdire un produit -et là, c'est celui qui travaille dans l'étude des relations entre l'environnement et la santé qui vous parle -encore faut-il penser à ce qu'on va faire des produits interdits. Si ceux-ci aboutissent à des contaminations environnementales, on aura déplacé le risque à niveau d'exposition constant. Il faut s'assurer que l'expertise dans ce domaine permettra aux décideurs d'avoir une vision globale de maîtrise et de diminution du niveau d'exposition de la population aux prions pathogènes. Et, je le redis, il ne faut pas s'intéresser uniquement à l'exposition à la viande. Autre enseignement, en termes scientifiques il faut structurer une fonction de veille scientifique et médicale. Cette fonction n'est pas structurée dans notre système actuel. Pour ma part, j'ai découvert en travaillant dans le milieu industriel ce qu'était une fonction de veille scientifique et technique. Je ne dis pas que tout est parfait. Mais je pense qu'un certain nombre d'industries, comme l'aéronautique et le nucléaire, ont une très grande expérience de ces systèmes de veille et qu'il faut aller la chercher pour l'importer en santé publique. Si l'aéronautique n'offrait pas un des meilleurs systèmes de veille scientifique et technique, nous refuserions de monter dans les avions. Et pourtant, les avions tombent de temps en temps, on le sait bien, mais on sait aussi que tout sera fait pour que les raisons d'un accident ponctuel ne se reproduisent pas. C'est comme cela que la sécurité aéronautique a fait ses progrès. Et on sait que ce système est indépendant des compagnies et des constructeurs, tout en utilisant l'expérience qui existe dans ces compagnies. L'audition précédente était très intéressante. Elle a montré que, contrairement à ce qu'on peut penser de loin, notre système agricole s'est industrialisé sans qu'y soient vraiment incorporés les systèmes de base utilisés en matière de sécurité industrielle. Le problème est moins que l'on ait donné des protéines aux vaches, ce qui personnellement ne m'a jamais choqué, que d'avoir laissé un système s'industrialiser sans lui appliquer les concepts de base de la sécurité industrielle. Retrouver la confiance passe par là. Et c'est assez difficile, en tout cas beaucoup plus compliqué que ce que je connais par mon expérience professionnelle dans un système -EDF, nucléaire- à décideur unique. Quand j'identifie un signal faible, j'ai un décideur unique à convaincre. J'ai en tête un exemple précis survenu sur un fleuve français. Un signal faible a été identifié. J'ai alors fait modifier un processus industriel. Et on a pu le faire très vite. Vous avez, au contraire, affaire à 25 000 bouchers ! C'est effectivement beaucoup plus difficile ! Des modèles de sécurité industrielle existent. Il faut les importer en santé publique. Sinon, on ne retrouvera jamais la confiance. Et si vous n'avez pas de capacité de traitement de signal faible dans ce domaine, vous serez conduits à surdimensionner les réactions. En termes de santé publique, il est donc urgent de structurer, au sein des pouvoirs publics, une véritable capacité d'évaluation des risques. La sécurité sanitaire est un tel enjeu, humain bien sûr, mais aussi économique, qu'elle justifie à elle seule une direction d'administration centrale. La direction générale de la santé ne démérite pas, mais il est difficile de gérer à la fois la sécurité sanitaire et l'organisation du système de soins, avec les moyens extraordinairement faibles, très peu spécialisés et très peu médicalisés dont elle dispose. Les conséquences économiques d'un manquement à la sécurité sanitaire sont telles qu'on a suffisamment d'arguments pour faire valoir à Bercy que toute autre solution va coûter beaucoup plus cher. Vous avez vu ce que va coûter l'amiante. On va voir ce que va coûter la vache folle, non seulement à la France mais à l'ensemble de l'Europe. Les coûts d'une professionnalisation du système d'évaluation des risques représentent un infime pourcentage de ces enjeux économiques. On ne peut plus dans un tel contexte opposer les raisonnements habituels de Bercy face aux ministères dépensiers. Il va falloir que chacun prenne ses responsabilités. On a réagi , au cours de la décennie, de façon un peu panique, et on a créé autant d'établissement publics qu'on avait de problèmes à gérer le sida, le sang, les greffes, les médicaments. Je plaide à nouveau fortement pour une instance unique d'évaluation des risques, de gestion de la sécurité sanitaire. Les concepts, les méthodes, les compétences professionnelles sont les mêmes, quel que soit le domaine considéré. Il n'y a pas de justification de méthode à sectoriser ainsi le champ de la sécurité sanitaire. Je précise que dans mon esprit, plaider pour la création d'une direction centrale au sein du ministère de la santé ne méconnaît pas l'apport irremplaçable des autres professionnels tomber dans un conflit de pouvoirs entre médecins et vétérinaires, par exemple, serait une erreur tragique, car la sécurité sanitaire en matière alimentaire ne peut pas se faire sans les vétérinaires. Je n'exprime pas là une revendication territoriale. Nous avons de l'interprofessionnalité, de l'interministérialité à organiser. Mais on ne peut avancer de façon crédible que le ministère en charge de la protection économique d'un secteur -ce qui me paraît une fonction sociale tout à fait légitime- est aussi bien placé pour défendre sa sécurité sanitaire. En clair, que la sécurité alimentaire soit actuellement gérée sous l'égide du ministère de l'agriculture n'est pas logique et n'est pas crédible. Quelles que soient les compétences et les bonnes volontés, il faudra en tirer la leçon. Ce qui ne veut pas dire que les vétérinaires ni que la direction de l'agriculture ont démérité, ce qui veut dire qu'il y a un conflit objectif d'intérêts qui fait que l'on ne peut pas recréer de crédibilité. J'ajoute que cet effort devra passer par un renforcement des services de santé publique sur le terrain. Il n'y a pas un médecin inspecteur de santé publique dans chaque département français ! Je vous donne quelques exemples je suis parent d'élève, je m'occupe de mon association de parents d'élèves. De quoi m'ont parlé mes adhérents hier, au moment de la rentrée scolaire dans une école primaire du Xe arrondissement de Paris ? Pas du tout du nombre d'enfants par classe ! Ils m'ont demandé comment allez-vous vous assurer qu'il n'y aura pas de boeuf à la cantine ? » Qui répond à cela ? Qui donne de l'information aux médecins généralistes ? On leur pose tous les jours la question Docteur, est-ce que je peux consommer de la viande ? » Qui a donné une seule information officielle, validée, d'évaluation du risque, de conseil sanitaire aux médecins français ? Personne, les médecins sont laissés à eux-mêmes ! Il y a là une énorme carence. Il faut remplir ce un rôle de conseil en santé publique c'est là une condition essentielle de la gestion du risque. Nous avons tous entendu, professionnels de la santé publique, au moment de la campagne référendaire sur le traité de Maastricht, qu'un des acquis et des progrès de ce Traité qu'on nous demandait d'approuver était une meilleure protection de la santé publique. Mais, comme professionnel de la santé publique, j'ai été un peu surpris que la santé ne soit pas reconnue comme une compétence pleine et entière au niveau européen. Dès lors que la santé vient en concurrence, ce qui peut très bien arriver, avec des intérêts industriels, économiques, des problèmes de libre concurrence et de circulation des marchandises, qui relèvent de la compétence européenne, il est nécessaire de créer une agence européenne de santé publique. Mieux vaut le faire le plus rapidement possible et qu'il y ait au niveau européen des avocats de la santé, de la même manière qu'il y a des avocats de l'agriculture, ce qui est complètement légitime. Et c'est du compromis, de la discussion et du débat entre les différents avocats que naîtront des positions socialement acceptables. Voilà l'analyse de santé publique que l'on peut faire sur l'énorme crise que nous vivons tous. Mme le Président Merci, docteur. Votre intervention a été remarquable car elle nous a permis de prendre un peu de recul par rapport au côté irrationnel et passionnel de la crise de la vache folle. Peut-être n'était-il pas souhaitable que les services du ministère de l'agriculture gèrent cette crise, puisqu'elle est avant tout de santé publique. Mais je crois que la première manifestation de la crise concernait le secteur agricole. Il y a eu une telle pression des départements d'élevage, qui ont été les premiers à ressentir cette crise et à la subir, que c'était à l'évidence le ministère de l'agriculture qui devait la prendre en mains. Certes, sur le terrain, on entend très souvent la population dire qu'il aurait été souhaitable que d'autres ministères -dont celui de la santé- s'expriment. Mais je pense pour ma part qu'une interministérialité excessive aurait pu nuire à la clarté du message délivré. Pour prolonger votre exemple relatif à la rentrée scolaire, je dois souligner que, dans les départements où il y a un taux important de personnes âgées, celles-ci appellent fréquemment leur médecin rien que pour savoir si elles peuvent manger de la viande ! Cela devient une véritable phobie ! Mais pensez-vous qu'il soit possible, sachant qu'il n'y a pas actuellement de certitude scientifique, de répondre à ces parents d'élèves ou à ces personnes âgées, même par l'intermédiaire de communications auprès des généralistes ? Est-ce qu'on peut honnêtement envoyer aux généralistes une communication qui permette de répondre à ces personnes et à leurs inquiétudes ? M. William DAB Ce n'est pas qu'on peut, c'est qu'on doit ! La solution qui consiste à dire le problème est compliqué scientifiquement, tellement compliqué que je n'arrive à m'exprimer dessus, n'est pas une réponse acceptable ! Je ne suis pas un spécialiste de ces problèmes-là, mais je crois que c'est si l'on veut forcer une réponse binaire, qu'il sera évidemment impossible de répondre. Mais on sait par contre gérer l'incertitude. On peut très bien dire aux gens si vous demandez si le risque est nul, on ne va pas pouvoir répondre ». Mais il est faux de dire que nos concitoyens demandent le risque nul, de nombreuses études le montrent. Le problème n'est pas l'existence du risque encouru. Un risque faible peut entraîner des réactions d'émoi majeur. Et il y a des risques très forts, on le sait bien, qui laissent les gens absolument impassibles. Le problème n'est pas là. Il faut communiquer non pas sur l'ampleur du risque que l'on ne connaît pas mais sur la nature des efforts faits pour améliorer la qualité sanitaire des produits mis sur le marché. Si on me dit qu'il n'y a rien à dire dans ce domaine-là, on est face à une crise majeure, cette filière va s'effondrer complètement. On ne peut pas répondre sur l'ampleur du risque, on ne peut même pas répondre sur l'existence d'un risque chez l'homme cela, il faut le dire. Et puis, il faut en même temps faire passer ce message dès que nous saurons, nous le dirons. Et par ailleurs, voilà les moyens que l'on met en oeuvre pour limiter l'exposition de la population, pour lui offrir des produits de la meilleure qualité possible. S'il y a dans la population des gens qui veulent gérer leur vie sur un principe de risque nul, on peut le comprendre, et notre rôle est de leur donner l'information pour qu'ils puissent faire ce choix. Mais en ce moment, ce n'est pas cela qui se passe. Les gens ont une réaction de défiance face à l'incertitude, face au fait qu'il n'y a aucun interlocuteur crédible, ni le ministre, ni leur médecin, qui soit susceptible de leur donner une information autorisée. Comment voulez-vous que les gens aient confiance dans une telle situation ? Communiquer ne veut pas seulement dire lever toutes les ambiguïtés scientifiques. C'est prendre acte des ambiguïtés scientifiques, c'est expliquer aux gens qu'on va vivre vraisemblablement longtemps encore dans cette ambiguïté scientifique et c'est dire en même temps voilà les leçons que nous en tirons pour mettre sur le marché des produits contrôlés ». Qu'a dit hier la directrice de l'école ? Elle a répondu Ah ! les services vétérinaires contrôlent tout ! » Ce n'est pas crédible comme réponse ! Mes parents d'élèves n'y ont pas cru ! Il faut expliquer et non s'abriter derrière des procédures ou des normes. On ne peut plus donner des chèques en blanc à des services de contrôle ou à des services chargés de la sécurité sanitaire. Il faut savoir communiquer sans volonté de rassurer. Dans une situation comme celle-là, si vous tentez de rassurer, vous augmentez l'inquiétude, des milliers de travaux le démontrent. Il faut communiquer en donnant tous les éléments pour que chacun puisse au mieux choisir son risque. Cet axe de communication est relativement neutre, pas trop inquiétant, plutôt rassurant même, dans la mesure où l'on donne à chacun la possibilité de se réapproprier une possibilité de choix. Je crois que c'est une mauvaise communication qui a créé la crise de confiance. Comme les gens sont laissés dans une incertitude totale, comme les professionnels de santé dans lesquels ils ont confiance sont incapables -et le leur disent- de leur donner un point de vue professionnel, les gens ont le sentiment que le seul choix qui leur reste, c'est d'essayer de se mettre à exposition nulle, à tort ou à raison. Avec d'ailleurs des risques non négligeables pour la santé publique, qu'il faut expliquer diminuer l'alimentation carnée peut avoir, je pense aux enfants, des effets secondaires indésirables qu'il faut expliquer aussi. Qui travaille en ce moment là-dessus ? Qui travaille à la définition de messages intelligents, dont les 150 000 médecins du pays pourraient être porteurs ? C'est un travail de santé publique. Personne ne s'en occupe. Il y a une véritable carence. M. André ANGOT Vous avez dit, dans votre exposé préalable, qu'on a complètement occulté l'existence d'importations de farines frauduleuses ou d'utilisations frauduleuses de ces farines. Sur quels fondements le dites-vous ? Parce que cela ne semble pas être l'avis, ni de la direction des douanes, ni des représentants des professionnels de l'alimentation du bétail. M. William DAB Malheureusement, je n'ai absolument pas les moyens de justifier cette prise de position. Clarifions mon propos. Dans ces situations de grande turbulence, des solutions simples semblent s'imposer d'emblée. Or nos systèmes de décision ne sont pas préparés à anticiper les effets indésirables de telles décisions. En même temps qu'on a pris la décision de créer ce logo Viande Bovine Française», il aurait fallu qu'on se pose la question quel facteur pourrait décrédibiliser ce logo ? » Et si on s'était posé cette question, je pense que les spécialistes concernés auraient dit le facteur qui pourrait mettre à bas ce dispositif de protection et d'information du consommateur serait le fait qu'on apprenne que des viandes françaises ont été exposées à des farines potentiellement contaminantes ». Et on aurait étudié si cela avait pu se produire ! Je ne suis absolument pas qualifié pour vous dire si cela a été le cas ou pas. Mais l'intervenant précédent a souligné que la perception de la réalité est souvent plus importante que la réalité elle-même. Tous les gens croient maintenant à la réalité de l'importation de ces farines. Il est donc trop tard. Et non seulement les gens le croient, mais ils sont persuadés qu'on a essayé de les escroquer, de tromper leur confiance. C'est pour cette raison qu'il sera difficile de la rétablir. Je ne porte pas de jugement sur la réalité de ces importations frauduleuses, j'espère que certains ont l'information et vous la donneront. C'était en tout cas la question qu'il fallait se poser avant la création du logo. Certes, il est facile de parler après, mais je crois que ce n'était pas compliqué. On en avait déjà parlé à la Société française de santé publique on savait qu'un jour ou l'autre, ce problème arriverait sur la place publique de façon aiguë, donc de façon critique ! Grâce aux travaux menés sur la perception des risques, on savait que ce problème avait toutes les caractéristiques pour créer une crise majeure un agent inconnu, nouveau, de nouvelles technologies, de fortes incertitudes scientifiques, une exposition fortement répandue, une maladie terrible dans son expression, pour laquelle les médecins disent qu'ils ne disposent d'aucun traitement. Vous avez le cocktail qu'il faut pour fabriquer une crise de santé publique ! Vous m'excuserez de vous contredire, madame le Président. La chronologie des événements et des décisions établie par la direction générale de la santé montre bien qu'avant même qu'il y ait le premier signe agricole, il y avait eu des signaux faibles au sein du système de santé et qu'ils n'ont pas été ignorés. Contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres affaires, le ministère de la santé peut faire valoir qu'il a pris des mesures de précaution extrêmement rapidement à chaque étape du développement de la crise. Mais le dossier est resté confiné, au Conseil supérieur d'hygiène publique par exemple. Si le problème sanitaire a été traité, il n'y a pas eu de réflexion préalable sur la stratégie de communication quelle interministérialité inventer avec le ministère de l'agriculture ? Comment préparer nos services DGA, DGS à fonctionner de concert pour éviter la cacophonie que vous craignez ? Ce travail de préparation n'a pas été fait, et il est sûr que ce n'est pas dans l'urgence qu'on peut le faire. Il faut donc aussi demander à nos services administratifs de mieux se préparer à gérer ces événements. Et ces événements n'auront rien d'exceptionnel. L'ESB est un problème hyper complexe, mais le XXIe siècle sera fait de la gestion de problèmes hyper complexes ! Les services en charge de ces problèmes doivent apprendre à gérer dans une telle optique ces problèmes de santé, ces épidémies complexes. Des modèles industriels existent ; ils ne sont certes pas parfaits, mais ils peuvent nous faire bénéficier de quinze ou vingt ans d'expérience. Mme le Président Je vous remercie. Audition de M. Jean-François GIRARD, directeur général de la santé extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 4 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Jean-François GIRARD Madame le Président, monsieur le Rapporteur, mesdames, messieurs les députés, afin d'éviter de reprendre certains aspects déjà exposés devant vous par M. Gaymard, je me propose de faire un exposé introductif bref et de me livrer à vos questions. Je dirais volontiers aujourd'hui que l'histoire des encéphalopathies humaines et animales s'est déroulée en trois temps. Pendant la première période, jusqu'au tournant des années quatre-vingt-dix, la connaissance est lacunaire, les différentes informations dont on dispose, en particulier grâce à l'expérience des vétérinaires, sur les différentes espèces animales et ce que l'on sait des maladies à prion chez l'homme, restent éparses. Bien sûr, à cette époque on connaît assez bien la maladie de Creutzfeldt-Jakob humaine. Elle est bien décrite sur le plan clinique, moins bien sur le plan épidémiologique et complètement incomprise en ce qui concerne ses causes. On connaît par ailleurs le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine en Grande-Bretagne et son caractère explosif dans la deuxième partie de la décennie quatre-vingts. On sait enfin les liens qu'il faut établir et les interrogations que l'on peut poser, sans toutefois pouvoir y répondre. Le tournant des années quatre-vingt-dix nous fait entrer dans le deuxième temps. La lecture de nos comptes rendus et divers autres documents- je ne peux toutefois parler là que de l'expérience de mes services - montre qu'en 1991 on s'interroge sur la nécessité de mettre en place un système de suivi épidémiologique systématique, et on le fait. On s'est interrogé parce qu'on est informé à cette époque du rôle qu'ont pu jouer les farines animales et de ce qui s'est passé dans la décennie quatre-vingts. Le premier rapport Dormont » de 1992, qui lui avait été commandé par le ministre de la recherche faisait la synthèse des connaissances. Il marque l'entrée dans le deuxième temps de l'histoire des encéphalopathies, qui s'étend jusqu'au 20 mars 1996. Cette deuxième époque est caractérisée par une meilleure connaissance d'un certain nombre de faits et par l'adoption de mesures dans le domaine sanitaire. Celles-ci concernent deux registres. Un premier volet a consisté à prévenir le risque de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au sein de l'espèce humaine. Un certain nombre de circulaires ont été publiées, en particulier sur la désinfection des matériels utilisés à plusieurs reprises, comme les endoscopes. Je me souviens notamment d'une qu'il avait fallu défendre auprès des professionnels de santé tant elle paraissait tatillonne elle concernait le problème du matériel dit à usage unique, qui, lorsqu'il était pourtant réutilisé, nécessitait la mise en oeuvre de moyens de désinfection appropriés à la résistance du prion, qui survit aux techniques classiques. L'autre train de mesures, qui s'est échelonné au cours de cette deuxième période, consistait à lutter contre les risques de transmission de la maladie de l'espèce animale à l'espèce humaine, si tant est que le risque pouvait exister » telle était l'expression utilisée à cette époque. Ainsi, à la suite du rapport Dormont, un ensemble de mesures ont été prises pour les médicaments contenant des extraits animaux, en particulier bovins, et pour les cosmétiques. A l'époque, cette transmission n'était encore qu'une hypothèse, tant l'appréciation scientifique dominante - et ce que l'on disait de la tremblante du mouton était une référence pour beaucoup d'experts - laissait à penser que la transmission d'espèce à espèce semblait peu probable. Personnellement, je n'étais pas très rassuré par cette opinion, tant le rapport Dormont avait fait naître chez moi une véritable interrogation. Nous sommes entrés dans le troisième acte le 20 mars 1996, date à laquelle le Gouvernement britannique a rendu publique l'émergence d'une nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez dix patients, qui sont maintenant douze, en Grande-Bretagne. Cela constitue, à mon sens, un argument très fort - pas suffisant mais très fort - pour considérer que l'hypothèse de la transmission se confirme. Entre mars 1996 et aujourd'hui, cinq ou six arguments, issus d'ailleurs de travaux différents qui ne sont pas tous épidémiologiques, sont apparus qui m'ont fait dire assez rapidement - au mois d'avril je me suis exprimé sur ce sujet à deux reprises au nom de M. Gaymard parce que ce dernier était absent - qu'il fallait considérer l'hypothèse non seulement comme une possibilité ou une probabilité, mais comme une réalité qui imposait de prendre des mesures. Depuis, j'aurais même tendance à dire qu'il faudrait qu'on me démontre que cette hypothèse est absurde et que nous avons fait fausse route. Mais je considère que l'ensemble des arguments qui se sont accumulés, singulièrement depuis un peu moins de six mois, vont tous dans le même sens, et imposent d'agir au nom, plus seulement du principe de précaution, mais de celui d'une très grande probabilité. Je voudrais maintenant évoquer trois points l'Europe, la sécurité et la notion de risque dans notre société. Au sujet de l'Europe, mes responsabilités me font dire que la réponse européenne en termes de santé publique est indigne de ce qu'attendent nos nations, en tout cas leurs populations, qui ne comprennent pas très bien un tel décalage avec leurs attentes en matière de protection de la santé publique. L'article 129 du traité de Maastricht ne suffira pas à apporter une réponse adéquate, même si on sait l'exploiter au maximum. Il est nécessaire de donner une dimension européenne aux problèmes de santé publique. L'exemple des encéphalopathies montre à quel point le dispositif européen est inadapté, et pas seulement parce que les problèmes y sont traités exclusivement dans la filière de l'agriculture et au sein des instances vétérinaires. L'organisation européenne en matière de santé n'est pas adéquate. Pour ce qui est de la sécurité - et là aussi je dépasse le cadre strict et des encéphalopathies - nous devons nous poser la question de la responsabilité du ministre de la santé et de son administration dans un certain nombre de situations qui, in fine, menaceront la santé humaine. Il n'est pas possible pour ce ministre et cette administration de n'intervenir qu'en bout de chaîne, lorsque les conséquences sanitaires de telle ou telle décision sont patentes. Le ministre de la santé n'est plus le ministre de la maladie. Par conséquent, il ne peut pas ne pas avoir de responsabilité sur les déterminants des maladies, qu'elles soient individuelles ou collectives. Cette remarque vaut pour les maladies d'origine alimentaire, pour celles d'origine environnementale ou pour celles qui sont liées aux conditions de travail par exemple. Bien évidemment, je ne prétends pas que le ministère de la santé doit avoir autorité sur tous ces secteurs, mais il est nécessaire que ce débat s'ouvre pour savoir en quoi celui qui, je le répète, n'est plus le ministre de la maladie mais celui de la santé peut avoir des moyens d'intervention ou de contrôle sur tous ces secteurs. Enfin, je terminerai sur un point plus culturel. Je suis extrêmement frappé dans mon expérience professionnelle de l'appréciation que notre société a du risque, celui que nous prenons ou celui auquel nous sommes exposés. Bien sûr, il est facile de constater qu'il y a une grande disparité entre les risques que nous prenons en conduisant vite 8 000 morts par an en France, en fumant beaucoup ou en faisant de la montagne en espadrilles, dont nous exigeons d'être les gestionnaires, et les risques auxquels nous sommes exposés et pour lesquels nous avons une exigence de sécurité qui appelle, à mon sens, une réflexion d'ordre sociologique, culturel, éthique et donc politique. Mme le Président Je vous remercie, monsieur le directeur général. La rentrée des classes hier a eu lieu hier et nombreux sont les parents d'élèves à s'inquiéter des menus de cantine scolaire. Selon un intervenant que nous avons reçu ce matin, ces interrogations sont d'autant plus nombreuses que l'information est rare, peut-être parce que les médecins généralistes n'ont pas reçu une information suffisamment élaborée et pédagogique. Ne pourrait-on pas y remédier ? Tout le monde fait état par ailleurs d'un éclatement de l'information. N'y-a-t-il pas eu suffisamment de liens entre les services de MM. Vasseur et Gaymard ? Il est vrai que M. Vasseur, depuis le début, a pris en main la crise de la vache folle dans la mesure où elle était d'abord visible dans le monde agricole. Mais nombreux sont ceux qui attendent maintenant une communication plus interministérielle. M. Jean-François GIRARD Madame le Président, je veux répondre modestement, car je ne suis qu'un modeste directeur d'administration et que vos questions sont politiques. Il existe effectivement un défaut d'information, que deux raisons peuvent expliquer. La première est l'organisation interministérielle. Certes, les directeurs concernés - ceux de la consommation, de l'alimentation, de la santé, et plus récemment le directeur général de la recherche et de la technologie se rencontrent tous les lundis, à dix-huit heures trente, de préférence en présence des directeurs généraux. Je ne crois pas, très sincèrement, que l'on puisse imputer le défaut de communication à un défaut de travail en commun. Mais nos ministres respectifs sont très attentifs aux problèmes de communication et je crois que votre appel à une meilleure communication est juste. La deuxième raison qui rend cette communication difficile est la teneur du message à diffuser. Qui aura le courage de dire les choses quand on ne sait pas ce qu'il faut dire ? C'est très difficile. Vous me rétorquerez que ce n'est pas une raison. Je me suis exprimé récemment à la télévision - sur la Cinquième -. A la question Faut-il manger du boeuf ? », question que tout le monde se pose, j'ai répondu que le hasard avait fait que j'avais mangé un steak tartare au déjeuner - je ne l'avais pas fait exprès - et que dans ma famille on mange du boeuf. J'ajoute qu'à mon sens en France aujourd'hui - on peut être plus nuancé sur le risque passé -, compte tenu des mesures qui ont été prises, du niveau de l'épidémiologie bovine en France vingt-deux cas seulement et d'un certain nombre de contrôles, le risque peut être qualifié d'infime. Infime, qu'est-ce que cela signifie ? Cela renvoie à une perception quasiment individuelle du risque que l'on peut prendre. Et certains acceptent ce caractère infime, d'autres ne l'acceptent pas. Certains, quand ils ont oublié leur permis de conduire font immédiatement demi-tour parce qu'ils n'envisagent pas de rouler sans, d'autres prennent un risque et le font. Derrière les réponses officielles sur le risque se profile une perception très individuelle sur laquelle il faut être prudent. Je pense qu'il faut quand même dire les choses il existe un risque infime. L'expérience que me donnent les deux interventions que j'ai faites devant la presse, une fois sur le cas français début avril, et une autre fois à propos du premier rapport Dormont, prouve que dire Voilà, c'est comme cela et on ne sait pas tout » est relativement facile. C'est préférable à un message insuffisant. Vis-à-vis de l'école - parce que je n'avais pas pensé à l'école, je le reconnais - il faut saisir cette occasion pour transmettre un message, encore une fois difficile par l'imprécision de son contenu. Le professeur Dormont a encore dit hier à quel point on ne savait rien - je reprends ses termes ou à peu près - sur une épidémie complètement impalpable dont les causes sont inconnues et les modes de transmission encore plus. Qui aura le courage - ou l'insouciance - de dire qu'il n'y a pas de risque ? Qui affirmera cela ? C'est vrai qu'en toute rigueur ce serait outrepasser la réalité de ce que l'on peut savoir maintenant que d'affirmer qu'il n'y a pas de risque. M. le Rapporteur Monsieur le directeur général, je vous poserai un certain nombre de questions. Tout d'abord, vous venez d'aborder partiellement le sujet des rapports relatifs entre les différents ministères concernés par une telle crise. Or, si l'on se réfère à une crise analogue par certains points - celle de la transfusion sanguine et de la contamination par le virus du Sida - il incombait à un seul ministère de prendre les décisions et de gérer l'ensemble. Pour tenter de mieux comprendre les faits, nous avons déjà reçu le ministre de la santé, le ministre de la recherche, le ministre de l'agriculture et le ministre du commerce extérieur. Nous auditionnerons prochainement le ministre des affaires européennes. L'opinion publique, même si les choses se sont un peu corrigées, a le sentiment que l'affaire a été essentiellement pilotée par le ministère de l'agriculture. Ma question est donc simple pensez-vous que les responsabilités sont correctement distribuées au niveau des différents ministères ? Sans vous entraîner sur des terres que vous ne souhaitez pas aborder, puisque cela relève, c'est exact, du domaine politique, il est fondamental pour moi de savoir si cette affaire n'aurait pas dû être confiée à une personnalité organisant des réunions interministérielles. Ainsi, comme cela a déjà été précisé, la santé serait apparue comme le souci numéro un. Cela m'amène à une deuxième question concernant la santé publique. Je m'adresse, ici, non seulement au directeur général de la santé, mais au spécialiste de la santé publique. Vous avez déploré la réponse indigne », en termes de santé publique, de l'Europe. Il est vrai que des efforts ont été accomplis en France au cours des toutes dernières années. Pensez-vous qu'aujourd'hui notre appareil de santé publique est capable de faire face à une crise de cette ampleur, de la prévenir, de la détecter à temps et de proposer des solutions ? Notre système de veille sanitaire, de surveillance, est-il suffisant ? Cela m'amène à vous poser une question complémentaire. Avez-vous l'impression que les cas que nous connaissons traduisent le fait que l'on s'intéresse davantage à cette affection aujourd'hui ou qu'ils marquent le début d'une épidémie qui, compte tenu du délai d'incubation, va progressivement se manifester ? Votre réponse est pour nous de la plus grande importance. Il est clair qu'il existerait un décalage entre un discours politique qui affirmerait qu'il n'y a plus de risque et une opinion publique qui verrait néanmoins apparaître les cas année après année, mois après mois, du fait d'une contamination antérieure. C'est extrêmement difficile à gérer. Quel est l'avis de l'épidémiologiste que vous êtes sur le sujet ? Ma troisième question concerne la sécurité sanitaire et je vous prie de ne pas la considérer comme une critique. Pensez-vous qu'aujourd'hui la sécurité sanitaire peut être assurée au sein d'une direction générale de la santé, même renforcée ? Ne pensez-vous pas souhaitable qu'elle soit prise en charge en totalité par une direction indépendante au lieu d'être comme aujourd'hui éclatée entre votre direction et différents organismes ? Autrement dit, a-t-on, aujourd'hui, une politique de sécurité sanitaire ? J'en arrive à ma quatrième interrogation. Elle découle du fait que nous sommes dans l'inconnu sur le plan scientifique et sur le plan des moyens. Il ne peut y avoir une prévention que s'il y a une connaissance. Vous avez d'ailleurs abordé ce problème dans votre évocation du risque. A partir du moment où il n'y a pas de prévention possible, on entre dans l'application stricte du principe de précaution. L'ignorance qui est la nôtre ne nous permet pas d'envisager une prévention, mais nous impose de prendre des précautions. Quelles devraient donc être d'après vous, aujourd'hui, grâce aux données que vous possédez et au regard des enjeux alimentaires, les bases d'une politique axée sur le principe de précaution au regard de la sécurité sanitaire ? Enfin - et c'est plus une remarque qu'une question - se pose le problème de l'Europe. Il n'est pas étonnant que la santé n'ait pas sa place en Europe, puisque la Communauté européenne, si ma mémoire est bonne, n'était pas censée s'en occuper. Lorsque nous nous sommes penchés sur les problèmes de bioéthique - vous êtes bien placé pour le savoir - par le biais de la commission du marché intérieur, auraient pu être prises des dispositions à l'impact éthique extrêmement important. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que cette Europe ne soit pas un sous-produit de préoccupations exclusivement économiques ou technocratiques. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point. M. Jean-François GIRARD En ce qui concerne la gestion de l'interministérialité, effectivement, la crise de la transfusion sanguine et celle de la vache folle ne se ressemblent pas, la première ayant été gérée exclusivement par le ministère de la santé, la seconde relevant à tout le moins de trois ministères, voire quatre ou cinq. Durant ces trois derniers mois, on ne peut pas dire que l'interministérialité ne se soit pas exercée dans la réalité des faits et des mécanismes de prise de décision. Le SGCI ou le cabinet du Premier ministre ont donné des instructions relatives aux réunions du lundi soir entre les services dont j'ai parlé. Mais la présence sur la scène médiatique ne reflète pas forcément, je me permets de l'affirmer, le poids respectif des influences exercées dans les mécanismes de décision. J'ai le sentiment et même la conviction que le ministère de la santé a fait prévaloir certaines préoccupations en temps utile lors de ces réunions interministérielles. Des exemples, tels le retrait des cervelles, et des documents en témoignent. Je crois que nous avons été extrêmement présents. Effectivement, en termes de communication, un certain nombre de facteurs ont conduit M. le ministre de l'agriculture à s'exprimer plus souvent que ses collègues et singulièrement que le ministre de la santé. Mais, je le répète, la présence médiatique n'est pas le reflet le plus fidèle des influences dans les mécanismes de décision. Vous comprendrez que je n'en dise pas plus, mais je sais que le ministre de la santé partage ce sentiment. En deuxième lieu, vous m'avez interrogé sur la qualité du réseau de surveillance. Des progrès ont été accomplis au cours des années qui se sont écoulées et que j'ai eu le privilège de vivre, il me semble que les moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics ont évolué positivement. Si j'ai rencontré beaucoup de difficultés à faire créer le Réseau national de santé publique, il existe aujourd'hui et a montré sa pertinence dans un certain nombre d'affaires. Il en va de même pour la sécurité sanitaire. Il est impératif que le Réseau national de santé publique, que d'aucuns avec gentillesse appellent un mini CDC », passe à la vitesse supérieure, tant en termes de statut juridique et administratif que, surtout, en termes de moyens. En quatre ans, les effectifs du Réseau national de santé publique sont passés de cinq à une quarantaine de personnes. Mais, à titre de comparaison, la structure équivalente en Grande-Bretagne en emploie six cents. La France donc en la matière un retard à rattraper. L'idéal serait que le Réseau national de santé publique soit composé d'une centaine de personnes. Les demandes ne correspondent pas nécessairement à des besoins strictement sanitaires, mais concernent l'alimentation, l'environnement, la santé au travail. Il serait souhaitable de pouvoir créer, au sein du RNSP, un département alimentation et un département environnement sur le modèle du CDC américain. La visite récente aux Etats-Unis au cours de laquelle j'ai accompagné M. Gaymard m'a conforté dans cette idée. Donc, l'outil existe pour la surveillance. Sa conception me paraît adaptée aux besoins. Il reste un problème de moyens dans un contexte où les constructions budgétaires sont particulièrement ardues. Votre troisième question concernait le futur de l'épidémie. Vous avez évoqué la relative contradiction entre, d'une part, l'affirmation qu'il existe aujourd'hui un risque infime de contamination et, d'autre part, la difficulté de communiquer sur l'apparition éventuelle d'autres cas dus à des contaminations antérieures. Il est nécessaire de comprendre que, compte tenu de la latence de la maladie, les faits cliniques pathologiques observés aujourd'hui sont la conséquence du risque auquel était exposée la population il y a cinq, dix ou vingt ans. Affirmer qu'il y a un risque infime de contamination à l'heure actuelle n'empêchera pas, aujourd'hui, demain, la semaine prochaine, l'apparition de cas identiques à celui de Lyon. M. Gaymard avait été très précis sur ce sujet, lorsque vous l'avez reçu. L'information la plus précise que je peux vous donner est la suivante en ce qui concerne les formes atypiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, nous comptons un cas certain et trois cas incertains, dans la mesure où, les patients étant encore vivants, on ne peut évidemment, par respect de la personne et par rigueur scientifique, mener à bien les techniques invasives nécessaires à la confirmation du diagnostic. Je ne possède pas de réponse à cette contradiction. Je dois reconnaître que vous avez raison. En particulier, je ne peux pas exclure que, dans l'avenir, il n'y aura pas d'autres cas. Même si l'information les concernant est parfaitement diffusée, il sera difficile de convaincre l'opinion qu'ils sont la conséquence du passé et que toutes les précautions sanitaires sont désormais respectées. Je ne peux pas prendre de position tranchée sur l'ampleur de l'épidémie ultérieure. Ce n'est qu'avec une grande prudence, et si l'on me pousse dans mes retranchements, que j'avancerai que nous ne sommes probablement pas au début, en France, d'une épidémie explosive, semblable, par exemple, à celle du Sida. Nous ne disposons, en tout cas, pas d'argument pour en être certains, si ce n'est quelques éléments sur la fréquence épidémiologique des cas. J'aborderai maintenant votre question sur la sécurité sanitaire. Non, la direction générale de la santé n'a pas les moyens d'assurer la sécurité sanitaire et j'ajoute - les deux phrases ne sont pas dissociables - que ce n'est pas son rôle. Une administration centrale n'est pas conçue pour avoir de telles fonctions opérationnelles, mais pour aider les ministres à concevoir une politique, à la mettre en oeuvre, à en vérifier l'application. Elle n'est pas faite pour suivre les cas de listériose ou de Creutzfeldt-Jakob, ni pour assurer la sécurité des produits. Je n'ai eu de cesse, depuis que je suis directeur général de la santé, de sortir » de l'administration centrale - c'est l'exemple de la cellule de surveillance des maladies transmissibles relevant jusqu'en 1992 du bureau des maladies transmissibles - tout ce qui est fonction opératoire. De même, je trouve anormal qu'une autre direction d'administration centrale ait délivré en son temps des autorisations de mise sur le marché. En effet, ces fonctions opérationnelles » nécessitent une expertise et un savoir-faire, alors qu'une administration centrale a pour mission d'aider le ministre à conduire sa politique. La sécurité sanitaire répond à cette logique et exige donc le recours à des outils spécifiques. On ne peut en effet accepter que la surveillance des maladies transmissibles - je pense par exemple au recensement des cas de listériose - soit effectuée par la même structure que celle qui définit les axes généraux de la politique de sécurité sanitaire - en l'espèce, la politique du calendrier vaccinal - à défaut, le risque est grand de ne se consacrer, sous la pression, par ailleurs légitime, du ministre ou des médias, qu'à l'urgence, qu'à l'opérationnel. Pour ce qui est de la sécurité sanitaire, il faut plaider fermement pour la création d'outils spécifiques et les extra-territorialiser par rapport à l'administration centrale. Cela ouvre le débat sur les agences et leur nombre faut-il créer une grande agence chargée de la sécurité des produits sanitaires et non sanitaires, ou, au contraire, faut-il admettre la juxtaposition d'institutions que l'histoire, y compris récente, nous a léguées ? A titre personnel, je crois qu'il est préférable de recourir à une institution unique. En effet, pour le directeur général de la santé, la gestion des frontières entre les différentes institutions se révèle toujours chronophage et parfois sportif ! Il est certain - et M. le ministre s'étant exprimé sur ce point, j'ai quelques scrupules à aller plus loin - que la création d'un outil de sécurité dans le domaine sanitaire est un objectif que le voyage à Washington a tout au plus conforté. Vous m'avez également interrogé sur la question de la connaissance et les mesures à prendre pour l'améliorer. Nous disposons, maintenant, d'un système de surveillance épidémiologique humaine à coup sûr parfaitement performant. Nous sommes l'un des cinq pays en Europe capables de préciser à l'unité près notre situation épidémiologique. Je souhaite, mais ce ne peut être qu'un voeu, que les autres pays européens nous rejoignent très vite, sans toutefois sous-estimer toutes les conséquences qu'aurait une telle décision. J'espère surtout que d'autres pays dans le monde, qui affirment n'avoir rencontré aucun cas de ce genre et considèrent que cette affaire est strictement européenne, se dépêchent de mettre en place un système de surveillance aussi performant que le nôtre... En revanche, si difficiles sur le plan conceptuel que soient les pistes de recherches qui s'ouvrent face à cet agent pathogène inhabituel qui semble un peu, comme la mémoire de l'eau, n'être dû qu'à la forme d'une molécule, la recherche fondamentale est une ardente urgence. Le ministre de la recherche a débloqué des crédits. Un programme interministériel est en voie d'être arrêté. Une réunion s'est tenue encore hier à ce titre. Vous êtes revenu sur l'Europe avec la même problématique qu'au plan national, à savoir le problème de gestion de l'interministérialité. Jusqu'où va la responsabilité ? Qu'il s'agisse d'une direction générale de la santé à Bruxelles - une DG 5 bis - ou du ministère de la santé à Paris, la problématique est identique. Mettre en place un outil de sécurité exige de savoir parfaitement qui fait quoi la réponse à cette question n'est pas technique, mais politique. Elle concerne la distinction que nous devons faire entre la chaîne alimentaire et la sécurité alimentaire. J'ai à ce sujet quelques joutes - c'est normal - avec mes homologues de l'agriculture, tant je crois que la sécurité alimentaire ne fait pas partie de la chaîne alimentaire, ce qui ne signifie pas que la gestion de la chaîne alimentaire ne doive pas intégrer des principes de sécurité. Il est nécessaire de respecter la règle selon laquelle on ne peut pas être juge et partie. Enfin, j'ajouterai un dernier mot, même si je dois donner l'impression désagréable d'être un directeur d'administration qui pleure sur ses moyens. Les effectifs de la direction générale de la santé, qui avaient augmenté entre 1993 et 1996 de 15 % - je parle d'une augmentation nette, c'est-à-dire sans faire entrer en ligne de compte l'ajout d'un certain nombre de structures -, sont de nouveau en train de diminuer depuis trois mois. Ainsi, lorsque l'un des responsables des maladies transmissibles quitte ce service, il n'est pas remplacé. Je ferai preuve d'une grande fermeté à ce sujet, car je vis comme une grande injustice le fait de gérer des dossiers aussi difficiles, aussi sensibles, politiquement et médiatiquement, avec des moyens qui en ce moment diminuent. Il en va de ma responsabilité. Je vous remercie. M. André ANGOT Monsieur le directeur, on peut supposer que, dans la gestion de la crise, vous entretenez des relations tout à fait particulières avec la Grande-Bretagne. Logiquement, compte tenu des 165 000 cas recensés dans l'espèce bovine en Grande-Bretagne à comparer avec les vingt-deux cas recensés en France, on pourrait supposer que s'il devait y avoir une grande épidémie en France, il s'agirait d'une catastrophe nationale en Grande-Bretagne. Vos contacts avec vos homologues anglais sont-ils fréquents, réguliers ? Disposez-vous d'informations récentes sur le développement de l'épidémie en Grande-Bretagne ? Ma deuxième question concerne la situation aux Etats-Unis. On cite le réseau américain d'épidémio-surveillance pour les maladies humaines comme un modèle mondial. En revanche, il semblerait que le réseau d'épidémio-surveillance animale y soit inexistant. Or tout le monde sait que les maladies à prions n'y sont pas absentes chez les animaux on connaît des cas d'encéphalite du vison et des cervidés sauvages, ainsi qu'un syndrome dit de la vache couchée », autre terme, à n'en pas douter, pour viser une encéphalite à prion. Le réseau américain d'épidémio-surveillance humaine étant extrêmement performant et les pratiques d'alimentation du bétail, faisant intervenir des farines de viande étant identiques aux Etats-Unis et en France, ne pourrait-on pas déduire du fait qu'il n'y a toujours pas de cas déclaré aux Etats-Unis, que le risque est très faible qu'une épidémie se développe en Europe ? M. Jean-Marie MORISSET Monsieur le directeur, il serait intéressant que vous nous expliquiez les relations non seulement entre les ministres, mais aussi entre les services qui préparent les décisions. Vous avez affirmé que votre administration centrale avait pour rôle d'aider les ministres à conduire leur politique. Je pense, pour ma part, qu'elle les aide également à prendre leurs décisions. Par ailleurs, un certain nombre de mesures ont été prises en vertu du principe de précaution, parmi lesquelles les arrêtés concernant l'interdiction de certains abats. Nous pouvons supposer que le ministère dont vous relevez a participé aux réunions interministérielles qui ont conduit à ces décisions. Parmi celles-ci, je retiendrai simplement qu'ont été interdits les intestins de bovins français nés avant le 31 juillet 1991, dans la mesure où l'on pouvait craindre que les bovins aient pu manger des farines animales importées. Aujourd'hui, des boyaudiers ont dû licencier un certain nombre de personnes, mais continuent à faire analyser les prélèvements sous l'autorité de la direction générale de l'alimentation, en accord avec le CNEVA, pour bien s'assurer que les gros intestins, une fois nettoyés, peuvent tout à fait être exploités. Dans les semaines ou les mois prochains, si les administrations compétentes, en l'occurrence le CNEVA et le ministère de l'agriculture, donnent leur sentiment sur l'exploitation des gros intestins des bovins avant le 31 juillet 1991 et confirment que l'exploitation des gros intestins des bovins nés avant le 31 juillet 1991 ne présentent pas de risque, quelle sera la position de la direction générale de la santé ? M. Hervé MARITON Vous avez évoqué, monsieur le directeur général, une réponse européenne indigne », en termes de santé publique. La réponse européenne est aussi un peu ce que l'on en fait. Les politiques européennes ne sont pas définies en apesanteur, chacun des gouvernements de l'Union y contribue. Ma première question sera donc la suivante. Qu'a entrepris et qu'entreprend aujourd'hui le Gouvernement français et, en particulier, le ministère de la santé, pour veiller à ce que cette réponse ne reste pas indigne ? Vous avez par ailleurs évoqué la date de la décision du retrait des cervelles. Pensez-vous, en tant que directeur général de la santé, que cette décision aurait pu être prise sensiblement plus tôt ? M. Jean-François GIRARD Oui, les relations et les échanges d'informations sont fréquents avec la Grande-Bretagne. Je précise par ailleurs que les quinze directeurs généraux de la santé se réunissent une fois tous les six mois, et le fax avec mon homologue fonctionne bien. On me dit qu'il n'est pas toujours facile d'obtenir des informations des Britanniques. Néanmoins, si des interrogations sur l'état des recherches subsistent encore et si au cours des trois ou quatre derniers mois la pêche à l'information n'a pas été facile, je peux vous indiquer que j'ai reçu, tout à fait récemment, une mise au point que je crois transparente sur le nombre de cas de forme atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Le nombre de cas avérés s'établit toujours à douze et il subsiste des suspicions. Les suspicions sont, bien sûr, à prendre en compte, mais avec beaucoup de prudence sinon on en verrait partout. Il n'existe pas actuellement d'argument pour affirmer que l'on est en face d'un phénomène explosif. Mais inversement nous n'avons pas d'argument pour affirmer le contraire. Par contre, les informations sont beaucoup plus lacunaires en provenance des Etats-Unis. Je partage tout à fait votre appréciation sur le caractère performant de l'épidémiologie humaine sous l'égide du CDC d'Atlanta ; il est tout aussi vrai que le suivi des maladies animales est beaucoup plus aléatoire. Je ne sais pas en dire beaucoup plus. J'ai toutefois remarqué que le Président Clinton avait au cours de l'été pris une décision modifiant sensiblement les responsabilités en matière de suivi et de contrôle sanitaire de la viande. Je n'en dis pas plus. M. Morisset m'a interrogé sur les intestins bovins. Je crois qu'il appartient bien sûr au ministère de la santé de faire prévaloir la protection sanitaire de la population. Je mesure les dangers que ferait courir une attitude systématique et jusqu'au-boutiste, même à titre de protection personnelle et qu'à trop crier au loup » on finira par ne plus être cru. La difficulté la plus grande que rencontre mon administration est donc de ne pas laisser quelque chose, tout en sachant très bien que prendre systématiquement la mesure la plus sécuritaire, alors que l'on a dit à quel point on savait mal apprécier le risque, peut susciter des problèmes. Je rappellerai assez volontiers que la décision de retirer du marché les viandes ovines provenant d'animaux malades a été demandée par le ministère de la santé, qui l'a obtenue assez vite. Là, nous avons fait prévaloir un point de vue de santé publique humaine. Concernant le problème que vous avez évoqué, il y aura une contre-expertise. En tout état de cause, le souci de la préservation de la santé publique ne consiste pas à prôner systématiquement la mesure la plus extrême, mais celle qui est la plus appropriée en fonction de la connaissance à un moment donné. Il est vrai que l'on aura besoin, mais cela dépasse les responsabilités du directeur général de la santé, de se pencher sur l'application du principe de précaution je renvoie ici à ce que j'ai dit précédemment sur la notion de risque. Enfin, puisque vous me donnez l'occasion de revenir sur l'Europe, je crois, comme M. le Rapporteur l'a dit, que les préoccupations de santé n'ont pas constitué un des fondements, loin s'en faut, de la construction européenne. Visiblement, la notion de libre marché l'a emporté et pas seulement pour des raisons économiques. Nous sommes, dans le monde de la santé, dépendants de cette conception de la construction européenne qui instaure la libre circulation des produits et des hommes. Je prends l'exemple de la démographie médicale, qui n'est pas le produit des intérêts de telle ou telle entreprise, mais résulte d'une décision en matière de libre circulation des médecins. On voit très bien les conséquences potentielles de la libre circulation alors que, selon les pays, les densités médicales par habitant vont du simple au double voire au triple. Pour l'instant, les obstacles linguistiques en limitent les conséquences, mais voilà un exemple où les points de vue des administrations de la santé de chacun des pays n'ont pas prévalu. Nous sommes donc amenés à nous interroger - et le récent déplacement à la FDA nous a confortés dans cette idée - sur l'opportunité d'une relecture des règles fondatrices de l'Europe et de la construction européenne afin d'assurer la protection du consommateur et de l'usager en matière de santé. C'est la responsabilité des Etats. Je prendrai un autre exemple, très actuel, portant sur les dispositifs médicaux. Ceux-ci peuvent-ils se suffire d'un encadrement fondé sur le seul marquage afin de ne pas freiner la production de ces produits et l'essor économique qui l'accompagne ? En France, nous sommes en train de prendre position. Nous avons réussi, par exemple, à faire sortir les greffes et les tissus de la directive relative aux dispositifs médicaux, car, en termes de sécurité, il n'est pas très difficile de convaincre qui que ce soit que la qualité d'un greffon ou d'un tissu mérite des encadrements très précis - en tout cas différents de celui exigé pour une compresse. S'agissant, enfin, de la date de retrait des cervelles, si je répondais que la date était appropriée, ce serait utiliser la langue de bois. Il est probable que dans ce dossier tout aurait pu être décalé. Je suis capable maintenant de prendre des décisions, ou de les proposer au ministre quand elles sont de nature politique, en trois minutes. Il y a eu d'autres décisions, dans de tout autres domaines, où des retards administratifs sont manifestes tel n'est pas le cas sur le dossier que nous évoquons aujourd'hui. Mais encore une fois, avec beaucoup d'humilité et de sincérité, je pense que toute cette affaire aurait pu être gérée plus vite. Cela étant, la connaissance est une chose, son intégration dans la prise de décision en est une autre. M. Patrick OLLIER Monsieur le directeur général, vous nous avez donné des informations très intéressantes. A l'évidence, on y voit clair dans les réactions et dans les décisions qui ont été prises depuis 1990. Pourtant, les informations que nous recevons des uns ou des autres sont relativement contradictoires. Si le système de surveillance ne fonctionnait pas - on a bien compris que la raison en était l'absence d'une institution structurée et coordonnée -, quelles mesures ont été prises en termes de précaution ? Car enfin, la curiosité de la communauté scientifique ou celle des services compétents du ministère de la santé aurait dû conduire à prendre un certain nombre d'initiatives entre 1988 et 1992 ! D'après nos informations, la première note de réaction officielle est celle de M. Curien. Heureusement qu'il l'a fait, fin 1992, car auparavant aucune décision n'avait été prise. Depuis 1988, le ministère de la santé s'est-il intéressé à ce problème ? A-t-il posé des questions ? A-t-il essayé d'engager, par précaution, un certain nombre d'initiatives ? Le responsable de l'INRA que nous avons reçu nous a dit qu'en 1990 il s'était posé des questions et que l'INRA avait décidé de se mettre en position d'attente ». Je rappelle que c'est en 1986 qu'on recense les soixante-trois premiers cas en Angleterre, que c'est en 1988 que le Royaume-Uni prend la première décision de supprimer les farines animales. Cela aurait dû nous alerter ! Mais je crois que vous n'étiez pas en fonction à l'époque.... M. Jean-François GIRARD J'exerce mes responsabilités depuis le 30 janvier 1986. M. Patrick OLLIER Je souhaiterais par ailleurs formuler une autre question à laquelle je sais qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques vous ne pourrez pas me répondre d'une manière très précise. Peut-on estimer que les précautions sanitaires sont suffisantes pour limiter les risques de contamination nouvelle ? Je ne vous demande évidemment pas de vous engager sur un risque nul... M. Rémy AUCHEDÉ Monsieur le directeur général, je voudrais revenir sur les réponses que vous avez apportées sur les notions de risque et de responsabilité du ministère de la santé. La crise de confiance des consommateurs de viande bovine perdure et les inconnues scientifiques rendent incertaine la frontière entre le rationnel et l'irrationnel. Néanmoins, au cours d'auditions précédentes, nous avons entendu assurer que la consommation de muscle du bétail est à risque zéro mais que le risque reste réel pour d'autres organes, notamment la cervelle. Ma question est très précise peut-on effectivement diffuser cette information et, le cas échéant, pourquoi le ministre de la santé ne s'en charge-t-il pas ? Il pourrait ainsi donner au consommateur une information de nature à le rassurer, ce qui permettrait peut-être relancer la consommation. M. Charles JOSSELIN La qualité des réponses déjà apportées va me permettre de limiter mes questions à deux. La première concerne l'Europe et le moyen terme, la seconde l'actualité immédiate. On a déjà déploré l'absence d'harmonisation véritable des normes et plus encore leur mauvaise application à l'échelle européenne. Êtes-vous aujourd'hui en mesure de nous dire que nous sommes à l'abri de voir importer en France des produits animaux ne répondant pas aux normes françaises, parce que produits dans un pays où les normes sont moins sévères ? Par ailleurs, la perspective d'un réseau européen de santé publique vous paraît-elle totalement irréaliste ? Venons-en à l'actualité immédiate. Êtes-vous associé, et le cas échéant de quelle manière, à la gestion des stocks produits par les usines d'équarrissage qui aujourd'hui ne sont plus en mesure de les conserver à l'intérieur de leurs locaux - les équarrisseurs sont en train d'en chercher et en trouvent qui ne sont pas forcément adaptés ? Êtes-vous associé également à la recherche sur l'incinération de ces stocks ? J'ai le sentiment que ces professionnels sont aujourd'hui un peu seuls pour résoudre des problèmes considérables. M. Jean-François GIRARD Sur la première question de M. Ollier, j'avais fait une distinction entre le début des années quatre-vingt-dix et l'année 1992, date de publication du rapport Dormont. On ne peut pas dire que le déclic ait été la note de M. Curien. Des mesures ont été prises avant et c'est pour cela que j'ai parlé du début des années quatre-vingt-dix. J'ai ajouté que le rapport de M. Dormont avait concrétisé mes propres interrogations ou simplement mes doutes. Il s'est fait des choses avant 1992, en particulier la mise en place du réseau de surveillance épidémiologique. Des réunions se sont tenues au cours de l'année 1991, et même fin 1990, sur la mise en oeuvre d'un réseau de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob , tel qu'il fonctionne maintenant. Cela aurait-il pu être fait avant ? Cette question et quelques autres renvoient aux limites ou à l'absence de limite des compétences du ministère de la santé. C'est vrai que je n'ai pas été informé du problème des farines dans les années quatre-vingts, avant 1990 et même après d'ailleurs. Je ne l'ai pas su. Et c'est vrai qu'il faudrait savoir remonter le plus en amont possible pour pouvoir exercer ses responsabilités ! Il faut de surcroît un certain délai pour avoir la certitude qu'une hypothèse scientifique se confirme ! Je vous exposerai brièvement un contre-exemple tout à fait significatif. En 1976, le New England Journal of Medecine a publié un article retentissant accusant la consommation excessive de café d'être responsable du cancer du pancréas. Cet article n'avait alors suscité aucune réaction et je ne crois pas que la production de café dans le monde en ait réellement pâti. Imaginez ce type d'article en 1996 ! A cette époque on a été sage, on n'a pas bougé, on a attendu. Trois mois après, est paru un autre article affirmant que le premier reposait sur une erreur monumentale de méthodologie, qu'il ne fallait pas affoler les populations et ne pas casser le cours du café ! La connaissance en matière de santé n'est jamais quelque chose qui du jour au lendemain permet de dire voilà ce qu'il faut faire. » C'est très difficile. Très humblement, peut-être aurait-il fallu prendre conscience plus tôt. Je ne saurais le dire. Par contre, en matière épidémiologique, les mesures ont été prises très tôt. Il faut bien reconnaître que dans ce dossier où la connaissance scientifique manque, il est au moins un secteur où nous disposons d'informations précises, c'est le suivi épidémiologique humain et animal en France pratiquement, dès qu'il y a un cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob de plus, toute la France le sait le soir même ! La question sur les risques actuels renvoie au problème de la crise de confiance. Je crois en quelque sorte y avoir répondu. Parce que le tissu musculaire a toujours été connu comme indemne de prion, parce qu'il n'y a que vingt-deux cas de vache folle en France, parce que depuis le 20 mars des mesures ont été prises, la seule chose que je sois capable de dire c'est que le risque est infime. Je ne sais pas ce qu'est le risque zéro, je n'ai pas le droit d'affirmer que le risque est nul. Il est infime et j'ajoute, à titre anecdotique, que j'ai mangé un steak tartare à midi. C'est tout ce que je peux répondre. Je laisse mes enfants manger de la viande rouge, ce qui est d'ailleurs plus significatif parce que, compte tenu du délai de latence de la maladie, j'ai personnellement beaucoup de risques d'être atteint d'autre chose avant la maladie de Creutzfeldt-Jakob ! C'est comme cela que j'essaie de m'exprimer quand j'ai à le faire publiquement, et je pense que c'est assez efficace. Si on dit les choses de cette façon, les gens ne peuvent pas avoir l'impression qu'on les leur cache c'est ainsi que l'on peut contribuer à améliorer la confiance et à sortir de la crise. M. Josselin me demande si nous sommes au courant de ce qui se passe réellement en matière d'importation. J'ai indiqué tout à l'heure qu'un ensemble de questions renvoyait aux limites de la compétence du ministère de la santé. Je ne me retranche pas derrière une trop stricte compétence juridique, j'évoque la compétence réelle de mon administration on ne compte que 400 médecins-inspecteurs de la santé en France ! Je ne maîtrise pas les problèmes d'importation ni d'ailleurs, pour ce qui est de l'immédiat, les conditions de destruction et d'incinération des animaux. Ces questions sont débattues le lundi à dix-huit heures trente. Avant-hier, nous avons évoqué ce dernier point, notamment les conditions techniques nécessaires pour des incinérations efficaces. Ce que j'ai envie de dire, comme je l'ai dit avant-hier soir, c'est qu'il faut que l'on se dépêche de trouver une solution. Cela pose des problèmes de deux ordres, relatifs à la santé publique et à la santé animale d'une part, mais aussi aux actions entreprises par les différentes professions concernées d'autre part. Nous sommes là dans un cas de figure typique, où nous nous situons aux confins de plusieurs compétences ministérielles le débat que nous allons avoir à propos de l'institution future de sécurité sanitaire va nous obliger à définir les limites des attributions des uns et des autres. Vous avez demandé si un réseau européen de surveillance était envisageable. Ma réponse est oui, sans ambages. Je vous remercie de cette question car j'affirme, depuis que le Réseau national de santé publique s'est créé, que si nous sommes assez malins, le CDC européen » sera implanté à Paris. Je voudrais, si vous le permettez, madame le Président, terminer, parce que c'est une obsession pour moi, par des problèmes de moyens, en apportant un argument supplémentaire. Dans plusieurs affaires on pourrait montrer que les décisions auraient pu être prises plus vite, qu'elles auraient pu être différentes, qu'elles auraient pu s'appuyer sur une meilleure coordination interministérielle. Mais elles ont été prises. Par contre, la faiblesse de notre système réside dans le fait que leur application n'est pas contrôlée. Je voudrais vous citer un exemple. Mon prédécesseur avait, dès 1983, signé une circulaire destinée à sélectionner par interrogatoires parmi les donneurs de sang ceux qui étaient exposés au risque, encore très mal connu, d'infection par le virus de l'immuno-déficience humaine. Tout le monde est d'accord pour dire que cette circulaire remarquable était arrivée en temps utile. Mais elle n'a pas été appliquée et on n'a pas vérifié si elle l'était. Cet exemple est caractéristique. Le fait que les décisions ne sont pas appliquées tient partiellement à des raisons culturelles, mais les événements font évoluer la situation assez vite sur ce point ; il tient surtout aux moyens qui sont mis à notre disposition. A cet égard, je vous ai cité - sans même parler du CDC d'Atlanta - les chiffres anglais. La notion de contrôle est essentielle je sais que le Parlement s'en préoccupe beaucoup. Même si le problème de moyens n'est pas le seul - il faut construire ce contrôle, il faut faire avancer la culture - il n'en demeure pas moins très important. Mme le Président Monsieur le directeur général, nous vous remercions de votre intervention. Audition de M. Pierre-Mathieu DUHAMEL, directeur général des douanes et droits indirects extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 4 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Pierre-Mathieu DUHAMEL Mesdames, messieurs les députés, les conséquences économiques, commerciales, financières et sociales de la crise qui affecte aujourd'hui la filière bovine sont d'une grande ampleur. C'est pourquoi tous les services de la Direction générale des douanes se sont immédiatement mobilisés, conformément aux instructions données par le Premier ministre, dès que les arrêtés du 21 mars 1996 pris par le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation ont frappé d'une mesure de prohibition nationale les bovins vivants, les viandes bovines, les farines, les produits d'origine animale préparés à partir de viande bovine originaire du Royaume-Uni. Comme vous le savez, cette initiative du Gouvernement français a été confortée dès le 28 mars 1996 par une décision d'embargo de la Commission européenne qui a concerné l'ensemble de ces produits. La douane a donc mis en oeuvre un dispositif d'intervention et de contrôle qui, depuis cette date, met à contribution l'ensemble de ses services nationaux et territoriaux. Sans vouloir abuser d'une image commode, je dirai que depuis lors nous vivons dans la douane une sorte de vigipirate sanitaire ». En quoi cela consiste-t-il, c'est-à-dire comment appliquons-nous les mesures nationales et communautaires ? Tout d'abord, sont opérés des contrôles à l'entrée et à la circulation des moyens de transport, tant aux frontières de notre pays qu'à l'intérieur du territoire. A la fin août, 101 000 contrôles avaient été effectués, environ les trois quarts aux abords des frontières et 26 000 à l'intérieur du territoire. Sur ce total, 249 se sont avérés positifs, dont 171 ont pu donner lieu à autorisation d'introduction après vérification par le service vétérinaire, les 78 autres - pour un total de 360 tonnes de viande - s'étant traduits par un refoulement. Je signale que les contrôles positifs ont, pour l'essentiel, été enregistrés peu après la décision d'embargo. Je pense donc que cela correspondait à des flux ou à des transactions qui avaient été lancés avant la décision de prohibition et qui avaient, en quelque sorte, continué sur leur lancée. Ce dispositif est toujours en vigueur, environ 6 400 agents présents sur le territoire veillant à sa mise en oeuvre. S'y ajoutent 400 enquêteurs spécialisés de la Direction nationale de recherches et d'enquêtes douanières mobilisés en amont, dans les tâches de renseignement et de lutte contre la fraude pour aider les services opérationnels à conduire les investigations nécessaires. Parallèlement, la direction des douanes a procédé à un certain nombre de vérifications concernant le contenu des déclarations d'échanges de biens pour la période de janvier 1993 à mai 1996. Il fallait, en effet, s'assurer de la bonne application de l'embargo à travers ces outils statistiques et de la fiabilité des données du commerce extérieur. Pour ce faire, un dispositif de contrôle documentaire a été mis en place dans les services. Il a d'abord porté sur la période la plus récente, c'est-à-dire les déclarations d'échanges de biens qui ont suivi immédiatement la mise en oeuvre de l'embargo et a consisté à examiner, sur la base des déclarations faites par les entreprises, le contenu des éléments documentaires à la base de celles-ci. Les irrégularités décelées pendant ces quelques mois sont très limitées. Elles concernent, en l'état actuel de nos résultats, huit entreprises pour une valeur de 3,2 millions de francs. Nous procédons actuellement aux investigations complémentaires pour nous assurer que les infractions douanières qui peuvent en résulter sont effectivement établies, afin de les notifier. Mais nous nous sommes aussi intéressés, dans cette recherche documentaire, à ce qui a pu se passer entre janvier 1993 et mars 1996, afin de s'assurer que les marchandises qui, dès cette époque, faisaient l'objet d'une prohibition sanitaire - prohibition relative, certes, mais prohibition tout de même - n'avaient pas été introduites en France, et de vérifier si elles n'avaient pas pu l'être par le canal d'autres Etats. Un contrôle systématique des déclarations d'échanges de biens a donc eu lieu, au cours des semaines écoulées, sur les introductions de farines animales et de cretons effectuées de janvier 1993 à mars 1996 pour toutes les provenances et pour toutes les origines. Quels sont les résultats de ces contrôles ? Tout d'abord, ils n'ont pas conduit à mettre en évidence de détournement de trafic par le canal d'autres pays de l'Union européenne. Autrement dit, les origines mentionnées dans les déclarations d'échanges de biens correspondaient, dans le cadre des contrôles sur pièces que nous avons effectués, aux origines des factures et de l'ensemble des pièces justificatives que détenaient les entreprises. Comme il s'agit d'une chaîne, nous poursuivons des investigations approfondies de façon à obtenir des certitudes. S'agissant des opérations d'origine britannique, nous en avons contrôlé 2 601 portant sur 153 900 tonnes de farines animales d'origine britannique et nous avons été amenés, à hauteur de 30 000 tonnes, à opérer un certain nombre de corrections. Autrement dit, les contrôles auxquels nous avons procédé nous ont amenés à constater que la réalité statistique telle qu'elle découlait des déclarations spontanées des entreprises. n'était pas conforme à la réalité documentaire telle que l'analyse approfondie des documents détenus par ces entreprises la faisait apparaître. Ces corrections sont, pour l'essentiel, relativement mineures. Elles portent notamment sur l'origine déclarée. Un certain nombre d'entreprises, par exemple, avaient déclaré par erreur une origine Royaume-Uni » alors qu'il s'agissait, le plus souvent, de l'Irlande, la proximité des codes expliquant la confusion. Se sont aussi produites des erreurs de nomenclature. Ainsi, des marchandises inscrites dans la position tarifaire correspondant aux marchandises faisant l'objet de la prohibition étaient, en réalité, d'autres produits tels que farines de poisson, farines de luzerne, aliments pour chiens et chats. La vérification des facturations des documents dans les entreprises a permis de vérifier ces discordances. J'ajoute que sur les 30 000 tonnes ayant fait l'objet de corrections, environ 80 % des erreurs ont été commises par deux entreprises qui les ont répétées systématiquement. Au terme de ces vérifications statistiques, l'interrogation peut demeurer, pour la période de référence, pour environ 1 260 tonnes de farines d'origine britannique - soit environ 1 % des quantités introduites durant la période considérée -, pour lesquelles je n'ai pas, aujourd'hui, la possibilité d'affirmer qu'elles ont été introduites en France de manière régulière. Il s'agit de farines dont nous avons pu constater, en effectuant des contrôles documentaires, qu'elles étaient originaires du Royaume-Uni mais pour lesquelles nous n'avons pas trouvé les certificats vétérinaires qui auraient dû être délivrés pour que - dans cette période de prohibition relative - leur introduction puisse être considérée comme régulière. Nous sommes en train de procéder à des vérifications complémentaires, car si le ministère de l'agriculture, que nous avons interrogé pour nous assurer de la délivrance ou de la non-délivrance de ces certificats, a pu nous répondre sur la partie centralisée de ces opérations, il n'a pas pu encore le faire pour leur partie déconcentrée. Lorsque ces vérifications seront terminées, il en restera une dernière à faire, qui ne relève pas du domaine douanier, mais qu'il est important de prendre en compte pour le raisonnement. Il sera nécessaire, même dans le cas où a été opérée une introduction dans des conditions irrégulières, c'est-à-dire sans certificat, de connaître l'usage qui a été fait de ces farines de façon à savoir s'il a été conforme ou non aux possibilités qui existaient alors d'utiliser de tels produits. Par ailleurs, j'ai prescrit à mes services - l'opération est en cours et je ne dispose pas aujourd'hui de ses résultats - une analyse similaire sur les déclarations d'échanges de biens en matière de bovins vivants, pour la période de janvier 1993 à mars 1996. Enfin, nous avons développé, dans la continuité des efforts antérieurs mais en les accentuant, nos études sur les courants de fraudes et d'éventuels détournements de trafics. Ainsi avons-nous systématiquement procédé à des analyses de risques, à la fois sur les marchandises et sur les entreprises, pour détecter les éventuels opérateurs commerciaux qui peuvent présenter des risques ou des possibilités de fraudes, et activé du mieux possible la collecte des renseignements opérationnels. Nous avons aussi mis en alerte nos capacités de coopération internationale avec les services de Bruxelles - notamment l'UCLAF, l'unité de coordination de lutte anti-fraude - et nos correspondants dans les différents pays européens. Tel est, dans ses grandes lignes, en termes d'actions conduites et de résultats, le bilan de l'action menée par les services douaniers depuis la mise en oeuvre de l'embargo, en mars 1996. L'objectif était prioritairement de maîtriser la gestion des flux commerciaux pour assurer le plein respect de cette décision communautaire et nationale et de procéder à l'analyse la plus fine de ce qui s'était passé antérieurement, afin de s'assurer du respect du dispositif sanitaire existant à l'époque. Je souhaite maintenant aller un peu plus loin dans l'examen de ce que nous révèle la crise en cours et de voir dans quelle mesure elle a pu mettre à jour certaines insuffisances juridiques ou pratiques dans le dispositif communautaire de contrôle des marchandises. En effet, depuis le 1er janvier 1993, les échanges intra-communautaires de marchandises ne sont plus soumis à des formalités douanières, à l'exception de certaines marchandises sensibles - les contrefaçons de marques, les déchets, les radio-éléments artificiels, les biens culturels et certains produits issus du corps humain - qui, seuls, sont encore susceptibles de faire l'objet de procédures s'apparentant à des procédures douanières. Toutes les autres marchandises circulent librement au sein du territoire douanier. Je souhaiterais donc insister un instant devant vous sur cette distinction majeure au sein de la période durant laquelle est apparue puis s'est développée la crise de l'ESB il y a la phase antérieure au 1er janvier 1993 puis celle postérieure à cette date, caractérisée par l'ouverture généralisée des frontières. Quel était le dispositif juridique mis en oeuvre par les pouvoirs publics français dans le domaine sanitaire ? Depuis 1964, en l'absence d'harmonisation communautaire sur ce point, la France avait son propre dispositif de contrôle sanitaire. C'était une succession d'arrêtés et d'avis aux importateurs dans le détail desquels je n'entrerai pas. Depuis le 1er janvier 1993, s'applique le principe de libre circulation des marchandises, assorti, en matière sanitaire, de clauses de sauvegardes prévues par une directive communautaire relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intra-communautaires de certains animaux vivants. Lorsque se pose un problème particulier, notamment la découverte de foyers infectieux pour certaines maladies reconnues au plan communautaire, la Commission peut prendre l'initiative de restreindre les échanges susceptibles de générer un risque épidémiologique dans l'ensemble des Etats membres. Nous avons vécu l'activation de ce dispositif à plusieurs reprises, à l'occasion, par exemple de l'éradication de la fièvre porcine, ou, récemment, de la fièvre aphteuse. Cette directive autorise aussi les Etats membres à prendre des mesures nationales pour suspendre ou restreindre la circulation des produits jugés dangereux pour la consommation humaine et animale. C'est dans ce cadre que les bovins vivants, les viandes bovines, les farines et les produits d'origine animale préparés à partir de viande bovine originaire du Royaume-Uni ont pu être frappés d'une mesure de prohibition nationale. C'est la prohibition absolue de l'embargo qui s'applique depuis le 21 mars, relayée par une prohibition communautaire. C'est également dans ce cadre qu'avait pu être instituée auparavant ce que j'ai appelé tout à l'heure une prohibition relative. Mais les conditions dans lesquelles il est possible de gérer ce type de prohibition - relative ou absolue - ont été profondément modifiées le 1er janvier 1993. C'est la deuxième distinction que je souhaiterais faire devant vous, à savoir celle existant entre les possibilités juridiques et opérationnelles d'intervention avant le 1er janvier 1993 et après cette date. Avant le 1er janvier 1993, existaient des procédures de dédouanement. Les agents disposaient d'un arsenal complet, prévu dans le code des douanes, la réglementation communautaire exigeant l'accomplissement de formalités douanières dans les échanges entre Etats membres. L'importateur devait satisfaire aux formalités douanières et produire à l'appui de sa déclaration aux douanes tous les documents démontrant que les obligations fixées par les textes avaient été remplies. Les services douaniers pouvaient, dans ces conditions, s'assurer en temps réel qu'il n'y avait pas de fausses déclarations détournant les mesures de prohibition, que les autorisations délivrées par les autorités compétentes agricoles ou sanitaires, étaient bien disponibles au moment de l'introduction des marchandises et que les services vétérinaires procédaient bien, lorsqu'il y avait matière, à des contrôles physiques sur les marchandises introduites Les pouvoirs permettant d'exercer l'ensemble de ces prérogatives étaient le droit de visite des marchandises, la possibilité de prélever des échantillons pour analyse et, plus largement l'ensemble des dispositions contenues dans le code des douanes. Tout manquement à ces prescriptions entraînait la constatation d'une infraction douanière pouvant donner lieu à l'application de pénalités. Ces possibilités existaient également après le dédouanement, puisque le code des douanes prévoit aussi un droit de communication de l'ensemble d'éléments documentaires, un droit de visite domiciliaire sous contrôle du juge et un droit de contrôle sur la circulation des véhicules contenant des marchandises. De la même façon, les contrôles a posteriori pouvaient conduire à s'assurer que l'ensemble des prescriptions, y compris sanitaires, avaient été respectées. Le marché unique a supprimé l'ensemble de ces formalités, sauf pour les quelques marchandises citées tout à l'heure. Dès lors, les échanges de marchandises intra-communautaires sont libres et, sur le plan douanier, ne donnent plus lieu à aucune espèce de formalité, à l'exception du dépôt a posteriori de la déclaration d'échanges de biens. Cette déclaration est un document rempli par l'entreprise qui spécifie, tous les mois, sur la base, notamment de nomenclatures, la nature des acquisitions communautaires auxquelles elle a procédé. Il faut savoir par ailleurs que lorsque ces acquisitions sont inférieures à 250 000 francs par an elles ne donnent pas lieu à déclaration et qu'entre 250 000 et 750 000 francs elles sont déclarées de manière très simplifiée. On n'est, notamment, pas tenu de déclarer l'origine ni la quantité. Seules les acquisitions intra-communautaires au-dessus de 750 000 francs font apparaître à la fois l'origine et la nature très précises des quantités introduites. Ces documents ont, d'une part, un objet statistique, la constitution des chiffres du commerce extérieur, et servent d'autre part de point d'appui aux services chargés d'effectuer les contrôles dans le cadre de la vie interne du grand marché, à savoir le ministère de l'agriculture et les services de la répression des fraudes. Ces derniers ont utilisé la faculté d'accéder à ces documents au cours de la période concernée, afin d'obtenir les informations nécessaires à l'établissement et à la mise en oeuvre de leur propre plan de contrôle sur des marchandises ou des biens soumis à un certain nombre de conditions, dont, tout particulièrement, les produits faisant l'objet de la prohibition relative évoquée précédemment. S'agissant des pouvoirs propres de la douane depuis le 1er janvier 1993, nous avons connu deux périodes successives. Entre le 1er janvier 1993 et le 10 février 1994, la situation est assez facile à décrire. Nous vivions exclusivement sous l'empire de l'article 2 bis du code des douanes qui le rendait inapplicable dans sa totalité aux échanges intra-communautaires. Autrement dit, il n'y avait, pendant cette phase, aucune base légale à l'intervention des services douaniers dans les échanges intra-communautaires. Cette situation a été modifiée par la loi du 10 février 1994 qui a de nouveau attribué à la douane des possibilités - même si elles sont très inférieures à celles qui existaient avant janvier 1993 -, en matière de contrôle à la circulation des animaux vivants ainsi que des produits animaux et des denrées animales. Il s'agit d'un contrôle basique » permettant aux services douaniers de s'assurer visuellement de la concordance entre ce qui se trouve dans un moyen de transport et ce qui est décrit dans un document d'accompagnement, lorsqu'il y en a un. Je reviendrai sur ce point, parce que l'existence d'un document d'accompagnement dans les échanges intra-communautaires n'est pas, sauf pour quelques marchandises sensibles, une obligation. La seule possibilité pour les agents des douanes, lorsque ce contrôle visuel les conduit à déceler une anomalie, est de consigner les marchandises en question et de demander l'intervention des services vétérinaires qui indiqueront s'il faut aller au-delà de la consignation et refouler ou refuser l'entrée de la marchandise. A partir de ce que je viens de décrire, quelles sont les pistes de réflexion, en termes juridiques et pratiques, qui nous donneraient les moyens de réagir face à des difficultés majeures telles que celles qui ont surgi à l'occasion de la crise de l'ESB ? Je m'intéresserai, en premier lieu, aux instruments juridiques. J'ai été conduit à proposer au ministre du budget, qui l'a lui-même soumis au Premier ministre, la création d'un article 38-5 du code des douanes qui serait inséré dans le projet de loi relatif à la qualité sanitaire des denrées destinées à l'alimentation, actuellement en cours d'examen au Conseil d'Etat. Cet article donnerait une base légale à la réactivation conjoncturelle du code des douanes pour un certain nombres de produits communautaires soumis à des restrictions à la circulation, qui seraient fixés par arrêté interministériel. La finalité de ce texte serait d'instaurer, dans les relations intra-communautaires, un dispositif de prohibition relative ou absolue beaucoup plus efficace en termes de moyens juridiques que celui dont nous disposons. Il permettrait d'habiliter les agents des douanes à intervenir sur la base du code des douanes - ce qui est impossible aujourd'hui - et d'utiliser leur pouvoir de contrôle et de répression de la même façon qu'à l'égard des échanges extra-communautaires. Ce projet d'article 38-5 permettrait aussi d'intervenir en amont des contrôles qu'exercent les services de la répression des fraudes, en appréhendant dès le flux d'entrée les phénomènes frauduleux et en permettant d'infliger des sanctions à l'égard de tous ceux qui participent à l'infraction, expéditeur, destinataire, transporteur ou intermédiaire. S'agissant du contrôle documentaire effectué sur la base d'une déclaration d'échanges de biens, nous avons buté sur une difficulté. Les textes actuels prévoient seulement la possibilité pour les services douaniers de demander à l'entreprise de bien vouloir lui communiquer les déclarations d'échanges des biens qu'elle a remplies et les pièces justificatives fondant ces déclarations. Cette disposition est un peu restrictive car elle ne permet pas d'effectuer en temps réel des contrôles au fond et de vérifier aussi vite qu'il le faudrait la qualité et la fiabilité des déclarations dans le cas de produits soumis à surveillance. En outre, la loi ne prévoit pas de délai de conservation pour les pièces permettant de vérifier la qualité de la déclaration d'échange de biens. Si une entreprise, pour telle ou telle raison, décide de s'en défaire immédiatement, elle le peut. Il me semble qu'il y a là une insuffisance. Il serait à mon sens nécessaire d'imposer une obligation de détention de ces documents pendant une durée de trois ans, correspondant à la prescription existant en matière douanière et fiscale, de façon à ce que pendant les périodes susceptibles de donner lieu à contrôle, les services intéressés puissent obtenir les éléments de justification. J'en viens maintenant aux dispositions opérationnelles. Au-delà de la création de l'article 38-5 dont j'ai expliqué la finalité, la question se pose de le compléter par une obligation de présentation en douane pour le cas où nous nous trouverions dans une situation de crise, un tel dispositif nous donnant des possibilités d'intervention identiques à celles qui existaient antérieurement à la création du grand marché intérieur. S'agissant des contrôles à la circulation, ils seraient beaucoup plus aisés et beaucoup plus rapides si existait - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - l'obligation pour les transporteurs de présenter un document d'accompagnement. J'illustrerai la difficulté pratique résultant de la situation actuelle à partir d'un exemple touchant à la crise de l'ESB. L'identification visuelle par les agents est assez aisée pour les bovins vivants et pour les quartiers de viande qui sont transportés dans des camions que l'on peut repérer facilement dans les flux de circulation. Je ne peux pas en dire tout à fait autant des farines qui ne sont pas transportées dans des camions reconnaissables de l'extérieur. Et même lorsqu'on regarde l'intérieur du chargement, on ne sait pas de manière évidente quelles en sont les caractéristiques. Lorsqu'on dispose d'un document d'accompagnement, on a une base permettant immédiatement d'opérer un premier contrôle de cohérence. Je ne méconnais toutefois pas les inconvénients et la lourdeur que cela peut présenter, même s'il n'est pas question, dans une telle hypothèse, de recréer un document d'accompagnement s'ajoutant à d'autres. Ce sont les documents, lettres de connaissement et tous autres éléments d'accompagnement existant toujours dans les transactions commerciales qui seraient susceptibles de servir de base à de tels contrôles. S'agissant de l'aspect statistique, les recherches que nous avons faites à partir des déclarations d'échanges de biens ont été rendues très difficiles par le fait que la nomenclature des produits n'est aujourd'hui pas assez détaillée. A l'intérieur de la position tarifaire et de la position statistique inscrites dans les déclarations d'échanges de biens, figurent aussi bien des marchandises soumises à prohibition relative ou absolue que des marchandises qui ne le sont pas. La simple lecture de la ligne ne permet donc pas de savoir s'il y a eu des difficultés ou des anomalies. Il faut aller systématiquement regarder - cela a été l'objet de la campagne de contrôle à partir des déclarations d'échanges de biens que j'évoquais tout à l'heure - le détail des pièces justificatives. Cela résulte simplement du choix technique fait au moment de la création du système de retenir une nomenclature à huit chiffres. A l'époque, dans les discussions intra-communautaires qui ont eu lieu, la France avait été à peu près la seule, me semble-t-il, à soutenir l'idée qu'il fallait une nomenclature plus détaillée. La question est posée aujourd'hui, au vu des difficultés que nous rencontrons, d'ajouter un ou deux chiffres à la nomenclature des déclarations d'échanges de biens pour permettre d'isoler beaucoup mieux telle ou telle marchandise qui serait soumise à prohibition. L'ensemble des points que j'ai évoqués ne peuvent se traiter que dans le cadre d'une discussion communautaire. J'ai demandé que la prochaine réunion du comité de politique douanière s'en saisisse et que nous soyons amenés à en débattre. J'ai eu récemment l'indication que la direction générale concernée et la Commission étaient d'accord pour inscrire ces sujets à l'ordre du jour de nos prochains travaux. Il me paraît en effet nécessaire de tirer ensemble les leçons de la première crise grave qui affecte le fonctionnement du Marché unique depuis son entrée en vigueur. Je souhaite aussi que l'échange qui doit avoir lieu sur ces sujets à Bruxelles soit l'occasion de faire le point sur les informations détenues par les services de la Commission et par l'ensemble des Etats-membres sur d'éventuelles tentatives de fraudes pour contourner l'embargo communautaire. Enfin, il me semble également que cette affaire doit nous donner à réfléchir attentivement sur la gestion de l'élargissement de l'Union européenne à de nouveaux membres et sur la sécurité du fonctionnement harmonisé du marché intérieur ; ce sera une préoccupation légitime, à la fois des gouvernements et de l'opinion publique, dans la mesure où cet élargissement fera entrer dans l'espace communautaire de nouveaux Etats membres et produira dans les échanges que nous avons avec eux le même type de modifications que celles que nous avons connues entre les membres actuels à partir du 1er janvier 1993. Mme le Président Merci, monsieur le directeur. Pourriez-vous nous dire si on a des raisons de penser que circulent encore des stocks à risque ? Par ailleurs, la presse a mentionné plusieurs fois un tonnage - de l'ordre de 15 000 tonnes - de farines carnées britanniques qui auraient été importées sans dérogation au cours des trois années passées. Selon vous, il s'agirait de farines de volaille et non de viandes bovines. Mais il me semble que la dérogation était nécessaire également pour les farines provenant de volailles. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? M. Pierre-Mathieu DUHAMEL Sur le premier point, la notion de stock est un peu difficile à appréhender. Je vous ai dit tout à l'heure quelles étaient les limites de nos capacités d'intervention. J'ai en tout cas le sentiment, au vu de tous les éléments dont je dispose, que le fonctionnement de la prohibition relative, et dorénavant de la prohibition absolue, ne laisse pas actuellement place à la circulation de produits interdits. Je ne peux bien sûr pas être affirmatif à cent pour cent car quelle que soit la qualité du dispositif opérationnel que nous mettons en oeuvre - et les agents le font fonctionner avec beaucoup de coeur - ce n'est pas la ligne Maginot, il y a des limites, dans un espace ouvert, à ce que nous savons appréhender. J'ai la conviction qu'il n'y a aucune raison de penser aujourd'hui que circulent, de manière significative ou même marginale, des marchandises qui posent problème. Ce n'est pas une démonstration scientifique, mais d'une certaine manière j'ai été assez heureux de ce qui s'est passé lorsque les organisations agricoles ont déployé un dispositif de contrôle inopiné qui n'a fait apparaître comme seul problème qu'un camion transportant 22 tonnes de viande, sur lesquels 25 kilos ont soulevé des questions parce qu'il n'était pas immédiatement possible de savoir s'ils répondaient bien aux prescriptions, le contrôle des services vétérinaires ayant permis finalement de constater qu'il n'y avait pas de problème. Ce n'est certes pas une démonstration scientifique, mais c'est une photographie montrant, à un instant donné, sur une échelle importante, que notre dispositif fonctionne. Vous évoquez le chiffre de 15 000 tonnes d'importations de farines britanniques. Je vous ai dit tout à l'heure à quelles conclusions successives avaient conduit les investigations approfondies auxquelles nous avons procédé. Et je ne garde plus aujourd'hui d'interrogation que sur les 1 260 tonnes que j'ai évoquées dans mon propos liminaire. Cette interrogation, je vous l'ai dit, porte sur la délivrance d'un certificat vétérinaire. Aujourd'hui je n'ai pas la preuve que ces certificats ont été délivrés et nous poursuivons la recherche avec les services locaux de l'agriculture. S'il s'avérait qu'il n'y a pas eu de certificat pour ces 1 260 tonnes, il est clair qu'il s'agirait là d'une infraction qui pourrait faire l'objet d'une procédure. Il faudrait, pour aller au bout de l'analyse, s'assurer en outre que ces 1 260 tonnes ont servi à un usage interdit. M. le Rapporteur Monsieur le directeur général, je me contenterai d'être un peu candide et d'observer que selon vous, comme selon tous ceux que nous entendons, tout va très bien, tous les contrôles sont faits, la sécurité est assurée, il n'y a pas de fraude. Je constate donc une distorsion entre le discours que tiennent les responsables et les faits portés à la connaissance de l'opinion publique, même si nous n'en avons pas de preuve. Il suffit de regarder les derniers articles parus dans la presse sur le sujet pour avoir conscience de ce décalage. En définitive, en vous écoutant, je me disais que les contrebandiers sont les meilleurs douaniers. J'ai envie de renverser la proposition et de vous demander si aujourd'hui vous êtes certain qu'il n'existe aucun moyen de contourner tous les dispositifs qui sont en place. Au-delà de la conviction que vous venez d'exprimer, que vous n'avez aucun élément pour penser qu'à l'exception de quantités infimes, pourraient circuler des marchandises qui posent un problème, êtes-vous vraiment tout à fait sûr et tout à fait tranquille quant à la fiabilité de nos systèmes ? M. Pierre-Mathieu DUHAMEL Tout d'abord sur la tonalité générale de mon propos, je me suis efforcé de montrer qu'il subsistait un certain nombre de difficultés et des marges d'amélioration, ce qui doit donc vous laisser penser que je ne suis pas pleinement satisfait des capacités d'intervention, à la fois juridiques et opérationnelles dont nous disposons aujourd'hui. Par ailleurs, je ne suis pas en mesure d'affirmer la main sur le coeur qu'il est impossible de contourner nos dispositifs. Si je pouvais le faire, je vous affirmerais aussi qu'il n'entre pas un gramme de stupéfiant sur le territoire français. Or il en entre. C'est bien la démonstration que des flux frauduleux et criminels peuvent exister. Mais dans le domaine dont nous parlons, nous n'avons pas d'éléments qui nous permettent de déceler les courants de fraude que nous traquons. Si j'avais ces éléments, si j'avais un bilan contentieux, si j'avais des fraudeurs, je vous les aurais, si j'ose dire, livrés dans les mêmes conditions que ce que je suis à même de faire sur d'autres sujets. Encore une fois je vous ai dit mon incertitude, qui porte sur 1 %. C'est à la fois peu et beaucoup. C'est de toute façon l'indication quantitative aujourd'hui la meilleure que je peux vous livrer en étant sûr de ce que je dis. M. Patrick OLLIER Monsieur le directeur général, j'ai été heureux de prendre connaissance du dispositif que vous avez mis en place pour répondre aux exigences des contrôles. Je pense que nous pourrions peut-être réfléchir sur le plan européen à un système de tatouage pour les animaux vivants, pour l'ensemble de l'Europe. Cela réglerait déjà un premier problème important car rien ne ressemble plus à un animal venant des pays de l'Est qu'un animal élevé en Europe, pour des douaniers qui n'ont pas reçu une formation sur les races. Je souhaiterais par ailleurs connaître le détail du dispositif mis en place au cours de la période 1990-1993 pour faire assurer le respect du décret de 1990 sur l'interdiction des farines animales. Nous avons en effet entendu des bruits concordants qui laissent penser qu'entre 1990 et 1993 il y a eu malheureusement écoulement de stocks anglais sur le territoire national. Nous voudrions savoir si le dispositif de l'époque suffisait pour éviter ces importations frauduleuses. D'autre part, l'étiquetage des produits destinés à l'alimentation animale est-il satisfaisant ? Permet-il à vos services de connaître très rapidement leur origine ou faut-il encore l'améliorer ? Enfin, nous avons été étonnés d'entendre différentes interprétations du rapport de M. Galland au sujet des importations venant d'Irlande, à la suite des confusions qui ont été faites entre les îles britanniques et l'Irlande dans la provenance de certains produits. Je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions sur ce point. M. Pierre-Mathieu DUHAMEL Tout d'abord, les douaniers, quelles que soient leurs qualités, n'ont pas compétence pour distinguer les bovins selon leur provenance géographique. Il leur appartient d'effectuer les contrôles à la circulation et l'ensemble des opérations que j'ai décrites tout à l'heure. Ensuite, ils font intervenir les services vétérinaires, qui ont la compétence juridique et le savoir-faire technique pour répondre à la question posée. Il faut être tout à fait clair sur ce point les douaniers sont totalement mobilisés dans les conditions que j'ai dites, mais jamais au grand jamais ils ne se substitutent à ceux qui ont la capacité et le droit de procéder aux constatations. Ce sont toujours les services vétérinaires qui décident finalement du refoulement ou de l'introduction des marchandises qui ont fait l'objet d' une intervention de la douane. S'agissant de la période 1990-1993, je vous ai indiqué tout à l'heure en quoi elle se distinguait, sur le plan opérationnel et juridique, de la situation actuelle. Elle se caractérisait par l'existence du processus de dédouanement qui obligeait l'importateur à présenter, dans les conditions que j'ai rappelées, sa marchandise et les éléments qui l'accompagnaient dans un bureau de douane spécialisé. L'introduction des animaux vivants et des produits dérivés des animaux vivants n'était possible que sur un certain nombre de points du territoire et c'est à ce moment, en temps réel, que s'effectuaient les contrôles. Cela n'a pas conduit à l'époque à la mise en place d'un dispositif particulier comme ce fut le cas dans la période récente. La raison en est que les conditions dans lesquelles s'exerçait alors le contrôle n'étaient pas les mêmes sur le plan opérationnel dans cette période, le processus de contrôle s'est en quelque sorte coulé dans l'activité normale de dédouanement intra-communautaire des marchandises. Les deux dispositifs sont donc difficilement comparables dans leur nature et dans leur ampleur. S'agissant de l'étiquetage, il est tout à fait exact que c'est une des solutions envisageables. Il reste qu'il ne résout pas la question de l'intervention en temps réel puisque nous vivons maintenant avec un système décalé, qui ne nous donne plus la possibilité d'intervenir au moment où cet étiquetage aurait le plus d'intérêt en termes de vérification. En ce qui concerne les indications données par le rapport de M. Galland, ce fut l'objet des vérifications opérées sur les déclarations d'échanges de biens que j'ai évoquées que de relever les erreurs. Il peut paraître un peu étrange que deux entreprises importantes aient pu se tromper en remplissant leurs déclarations d'échanges de biens dans un sens qui les conduisait à indiquer une origine prohibée pour les marchandises concernées. Car c'était bien en cela que consistait l'erreur la déclaration indiquait une provenance Royaume-Uni au lieu d'Irlande alors que l'Irlande n'était pas prohibée mais que le Royaume-Uni l'était... Il est néanmoins certain, au vu des factures, des certificats et de l'ensemble des pièces, que ces entreprises auraient dû remplir la position tarifaire Irlande ». De telles erreurs sont d'ailleurs sanctionnées car on considère qu'elles mettent en cause la fiabilité des chiffres du commerce extérieur. M. Charles JOSSELIN Monsieur le directeur général, dans quelle mesure vos services ont-ils contribué à l'élaboration du rapport Galland ? Etes-vous en mesure de nous fournir l'évolution des importations de farine de viande de Grande-Bretagne et d'Irlande sur la période 1985 - 1990 ? Ma seconde question se réfère au conditionnement des farines de viande. Le plus souvent c'est du vrac. Existe-t-il alors une forme d'étiquetage ? Comment faites-vous pour recouper les informations qui vous permettent finalement de considérer comme provenant d'Irlande des importations déclarées anglaises ? Je voudrais être vraiment sûr que nous avons de bonnes raisons pour parvenir à cette conclusion. Très concrètement comment remontez-vous la filière pour arriver en Irlande alors qu'on vous a dit qu'une marchandise était partie de Grande-Bretagne ? C'est pour l'instant encore pour moi un mystère. Enfin, qu'en est-il de votre intervention aux frontières extérieures de la communauté ? Les importations venant de l'extérieur de l'Union font-elles l'objet d'un contrôle spécifique ? Si oui, la collaboration entre les différents services concernés vous paraît-elle satisfaisante ? M. Pierre-Mathieu DUHAMEL Sur le rapport Galland, je vous ai indiqué que nous avions conjointement procédé à l'analyse des déclarations d'échanges de biens. C'est ce travail qui a conduit aux chiffres que j'ai mentionnés et à la mise en évidence de l'incertitude résiduelle dont j'ai fait état. Il n'y a aucune difficulté statistique à retracer les flux pour la période qui vous intéresse sur la base de la nomenclature que nous utilisons. Je vous ferai donc parvenir un tableau chiffré faisant apparaître pays par pays, origine par origine, année par année, les tonnages que vous souhaitez connaître. Sur la manière dont nous avons procédé pour rectifier l'origine à partir des déclarations d'échanges de biens nous avons examiné une par une les déclarations d'échanges de biens ; chaque fois qu'un tonnage figurait comme provenant du Royaume-Uni, nous avons relevé le nom de l'entreprise ; nous avons ensuite pris contact avec l'entreprise en question en lui demandant de communiquer le dossier commercial correspondant aux introductions des marchandises. Et c'est tout simplement au vu du contenu de ce dossier, et notamment de la provenance des factures, que nous sommes parvenus à la conclusion qu'il y avait une erreur, une origine britannique étant indiquée alors que la facture avait été émise par un vendeur irlandais. M. Charles JOSSELIN Peut-on imaginer qu'il y ait eu un arrangement anglo-irlandais qui vous aurait échappé ? En clair, que le fournisseur de farine de viande britannique, mesurant l'inconfort de la situation de son client, fasse le nécessaire pour que ces farines deviennent irlandaises ? Vos relations avec vos collègues irlandais et britanniques vous permettent-elles de vous en assurer ? M. Pierre-Mathieu DUHAMEL C'est très exactement l'objet de l'assistance administrative mutuelle internationale que de veiller à de tels recoupements avec les administrations homologues des pays concernés. Et nous avons effectivement demandé à ces administrations de fournir les éléments permettant des recoupements. Mais j'appelle votre attention sur le caractère un peu diffus des contrôles auxquels nous nous sommes livrés. J'ai précisé qu'en termes de tonnage 8 % des erreurs étaient concentrés dans deux entreprises. Mais nous avons trouvé de petites erreurs dans un très grand nombre d'entreprises. Il n'est donc pas réaliste de penser qu'une espèce de concertation généralisée des importateurs aurait pu conduire à un phénomène du type de celui que vous décrivez. Sur le conditionnement des farines, je reviens sur le problème des documents d'accompagnement. Notre capacité à identifier rapidement une marchandise varie selon sa nature et ses caractéristiques. Et il est clair que l'aspect physique d'une farine sans autre indication ne permet guère de pousser loin nos investigations. Il faut immédiatement déclencher une procédure beaucoup plus lourde. Comme le service de la répression des fraudes, nous disposons d'un réseau de laboratoires sur le territoire. Ces laboratoires effectuent des dizaines de milliers d'analyses chaque année puisqu'ils sont confrontés pour beaucoup d'autres sujets à des problèmes similaires. Mais à l'évidence le flux et le volume du commerce intra-communautaire sont tels que les problèmes seraient beaucoup plus faciles à traiter si nous dispositions de cette sécurité que constitue un document d'accompagnement, qui donne un premier élément de tri. Sur les flux extra-communautaires, nous retrouvons les procédures et les exigences du dédouanement qui s'appliquaient d'une manière générale avant le 1er janvier 1993. Nous sommes donc en mesure, premièrement, de faire coïncider, chaque fois que c'est nécessaire, flux physiques et contrôles, deuxièmement d'obtenir la production des certificats et l'ensemble des pièces attestant que telle ou telle prescription a été respectée. Il va de soi que cela ne nous met pas totalement à l'abri des tentatives de fraude. J'ajoute que le dédouanement opéré sur un transfert extra-communautaire par un autre Etat membre renvoie à la question de l'homogénéité du fonctionnement des administrations douanières des pays des Etats membres. Mme le Président Je vous remercie, monsieur le Directeur général. Audition de MM. Christian BARTHOLUS et Jacques PUJOL, respectivement président et secrétaire général de la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services FNEAPS extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 4 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président Mme le Président Nous accueillons maintenant M. Christian Bartholus, président de la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services. Pouvez-vous nous préciser, monsieur, si votre organisation représente des abattoirs publics et privés et quelle est votre mission exacte ? M. Christian BARTHOLUS La plupart des adhérents de la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services sont ce qu'autrefois nous appelions abattoirs publics. Pour des raisons liées à la modification du système des taxes d'usage, nous avons préféré coller » aux réalités de sorte que beaucoup d'abattoirs publics, aujourd'hui, deviennent des abattoirs prestataires de services de statut public ou de statut privé. Je commencerai mon exposé par un rapide inventaire de la situation des abattoirs en France. Aujourd'hui, 380 abattoirs fonctionnent, dont 241 abattoirs publics et 139 abattoirs privés. Sur ces 139 abattoirs privés, 20 à 25 sont prestataires de services, les autres étant des abattoirs de type industriel qui travaillent pour le propriétaire de l'outil. Je rappellerai quelques chiffres pour vous expliquer l'importance respective des abattoirs publics et des abattoirs privés dans le tonnage réalisé au niveau national. Les abattoirs publics représentent, aujourd'hui, 35 % de tous les abattages effectués en France qui se montent à 3,6 millions de tonnes, toutes espèces d'animaux de boucherie confondues et les abattoirs privés, 65 %. Huit régions se partagent près de 80 % des abattages. La Bretagne occupe la première place pour l'abattage des porcs et des boeufs, puisque s'y trouvent quarante-six abattoirs représentant 35 % du tonnage français réalisé. Les Pays-de-Loire viennent en deuxième position avec vingt abattoirs et représentent 14 % du tonnage réalisé. La région Rhône-Alpes compte quarante-sept abattoirs, l'on y trouve de nombreux établissements de petite dimension représentant environ 4,5 % du tonnage. Vient, en dernier, la région du Poitou-Charentes. Au total, 80 % des abattages sont réalisés par 221 outils, abattoirs publics ou privés. Dans les autres régions françaises - hormis naturellement la Bretagne et les Pays-de-Loire où ils représentent 14,6 % - les abattoirs publics représentent 56 %. Cela signifie que le tissu des abattoirs publics recouvre bien toute la France, à l'exception des pays de l'Ouest. Il est nécessaire de le souligner pour comprendre l'importance des abattoirs publics sur le territoire national. Les abattoirs privés, en Bretagne, représentent, quant à eux, 86 % des abattages. Je vous communiquerai, maintenant, des données par espèces. 45 % des gros bovins sont abattus en abattoirs publics et 55 % en abattoirs privés ; ils représentent environ 1 350 million de tonnes par an. 53 % des veaux sont abattus en abattoirs publics, 47 % en abattoirs privés. 73 % des moutons sont abattus en abattoirs publics et 27 % en abattoirs privés. En revanche, 23 % des porcs le sont en abattoirs publics et 77 % en abattoirs privés. Les équidés représentent une proportion vraiment très faible, puisque les abattages ne s'élèvent qu'à 10 000 tonnes sur l'ensemble du territoire. J'en arrive maintenant à la répartition des abattoirs par taille et par volume traité. Je prendrai deux exemples extrêmes pour illustrer mon propos. Six abattoirs français réalisent plus de 100 000 tonnes par an d'abattages et 67 abattoirs que l'on appelle des abattoirs locaux régionaux situés dans des régions difficiles d'accès ou répondant à des besoins bien spécifiques en assurent moins de 500 tonnes. En moyenne, 67 abattoirs réalisent 0,4 % de l'activité nationale et 313 abattoirs 99, 6 %. Si ce point vous intéresse, je vous fournirai un document sur lequel figurent des statistiques à ce sujet. Les porcs sont tués, en règle générale, dans des abattoirs privés. Pour ce qui concerne les gros bovins - je prendrai l'année 1994 comme référence - 333 abattoirs les ont traités et 266 d'entre eux se répartissent 99,5 % de leur abattage. En France, 20 abattoirs seulement sont spécialisés en gros bovins et 84 abattoirs sont spécialisés ou en activité dominante gros bovins » et réalisent 41 % de ces abattages. La situation est semblable pour les veaux. J'insisterai maintenant, puisque c'est l'objet de notre réunion d'aujourd'hui, sur les gros bovins. Depuis le mois de juillet, les abattages de gros bovins, notamment de taureaux et boeufs, ont considérablement progressé. Cela est essentiellement dû à l'intervention de l'Union européenne. Au 30 juin, nous enregistrions une progression de l'abattage des vaches de 1,6 %, en comparaison avec 1995, une diminution de 1,4 % pour les boeufs, le taux s'avérant sensiblement égal pour les veaux et génisses. Cela signifie que le creux important qu'on a connu à partir du 20 mars, faisant suite à la déclaration du ministre britannique de la santé sur l'ESB, a été rattrapé le 30 juin. Depuis cette date, la progression s'avère très significative. M. André ANGOT La crise bovine actuelle est-elle susceptible de remettre en cause l'existence d'un certain nombre d'abattoirs publics en particulier, et de projets concernant la construction d'abattoirs neufs pour des volumes, par exemple, de 10 000 tonnes ? Peut-on, à votre avis, dans la conjoncture actuelle, se poser à nouveau la question de la viabilité ou non d'un abattoir public ? M. Christian BARTHOLUS Eh bien oui! La profession vient de connaître une véritable catastrophe. Il faut bien savoir que, depuis le mois de mars, elle a en effet rencontré des problèmes dont on ne peut encore mesurer parfaitement les conséquences. Il est certain, à mon avis, que tous les projets en cours doivent être à nouveau étudiés, discutés, voire revus. S'imposent-ils toujours ? Ceci, d'ailleurs, n'est pas uniquement dû à la crise de la vache folle », mais également à la maîtrise de la production bovine que l'Union européenne essaie de mettre en place, qui aura essentiellement des conséquences sur les volumes à traiter. On s'oriente donc - c'est tout à fait certain - vers une restructuration du secteur. Mais comment sera-t-elle faite ? Je n'en sais rien. Pour répondre plus précisément à cette question, il faudrait mieux connaître les conséquences de la crise que nous venons de traverser. Nous ne pourrons donc, en conséquence, nous prononcer qu'au mois d'octobre. Nous devons, ainsi, veiller à deux points essentiels d'une part, les conséquences directes de l'ESB sur le travail dans les abattoirs et, d'autre part, la maîtrise de la production telle que veulent la mettre en place les responsables de l'Union européenne. M. René BEAUMONT J'ai eu récemment connaissance d'un fait, cité d'ailleurs dans la presse. Cela s'est passé dans l'abattoir d'Autun, ville de mon département. Des animaux y sont entrés et ont été abattus sans certificat sanitaire, ou, pour certains, avec des certificats sanitaires falsifiés et sans les oreilles. Ma question est donc la suivante qui est responsable de l'entrée d'un animal dans un abattoir, de son suivi et du document produit à la sortie ? M. Christian BARTHOLUS Dès la réception de l'animal, lorsqu'il s'agit d'un abattoir public ou prestataire de services, l'exploitant de l'abattoir est le responsable. Il doit s'assurer, comme l'indique la loi, de l'existence des documents d'accompagnement. L'animal doit être parfaitement identifié. Je vous rappelle à ce sujet que les services vétérinaires sont en permanence présents dans de tels établissements, afin de contrôler ces opérations. Si ce n'est pas le cas, les animaux sont consignés sur pied ou après l'abattage, et les vétérinaires prennent les mesures qui conviennent. M. René BEAUMONT Je vous ai posé une question précise qui est responsable ? Vous ou les services vétérinaires ? M. Christian BARTHOLUS L'exploitant de l'abattoir doit pouvoir apporter la preuve que les animaux ont été introduits avec les documents nécessaires. M. René BEAUMONT Je vous poserai une question annexe. J'en connais la réponse, mais je pense qu'il est important de vous l'entendre préciser ici. Qu'entend-on par exploitant de l'abattoir » ? M. Christian BARTHOLUS Pour les abattoirs publics ou prestataires de services, il s'agit de la société d'exploitation, donc, soit la concession, soit la société fermière, soit la régie municipale. M. René BEAUMONT Les abattoirs en régie directe sont relativement rares. Pouvez-vous nous préciser par qui est généralement détenu le capital des sociétés d'exploitation ? M. Christian BARTHOLUS En règle générale, on retrouve dans le capital des sociétés d'exploitation des abatteurs, des chevillards, parfois des chambres consulaires, la chambre d'agriculture et des producteurs, notamment par le biais d'associations ou de groupements. Cela répond à l'esprit de la loi de 1965 sur la modernisation du marché de la viande. M. René BEAUMONT Il est donc très important de noter que, sauf pour les régies qui sont relativement rares, les sociétés d'exploitants d'abattoirs publics ou privés se composent de membres partenaires de la filière. M. Christian BARTHOLUS On ne peut pas le nier. C'était ce que recherchait le législateur lorsqu'a été adoptée la loi de 1965. M. Jacques PUJOL Je ne comprends pas très bien comment vous pouvez affirmer que les régies directes sont très rares. Nous ne disposons malheureusement pas de statistiques très précises à ce sujet, mais on peut évaluer, sur les 250 abattoirs publics en France, à environ la moitié le nombre d'abattoirs exploités par les régies municipales à autonomie financière ou à personnalité civile. M. René BEAUMONT La moitié en nombre. Mais ce sont bien les plus petits, n'est-ce pas ? M. Jacques PUJOL L'exploitation en régie s'adresse en effet davantage aux petits abattoirs, contrairement aux sociétés fermières qui concernent les plus importants. Toutefois, les régies sont en nombre à peu près équivalent. Par ailleurs, il est en général vrai que les sociétés fermières sont contrôlées par les abatteurs. Il n'empêche les exploitants d'abattoirs, que ce soit sous la forme de la régie ou de la société fermière, sont soumis à vingt-sept autorités de tutelle qui, à un moment ou à un autre, exercent des contrôles sur l'abattage. La marge de manoeuvre dont nous disposons pour interpréter la réglementation est relativement étroite. M. René BEAUMONT Qu'en est-il à l'entrée et à la sortie de l'abattoir ? Je vous précise que je suis moi-même vétérinaire et que j'ai travaillé dans un abattoir pendant dix ans. Le contrôle existe, certes, mais compte tenu de l'enjeu que représente la santé humaine, il serait souhaitable que les partenaires directs de la filière ne soient pas à la fois les contrôleurs et les utilisateurs. Les services de l'Etat, en la matière, devraient opérer un véritable contrôle, et avoir une vraie responsabilité. M. Christian BARTHOLUS Si vous pouvez faire admettre que les contrôles relèvent de la compétence des services de l'Etat, ce sera tout à fait bien. Nous ne rencontrerions plus de situations aussi ambiguës. En effet, que faire des animaux en situation irrégulière ? Les vétérinaires interdisent leur abattage, faute de documents. La loi précise, de son côté, qu'un animal ne peut ressortir vivant d'un abattoir. Les services vétérinaires sont en permanence présents dans nos outils, sauf si leur faible importance ne le nécessite pas. Cela ne se passe pas trop mal et je peux vous affirmer que, depuis maintenant six mois, les animaux sont bien accompagnés de leurs certificats. Il est vrai qu'il existe sûrement des différences d'une région à une autre. Je connais bien ma région de l'Est de la France. Je peux vous affirmer - peut-être faisons-nous preuve de plus de discipline - que dans l'abattoir dont j'ai la responsabilité, aucun animal - 30 000 tonnes ont été abattues cette année - n'a été tué sans document. C'est ainsi. Les choses, je le pense, sont bien faites. Il est vrai que le capital des sociétés d'exploitation est constitué - le législateur nous l'avait à l'époque imposé - par les sociétés d'abattage. Je répète, toutefois, qu'elles ne sont pas les seules, les producteurs organisés figurent aussi très souvent dans le capital, aux côtés également de chambres consulaires, telle que la chambre d'agriculture ou autre. M. René BEAUMONT Je prendrai deux exemples que je tire de mon expérience professionnelle. Il est important que la commission sache que le préposé-vétérinaire ou le vétérinaire intervient sur la chaîne, alors que l'animal a déjà pénétré dans l'abattoir, qu'il est tué et éviscéré. M. Christian BARTHOLUS Cela ne se passe pas ainsi partout! L'inspection vétérinaire ante mortem est obligatoire. Les vétérinaires, me semble-t-il, assistent au déchargement. Peut-être en va-t-il différemment dans d'autres régions. Toutefois, la loi est la même pour tout le monde, que ce soit au niveau de l'Union européenne, ou de la France. Cette inspection est faite à partir de l'anesthésie, accompagnée d'une inspection systématique des abats et de la carcasse. M. René BEAUMONT Puisque vous ne semblez pas me croire, je vous préciserai ce dont la presse s'est fait l'écho, il y a trois semaines. Cela se passait à l'abattoir d'Autun. Onze animaux sont arrivés dans un camion et ont été abattus. Sur ces onze animaux, un seul était totalement en règle, neuf étaient dépourvus de tout document d'accompagnement, quant au dixième, la situation était pire, son document était totalement falsifié ! De plus, ce dernier animal avait été importé de Belgique moins de huit jours plus tôt et allait ressortir de l'abattoir avec une étiquette viande bovine française ». Heureusement, un vigilant employé de l'abattoir, fils d'éleveur charolais du secteur, a alerté les agriculteurs et les éleveurs. Je suis en accord avec M. le Rapporteur et un de mes collègues pour reconnaître également qu'à force d'entendre des intervenants divers, on a le sentiment que tout est parfait et que tout est merveilleux dans ce pays. On ne comprend même pas pourquoi on se pose encore des questions. Or elles existent. Vous savez très bien que le contrôle ante mortem effectué par un vétérinaire a lieu à peu près une fois sur dix, quand le vétérinaire est disponible et que l'organisation de l'abattoir le permet. J'ai été personnellement inspecteur pendant dix ans dans un abattoir réalisant l'abattage de 35 000 tonnes de bovins. L'inspection ante mortem y était quasiment impossible dans la mesure où les animaux arrivaient généralement à quatre heures du matin et qu'à cinq heures, ils se trouvaient sur la chaîne d'abattage. Sauf à prévoir un vétérinaire derrière tous les camions et, parallèlement un autre sur la chaîne, je ne vois pas comment on pouvait parfaitement contrôler les deux phases. Il est toutefois vrai que les textes le prévoient. Le véritable problème dont j'aimerais qu'on ait ici pleinement conscience c'est que, si la responsabilité du contrôle appartient, certes, à l'Etat, il lui incombe également, ainsi qu'aux services vétérinaires officiels - que les abattoirs soient publics ou privés - d'assurer la surveillance de l'entrée et de la sortie. Cela moraliserait les choses, croyez moi ! M. Christian BARTHOLUS Je n'ai pas de commentaires à ajouter. Je rappellerai simplement que l'abattoir d'Autun réalise moins de 500 tonnes par an... M. René BEAUMONT Tout à fait ! M. Christian BARTHOLUS Vingt bêtes y sont envoyées pas semaine et encore. Il s'agit davantage d'une tuerie - excusez-moi de porter un tel jugement - qui devrait être fermée depuis plus de dix ans. Il y en a très peu de cette sorte dans notre pays. Je ne généralise pas, mais je tente d'expliquer ce que devrait être, en principe, la situation en France. Qu'il existe des exceptions est tout à fait possible. Des gens peuvent tricher et accomplir plus ou moins correctement leur tâche. Je ne peux parler que de ce que je connais. C'est pourquoi, je peux affirmer que, globalement, et essentiellement depuis le début de la crise de la vache folle », les services vétérinaires sont devenus extrêmement stricts. Je suis convaincu que cela se passe partout ainsi dans le pays. Il y aura toujours des exceptions, mais je suis certain qu'aujourd'hui, le travail est réalisé tout à fait convenablement. Quant à l'inspection ante mortem, il ne s'agit pas de prendre la température des animaux, mais simplement de les examiner vivants, pour voir s'il n'y a pas - vous êtes vétérinaire, vous le savez mieux que moi - de problèmes particuliers qui ne pourraient pas être détectés après l'abattage. Ainsi l'inspection ante mortem se faisait autrefois pour les chevaux susceptibles d'être atteints de tétanos, affection indécelable après la mort. Mais, vous le savez, en règle générale, dans les abattoirs d'une certaine importance, voire même les petits, le travail est très bien accompli. Même s'il n'y a pas un docteur vétérinaire en permanence, des techniciens des services vétérinaires - collaborateurs des vétérinaires - formés par un centre spécialisé ont toutes les compétences nécessaires. Je crois que la santé des consommateurs en France est bien protégée par l'inspection des viandes dans les abattoirs. M. René BEAUMONT Sur la formation des préposés sanitaires, vous prêchez un convaincu, d'autant plus que j'ai été l'un des premiers enseignants du centre de formation de Corbas. Je ne peux pas dire que la formation est mal faite, là n'est pas le problème et pour la formation des vétérinaires encore moins. Je parle du problème de responsabilité. C'est l'un des rares domaines, touchant à la santé où des personnes financièrement intéressées au produit sont à la fois responsables et clients. Finalement le contrôle vétérinaire ne peut pas, dans les conditions actuelles, s'exercer de manière parfaitement vigilante. Je suis sûr que l'exemple d'Autun, dont la presse s'est fait l'écho largement, n'est pas le seul cas. D'autres problèmes existent dans notre dispositif aujourd'hui - ce qui n'était pas le cas voilà une dizaine d'années - un certain nombre d'animaux se promènent sur les routes sans aucun document. Dans mon département les éleveurs sont assez vigilants, ils font des contrôles inopinés. En un mois ils ont trouvé trente-cinq animaux sans aucun certificat d'identification. Ce ne sont d'ailleurs pas des animaux du département, ils étaient en transit. C'est inadmissible. Ce sont des carences qu'il ne faut pas avoir peur de dénoncer. Si tout le monde vient nous dire ici que tout va bien dans le meilleur des mondes, on se demande pourquoi la commission existe ! Nous avons absolument besoin de connaître tous les dysfonctionnements et toutes leurs causes pour y apporter des remèdes. M. Christian BARTHOLUS Je n'ai jamais dit que tout allait bien en France en matière d'abattage. J'ai dit, d'une manière générale, que les règlements sont bien faits et que, dans l'ensemble, ils sont très bien appliqués. Des exceptions, vous venez d'en citer, l'abattoir d'Autun. C'est là que les services doivent effectuer un contrôle plus rigoureux. Peut-être n'ont-ils pas assez de moyens ? Mais tel n'est pas mon propos. Vous m'avez posé la question de savoir qui est responsable. Je vous ai répondu, la loi aujourd'hui responsabilise l'exploitant de l'abattoir, c'est tout. M. René BEAUMONT C'est un point important. M. Christian BARTHOLUS Ce n'est pas nous qui avons fait la loi, c'est vous, les députés. M. René BEAUMONT Tout à fait ! M. le Rapporteur Monsieur le président, je n'ai pas la prétention de connaître dans le détail le fonctionnement des abattoirs. Je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt. Je voudrais vous poser quelques questions à propos du document que vous avez eu l'amabilité de nous distribuer. Il en ressort que pendant le premier semestre 1996, comparé aux six premiers mois de l'année antérieure, l'activité globale est sensiblement stable vaches + 1,6 %, boeufs - 1,4 %, jeunes bovins, + 0,7%. Un peu plus loin figure un courrier, signé de vous, daté du 12 avril Notre préoccupation demeure toutefois très grande en ce qui concerne la baisse de l'abattage des gros bovins et des veaux ». Comment expliquez-vous le hiatus entre les chiffres que j'ai évoqués et la baisse de l'abattage que vous mentionnez dans ce courrier ? Par ailleurs, pouvez-vous me confirmer que si le taux d'abattage reste stable, eu égard à la baisse connue de la consommation, cela augmente la quantité des stocks ? Vous vous trouvez, au milieu d'une chaîne, à assumer de par la loi une responsabilité sans pour autant pouvoir maîtriser l'amont correctement. Frappés de plein fouet par la crise, vous proposez un certain nombre de mesures, essentiellement d'ordre social, qui sont nécessaires, même indispensables réactivation de certaines mesures sociales, mesures fiscales et financières complémentaires. Mais je n'ai pas le sentiment - toutefois, je n'ai fait que parcourir ce document - que vous ayez vraiment tenté de mettre le doigt sur les failles de l'étape abattoir » et d'identifier très clairement ce qui n'y fonctionne pas correctement afin d'y porter remède. D'ailleurs, vous avez dit, au détour d'une phrase depuis, ça a changé ». J'ai donc l'impression qu'une prise de conscience s'est faite, qui vous a amenés maintenant, depuis cette crise, à modifier des procédures et des méthodes qui probablement avaient fait l'objet de quelque relâchement. C'est sur ces points que je souhaiterais vous entendre, surtout sur la situation entre 1989 et 1992. M. Christian BARTHOLUS La réponse à votre première question est très simple. Le courrier dont vous faites état est daté du 12 avril. Je vous rappelle que l'annonce du ministre britannique de la santé sur l'ESB a eu lieu le 20 mars. Du 20 mars jusqu'à la fin avril, on n'abattait plus rien. C'était fini, terminé. Les abattoirs ne fonctionnaient presque plus. Ensuite c'est reparti, on a mis en place l'intervention, de sorte qu'effectivement, fin juin nous avions rattrapé le tonnage perdu pendant cette période. Il se situait au niveau de 1995 pour le premier semestre, avec 1 % de plus pour les vaches et un taux sensiblement égal pour les taureaux. Depuis cette date nous progressons en abattage. Cela est dû exclusivement à l'intervention réalisée au niveau de l'Union européenne sur les jeunes bovins et les boeufs, qui se traduit par une augmentation des stocks. Sur le deuxième point, j'ai dit, c'est vrai, que nous faisons maintenant davantage attention aux documents d'accompagnement des bovins -les DAB. Les services vétérinaires ont mis une pression accrue et une modification de la réglementation est intervenue en 1995 qui a bien précisé les choses. C'est à ce moment qu'a été introduite la notion de responsabilité de l'exploitant d'abattoir, que l'on nous a dit qu'il n'appartenait pas aux services vétérinaires de vérifier si les papiers accompagnaient bien les animaux. Aujourd'hui, c'est l'exploitant de l'abattoir qui est tenu de vérifier et qui se fera contrôler éventuellement par les services vétérinaires. Notre fédération s'était élevée contre cette disposition qui nous donnait un travail supplémentaire. En outre, nous n'avons pas de moyens pour refouler les animaux, car nous sommes dans un système dans lequel tout animal qui entre vivant dans un abattoir ne peut plus en ressortir. Nous ne pouvons donc même pas refuser les animaux une fois déchargés, parce qu'il faut bien les décharger pour vérifier que la boucle auriculaire correspond au document d'accompagnement ! Comment voulez-vous faire autrement ? M. Yves VAN HAECKE Est-ce que cela ne pourrait pas être fait au moment du chargement ? M. Christian BARTHOLUS Cela ne relève pas de nous mais du transporteur. Nous recevons les animaux quand ils sont dans la cour de l'abattoir. Les transporteurs viennent de droite, de gauche, ils nous les déposent sur le quai, ils nous apportent une pile de documents. Après il faut prendre ces documents un par un et vérifier la boucle. Et si un ne correspond pas, qu'est-ce qu'on fait ? Il est exact que la prise de conscience est plus forte qu'auparavant, mais c'est ainsi que la réglementation a évolué depuis un an à peu près. Dans certains départements, dans certaines régions, c'était déjà bien mis en place. Dans d'autres cela avait un peu plus de mal à se faire. Certaines difficultés ont pu se produire quand la crise de l'ESB est arrivée, dans les régions qui avaient pris du retard pour la mise en place de cette réglementation. Mais dans des régions comme les nôtres, dans les gros abattoirs où le service vétérinaire est présent en permanence, croyez-moi nous étions prêts, pratiquement prêts. M. le Rapporteur Cela veut dire qu'a posteriori vous pouvez dire qu'il y avait auparavant des risques de laisser échapper des animaux sans contrôle suffisant. Est-ce exact ? M. Christian BARTHOLUS Généraliser, c'est toujours difficile. Ce que je peux dire, c'est que depuis un an la réglementation a évolué, elle a donné la responsabilité aux exploitants d'abattoirs, il fallait un délai de mise en route. C'est vrai que cela s'est généralisé plus rapidement du fait de cette épidémie d'ESB car il fallait absolument assurer une traçabilité » pour connaître l'origine des animaux. M. Yves VAN HAECKE Je suis particulièrement intéressé par ce problème du contrôle, puisque l'opérateur qu'évoquait M. Beaumont est de ma circonscription. Évidemment des questions se posent sur la portée des contrôles et sur le rôle de la justice dans ce domaine. Je voudrais revenir sur les chiffres d'abattage depuis le début de la crise. Par rapport aux abattoirs privés, hormis l'intervention, y-a-t-il une différence qui tienne à la nature de l'abattoir ? Les abattoirs publics - excusez-moi de les appeler comme cela - n'ont-ils pas mieux maintenu leurs tonnages ? Dans quelle mesure, si cette hypothèse est exacte, cela pourrait-il tenir au fait que les abattoirs privés sont davantage impliqués dans les chaînes de production d'élevage intensif et que la baisse de consommation a été beaucoup plus forte pour les jeunes bovins à engraisser ? Par ailleurs, dans quelle mesure les abattoirs sont-ils impliqués dans le cahier des charges du logo Viande bovine française » ? Enregistre-t-on des différences selon les régions et selon la dimension des abattoirs ? Dans quelle mesure êtes-vous partie prenante dans les réflexions sur l'amélioration de l'étiquetage ? M. Christian BARTHOLUS Qui est responsable des animaux transportés puis introduits à l'abattoir, lorsque le document n'est pas bon ? Tout le monde l'agriculteur qui a laissé charger son animal sans donner les documents ; le transporteur qui a accepté de transporter l'animal sans vérifier que les documents correspondent bien ; si les animaux passent par un marché aux bestiaux, le marché aussi est responsable puisqu'il doit s'assurer qu'ils sont bien accompagnés du document ; l'abattoir, enfin, est responsable, mais parfois mis devant le fait accompli, quand les animaux sont sur son quai et que le camion repart. Voilà la responsabilité aujourd'hui. Effectivement, le dernier maillon avant le sacrifice de l'animal, c'est bien l'exploitant de l'abattoir et c'est sur lui qu'on va tomber. Mais lui pourrait se retourner contre d'autres car tout le monde est responsable. M. Jacques PUJOL C'est un décret de 1994 sur le contrôle des documents sanitaires qui établit la responsabilité de chaque opérateur détenteur de l'animal à quelque stade qu'il soit. Logiquement, si un certain nombre de responsabilités étaient exercées en amont, un animal ne devrait pas pouvoir arriver dans un abattoir sans son numéro. L'éleveur, le transporteur, le marché aux bestiaux et en dernier ressort l'abattoir sont responsables de l'identification de l'animal. La responsabilité est partagée entre tous les opérateurs qui, à un moment ou à un autre, détiennent l'animal. En termes de responsabilité, c'est clair. Mais in fine, après contrôle, les documents sont remis aux services vétérinaires qui, après traitement, les renvoient à l'établissement départemental de l'élevage qui les a établis. La boucle est ainsi bouclée. M. Christian BARTHOLUS Les abattoirs publics ont-ils travaillé davantage que les abattoirs privés ? Il faut tenir compte des opérations d'achat public. Je vous rappelle que les achats publics n'ont porté que sur les jeunes bovins et sur les boeufs. En France, il s'agit essentiellement des jeunes bovins parce qu'on fait très peu de boeufs. Les abattoirs publics comme les abattoirs privés ont fait des opérations d'achat public. Tant que l'intervention n'avait pas repris, les abattoirs, publics ou privés, qui étaient spécialisés dans l'abattage des jeunes bovins destinés à des marchés d'exportation tels que l'Italie, le Portugal, l'Espagne et aussi les pays tiers, notamment les pays du Maghreb, l'Égypte, l'Irak, l'Iran, étaient pratiquement en arrêt d'activité complet. Depuis, ces abattoirs ont bien repris leur activité et sont même en avance par rapport à l'année dernière puisqu'ils travaillent à fond pour l'intervention. C'est tout à fait clair. Les abattoirs publics n'ont-ils pas trop souffert de la crise ? Cela dépend de leurs clients. Non si leur clientèle est plutôt constituée d'artisans bouchers car il semblerait que ceux-ci ne tirent pas trop mal leur épingle du jeu, les consommateurs leur ayant conservé leur confiance. Les abattoirs de consommation situés dans les zones urbaines ou à proximité, là où le tissu d'artisans traditionnels est encore important, travaillent à peu près convenablement. Par contre, il est sûr que d'autres ont vu leur activité décroître. Mais dans l'ensemble, à ce jour, les abattoirs ont bien travaillé. Vous avez posé une question importante sur VBF et sur la traçabilité. Tous nos abattoirs prennent VBF quand leurs clients le demandent. Je vous rappelle que nous sommes des prestataires de services. Nos clients paient un service et nous nous inscrivons dans cette démarche. Il faut savoir que VBF est une démarche non pas de l'abattoir, mais plutôt de l'abatteur qui décide de mettre en place ce logo. VBF est une marque collective qui appartient à l'interprofession. Avec cette marque, elle a la volonté d'assurer une traçabilité parfaite en s'inscrivant dans un schéma de certification. C'est très important. Cette situation est en train d'évoluer dans ce sens et la certification ira beaucoup plus loin. Toutes les garanties seront apportées de la fourche à la fourchette. Par contre, la région à laquelle j'appartiens a déjà fait cette démarche voilà quatre ou cinq ans avec Lorraine Qualité Viande », qui a été la première viande certifiée française. Elle apporte effectivement toutes les garanties de la fourche à la fourchette. Un organisme extérieur opère, de façon ponctuelle, des contrôles à partir de l'éleveur, qui doit respecter un cahier des charges, jusqu'au distributeur. Il peut prendre des sanctions si quelqu'un triche. Le service de la répression des fraudes peut aussi intervenir. Cette initiative régionale s'est aujourd'hui multipliée. Elle existe dans le Limousin et en Normandie. Surtout, ce qui est très important, c'est que VBF assure également la traçabilité dans un schéma de certification. Ainsi nous apporterons le maximum de garanties aux consommateurs. M. Charles JOSSELIN Le débat qui a eu lieu tout à l'heure met en évidence la responsabilité des services de l'Etat. Lorsque nous devrons, dans quelques semaines, voter la loi de finances, la question des moyens vétérinaires de l'Etat sera d'une actualité un peu particulière. Les élus risquent alors d'être menacés de schizophrénie s'ils doivent, dans le même temps, voter un budget qui ne donne pas des moyens supplémentaires à l'Etat et défendre l'existence d'abattoirs qui seront évidemment remis en cause pour mieux assurer la responsabilité de l'Etat avec des moyens trop limités. Mme le Président Nous recevrons très prochainement les vétérinaires-inspecteurs. Ils pourront vous dire ce qu'ils attendent. M. Charles JOSSELIN Très bien. Mes questions concernent à nouveau l'équarrissage. Les sociétés d'équarrissage traversent une passe très difficile. Un audit a été à nouveau demandé pour apprécier leur situation économique à la lumière des événements récents. Voilà quelques années déjà, les sociétés d'équarrissage avaient fait valoir que les abattoirs les privaient de la partie la plus rentable de leur activité et elles en avaient d'ailleurs tiré argument pour demander une participation financière aux collectivités publiques. Êtes-vous associés à l'audit sur la situation économique des sociétés d'équarrissage, puisque vous êtes leurs fournisseurs pour 40 % et qu'actuellement il semble que seuls vos produits ont encore une valeur marchande, et encore pas tous, et dans des conditions particulières ? Dans l'hypothèse où il faudrait faire participer les professionnels au coût de l'équarrissage et particulièrement à l'enlèvement des bovins, sans préjuger de la part respective incombant aux professionnels et à la puissance publique, est-ce au niveau de l'abattoir que doit intervenir la taxation, par exemple sous la forme par exemple de complément de taxes déjà prélevées ? L'abattoir est-il selon vous le bon endroit pour mutualiser, en quelque sorte, le risque entre éleveurs ? M. Christian BARTHOLUS En ce qui concerne l'équarrissage, nous sommes effectivement associés avec le ministère de l'agriculture aux études et réflexions en cours. Je voudrais, avant d'aller plus loin, rappeler certains éléments importants concernant l'équarrissage, au niveau des abattoirs bien entendu. Vous savez que l'Etat français a pris la décision de retirer de la consommation les viscères, donc l'intégralité des intestins, des gros bovins nés avant juillet 1991, les viscères des animaux de plus d'un an, l'encéphale, la moelle épinière, les produits dits à risque. C'est une mesure franco-française. Elle n'existe pas au niveau de l'Union européenne. C'est la même chose pour les cadavres. Aujourd'hui, dans toute l'Union européenne, les cadavres continuent d'être traités dans les farines de viande, il faut le savoir. Cela crée un préjudice au niveau des abattoirs. Ces produits-là doivent être séparés, il faut donc du personnel spécialisé. De plus, ces produits n'apportent plus aucun profit ; autrefois nous arrivions à les négocier, nous faisions du boyau alimentaire, de la corde de tennis, notamment. Nous ne pouvons plus le faire. Enfin, cela pose un problème au niveau de notre compte d'exploitation puisque c'étaient justement les vaches de réforme qui apportaient le plus long métrage de boyaux de gros calibres. Nous enregistrons donc une perte importante au niveau de la valorisation de ces produits, une charge supplémentaire induite par la séparation qu'il faut faire entre les autres produits et les déchets. Enfin, les équarrisseurs exigent aujourd'hui d'être payés pour détruire ces produits, c'est-à-dire d'abord pour les transformer en farine grossière et ensuite pour les incinérer afin de supprimer tout problème. Notre fédération, rejoignant en cela les autres fédérations de la coopération ou du commerce privé, estime qu'il ne nous revient pas de supporter ces charges supplémentaires. C'est une décision que l'Etat a prise. Je ne discute pas de son bien-fondé. Mais c'est quelque chose qui nous tombe dessus. Nous allons devoir trouver les moyens pour payer. Nous ne sommes absolument pas d'accord pour payer l'enlèvement de ces produits à hauts risques. Nous le redirons demain au ministre de l'agriculture, cela sera la troisième fois. Nous le lui avons déjà dit voilà huit ou dix jours. M. Charles JOSSELIN Quand je parlais de la taxation, je ne parlais pas de la taxation des abattoirs, j'évoquais la possibilité que l'abattoir soit le lieu où la mutualité puisse s'exercer au sein de la filière. M. Christian BARTHOLUS J'ai bien compris, mais je voulais rappeler cet élément important qui est souvent passé sous silence. Et la loi sur l'équarrissage, qui va apparemment être modifiée, ne traite que des cadavres et aborde très peu le problème des abattoirs, qui demeure bien spécifique. J'en viens au problème de la taxation. Pourquoi ne pas prélever sur les animaux abattus une cotisation qui permettrait de financer le coût de l'équarrissage ? On pourrait imaginer aussi, au niveau des chambres d'agriculture ou des groupements de défense sanitaire une cotisation sur le nombre d'animaux présents dans le cheptel. C'est une question qu'il faudrait poser à la FNSEA. Je tiens à dire, puisque je dirige également un groupement de producteurs de viande, qu'il ne faut absolument pas faire payer les agriculteurs. Une telle décision démolirait en cinq ans tout l'acquis sanitaire des cheptels de notre pays qu'il a fallu trente ans pour obtenir. Il faut donc trouver une autre solution. Mme le Président Dans certains départements, les éleveurs paient une cotisation à la coopérative sanitaire pour la prophylaxie, à laquelle est ajoutée une part pour l'équarrissage. M. Christian BARTHOLUS C'est ce que je vous disais tout à l'heure avec la cotisation sur le cheptel en rapport avec le GDS. M. Jacques PUJOL Madame le Président, je voudrais répondre à une question que vous avez posée tout à l'heure et à laquelle il n'a été pas répondu. Comment trouver un système de mutualisation au stade de l'abattoir, ce qui est d'ailleurs réclamé sous une autre forme par une partie de la production, sous la forme d'une compensation entre les produits que l'on peut valoriser et ceux qui génèrent un coût, qu'il s'agisse des cadavres ou des saisies ? C'est aussi un débat entre la filière viande et la production car il est évident que si l'on joue la carte de la compensation, cela va peser sur les marges et in fine ce sera la production qui va payer. La taxation au niveau des abattoirs pose un problème technique parce que, les animaux circulant énormément, un certain nombre d'abattoirs n'ont pas une relation très directe avec les coûts de leurs producteurs. Pour le porc, c'est possible parce que les zones d'approvisionnement autour des abattoirs sont extrêmement limitées. Mais un certain nombre de gros abattoirs de bovins, de Bretagne notamment, s'approvisionnent sur les marchés lorrains, sur la Bourgogne, et même sur Midi-Pyrénées. Je ne sais pas très bien comment on ferait la relation entre la zone de production qui génère des coûts d'enlèvement différents et la zone de collecte. Une fois la période d'intervention européenne terminée, nous avons comme perspective, pour les années 1997-1998 une baisse probable des abattages de bovins de l'ordre de 200 000 tonnes, c'est-à-dire 15 à 20 % de la production actuelle. Nous ne partageons pas le point de vue de certains experts selon lesquels nous serions en surcapacité -surcapacité par rapport à quoi ?- mais nous avons une capacité d'abattage importante qui sera donc sous-utilisée. Par ailleurs, selon les informations dont nous disposons, les crédits dont disposera le ministère de l'agriculture en 1997 pour aider les investissements dans le secteur de la viande en 1997 sont quasiment nuls, ils n'ont jamais été aussi bas. Le chiffre qui a été porté à ma connaissance est de 20 millions de francs, alors qu'il était de plus de 60 ou 80 millions de francs l'année dernière. Les crédits spécifiquement destinés aux investissements des abattoirs publics serait de 8 millions de francs, au lieu de 16 millions l'année dernière. Le problème, c'est que certaines opérations sont irréversibles ou on construit un abattoir ou on ferme l'ancien, entre les deux il n'y a pas d'alternative. Les perspectives sont donc plutôt difficiles, même si le FEOGA dispose de quelques disponibilités, mais cela ne compensera pas le fait que pour l'année prochaine nous ne pouvons attendre quasiment aucune aide de l'Etat. M. le Rapporteur a dit que notre réflexion était essentiellement centrée sur les aides sociales. Effectivement, dans la perspective d'une baisse des abattages à l'horizon de 1997-1998, 10 000 emplois dans ce secteur seront concernés soit ils disparaîtront, soit ils donneront lieu à reconversion. Ce problème nous préoccupe énormément, sinon à court terme, du moins à moyen terme. La baisse de l'activité des abattoirs publics de 20 à 30 % pose également le problème des charges d'emprunts des collectivités, qui resteront identiques. Qui prendra cela en charge ? Si des entreprises sont défaillantes, si le tonnage baisse, pour des raisons structurelles ou conjoncturelles, les opérateurs encore présents ou les collectivités locales devront assurer la différence et tout deviendra absolument impossible à gérer. Nous avons aussi d'autres préoccupations les coûts d'équarrissage, les baisses de chiffres d'affaires, les baisses de tonnages, les prises en charge du poids des structures, les pertes d'emplois, les reconversions des emplois existants. C'est une série de réflexions qu'il faut mener relativement vite parce que 1997 approche ! Mme le Président Je reviendrai sur un point à propos des mesures prises par le Gouvernement français concernant les déchets d'abattoirs. Depuis que ces mesures ont été prises, vous ne pouvez plus laisser les cervelles et la moëlle épinière, ce qui conduit très souvent à jeter les têtes entières de bovins par commodité, alors que si on faisait le tri entre la cervelle, la moëlle épinière et le reste, sur une tête de vache pesant quinze à vingt kilos, on n'aurait à jeter qu'environ un kilo seulement de tissus à risques. M. Jacques PUJOL Cela a mis un peu de temps à se mettre en place. Nos centres techniques, actuellement, maîtrisent totalement le système de prélèvement des cervelles par aspiration sous vide. Nous avons également mis au point un certain nombre d'outils permettant d'ôter les yeux. Nous travaillons actuellement sur les systèmes de prélèvement des moelles épinières, également par aspiration sous vide qui, je l'espère, seront opérationnels fin septembre, début octobre. Mme le Président Qu'en est-il du coût d'équarrissage ? Quelles mesures sont prises ? Certains abattoirs, notamment ceux de petite taille, ne peuvent pas, en effet, se permettre de procéder à de telles aspirations de cervelles. Nous devons admettre qu'ils ne le font pas tous, aujourd'hui. M. Christian BARTHOLUS Actuellement, en effet, cela demeure au stade expérimental. Aujourd'hui, on place la tête sur la chaîne, non dans un atelier annexe, on ôte les yeux - opération qui s'est toujours faite en Allemagne et à laquelle la France commence à recourir -, on enlève les amygdales, puis on récupère la cervelle. A six cents francs la tonne, on ne peut procéder autrement. Comme je vous le précisais tout à l'heure, ce sont, en conséquence, des coûts supplémentaires pour la séparation des produits à haut risque. Il a été nécessaire de modifier l'appareillage des chaînes pour y parvenir. Mme le Président C'est justement ce que je désirais vous demander. Quelles sont les conséquences des mesures prises par le gouvernement français ? M. Christian BARTHOLUS Pour vous répondre, je citerai l'exemple d'une industrie extrêmement importante, opérant en annexe de l'abattoir, celle des boyauderies. Les boyaudiers sont totalement sinistrés aujourd'hui et sont contraints de licencier plus de 50 ou 60 % de leur personnel lorsqu'ils sont attachés à des laboratoires spécialisés dans les vaches allaitantes. Mme Ségolène ROYAL Ne conviendrait-il pas d'envisager une réforme plus radicale de la profession d'équarrisseur ? Tout bien observé, leur situation de monopole rend les relations très complexes sur le plan du financement. Ne serait-il pas nécessaire de créer une sorte de service public, alimenté par un fonds de solidarité national fonctionnant avec des règles de répartition identiques à celles d'un service public, et soumis à des normes de santé publique ? M. Christian BARTHOLUS Je pense que c'est la solution, mais trouverons-nous les moyens pour le faire ? Le milieu de l'équarrissage le permettra-t-il ? Je n'en sais rien. Je reprends l'exemple de l'Allemagne. Les équarrissages allemands sont financés par les länder et constituent un service public. Ils continuent tout de même à récupérer les farines produites par des cadavres et déchets d'abattoirs pour en faire de l'aliment. Il faut préciser également qu'en Allemagne la réglementation est différente une cuisson à 135° pendant vingt minutes. M. Jacques PUJOL Le ministère a présenté les orientations d'une réforme de la loi sur l'équarrissage de 1975. Elles rendent les opérateurs de la filière viande » responsables des produits qu'ils doivent détruire - nous nous situons là dans une logique pollueurs-payeurs - ou, au contraire, valoriser. Il est probablement inévitable aujourd'hui de s'engager dans une telle voie. Quant au problème des cadavres, le ministère de l'agriculture se propose effectivement de l'aborder dans une logique de service public. Sous réserve que soient précisés certains détails, l'ensemble de ce dispositif ne me paraît pas absurde il existerait d'une part un secteur chargé de valoriser ou de détruire certains produits et, d'autre part, un service public assurant la gestion » des cadavres. Mme le Président Nous vous remercions, messieurs. Audition de MM. Philippe GROJEAN et Michel BOLZINGER, respectivement président et vétérinaire-export, de la chambre syndicale de la boyauderie française, accompagnés de M. Christian PEIGNON, président directeur général de la SARL Peignon et fils extrait du procès-verbal de la première séance du 10 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Philippe GROJEAN La boyauderie est une profession qui s'occupe de la collecte, du travail et de la commercialisation de boyaux naturels à destination essentiellement de la charcuterie, où ils deviendront peau de saucisson ou enveloppe d'andouilles, boudins, merguez et autres chipolatas. Une centaine de PME font ce travail en France, auxquelles il faut ajouter les boyauderies intégrées dans les complexes d'abattoirs, municipaux ou autres. Elles emploient entre 1 000 et 1 500 personnes. Elles sont regroupées au sein d'une chambre syndicale dont je suis le président. Nous récoltons les boyaux des animaux domestiques abattus dans les abattoirs, essentiellement le boeuf, le porc, le mouton et le cheval. La plus grande partie est destinée à l'alimentation. Il y a aussi des débouchés industriels, essentiellement l'utilisation des boyaux de boeuf pour la fabrication des cordes de raquettes de tennis. Depuis que les intestins des boeufs âgés de plus de cinq ans sont saisis, la profession connaît beaucoup de problèmes. Je vais passer la parole à M. Bolzinger, qui est vétérinaire, pour vous donner des précisions à ce sujet. M. Michel BOLZINGER Les boyaudiers sont aujourd'hui injustement touchés par l'arrêté qui a imposé la saisie des intestins des boeufs de plus de cinq ans. Aujourd'hui, on n'a aucune certitude que l'ESB soit transmise à l'homme par la consommation de bovins. Sur quels critères se sont basés les scientifiques pour définir la liste des organes à risque ? En fait, ils se sont fondés sur le cheminement du prion dans l'organisme de l'animal. La porte d'entrée des prions dans l'organisme animal est constituée par les plaques de Peyer qui sont des organes faisant partie du système lymphatique. En quelque sorte, ce sont les ganglions de l'appareil digestif. Ensuite, les prions suivent les organes suivants le thymus, les ganglions lymphatiques, la rate, les amygdales - en fait tous les organes du système lymphatique - et arrivent enfin au système nerveux. On retrouve tous ces organes dans l'arrêté que j'ai évoqué. L'appareil digestif des bovins est constitué par la bouche, l'oesophage, les panses, l'intestin grêle, qui est la première partie de l'intestin, puis le gros intestin, le caecum et le rectum. Ce qui est important, c'est de savoir où se situent les plaques de Peyer, puisqu'ils sont les organes à risque. Or, on le sait depuis longtemps, les plaques de Peyer sont situées sur l'intestin grêle. Tous les cours d'histologie et d'anatomie en font état. Et les analyses qui ont été réalisées dans les établissements Peignon, sous couvert des services vétérinaires, dont le CNEVA, le confirment. D'ailleurs, d'après l'OMS, chez le bovin, jusqu'à nouvel ordre, seuls le cerveau, la moelle épinière et l'iléon, partie de l'intestin grêle, seraient infectieux. Or, ce n'est pas l'intestin grêle, partie à risque de l'intestin, qui intéresse les boyaudiers, c'est le gros intestin et le caecum en raison de leur gros calibre. Il faut savoir que parmi les organes à risque, il y a les ganglions lymphatiques, qui sont au nombre de 300 par carcasse de bovin et qui ne font pas l'objet d'une saisie. Les carcasses de bovin sont mises sur le marché avec les ganglions lymphatiques parce qu'il est impossible de les en extraire. Il faudrait pour cela déchiqueter la carcasse. On se trouve donc dans une situation aberrante et ressentie comme injuste par les boyaudiers d'abord parce que les gros intestins, ne faisant pas partie des organes à risque, ne devraient pas être saisis ; ensuite, parce que les ganglions lymphatiques qui figurent sur la liste des organes à saisir et qui représentent des volumes beaucoup plus importants que les plaques de Peyer, sont mis sur le marché ; enfin parce que les animaux français qui seraient exportés, abattus dans un abattoir étranger et retravaillés par des Italiens, des Allemands ou des Belges, pourraient ensuite être revendus en France, la décision sur la saisie des intestins étant purement française. Il est donc clair que l'arrêté définissant les organes devant être saisis manque de discernement en ce qui concerne les intestins, car si l'intestin grêle présente certains risques, ce n'est pas le cas du gros intestin, utilisé par les boyaudiers. On pourrait même aller plus loin. Il y a plus de risque à manger de la viande mise sur le marché avec les ganglions lymphatiques que de mettre sur le marché des intestins qui n'ont aucune structure lymphoïde. Enfin, j'indique que si l'on travaillait l'intestin grêle avec la technique de préparation utilisée par les boyaudiers - qui s'appelle le délimonage -, il ne comporterait plus aucune trace de plaques de Peyer. C'est ce que montrent les tests que nous avons réalisés dans nos laboratoires. M. Christian PEIGNON Je vais vous exposer mon cas personnel en tant que propriétaire d'une entreprise de boyauderie. En octobre 1990, mes frères et moi avons décidé de construire une usine neuve de boyauderie aux normes européennes à Parthenay dans les Deux-Sèvres parce que c'est un département d'élevage. C'était un petit conte de fée qui est devenu un cauchemar à partir du 12 avril 1996, date de parution de l'arrêté dont nous avons déjà parlé. Ce texte a condamné toutes les masses intestinales des animaux nés avant le 31 juillet 1991. Les animaux concernés sont principalement, et je dirai même uniquement, les vaches de réforme qui, malheureusement pour moi, sont ceux qui présentent pour nous un intérêt puisque, à partir des vaches de réforme, on obtient des boyaux de calibre assez large qui représentent le marché à l'exportation sur l'Italie et l'Espagne principalement. Donc, depuis avril 1996, plus de boyaux ! Quand ce coup d'épée m'a frappé, j'ai immédiatement réagi et, par l'intermédiaire de ma chambre syndicale et de son président, ici présent, nous sommes allés voir la direction générale de l'alimentation DGAL pour demander des explications parce que je savais déjà par les services vétérinaires, que, comme vient de vous le dire M. Bolzinger, il n'y a pas de plaques de Peyer dans le caecum et le gros colon. Nous avons rencontré un technicien de la DGAL qui nous a écoutés avec beaucoup d'attention et qui a compris notre démarche mais il n'y a pas eu de suite. Dans un deuxième temps, j'ai sollicité à nouveau la DGAL. Un autre technicien s'est déplacé dans mon entreprise. J'étais alors assez optimiste, je me disais qu'on se préoccupait de mon sort. Mais pour la deuxième fois, coup d'épée dans l'eau les dossiers n'ont pas suivi, n'ont pas été transmis dans les bons services. Troisième tentative j'ai fait venir un représentant du CNEVA et un autre technicien de la DGAL. Nous avons décidé de mettre en place un système de prélèvements sur dix animaux nés avant le 31 juillet 1991. Cela représentait trente prélèvements que nous avons fait analyser à l'école nationale vétérinaire de Nantes. La réponse a été très floue personne ne savait s'il y avait ou non des plaques de Peyer. J'ai donc fais faire une deuxième série d'analyses, toujours à l'école nationale vétérinaire de Nantes. Mais j'ai pris la précaution d'envoyer ces mêmes prélèvements - on les avait faits en double - à un laboratoire privé de Limoges, le laboratoire d'anatomie et de cytologie pathologique du docteur Terrade. L'école nationale vétérinaire de Nantes, qui dépend de l'INRA, et donc de l'Etat, dit en conclusion Aucune formation lymphoïde n'a été observée sur les prélèvements étudiés » et Sur aucun prélèvement n'a été observé de couche muqueuse ». Quant au laboratoire privé, ses conclusions étaient les suivantes L'ensemble des prélèvements est de bonne qualité. Il existe des altérations discrètes au niveau endoluminal ». C'est normal car le délimonage est une technique de centrifugation qui altère légèrement le muscle. Sur aucun des prélèvements examinés, il ne persiste de muqueuse. Sur aucun des prélèvements examinés, il n'existe de follicule lymphoïde ». Or ce sont ces follicules lymphoïdes qui sont les responsables de mes malheurs. J'ai l'impression que c'est le pot de terre qui se bat contre le pot de fer dans cette affaire, puisque, à la DGAL, on me dit Nous ne pouvons rien faire. Il faut voir les scientifiques ». Et les scientifiques me disent Votre théorie est sûrement juste, vous avez sûrement raison. Mais il faut voir ça avec la DGAL ». Je me demande qui prend réellement les responsabilités dans ce dossier. Je sais que les services vétérinaires de mon département ont pris contact, à la suite de ces résultats, avec la DGAL et qu'il leur a été répondu Vous avez raison mais pour l'instant on ne peut rien faire ». Quand j'entends le ministre de l'agriculture, M. Philippe Vasseur, dire à 7 sur 7 » Nous avons pris un luxe de précautions », je suis tout à fait d'accord avec lui ! Faire pas assez, ce n'est pas bien. Mais faire trop, ce n'est pas bien non plus. Je pense qu'il y a un juste milieu dans tout. Lui, il a vraiment pris un luxe de précautions. Ce n'est pas un parapluie qu'il a ouvert, c'est un parachute ! Aujourd'hui, après toutes ces démarches restées infructueuses, j'espère que votre mission d'information fera remonter les informations dans les services concernés, dont je ne sais pas lesquels ils sont, la DGAL et le CNEVA se renvoyant la balle. Aujourd'hui, vous avez devant vous un condamné à mort. Mais je plaide non coupable dans la mesure où il est prouvé qu'aucun follicule ne persiste dans les boyaux. Je vous fais grâce des conséquences économiques et sociales que cela a engendré dans mon entreprise. Je vous remercie de m'avoir écouté. Mme le Président Je vous remercie, messieurs. Au-delà des problèmes particuliers de l'entreprise Peignon - qui au demeurant illustrent bien les difficultés de la profession -, j'aimerais que vous nous présentiez un tableau d'ensemble des problèmes que connaît la boyauderie française. M. Philippe GROJEAN Sur les quelques centaines d'entreprises de boyauderie qui existent aujourd'hui en France, seule une petite dizaine travaille les boyaux de boeuf, dont trois ou quatre seulement sont relativement importantes. Les répercussions directes de la crise de l'ESB sur la production ne concernent donc qu'un petit nombre d'entreprises. Mme le Président Vous avez estimé que le ministre de l'agriculture avait pris un luxe de précautions. Nous ne pouvons pas, en tant qu'élus, vous laisser dire cela. En effet, en matière de santé publique, il est important que les consommateurs soient sûrs des produits qu'ils utilisent. Même s'il peut vous sembler que quelquefois on va trop loin, nous ne pouvons pas, dans la mesure où il y a une incertitude scientifique, prendre le risque de voir, dans les mois ou les années à venir, une épidémie se répandre dans la population. Je comprends que vous ressentiez ces mesures comme injustes, mais pensez-vous vraiment, compte tenu des incertitudes scientifiques, que l'on puisse n'ouvrir qu'un parapluie ? M. Christian PEIGNON Dans ce domaine précis, il n'y a pas d'incertitude scientifique ! Mme le Président Monsieur Bolzinger a évoqué tout à l'heure un document de l'OMS où est employé le conditionnel, ce qui signifie que nous ne sommes pas dans un cadre totalement défini. M. Christian PEIGNON L'OMS ne vise que la partie basse de l'intestin grêle, l'iléon, mais les boyaudiers français utilisent généralement l'intestin grêle à des fins industrielles, qu'il s'agisse des cordes des raquettes de tennis ou des instruments de musique. On peut admettre que l'intestin grêle soit retiré du circuit, mais le gros colon et le caecum ne doivent pas l'être puisqu'ils ne comportent aucune formation lymphoïde. M. le Rapporteur Je voudrais que vous nous relisiez le document de l'OMS, parce que je suis surpris que vous nous affirmiez qu'il n'existe pas de tissu lymphoïde autour du caecum. M. Michel BOLZINGER J'ai parlé des plaques de Peyer ! M. le Rapporteur D'accord, mais il y a des structures lymphoïdes autour du caecum ! M. Michel BOLZINGER Je ne dis pas qu'il n'y a pas de structures lymphoïdes autour du caecum, mais qu'elles existent aussi dans d'autres organes qui sont mis sur le marché ! Il est vrai qu'il y a des nodules lymphoïdes microscopiques dans la caecum et le gros intestin, mais ils sont éliminés par la technique du délimonage. M. le Rapporteur Ce n'est donc pas un problème scientifique au niveau anatomique, mais un problème de délimonage. Vous ne pouvez pas présenter les choses en disant qu'il n'y a pas de structure lymphoïde dans le gros intestin. Certes, ce ne sont pas des plaques de Peyer ni de gros ganglions lymphatiques, mais des structures microscopiques qui ne peuvent pas être repérées à l'examen et qui ne peuvent être éliminées que par la technique du délimonage. Vous ne pouvez pas vous retrancher derrière des données anatomiques ou anatomo-pathologiques qui ne sont pas tout à fait exactes. Vous jouez sur les mots en disant qu'il n'y a pas de plaques de Peyer, car il y a l'équivalent. M. Michel BOLZINGER Vous avez raison d'un point de vue microscopique ! Mais si l'on tient compte de vos arguments, aucune carcasse ne peut être mise sur le marché car les structures lymphoïdes microscopiques sont partout. Tout à l'heure, je parlais des ganglions lymphatiques, qui, eux, sont au moins de la taille d'une mandarine. Si vous considérez que les nodules lymphoïdes du gros intestin et du caecum sont dangereux, c'est la totalité de la carcasse qui doit donc être saisie. Il faut ou bien tout saisir, ou saisir avec discernement. Dans le second cas, que l'on saisisse l'intestin grêle qui comporte des plaques de Peyer mais que l'on nous permette de travailler les gros intestins et le caecum. M. le Rapporteur Pourquoi associez-vous toujours le gros intestin et le caecum alors que leurs configurations anatomiques sont différentes ? M. Michel BOLZINGER Parce que ce sont les organes qui intéressent les boyaudiers ! M. le Rapporteur Que fait-on avec le caecum ? M. Christian PEIGNON Nous travaillons le caecum et le gros colon parce qu'ils ont un calibre large, ce qui intéresse les pays comme l'Italie et l'Espagne qui utilisent les boyaux pour la fabrication des salamis ou des gros saucissons. Depuis plus de vingt ans, je vends d'ailleurs toute ma production en Italie. Nous ne contestons pas le fait que ces organes contiennent des follicules lymphoïdes mais nous essayons de vous expliquer que le travail d'un boyaudier est précisément d'enlever la muqueuse dans laquelle sont présentes ces follicules. Nos boyaux sont vendus prêts à l'emploi, c'est-à-dire délimonés et sans muqueuse. M. le Rapporteur C'est bien ce que j'ai dit. Vous ne devez donc pas fonder votre position sur un argument anatomique mais bien sur la préparation technique qu'est le délimonage, dont j'aimerais d'ailleurs que vous nous entreteniez. M. Christian PEIGNON C'est précisément la façon dont j'ai présenté les choses lors de ma première rencontre à la DGAL avec le technicien vétérinaire de ce service. Je lui ai expliqué que notre métier consistait précisément à ôter cette muqueuse. Le boyau, qui est composé de la séreuse, de la musculaire muqueuse et de la muqueuse, est d'abord retourné comme on le fait pour une chaussette. Ensuite, il est passé dans une machine spéciale qui le débarrasse de la muqueuse, de façon à en sortir propre, c'est-à-dire exempt de toute follicule lymphoïde. Si le boyau est bien nettoyé, il ne comporte donc plus de follicules. Trois analyses effectuées auprès de laboratoires différents montrent que tel est bien le cas. D'ailleurs, si le moindre risque existait, je ne mettrais pas mes produits sur le marché pour empoisonner les gens. Cette interdiction purement française nous semble absurde puisque les Italiens et les Espagnols, qui sont des fabricants de charcuterie plus importants dans le monde que les Français, nous exportent leurs salamis que nous consommons. L'Italie et l'Espagne n'ayant formulé aucune interdiction, on ne sait pas si les boyaux utilisés proviennent d'animaux de plus ou moins de cinq ans. S'il existe un risque avec les boyaux, il en est de même en Italie, en Espagne, en Allemagne, et il faudrait alors interdire les importations de charcuterie. Mme Ségolène ROYAL D'abord, le comité vétérinaire européen a-t-il émis un avis sur le sujet ? Si oui, lequel ? Ensuite, les autres pays de la Communauté ont-ils pris des décisions comparables ? Je crois que non, mais la question y a-t-elle au moins fait l'objet de discussion au niveau scientifique et gouvernemental ? Par ailleurs, quels produits ont remplacé les boyaux précédemment exportés par la France vers l'Espagne et l'Italie, puisque la charcuterie continue à y être fabriquée ? Enfin, que représente la part non alimentaire de votre activité et est-elle aussi touchée par une interdiction ? M. Christian PEIGNON Je pense que le comité vétérinaire européen a bien abordé ce sujet mais qu'il n'a pas préconisé de suivre la décision française. Il en a été de même sur les cervelles de bovin. Le comité estime que les Français en font trop et il n'est donc plus d'accord pour suivre les décisions françaises. Mme Ségolène ROYAL Pourquoi ne saisissez-vous pas à nouveau le comité vétérinaire européen ? M. Michel BOLZINGER Depuis quatre mois, nous essayons de faire remonter l'information. Nous avons organisé une réunion à Parthenay avec des experts du CNEVA et du ministère de l'agriculture. A l'issue de cette réunion, nous étions persuadés qu'une solution serait trouvée, car nous avions clairement expliqué aux personnes présentes qu'il n'existait aucun risque avec les produits qui intéressent la boyauderie française. Mais nous avons le sentiment que l'information n'est pas remontée. Mme le Président Comme Mme Royal, je me pose la question de savoir pourquoi vous n'avez pas saisi directement le comité vétérinaire européen. M. Christian PEIGNON Comment se fait-il que les informations que nous avons communiquées n'ont jamais été plus loin que la DGAL ? En fait, nous avons le sentiment qu'on souhaite figer la position du 12 avril 1996 qui inclut la masse intestinale du pylore au rectum, parce que je soupçonne le technicien qui a élaboré cet arrêté d'avoir confondu masse intestinale avec intestin grêle. Le seul à être concerné, d'après l'OMS, c'est l'intestin grêle. J'admets qu'il peut y avoir confusion pour quelqu'un qui n'est pas de la partie. Une erreur, tout le monde peut en faire. Le problème c'est qu'il semble aujourd'hui que personne ne veuille la corriger. En ce qui concerne la position arrêtée par les autres pays européens je peux vous dire que m'étant rendu au mois de juin à Barcelone à un congrès qui réunissait des boyaudiers du monde entier, j'ai pu constater qu'ils rient de notre décision. En Espagne, en Italie, en Irlande et en Allemagne, les boyaux sont travaillés comme auparavant, sans aucune interdiction. Or, si les boyaux étaient dangereux pour les Français, ils le seraient également pour les autres, car on trouve aussi dans ces pays des vaches de plus de cinq ans qui ont consommé des farines de viande. Mais cette décision est restée franco-française. Vous m'avez posé la question des approvisionnements italiens. En Italie, le travail de salaison est saisonnier, débutant en septembre pour se terminer en février. Les Italiens achètent toujours leurs produits avec une année d'avance pour la saison future. Ce sont de très gros négociants qui disposent de stocks énormes, de sorte que cette année ils vont vivre sur les stocks existants. Mais pour l'année prochaine, ils n'auront plus rien. Ils me téléphonent tous les jours pour me demander des marchandises. Je leur explique que je ne peux pas les livrer mais ils ne comprennent toujours pas pourquoi. Dans cette tourmente, le boyau naturel risque tout simplement de disparaître, il sera remplacé par des boyaux artificiels. S'agissant de la part non industrielle de mon activité, elle représente au moins 30 % mais, là aussi, l'ESB a sans cesse de nouvelles répercussions. Ainsi, les laboratoires allemands n'utilisent plus de matière première animale pour fabriquer le catgut chirurgical, alors qu'auparavant les sutures chirurgicales étaient faites avec de l'intestin grêle. Pour la fabrication des raquettes de tennis, il n'existe heureusement pas d'interdiction. Mme Ségolène ROYAL Mais la crise qui touche une part de l'activité de la boyauderie n'a-t-elle pas des répercussions sur l'ensemble ? Le marché n'est-il pas destructuré ? M. Christian PEIGNON Non, pas pour les raquettes de tennis ! Mme Ségolène ROYAL Pour cette production, vous avez donc les mêmes facilités d'approvisionnement qu'auparavant ? M. Christian PEIGNON Oui, parce que nous avons obtenu une dérogation pour le menu de boeuf - l'intestin grêle -destiné à des fins industrielles. Néanmoins, comme 70 % de notre chiffre d'affaires était réalisé avec la partie alimentaire, nous sommes pénalisés à 70 %. C'est d'autant plus regrettable que cela a débouché sur un nouveau problème celui de l'équarrissage qui est chargé d'enlever les abats spécifiés bovins dont le tonnage est constitué à près de 90 % par les masses intestinales. J'ai procédé à quelques calculs pour mon entreprise. Quand je collectais bovins, à raison de 15 kilos d'organes utlisés par bête, cela représentait tonnes en tout. A francs la tonne, cela faisait 10 millions de francs. La perte s'élève donc à 7 millions de francs annuels. Sans compter que d'autres problèmes s'ajoutent car les équarrisseurs ne savent pas pour l'instant où mettre les carcasses. M. Georges SARRE Si ce qui nous est dit est scientifiquement exact, ne pas revenir sur un décret qu'on a voulu large et mettre ainsi en péril une entreprise pour rien me paraît un peu surréaliste. Je ne crois pas du tout, ayant appartenu à plusieurs gouvernements, à la théorie selon laquelle les informations ne remontent pas. Ce n'est pas vrai. Elles remontent toujours. Elles arrivent au cabinet du ministre qui transmet ou non à celui-ci. Si la transmission au ministre a bien été faite, celui-ci décide s'il y a lieu ou non de donner suite. Ou bien, selon les cas, la question est abordée en réunion interministérielle et tranchée dans un sens favorable ou non. Pour ma part, je souhaiterais que la mission interroge M. Vasseur pour lui demander ce qu'il compte faire sur ce dossier. Ou bien les scientifiques font une démonstration indiscutable du bien-fondé de la décision qui a été prise, et il semble que ce soit difficile, ou bien l'arrêté doit être modifié. M. Jean-Pierre DUPONT Je ne serai pas aussi catégorique. Vous parlez, monsieur Sarre, de certitudes scientifiques. Il n'y a pas de certitudes scientifiques dans l'ensemble de ce dossier, comme nous nous en sommes rendu compte depuis le début de nos travaux. Ce n'est pas parce que certains pays n'ont pas pris de précautions qu'il faut pour autant critiquer nos décisions. Je mesure parfaitement les conséquences économiques que ces mesures entraînent sur la boyauderie française. Cela étant, compte tenu des incertitudes scientifiques actuelles, il est à mon avis bien difficile pour un Gouvernement de ne pas s'entourer de toutes les précautions. Vous nous dites que les follicules lymphoïdes disparaissent quand on utilise la technique du délimonage, mais aucune certitude scientifique n'existe sur ce point. M. Georges SARRE Il y a des follicules lymphoïdes partout ! M. Jean-Pierre DUPONT Oui ! Mais quand on ne connaît pas la pathogénie, il faut savoir comment utiliser une carcasse. On élimine les plaques de Peyer parce que l'on sait où les situer anatomiquement. Quand on découpe une carcasse, les ganglions lymphatiques sont visibles, on sait donc les enlever aussi sans problème. Reste le tissu lymphoïde diffus. Il est vrai que quand on consomme de la viande, on consomme surtout la masse musculaire pour laquelle, théoriquement, le risque est nul. En revanche, dans certains organes comme les abats blancs, le tissu lymphoïde est pratiquement partout et plus particulièrement dans la muqueuse. Mais on peut en trouver aussi dans le tissus conjonctif ou ailleurs encore. C'est la raison pour laquelle le ministre a pris le maximum de précautions. Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les conséquences de la crise de l'ESB sur la consommation en triperie ? M. Christian PEIGNON Je ne peux absolument pas répondre à cette question, car il ne faut pas confondre triperie et boyauderie. En triperie, on raisonne en volume. Mais nous, nous raisonnons autrement. En France, il arrive des boyaux du monde entier, car nous sommes un pays déficitaire en boyauderie. Nous importons énormément des pays d'Amérique du Sud comme le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay. Les boyaux de porc viennent pratiquement tous de Chine. Les boyaux de mouton viennent des pays du Moyen-Orient. Curieusement, je suis exportateur de boyaux car je suis positionné sur un marché différent, celui des calibres larges alors que les Français utilisent plutôt des calibres moyens ou étroits provenant de bêtes d'Amérique du Sud. Mme le Président Pourrez-vous nous communiquer des statistiques pour illustrer ces propos ? M. Christian PEIGNON Bien sûr. La France est un très gros pays importateur de boyaux et il n'y a qu'en France qu'ils sont interdits ! Sur l'aspect scientifique du dossier, je tiens à vous signaler que mes informations, qui sont à votre disposition, proviennent de l'INRA. Et je ne pense pas que l'école vétérinaire de Nantes écrive n'importe quoi ! M. Jean-Pierre DUPONT Je n'ai jamais dit cela ! J'ai simplement indiqué qu'on ne pouvait pas être certain d'éliminer tout le tissu lymphoïde. M. Christian PEIGNON Dans le boyau, si ! Nous avons pratiqué des tests sur trois séries de trente prélèvements effectués par des vétérinaires sous couvert de la direction des services vétérinaires des Deux-Sèvres. M. Michel BOLZINGER Normalement les bouchers retirent les ganglions lymphatiques quand ils préparent leur viande, sauf dans les steacks hachés. Si l'on fait confiance au boucher, pourquoi pas au boyaudier ? M. Christian PEIGNON J'ai voulu tout vérifier sur place. Je me suis donc rendu dans un très gros centre d'abattage de ma région, à 80 km de Parthenay, où est fabriqué principalement du steack haché. J'ai posé aux techniciens de fabrication la question de savoir ce qu'ils faisaient des ganglions lymphatiques. Ils m'ont répondu que, les quartiers passant entiers dans les broyeurs, il leur était donc impossible d'enlever les ganglions lymphatiques, hormis une vingtaine, car ils se situent au milieu des muscles eux-mêmes. M. Jean-Marie MORISSET Je voudrais indiquer que la situation de l'entreprise Peignon, qui est située dans ma circonscription, me paraît bien illustrer la crise que connaît la boyauderie française. C'est l'objet même de notre mission de s'informer sur l'opportunité des décisions. Il ne s'agit pas de remettre en cause les orientations prises mais, six mois après, on peut se demander si elles sont toujours nécessaires et si elles ont apporté toute la sécurité voulue. Je vous remettrai les courriers que j'ai reçus du CNEVA. Je pense qu'un jour il faudra que des décisions soient prises pour rassurer les chefs d'entreprise concernés - qui ne sont pas nombreux en France - et surtout les personnels touchés par les plans sociaux. Les personnes qui n'ont plus de travail aujourd'hui du fait de l'arrêté du 12 avril 1996 demandent pourquoi, en France, on ne peut plus travailler les boyaux de bovins nés avant juillet 1991 alors que les autres pays le font. C'est la question concrète que nous posent aujourd'hui les personnels licenciés à la suite de cette mesure. M. Rémy AUCHEDÉ Tout le monde s'accorde à dire qu'il n'y a pas de certitudes scientifiques. Une stratégie de précaution a été mise en place que personne n'a le droit de contester. Or, selon les représentants de la boyauderie, les mesures prises ne seraient pas les bonnes, leur produit ne présentant selon eux pas de danger. Je n'ai pas de position arrêtée sur ce point, n'ayant pas qualité pour en avoir. Mais ce qui me paraît alarmant, c'est que les carcasses qui sont, elles, utilisées, sont plus dangereuses par le fait qu'on ne peut pas en éliminer les ganglions lymphatiques. Autrement dit, l'arrêté se trompe de produits à éliminer de la consommation. M. Georges SARRE Ou bien est excessif ! M. Rémy AUCHEDÉ Il faut quand même se demander s'il ne faut pas revoir le texte de cet arrêté car, compte tenu des informations qui nous ont été données, notamment sur les importations de boyaux de l'étranger, il semble quand même qu'il y ait dans ce dispositif quelque chose d'irrationnel. M. le Rapporteur Je souhaiterais, messieurs, que vous nous fassiez parvenir une note sur le délimonage. Il est important de disposer d'éléments précis sur cette technique car, comme on l'a vu pour la préparation des farines animales, tout ce qui ne repose pas sur des protocoles très précis, reproductibles, fiables et vérifiables à un moment ou à un autre peut donner lieu à discussion. J'ai bien entendu l'ensemble des arguments qui ont été développés par les uns et par les autres. Je ne nie absolument pas le fait qu'il semble ne pas y avoir dans toutes les décisions une cohérence évidente et nous essaierons d'aller plus loin dans la compréhension du pourquoi et du comment des choses. Mais une telle démarche ne peut se justifier que dans la mesure où les techniques mises en oeuvre sont précisément définies et vérifiables. Quant au débat sur le tissu lymphoïde diffus, il semble qu'un amalgame ait été fait dans la terminologie retenue par l'arrêté du 12 avril 1996, qui mentionne l'ensemble de l'intestin sans distinction entre l'intestin grêle et le gros intestin. Cela vient probablement du fait que le tissu lymphoïde est beaucoup plus dense dans toutes les parties de l'organisme où ont lieu des échanges importants. Or il est vrai que l'intestin - même si à l'évidence cela s'applique beaucoup plus à l'intestin grêle qu'au gros intestin - est a priori un endroit où la densité en tissus lymphoïdes est importante puisqu'il est un lieu d'échanges importants. Messieurs, croyez bien que nous ne sommes pas insensibles aux arguments que vous nous avez présentés. Nous allons tenter - c'est le travail même de notre mission - de nous informer pour tenter de comprendre et de mettre le doigt sur les incohérences qu'il peut y avoir ici ou là. Mme le Président Nous vous remercions, messieurs. Audition de M. Christian BABUSIAUX, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes extrait du procès-verbal de la première séance du 10 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Christian BABUSIAUX Quelques mots d'introduction pour rappeler le rôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes DGCCRF dans le problème qui nous réunit aujourd'hui. Bien entendu, le ministère de l'agriculture joue sur ce sujet un rôle prépondérant puisqu'il exerce une compétence exclusive dans le domaine de la santé animale et qu'il a en charge les contrôles en amont concernant notamment les produits animaux ou d'origine animale et les activités telles que l'équarrissage. La DGCCRF intervient dans le cadre de sa mission générale de surveillance des marchés et de protection de la sécurité des consommateurs. Elle a en conséquence assumé un rôle croissant dans la résolution des problèmes posés par l'ESB au fur et à mesure que les interrogations se sont déplacées du domaine de la santé animale à celui de la sécurité des consommateurs. Qu'avons-nous essayé de faire et quelle a été notre méthode de réflexion pour tenter de prendre les mesures appropriées et organiser les contrôles de manière pertinente ? Telles sont les questions auxquelles je voudrais répondre dans mon intervention, étant rappelé que toute notre action est fondée sur le code de la consommation. Pour resituer les faits, il est nécessaire de garder deux éléments en mémoire. Tout d'abord, lors de l'apparition de la maladie en 1988-1989, aucun cas d'ESB ne s'est manifesté en France ; le problème était alors uniquement britannique. Ensuite, le problème est apparu à l'origine comme ressortant uniquement de la santé animale. Le ministre de l'agriculture a interdit en août 1989 les importations de farines anglaises, décision qui, compte tenu de l'origine vraisemblable de la maladie, était la mesure prioritaire à adopter. Ce n'est qu'en 1990 qu'est évoquée la possibilité d'une transmission de la maladie à l'homme, notamment dans un article du Lancet du 7 juillet 1990. Ces interrogations, bien qu'elles ne fussent pas très répandues dans la communauté scientifique, nous ont incités à entreprendre un certain nombre de consultations. Nous nous sommes d'abord interrogés sur la qualité des aliments pour animaux fabriqués en France à partir de farines de viande d'origine française. Aucun cas d'ESB n'étant signalé en France, il n'y avait donc pas de nécessité évidente d'empêcher l'utilisation de toute farine. Nous avons cependant saisi le 5 avril 1990 la commission scientifique compétente - la commission interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation animale - pour déterminer s'il y avait matière à interdire l'utilisation de toute farine dans l'alimentation des ruminants. Cette commission, qui regroupe d'éminents scientifiques de diverses disciplines, a préconisé, le 28 juin 1990, à titre de précaution, une interdiction des farines animales pour l'alimentation des bovins. Nous avons alors préparé un arrêté qui a été publié le 24 juillet 1990 et qui reprend les préconisations de la commission. En même temps, nous nous sommes interrogés sur les autres vecteurs susceptibles de propager la maladie de la vache folle », même à titre subsidiaire, et tout particulièrement sur l'usage des matières fertilisantes, c'est-à-dire les engrais et les supports de culture. La commission compétente, la commission des toxiques, s'est saisie officiellement en septembre 1991. Elle a rendu des avis le 11 décembre 1991 et le 13 mai 1992. Le 27 août 1992, un arrêté pris conjointement avec le ministre de l'agriculture transposait ses recommandations en soumettant les matières fertilisantes et les supports de culture à homologation. La discussion se poursuivit d'ailleurs sur cette question après la publication de l'arrêté. Un recours contentieux fut même déposé et le Conseil d'Etat annula l'arrêté en 1994 pour insuffisance de motivation. En 1991, les cinq premiers cas d'ESB sont recensés en France. A cette même époque, des experts font état de rapprochements possibles avec la maladie de Kuru liée à la consommation de tissus nerveux humains lors de certains rituels funèbres en Nouvelle-Guinée, et des rapprochements avec la maladie de Creutzfeldt-Jakob provoquée par l'injection d'hormones de croissance. C'est dans ce contexte que nous avons saisi la commission compétente en matière de produits destinés à une alimentation particulière, la CEDAP, le 9 juillet 1992. Cette commission scientifique, après s'être entourée de l'avis d'éminents spécialistes, a estimé fondée notre proposition d'interdire dans les petits pots pour bébés et les compléments alimentaires les tissus considérés comme à risque » au sens de la classification de l'OMS. L'arrêté d'interdiction est publié le 31 juillet 1992, sur la base de la loi relative à la sécurité des consommateurs. Pourquoi cette mesure ? C'est que nous nous sommes efforcés de proportionner les mesures adoptées aux risques connus à un moment donné et à l'utilité des produits en cause. S'agissant des bébés, supposés plus fragiles que les adultes, la mesure est considérée comme prioritaire. En ce qui concerne les compléments alimentaires qui ne sont pas nécessaires à l'alimentation, nous pouvons et devons être extrêmement rigoureux. En 1992 également, nous interrogeons le conseil supérieur d'hygiène publique sur les mesures à prendre concernant les cosmétiques et, à la fin de la même année, les plus éminents spécialistes du sujet, consultés notamment à l'occasion d'une réunion qui se tient le 8 décembre, approuvent les décisions adoptées et estiment, sur la base des connaissances scientifiques du moment, qu'il n'est pas nécessaire d'en prendre davantage. Il faut souligner que toutes ces mesures suscitent un certain nombre de discussions. En particulier, lorsque nous préparons en 1994 le décret pour rendre permanente l'interdiction dans les petits pots et les compléments alimentaires des tissus considérés comme à risque au sens de la classification de l'OMS, Bruxelles nous avertit que, si nous adoptons ledit décret, un avis motivé sera adressé à la France, la mesure étant jugée comme protectionniste et constitutive d'une entrave aux échanges. Nous répondons à la Commission que nous passerons outre à son avis motivé et nous poursuivons quand même la procédure. En 1994, un nouvel arrêté est publié par le ministre de l'agriculture pour étendre à l'ensemble des ruminants l'interdiction d'utiliser certaines protéines animales dans l'alimentation des animaux. Je ne m'étendrai pas plus avant sur les décisions qui ont été prises après la déclaration du gouvernement anglais sur les risques de transmission à l'homme de l'ESB et la décision d'embargo du 22 mars 1996 car tout cela est bien connu et je préfère consacrer le reste de mon intervention aux contrôles de l'application des textes adoptés. Selon le code de la consommation, c'est d'abord aux professionnels eux-mêmes qu'il revient de mettre en place des procédures d'auto-contrôle et de procéder à toutes les vérifications nécessaires. Les pouvoirs publics s'assurent par la suite de la réalité de ces mesures. Pour la part des contrôles qui nous revient - certains domaines, je le répète, comme l'importation des farines, étant de la compétence directe des services vétérinaires ou de la douane -, nous avons mené des enquêtes afin de déceler, à chaque stade, les technologies et les pratiques interdites, de repérer les marchandises non conformes et d'évaluer les dispositifs d'autocontrôle. Ces contrôles ont été menés sur des sujets très nombreux et très divers l'alimentation animale, la fabrication des aliments complémentaires ou composés - y compris l'incorporation de farine de viande dans l'alimentation des animaux - les produits destinés à l'alimentation humaine avec les compléments alimentaires et les petits pots pour bébés, l'origine des viandes, notamment après qu'ait été institué le logo VBF, les produits alimentaires contenant des dérivés d'origine bovine - la gélatine, le suif - les cosmétiques, les engrais et les supports de culture. Au-delà du nombre de contrôles - et nous en avons réalisé des dizaines de milliers -, il convient de souligner leur caractère minutieux et méthodique. J'en citerai deux exemples. Premier exemple, les contrôles des compléments alimentaires. On vérifie d'abord leur fabrication, s'ils contiennent des embryons, des tissus nerveux ou de la gélatine. On examine ensuite les différents circuits de commercialisation en pharmacie mais aussi en grandes surfaces et dans les salles de sport. Nous avons contrôlé, ces derniers mois, une quarantaine de salles de sport d'Ile-de-France pour vérifier si des circuits parallèles ne proposaient pas des compléments alimentaires non conformes aux règles édictées. Deuxième exemple, les contrôles dans la tannerie. Nous avons contrôlé ces derniers mois quarante-neuf tanneries pour vérifier si les peaux n'étaient pas d'origine britannique car des sous-produits de tannerie sont utilisés pour l'alimentation animale. Nos contrôles sont donc extrêmement minutieux. Nos préoccupations actuelles consistent d'abord à continuer notre exploration méthodique. Conjointement avec la direction générale de l'alimentation et la direction générale de la santé, nous avons posé un certain nombre de questions au comité Dormont et les réponses qui y ont été apportées par cette instance servent de fondement aux mesures décidées par le Gouvernement. Une première liste de dix questions a ainsi donné lieu aux décisions prises par le Premier ministre le 27 juin dernier. Par ailleurs, nos laboratoires se soucient d'approfondir les méthodes d'analyse. Nous avons notamment demandé à l'institut Pasteur de travailler sur une méthode pour mettre en évidence l'espèce bovine dans des farines, des engrais ou d'autres produits. Tout cela est mené en concertation avec les autres administrations concernées. Nous tenons d'ailleurs chaque semaine une réunion conjointe avec leurs représentants pour faire le point et convenir éventuellement des mesures à proposer ou à actualiser. Enfin, nos préoccupations actuelles concernent la traçabilité. Le conseil national de la consommation a constitué un groupe de travail auquel participent les organisations de consommateurs mais aussi les professionnels, notamment les éleveurs. Les conclusions de ces travaux seront soumises aux pouvoirs publics. Mme le Président Pensez-vous qu'il serait utile de créer un organisme de contrôle indépendant qui coifferait la DGCCRF et le service des douanes ? Un tel service ne présenterait-il pas l'avantage de rendre plus efficaces les contrôles en les unifiant ? M. Christian BABUSIAUX La leçon essentielle à tirer de cette affaire est de reconnaître qu'il s'agit d'un sujet interdisciplinaire et que personne ne peut raisonnablement prétendre tout savoir. Un organisme unique ne pourrait tout savoir. Il convient cependant d'organiser cette interdisciplinarité. Les cosmétiques, la tannerie ou les engrais ne sont pas des domaines spécifiquement agricoles ou alimentaires. Le principal problème aujourd'hui est donc de mieux organiser les réseaux de contrôle et la coopération entre les uns et les autres. Vous proposez de créer une structure au-dessus de la nôtre. Je vous rappellerai simplement qu'une organisation conjointe des contrôles entre la direction générale de l'alimentation et nous-mêmes s'est mise en place dès 1990. Par ailleurs, les problèmes scientifiques sont traités par le comité Dormont qui réunit à ce sujet toutes les compétences. M. le Rapporteur J'aimerais connaître vos liens avec le service des douanes, la façon dont vous prenez des décisions communes et dont vous vous répartissez le travail. Comment pouvez-vous reconnaître l'origine éventuellement frauduleuse d'un produit qui aurait été contrôlé par les douanes ? Pouvez-vous passer en deuxième ligne, pour rattraper leurs éventuelles erreurs ? L'une des principales difficultés auxquelles est confrontée notre mission est de trouver une cohérence et une homogénéité dans les chiffres qui nous sont fournis par les différents responsables auditionnés. Ces chiffres sont en totale discordance même s'ils sont avancés par des gens dignes de foi ayant le souci de dire la vérité. Par ailleurs, les représentants du syndicat de la boyauderie, qui vous ont précédé, nous ont démontré que, au terme d'un amalgame un peu rapide, l'intestin avait été touché dans sa globalité par les mesures d'interdiction. Or, il apparaît que le gros intestin et l'intestin grêle doivent être traités différemment. Avez-vous été concerné par ces décisions ? Quel est le rôle exact de la DGCCRF dans la rédaction des mesures prises dans cette affaire ? Quels avis êtes-vous amené à formuler et êtes-vous associés à toutes les décisions prises sur la base des conclusions du comité Dormont ? Etes-vous convaincu qu'aujourd'hui les modalités de surveillance sont telles que les fraudes sont réduites au minimum ? Notre système de répression des fraudes est-il efficace ? Ou bien pensez-vous que, bien que vous fassiez le maximum, de nombreuses distorsions subsistent ? Vous avez évoqué un différend avec Bruxelles. Quel est votre sentiment sur la réaction manifestée à cette occasion par les instances communautaires ? Pensez-vous que nous sommes aujourd'hui en difficulté avec l'Europe compte tenu de nos divergences d'approche du problème de l'ESB ? Pensez-vous réellement que les mesures adoptées ont une cohérence compte tenu des décisions prises dans les autres pays de la Communauté européenne ? Enfin, pensez-vous que nous avons pris trop peu, suffisamment ou trop de précautions ? Comment situez-vous l'arsenal qui a été décidé au regard du risque tel que vous le percevez ? M. Christian BABUSIAUX La douane assure un ensemble de responsabilités concernant à la fois les contrôles aux frontières et la fiscalité. Les contacts entre la DGCCRF et la douane sont évidemment réguliers. Nous avons d'ailleurs une cellule d'analyse des risques et de programmation conjointe qui permet une coordination. Des contacts ont également lieu au niveau régional ou local entre nos deux administrations et tout ceci fonctionne sans problème. Vous évoquiez les discussions sur les chiffres. Vous vous souvenez sans doute que M. Galland, lorsqu'il a été auditionné, a évoqué les importations qui figurent dans les déclarations en douane des opérateurs pour les années 1993 à 1996. Nous avons régulièrement effectué des contrôles chez les 385 fabricants d'aliments. Nous leur avons réclamé à chaque fois le maximum de documents. Même si nous n'avons pas vocation à tenir les archives des établissements en règle, nous avons déjà pu établir, grâce aux documents conservés, que les quantités déclarées en douane comme étant d'origine anglaise en 1995 et en 1996 étaient en réalité, soit d'origine irlandaise, soit d'origine anglaise mais destinées à des utilisations licites de type alimentation des volailles. Nous avons travaillé avec la douane pour remonter aux années antérieures. Vous m'avez posé la question de savoir si nous pouvions en quelque sorte passer derrière » la douane. Nous effectuons régulièrement des contrôles chez les fabricants d'aliments. Nous regardons la formule des produits qu'ils sont censés utiliser et les matières premières qu'ils achètent. Cela permet d'établir un recoupement comptable entre les entrées et les sorties. C'est une manière de vérifier quelles ont été les différentes utilisations. Ces procédures ne s'appliquent d'ailleurs pas seulement du fait des risques liés à l'ESB mais sont mises en oeuvre d'une manière générale car d'autres problèmes peuvent exister en matière d'alimentation animale. Ainsi par exemple, nous nous assurons que l'on ne rencontre pas une présence anormale de métaux lourds ou une contamination microbiologique. Nous n'avons aucune divergence avec la douane sur les chiffres. Nous approfondissons simplement la vérification des déclarations des opérateurs. Quant au rôle du comité Dormont, je reconnais, pour ma part, attacher toujours une importance déterminante aux avis des comités scientifiques. Les pouvoirs publics doivent interroger les instances scientifiques et prendre ensuite leurs responsabilités. Leur avis est très important et il a toujours déterminé notre action, aujourd'hui comme hier. Mais cela n'exclut pas, lorsqu'une réponse nous semble trop imprécise ou soulever d'autres problèmes, de réclamer de plus amples informations. Les modalités de surveillance me paraissent-elles suffisantes ? En Grande-Bretagne 160 000 cas d'ESB ont été recensés alors que la France n'en a dénombré que 22. Il convient de garder ce rapport toujours présent à l'esprit. Malgré un très grand nombre de contrôles, nous n'avons pas trouvé d'utilisation illicite des farines, sauf le cas de 1991 que nous avons rendu public. La surveillance qui a été mise en place a été très efficace et nous avons tout lieu de penser que l'ensemble constitué jusqu'ici par les auto-contrôles des professionnels, leur sens des responsabilités et nos propres contrôles, a été suffisant. Mais nous devons rester en permanence en alerte. Nous ne pouvons pas dire en toute certitude que tout a été fait. Il faut continuellement réexaminer les choses et c'est ce que nous faisons. Cette semaine encore, les pouvoirs publics prendront de nouveaux arrêtés en raison de l'évolution des connaissances scientifiques. Nous avons dressé 87 procès-verbaux pour des viandes d'origine anglaise ou autre, mais qui étaient alléguées comme françaises. Ensuite, des décisions judiciaires doivent intervenir. Une circulaire élaborée par la Chancellerie devrait permettre une instruction rapide de nos procédures. Sommes-nous en difficulté avec Bruxelles ? Il a pu arriver que nous le soyons. Notre pays est celui qui a pris, sur le sujet de l'ESB, les décisions couvrant le plus large domaine. Le véritable problème reste celui de la communautarisation des décisions, de manière à assurer la meilleure efficacité, la meilleure coordination et le moins d'entraves possibles. Il est bien évident que les mesures nationales peuvent aboutir à cloisonner des marchés alors que notre objectif demeure le marché unique. L'un des impératifs essentiels est bien que les mesures deviennent communautaires. M. Jean-Marie MORISSET Monsieur le directeur, vous n'avez pas répondu à une question concrète de notre rapporteur votre direction a-t-elle participé à l'élaboration du décret du 10 avril 1996 concernant l'interdiction des abats ? Suite à l'embargo sur la viande en provenance du Royaume-Uni, des décisions ont été prises concernant la saisie de toutes les viandes congelées dans les frigos. Les propriétaires de ces viandes ne peuvent pas assurer la traçabilité de leurs produits congelés parce qu'ils n'ont pas conservé l'historique informatique de ces viandes. Ils ne peuvent donc prouver que celles-ci ne sont pas d'origine anglaise. Inversement, on ne peut prouver qu'elles le soient. Par conséquent, ces industriels ne sont pas indemnisés alors qu'un certain tonnage de leurs produits est consigné dans les abattoirs. Comment peut-on sortir de cet imbroglio où tout le monde est de bonne foi ? M. Christian BABUSIAUX Je m'aperçois que j'ai oublié de répondre à une des questions de M. le rapporteur concernant la classification des intestins parmi les tissus à risque. Je comprends que le syndicat des boyaudiers regrette l'interdiction des intestins mais l'OMS a considéré l'ensemble de ces tissus comme étant à risque, même si certaines parties le seraient plus que d'autres. Des considérations techniques et de contrôle doivent être également prises en compte distinguer certaines parties d'organes et être sûr qu'il n'y aura pas de fraudes, d'erreurs de manipulation ou de problèmes dans la découpe ou dans la pratique de l'abattage est extrêmement difficile. Cela explique le caractère général de la mesure qui a été prise pour les animaux nés avant le 31 juillet 1991. Quant au décret du 10 avril 1996, parlez-vous de celui relatif aux petits pots pour les bébés ? M. Jean-Marie MORISSET Non, de celui portant sur les gros intestins et les abats ! M. Christian BABUSIAUX Il s'agit d'un arrêté alors. M. le Rapporteur En ce qui concerne votre réponse à ma questions, j'attire votre attention sur le fait, premièrement, que l'OMS insiste sur l'intestin grêle - j'ai le texte sous les yeux - et, deuxièmement, que, même si l'ensemble s'appelle intestins, on peut différencier l'intestin grêle du gros intestin, qui ne se ressemblent absolument pas. Ils n'ont strictement ni les mêmes fonctions, ni la même anatomie. Ils ne comportent donc pas les mêmes risques. Je voudrais être certain que la rédaction de l'arrêté ne procède pas d'une assimilation un peu rapide qui ne tienne pas compte de la différence essentielle qui existe entre l'intestin grêle et le gros intestin. C'est l'exemple même d'une décision qui, fondée sur une bonne motivation, a un effet pervers et dépasse, avec des conséquences non négligeables, le but recherché. M. Christian BABUSIAUX En ce qui concerne tout d'abord notre rôle dans la préparation de ce texte, je vous indique que nous ne sommes pas à son origine, puisqu'il concerne spécifiquement des denrées animales et d'origine animale, mais que nous avons été associés à sa préparation. Sur les précisions techniques que vous demandez par ailleurs, le directeur général de l'alimentation sera plus à même de vous répondre. Ce qui a été mis en avant, c'est la difficulté technique au moment même de l'abattage et du traitement, de distinguer les deux catégories d'intestins. Il ne faut jamais négliger l'aspect technique de la production. Nous avons eu l'occasion d'emmener des scientifiques du comité Dormont dans un abattoir pour qu'ils se rendent compte quels étaient exactement les méthodes et les risques. Il est clair que, selon la méthode d'abattage et de traitement, il peut y avoir des risques de contamination entre des produits qui se trouvent, à un moment ou à un autre, en contact. M Jean-Marie MORISSET Je souhaiterais que vous me répondiez sur les viandes consignées dans les abattoirs dont on ne sait pas reconnaître l'origine. Je voudrais également préciser qu'il n'y a pas de difficultés techniques pour séparer l'intestin grêle du gros intestin. Les abattoirs effectuent d'ailleurs cette répartition, la vente des gros intestins aux boyaudiers étant autorisée pour tout ce qui est non alimentaire. M. Christian BABUSIAUX Je regarderai ce dernier point de manière plus approfondie. Pour en revenir à votre première question, nous n'opérons de saisie que lorsque nous avons la preuve de l'origine britannique et nous considérons que c'est à nous de faire la preuve de la fraude. Il peut arriver que nous consignions des produits en attendant qu'on nous fournisse des documents. Mais, à ce moment-là, de deux choses l'une ou bien on peut nous fournir des documents et nous levons la consignation ; ou bien on ne nous les fournit pas ou nous en trouvons qui nous laissent penser à une origine anglaise, et alors nous saisissons les produits. M. Francis GALIZI Disposez-vous de documents de l'OMS concernant la gélatine ? Ma seconde question concerne à nouveau la boyauderie. Le document de l'OMS auquel vous avez fait allusion fait-il référence aux mesures restrictives prises par l'Angleterre en plein coeur de l'épidémie pour interdire un certain nombre de sous-produits à la consommation ? M. René BEAUMONT Vous avez répété à plusieurs reprises avoir consulté les instances scientifiques dès 1990 sans préciser lesquelles. Or le comité Dormont n'existait pas à cette date et, à notre connaissance, il y avait peu ou pas - et plutôt pas que peu - d'instances scientifiques françaises qui s'intéressaient à l'ESB. Les laboratoires français travaillaient à ce moment-là sur la tremblante du mouton qui, bien qu'elle soit une encéphalopathie spongiforme, présente une différence de taille avec l'ESB elle existe depuis 200 ans et n'a jamais été reconnue transmissible à l'homme. Ma première question est donc la suivante quelles instances scientifiques avez-vous consultées à l'époque ? Vous avez parlé de la responsabilité des professionnels et en particulier de l'autocontrôle qu'ils devaient de par la loi s'imposer, votre service n'intervenant qu'en aval. Nous avons reçu le représentant des fabricants d'aliments pour le bétail qui a beaucoup insisté sur la sûreté des contrôles effectués dans les entreprises. Nous avons été un peu surpris qu'un autre représentant de la même profession refuse de cautionner les propos qui avaient été tenus devant nous. Cela laisse penser qu'il peut y avoir des failles dans l'auto-contrôle. Il a eu 22 cas d'ESB en France. Sont-ils tous dus à l'importation de viandes anglaises qui auraient contaminé les bovins ? L'a-t-on vérifié sur chacun des 22 cas ? A-t-on retrouvé les producteurs des aliments donnés à ces bovins ? A-t-on réuni des informations susceptibles de savoir si on va passer de 22 à 200 ou 500 cas ou bien si, au contraire, on a une chance de connaître un développement relativement limité de l'épidémie ? Nous ne savons toujours pas combien de tonnes de viandes ont été importées illégalement d'Angleterre. Vous avez évoqué les viandes d'origine irlandaise. Est-on sûr qu'il ne s'agit pas de viandes anglaises ayant transité par l'Irlande ? Enfin, dernière question, quel est le fondement juridique des décisions prises en ce qui concerne le sperme ? Mme Ségolène ROYAL Estimez-vous suffisants les moyens dont vous disposez ? N'y a-t-il pas parfois des oppositions flagrantes entre la logique de la concurrence et la protection des consommateurs ? En laissant importer les farines anglaises, c'est la logique de concurrence qui a d'abord primé dans un premier temps. La logique de sécurité alimentaire et de répression des fraudes n'est venue que beaucoup plus tard. N'êtes-vous pas écartelé entre ces deux logiques et comment arbitrez-vous entre elles ? N'avez-vous pas parfois des problèmes d'allocation des moyens administratifs ? Sauf erreur de ma part, la répression des fraudes était autrefois rattachée au ministère de l'agriculture. Ce choix paraît aujourd'hui assez judicieux puisque, finalement, dans le domaine de la consommation, le plus sensible relève de la sécurité alimentaire. Dans le domaine qui nous préoccupe, ce qui est frappant, c'est la lenteur des réactions. Pourquoi votre service n'a-t-il pas joué un rôle préventif ? M. Christian BABUSIAUX Permettez-moi de répondre d'abord à la question de Mme Royal. Notre logique générale est une logique de surveillance du marché. Elle consiste, dans une économie de concurrence, à vérifier s'il n'y a pas des abus, des problèmes pour les entreprises ou pour les consommateurs. Notre logique est donc la même en matière de concurrence ou de protection des consommateurs. Notre rôle est de surveiller s'il n'y a pas des pratiques abusives dans les deux domaines. La sécurité est bien entendu une exigence absolue et nous l'avons toujours fait primer dans tous les domaines. Le domaine alimentaire n'est pas le seul concerné. Ainsi, vous vous souvenez peut-être de l'action que nous avons menée pour renforcer la sécurité des jouets. D'une manière générale, la sécurité des produits industriels est un souci permanent de la DGCCRF. Vous demandez s'il y a eu des retards et vous ne comprenez pas pourquoi notre service n'est pas intervenu plus tôt. Je reviens à ce que je disais au début de mon exposé l'importation des farines et leur traitement relèvent du ministre de l'agriculture et il n'est pas dans notre habitude de jouer la mouche du coche. Il faut se souvenir aussi que, s'il y a eu des cas d'ESB britanniques connus et déclarés à partir de 1986-1987, la mesure d'interdiction britannique ne date que de 1988 et n'a pas été déclarée à ce moment-là aux homologues vétérinaires de la Communauté européenne. Dès lors qu'il y a eu un risque pour le consommateur, nous avons consulté les instances scientifiques et agi avec, je crois, une très grande vigilance. J'ai eu l'occasion de dire que nous avions consulté la commission interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation animale dès le 5 avril 1990, ce qui est antérieur à la publication de l'article du Lancet du 7 juillet 1990 qui posait la question - extrêmement controversée - de la transmission à l'homme. Je ne crois pas qu'il y ait eu un retard. D'ailleurs, ce qui nous a été parfois reproché à l'époque, c'est d'avoir été trop tatillons ou d'avoir fait une application trop extensive du principe de précaution. Vous avez posé des questions d'organisation. L'important, c'est la surveillance globale du marché. Aujourd'hui, par exemple, on se demande s'il faut incinérer - et le faire faire par qui ? par les cimentiers ou par d'autres ? - les cadavres d'animaux. Il ne faut pas avoir une conception strictement sectorielle des problèmes. C'est le rôle que nous avons essayé de jouer aller chercher les différents types de questions possibles pour les faire apparaître au grand jour. Quant au problème de la suffisance des moyens, je répondrai qu'il ne revient pas à un fonctionnaire d'apprécier les moyens qui lui sont donnés. C'est le rôle du Gouvernement et du Parlement. Mme Ségolène ROYAL Vous avez une liberté de parole totale ici. Profitez-en ! Sourires. M. Christian BABUSIAUX Ce qu'il faut, c'est prendre les bonnes décisions et les prendre à temps. Les contrôles que nous avons effectués pour l'application des textes ont été très nombreux. Quand l'arrêté sur les engrais a été pris, par exemple, nous avons vérifié 400 catégories d'engrais. Nous avons constamment surveillé les 385 usines fabriquant des aliments. Sur l'origine des viandes, nous avons effectué à ce jour entre 15 000 et 17 000 contrôles depuis l'embargo. Vous avez souhaité savoir quelles instances scientifiques nous avons consultées celles compétentes dans chacun des domaines. Sur des sujets par nature interdisciplinaires, il ne peut y avoir -sauf temporairement comme le comité Dormont- une instance qui prétendrait tout savoir. Il faut des instances sectorielles. Nous avons consulté la commission compétente pour l'alimentation animale, la commission compétente pour les produits destinés à une alimentation particulière ainsi que le conseil d'hygiène publique. Bien entendu, ces commissions comprennent des scientifiques spécialisés et d'autres qui ont une vue plus large des problèmes. Par exemple, le président de la commission interministérielle de l'alimentation animale était à cette époque le président de l'Académie nationale de médecine. Il avait donc des connaissances lui permettant de mesurer l'état de la science. Je pourrai citer encore d'autres hommes éminents. Le président de la section alimentation de l'Académie de médecine était ainsi membre de la commission de l'alimentation particulière que j'ai mentionnée. Il y avait par ailleurs des échanges constants entre les différents scientifiques sur ce sujet. Concernant les autocontrôles, vous avez fait allusion à l'intervention de M. Glon après l'audition de M. Montécot. Je ne sais pas ce que visait exactement M. Glon, mais, à ma connaissance, il ne s'agissait pas de l'insuffisance de l'auto-contrôle effectué par les entreprises. Vous avez posé aussi le problème des cas d'ESB en France. Ce que nous pouvons observer c'est que, dans tous les cas connus aujourd'hui sauf un, il s'agissait d'animaux nés avant l'interdiction de l'importation des farines britanniques et qui ont vraisemblablement consommé des farines importées d'origine britannique. Un seul cas, celui du Maine-et-Loire, est postérieur. Nous procédons à un certain nombre de vérifications et de réflexions. Nous nous sommes interrogés, par exemple, sur les pierres à lécher car nous nous demandions s'il ne pouvait pas y être resté des farines importées, d'origine anglaise. Nous avons fait des prélèvements et des analyses qui, pour l'instant, ont été négatives. Nous n'avons pas pour l'instant d'explications sur ce cas qui a été qualifié de sporadique. Mis à part ce cas, la totalité des cas d'ESB déclarés concernent des animaux nés antérieurement à l'interdiction des farines britanniques. Vous m'avez interrogé aussi sur l'origine des farines importées et sur la certitude que l'on peut avoir de leur origine irlandaise. Nous avons des certificats des vétérinaires irlandais attestant que la marchandise vient de telle unité de production irlandaise, qui existe bel et bien, et dont le volume de production est cohérent avec le volume d'importation constaté en France. Nous avons également des documents de connaissement de navires qui montrent que les produits sont venus par un navire qui est bien parti d'Irlande et qui a chargé la marchandise en Irlande. Dans tous les cas, nous disposons donc de documents qui nous permettent d'affirmer ce que j'ai indiqué tout à l'heure. Voilà le type d'investigations que nous faisons. Pour la gélatine, la décision actuelle est, me semble-t-il, fondée sur un avis du comité scientifique vétérinaire de la Communauté et non sur des travaux de l'OMS. M. Charles JOSSELIN Ma première question porte à nouveau sur la réalité des contrôles auxquels vos services procèdent. Vous avez dit avoir vérifié, y compris sur la période récente, la manière dont les circuits d'importation avaient pu fonctionner entre l'Irlande, la Grande-Bretagne et la France. La direction des douanes nous avait dit qu'elle ne pouvait pas faire mieux que de demander aux entreprises de lui adresser les documents justifiant ces différents mouvements. Vos propres moyens vous permettent-ils d'aller sur place vérifier la réalité affirmée dans ces documents ou travaillez-vous, vous aussi, uniquement sur les pièces fournies ? Plus précisément, de quels moyens disposez-vous, par exemple, dans un département comme les Côtes-d'Armor, qui a le triste privilège d'avoir compté le plus grand nombre de cas d'ESB déclarés. Combien d'agents pouvez-vous mobiliser pour assurer la surveillance sur place ? Ma seconde question est très impertinente quel aurait été votre inconfort si vos recherches vous avaient conduit à contredire les propos tenus par M. Galland en juin ? M. Georges SARRE Pourrions-nous savoir de façon claire et précise quelles ont été les quantités de farines importées depuis 1987 jusqu'à aujourd'hui ? Après toutes les auditions auxquelles j'ai assistées au sein de cette mission, je ne le sais toujours pas. Quelle différence y a-t-il, s'il en existe une, entre les farines anglaises et les farines irlandaises ? En 1988, les Anglais prennent la décision de ne plus consommer les farines produites dans leur pays et ils continuent à exporter. Au sein de la Communauté européenne, il y a quand même des réunions, des séminaires, des colloques au cours desquels les gens se parlent. Je comprends mal que les quatorze autres pays européens n'aient pas eu vent de cette interdiction. C'est quand même curieux. Personne ne s'en est étonné auprès des britanniques. Personne n'a dit Cette décision est étonnante. Vous produisez des farines, vous les interdisez dans votre pays et vous nous les envoyez ! Comment se fait-il ? » Il n'y a donc pas eu un seul fonctionnaire de votre service ou d'un autre pour se poser la question. Ce n'était quand même pas un secret défense ! Par ailleurs, qu'en est-il des contrôles dans les différents pays de l'Union européenne ? Enfin, quels ont été les freins mis par la Commission européenne à la mise en place d'une politique de prévention? La presse nous a fait connaître certains des textes échangés entre les fonctionnaires de la Commission. Vous nous avez rappelé l'injonction dont la France a été l'objet. Qu'en a-t-il été aux différentes étapes du processus de contamination ? Quelles ont été les actions officielles ou souterraines de la Commission ? M. Christian BABUSIAUX D'abord, sur les moyens de contrôle, je rappellerai que le principe de fonctionnement de notre direction est d'exercer une surveillance globale du marché. Nous essayons de faire que nos différents contrôles s'enrichissent les uns les autres en ne traitant pas les choses de manière purement sectorielle ou cloisonnée. A l'heure actuelle, nous ne disposons d'aucune information qui laisse penser, que postérieurement à l'interdiction de l'importation de farine, il y ait eu des utilisations illicites en France. Nous allons directement dans les usines vérifier l'alimentation du bétail, grâce aux documents comptables mais aussi en effectuant des prélèvements qui sont envoyés à nos laboratoires chargés d'analyser leur composition. La vérification concerne en particulier la microbiologie et la teneur en métaux lourds. Nous procédons également à certaines investigations à l'arrivée de cargaisons dans les ports, ceci afin de recouper les informations. Nous avons envoyé encore récemment des agents au déchargement de bateaux. Ils ont pratiqué certains prélèvements et ont demandé les documents y afférents. Rien jusqu'à présent ne nous laisse penser qu'il peut y avoir des utilisations illicites. M. Charles JOSSELIN Quand vous dites illicites », vous pensez postérieures à... M. Christian BABUSIAUX A la mesure d'interdiction qui date du 13 août 1989 ! Nous ne pouvons bien évidemment pas contrôler en l'absence de texte. Vous avez également évoqué la possibilité de contrôler les produits dans leur pays d'origine. Cela ne peut reposer que sur la confiance mutuelle entre les différents corps de contrôles. En effet, lorsqu'il existe un certificat, nous n'avons pas de raison de penser qu'il est faux. Pour certains produits industriels, comme les jouets ou l'électroménager en provenance d'un pays du sud-est asiatique, il peut arriver que nous ayons un certificat d'un laboratoire de contrôle privé dont nous ne pouvons pas confirmer l'exactitude. Pour le sujet qui nous préoccupe, compte tenu des certificats vétérinaires irlandais en notre possession et des autres documents comme le connaissement des navires ou les factures, nous procédons à des recoupements pour effectuer nos vérifications. Pourtant, certains opérateurs ont déclaré par erreur des farines à la douane comme provenant d'Angleterre. Ils l'ont fait en toute bonne foi car s'ils avaient pensé que c'était illicite, ils ne l'auraient vraisemblablement pas déclaré en douane. Si nous découvrons une infraction, celle-ci est de nature pénale. Chaque année, dans d'autres domaines, nous engageons des milliers de procédures. Nous ne pouvons donc pas être suspectés de mollesse. A compter de la décision d'interdiction prise par les pouvoirs publics français, nous n'avons pas détecté la moindre importation destinée à des utilisations illicites. Vous m'avez par ailleurs demandé quelle est la différence entre les farines irlandaises et anglaises. Les Anglais ont adopté des méthodes de production de farines qui ne présentaient plus les mêmes garanties que par le passé. L'interdiction édictée par les autorités françaises a d'abord porté également sur les farines irlandaises parce que le ministère français de l'agriculture estimait ne pas avoir suffisamment d'informations sur les méthodes de production irlandaises. En 1993, cette interdiction a été levée car il est apparu que les farines irlandaises étaient fabriquées selon des méthodes normales de traitement. Vous m'avez interrogé sur les raisons pour lesquelles les autres pays de l'Union n'ont pas réagi à la mesure d'interdiction des farines prise par la Grande-Bretagne en 1988. A Bruxelles, il existe un comité vétérinaire et toutes les mesures prises sont communautaires. Ce n'est qu'en l'absence de décision communautaire que l'autorité nationale prend une mesure. C'est le ministère de l'agriculture qui a compétence sur les décisions en matière d'importations de farines. Les Britanniques ont été extrêmement discrets au départ, tant sur les cas recensés que sur les mesures prises. En ce qui concerne les freins mis par Bruxelles, je vous ai signalé le problème concret que nous avions rencontré. Pour le reste, nous pouvons observer que les mesures françaises ont précédé les mesures communautaires. Celles-ci n'ont d'ailleurs pas d'équivalent dans les autres pays de la Communauté. Mme le Président Monsieur le directeur général, je vous remercie. Audition de M. Louis ORENGA, directeur du Centre d'information des viandes extrait du procès-verbal de la première séance du 10 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Louis ORENGA Le centre d'information des viandes - CIV - est une association type loi de 1901 qui a été créée par le président Marcel Bruel à la fin de 1987, à l'initiative de l'interprofession INTERBEV interprofession du bétail et des viandes, avec le soutien et le concours de l'OFIVAL. L'objectif du Centre d'information des viandes est, comme son nom l'indique, de diffuser une information auprès de toute personne extérieure à la filière bovine et ovine, principalement du secteur médical, de la presse, des associations de consommateurs et des enseignants. Le CIV n'a pas pour mission de créer de l'information. En effet, si le centre d'information des viandes créait sa propre information, il serait peu crédible. Son objectif est simplement de diffuser une information qui existe par ailleurs dans des organismes tiers, comme l'INSEE dans le domaine économique. Il peut diffuser également des études nutritionnelles faites par la société scientifique d'hygiène alimentaire. Le CIV publie toujours ses informations en citant ses sources. Toutefois, entre l'information de base et sa présentation, il peut y avoir des problèmes car l'organisation du CIV est un peu particulière. Si son conseil d'administration est composé à la fois de membres de l'interprofession et de l'OFIVAL, ses actions sont soumises en fait à deux conseils constitués en son sein mais composés de personnes extérieures. D'abord, un conseil scientifique, composé de personnalités scientifiques dont vous trouverez une liste dans le dossier qu'on vous a préparé. Ensuite, un conseil consommateurs dans lequel siègent les associations de consommateurs qui ont bien voulu en 1988 participer à sa création. 80 % d'entre elles s'occupent d'alimentation. Elles siégeaient d'ailleurs déjà dans d'autres instances comme le conseil national de l'alimentation ou le conseil de direction de l'OFIVAL. Le CIV est une petite structure puisque son personnel se compose au total de sept personnes. Il tente depuis fin 1988 et plus encore depuis le mois de mars dernier, de répondre aux nombreuses questions qui se posent sur la viande à l'extérieur de la filière. Les premières actions du CIV ont consisté à rétablir, à la demande de scientifiques et de professionnels, les chiffres réels de consommation de viande bovine et ovine en France. Les statistiques de consommation étaient publiés en tonnes équivalent carcasses et non pas en chiffres réels. Ceci avait conduit les spécialistes de la nutrition à surestimer de plus de 30 % la consommation réelle. Ensuite, le CIV s'est chargé de refaire toutes les analyses de composition nutritionnelle des produits. Jusque là, on estimait les taux de matières grasses de la viande bovine à environ 30 %. Nous avons donc demandé à la société scientifique d'hygiène alimentaire et au centre de nutrition Foch de bien vouloir refaire la plupart des analyses sur la composition des produits afin de rétablir l'information exacte. Enfin, la grande action conduite par le CIV depuis le début des années 1990 a été de s'engager dans la stratégie de l'identification des produits. Il a mené une grande campagne d'information dans les médias en 1992-1993. La campagne s'intitulait Plus on en sait, mieux c'est ». Avec l'appui des professionnels et de l'interprofession, le CIV a tout mis en oeuvre pour développer en France l'identification des produits , notamment à travers des marques collectives interprofessionnelles. L'une des fonctions du CIV est également de connaître les attentes des consommateurs en matière de viande bovine et ovine et de leurs abats. Il est évident, et nous l'avons mis en lumière dès 1990, que le maintien des parts de marché du secteur de la viande ne pourra en aucun cas se faire sans une plus grande transparence et une meilleure identification des produits. Il était donc tout naturel de mettre en place des actions afin de développer cette identification. De même, depuis le début des années 1990, nous essayons d'expliquer, tant au niveau national que communautaire, qu'il est tout à fait inconcevable de ne pas indiquer au consommateur l'origine d'un produit frais. Pour les nouvelles marques, notre stratégie était, chaque fois que c'était possible, de mettre en avant l'origine du produit. Certains considéraient que c'était une entrave aux échanges plutôt qu'une réelle information du consommateur. Nous avons toujours considéré que, dès lors que la mention de cette origine était obligatoire pour d'autres produits frais, comme les fruits et légumes, cela ne pouvait pas constituer une entrave aux échanges. Ces dernières années, notre budget était d'environ 9 ou 10 millions de francs. L'information du consommateur sur la viande fraîche représente environ 30 ou 35 centimes par an et par habitant. En comparaison, elle représente 18 francs par an et par habitant pour les produits laitiers. Par ailleurs, près de 70 % de l'information aux consommateurs est issue de communications collectives, contrairement aux autres secteurs de l'agro-alimentaire où 80 à 90 % de la communication provient des opérateurs privés. C'est dans ce cadre que nous est arrivée la crise de l'ESB. Les premières demandes d'informations sont apparues en 1994 à la suite du problème révélé par l'Allemagne. Nous nous sommes tournés vers notre conseil scientifique et notre premier dossier d'information est sorti en mai 1994. C'est surtout à partir du mois de mars dernier qu'une très forte demande d'informations émanant du public, de la presse et des associations de consommateurs s'est fait jour. Notre conseil consommateurs leur a aussitôt fait connaître de toutes les informations dont nous disposions. Je ne vous cacherai pas les difficultés que nous avons rencontrées pour gérer cette masse d'informations, parfois contradictoires, mais surtout pour obtenir une information objective, notamment vis-à-vis de la presse. Il est faux de prétendre que la presse n'était pas informée. Pour notre part, nous lui avons toujours révélé nos informations. Ce sont plus les titres des articles - que ce soit dans la presse écrite ou audiovisuelle - que les articles eux-mêmes qui ont posé des problèmes, ces derniers reflétant en général les doutes que nous pouvions avoir. Je pourrais donner beaucoup d'exemples du décalage entre les titres accrocheurs et le sérieux du contenu des articles. Nous avons donné plus de 300 interviews à des journalistes. C'est vous dire, étant donné notre petit nombre, l'activité que nous avons déployée. Par ailleurs, comme nous étions dans l'incapacité de répondre à tous les appels du grand public, nous avons très rapidement mis en place un téléphone vert de manière à donner suite aux principales questions. De même, nous avons édité un dossier de synthèse sur ce l'ESB pour donner à tous les interlocuteurs et, notamment au secteur médical, les éléments d'information dont nous disposions. Les médecins nous appelaient en nous disant Nous n'avons aucune information sur l'ESB. Nos patients nous posent des questions. Nous ne savons pas très bien ce qu'est cette maladie ». Donc, sous le couvert de notre conseil scientifique et avec les contacts que nous avions établis avec les personnes en charge de ce dossier, nous avons essayé de faire notre part de travail d'information. Nous avons également mis en place l'information sur le sigle Viande Bovine Française qui avait été décidé par l'interprofession avec l'appui du ministère de l'agriculture. Aujourd'hui, nous estimons que la baisse de consommation liée à l'ESB - que l'on chiffre à 18 % pour la viande rouge -a été moins forte en France que dans d'autres pays. Cela est certainement dû à la politique d'identification qui avait été mise en place depuis plusieurs années, au renforcement de celle-ci avec Viande Bovine Française, ainsi qu'aux démarches de qualité - encore trop peu nombreuses - existant dans le secteur de la viande. Nous avons eu énormément de difficultés à faire comprendre la différence qui existait entre, d'un côté, des baisses d'activité des opérateurs, dues notamment à un certain moment à l'arrêt quasi complet de nos échanges et, de l'autre côté, des baisses de consommation. Une autre difficulté a été que cette crise est arrivée à un moment où, structurellement, la consommation de viande bovine baisse, car au mois d'avril, il y a généralement un report de la consommation sur le secteur ovin. Nous avons donc dû faire la part entre la baisse de consommation liée à la crise de l'ESB et celle qui est structurelle à ce moment de l'année. Il n'en reste pas moins vrai que cette diminution de consommation a été catastrophique pour les opérateurs à tous les échelons de la filière. Etant donné les marges pratiquées dans le secteur, il est évident qu'une baisse de 18 % de la consommation a créé une crise économique profonde. Quelle analyse faisons-nous au CIV sur les perspectives d'avenir ? Dès le départ, nous avons estimé qu'il s'agissait d'une crise non pas conjoncturelle mais structurelle. Elle ne touchera pas seulement la viande, elle remettra en cause, à notre avis, un certain nombre de comportements des consommateurs dans l'alimentation en général. La première étude que nous avions faite montrait que 80 % des consommateurs étaient très inquiets et souhaitaient diminuer, voire arrêter la consommation de viande. Mais dans l'hypothèse où l'origine de la viande serait mentionnée et où la filière s'orienterait vers des stratégies de qualité, seulement 15 % des consommateurs se disaient prêts à persister dans ce type de comportement. Il se trouve que dans les faits la baisse de consommation liée à l'ESB est de l'ordre de 18 %. Est-ce le hasard ? Il se trouve en tout cas que le comportement réel des consommateurs traduit par leurs achats est assez proche de celui qu'ils avaient déclaré avoir l'intention d'adopter. De même, ils avaient déclaré assez rapidement vouloir s'abstenir de consommer les abats et malheureusement, ils ont fait ce qu'ils avaient dit. Dans ce domaine, l'information a été encore plus difficile que pour la viande rouge car il y avait une confusion totale de l'ensemble des abats, les abats spécifiés, la nomenclature des abats des différentes catégories. Malgré tout ce que nous avons essayé de faire pour clarifier les choses, j'ai encore entendu la semaine dernière des personnes dire que tous les abats étaient interdits à la consommation. Je citerai un exemple pour vous montrer la complexité de la chose. La confédération nationale de la triperie française nous avait demandé de faire une information plus pointue. Mais certains supports ont refusé la communication estimant qu'il n'était pas de bon ton d'informer sur les abats pendant la crise. Ils avaient peur des réactions de leurs auditeurs et lecteurs. Quelle structure de la consommation voyons-nous dans l'avenir ? Vous savez que nous connaissions déjà, malheureusement, une baisse structurelle de la consommation d'un point, un point et demi tous les ans, jusqu'à 3 ou 4 % certaines années. Je pense qu'avec la crise, nous avons anticipé une chute de consommation d'au minimum 5 % que nous n'arriverons pas à récupérer à court ou à moyen terme. On estime même très probable à moyen terme une baisse de la consommation de l'ordre de 10 %. Et si nous ne parvenons pas à rassurer le consommateur par une réelle politique d'information et de communication qui pèche toujours par un manque d'ambition et de moyens, on peut craindre que cette baisse de consommation ne se stabilise autour de - 18, voire - 20 % en fonction des découvertes scientifiques ou des déclarations qui pourraient être faites dans l'avenir. Nous avons dit aux professionnels que les consommateurs ne pourront avoir à nouveau confiance dans l'ensemble des produits carnés si, premièrement, ils ne bénéficient pas d'une information tout à fait transparente et objective sur l'état des connaissances et leur progression et, deuxièmement, si la filière et les pouvoirs publics nationaux et communautaires n'ont pas réellement la volonté d'accepter une plus grande transparence et une meilleure information sur les différents types de produits. Les études que nous avons montrent que 65 % des consommateurs sont tout à fait satisfaits de la mention d'origine Viande Bovine Française et ne veulent en aucun cas la voir supprimée. On sait également qu'une partie des consommateurs estiment anormal qu'il n'existe pas un sigle désignant les viandes de qualité qui s'inscrivent dans une démarche qualitative faisant l'objet de cahiers des charges. Je terminerai mon exposé en disant que nous préparons pour la fin de l'année une signature collective qui s'appliquera à l'ensemble des démarches des producteurs de viandes qui, d'une part, se baseront sur des cahiers des charges qualitatifs et qui, d'autre part, seront contrôlés par des organismes tiers. Nous sommes obligés de créer un sigle fédérateur parce que chaque marque qui entre dans cette démarche de certification représente sur le marché national des quantités faibles puisque ce sont souvent des productions artisanales. Même le label rouge ne représente que 1 à 2 % du marché total de la viande rouge. Toutes ces démarches d'identification ne sont viables sur le long terme que s'il y a des procédures de contrôle nombreuses et fiables à la fois par les pouvoirs et par des organismes tiers. Nous faisons déjà appel à certains d'entre eux dans le cadre des marques collectives interprofessionnelles. Voilà ce que je souhaitais dire en présentation générale. Mme le Président Je vous remercie, monsieur le directeur. La baisse prévisible à court et moyen terme de 10 % concerne-t-elle uniquement la viande bovine ou bien toutes les viandes ? M. Louis ORENGA La viande bovine. Mme le Président Quel pourcentage représente la viande sous signe de qualité dans le marché ? M. Louis ORENGA Il n'est à mon avis pas assez important. Il est difficile à estimer étant donné qu'il s'agit souvent de démarches partenariales que l'on a du mal à suivre au niveau national. L'ensemble des viandes bovines vendues sur la base d'un cahier des charges qualitatif, sans forcément recourir à des marques collectives de certification, sont estimées représenter aujourd'hui 10 ou 15 %. Mme le Président Pensez-vous que le consommateur souhaite plutôt des labels de qualité ou des certificats d'origine, sachant que les deux ne sont pas forcément liés ? M. Louis ORENGA Nous avons encore fait une étude il y a quinze jours sur ce sujet 90 % des consommateurs français estiment que ne pas connaître l'origine de la viande est une anomalie. Le débat sur l'origine, de mon point de vue, ne devrait même plus avoir lieu. C'est une exigence minimale. Et, comme vous le dites avec raison, cela n'a rien à voir avec les démarches de qualité. L'indication de l'origine est une condition, pas suffisante, mais nécessaire. Car si cette mention ne figure pas, le consommateur n'aura confiance dans rien d'autre. Par ailleurs, existe une demande de labels de qualité. Environ 20 % des consommateurs estiment tout à fait anormal de ne pas avoir dans ce secteur de signes de qualité comme ils en trouvent dans d'autres, tels la volaille ou le vin. J'attire également votre attention sur le fait que l'absence de toute indication empêche toute possiblité de contrôle. Nous pensons donc que le développement de l'information et de l'identification aide aussi à améliorer les contrôles et, ainsi, la transparence puisque, à partir du moment où un opérateur mentionne un certain nombre d'indications, il va être contrôlé sur ses dires. A la fin du mois de juin, nous avons lu dans la presse, avec un peu de mauvaise humeur, je l'avoue, des articles qui montaient en épingle telle ou telle personne qui avait triché sur tel ou tel identifiant. Il est exact que les contrôles révèlent des fraudes, même si le nombre de celles-ci est très minime. Cela justifie d'ailleurs les contrôles. J'ai demandé à la presse Que voulez-vous ? Qu'il n'y ait pas de contrôle pour pouvoir dire qu'il n'y a pas de fraude ? » A partir du moment où on a une démarche volontariste qui va à l'encontre des habitudes, il y a toujours des risques de fraude. Donc, il faut des contrôles. Ils sont importants. Mais l'existence de fraudes ne peut en aucun cas remettre en cause l'identification du produit et l'information du consommateur. Comme je l'ai dit à d'autres occasions, parmi ceux qui essayent de mettre en avant ces fraudes, certains n'ont absolument pas intérêt à ce que cette transparence et cette clarification du marché se fasse. Ils utilisent pour cela tous les artifices, y compris juridiques, puisque nous avons même été assignés en référé devant le tribunal de grande instance de Paris à propos de l'indication d'origine. Ce sont là des démarches d'arrière-garde. En tous les cas, nous avons conseillé aux professionnels de ne pas en tenir compte et de continuer dans la voie de l'identification. Mme le Président Je voudrais revenir sur les contrôles. Vous disiez que pour regagner la confiance des consommateurs et relancer la consommation, il faudrait qu'il y ait des contrôles plus importants. Que voulez-vous dire par là ? Qu'ils ne sont pas suffisants, qu'ils sont mal organisés, mal structurés ? M. Louis ORENGA Non, ce que l'on craint, c'est qu'ils se relâchent ! Mme le Président Une fois la crise passée ? M. Louis ORENGA Voilà. Je crois que tout le monde a fait un effort très important. Je connais peu d'identifiants collectifs ou privés qui aient fait l'objet de tant de sollicitude » de la part du service de la répression des fraudes et qui aient subi autant de contrôles en quelques mois. La société générale de surveillance en est à 1 500 contrôles. Et nous recommandons que les contrôles par des organismes tiers soient renforcés. Il faut que les contrôles se maintiennent sur toutes les démarches d'identification. La filière ne peut pas se permettre un relâchement à ce niveau, car il peut toujours arriver que certains utilisent de manière opportuniste une diminution des contrôles pour relancer des falsifications ou des fraudes. Pour rassurer le consommateur, il y a donc trois choses importantes l'identification, le développement de l'information et de la communication, le maintien et le renforcement des contrôles. Si l'une des trois pèche, tout ce qui a été fait jusqu'à maintenant n'aura servi à rien. Ce sont des stratégies à long terme. L'un des côtés positifs » de cette crise est que nous avons peut-être gagné plusieurs années dans la mise en place de l'identification et de l'information du consommateur. A long terme, ceci permettra peut-être une consolidation de la consommation de viande bovine qui se révélera moins mauvaise finalement que cette tendance à la diminution régulière d'environ 2 % par an que nous connaissions jusqu'alors, qui était presque indolore mais, à terme, serait devenue dramatique. Mme le Président La filière connaît une crise dramatique, sans précédent. Pensez-vous que l'on puisse mettre sur le même plan tous ses maillons ? Au départ, il y a l'éleveur qui subit un préjudice substantiel. A l'arrivée, il y a le boucher dont les prix ne baissent pas à l'étal, ce qui choque très souvent le consommateur. N'y a-t-il pas entre les deux des pratiques où le bât blesse ? M. Louis ORENGA Oui. Depuis quinze jours nous sommes souvent interrogés par la presse sur les différences de prix dans les élevages et dans les points de vente. Tout le monde est très touché par la crise mais elle n'a pas pour tout le monde les mêmes conséquences. Elles sont en particulier beaucoup plus importantes pour tous ceux qui ne vivent que du produit de la viande bovine que pour ceux qui peuvent se rattraper sur d'autres produits. Il est facile d'attaquer les grandes surfaces elles subissent une baisse de chiffre d'affaires importante, même si cela ne remet pas en cause l'activité des points de vente ou des centrales. Pour ce qui est des pratiques, je ne crois pas qu'on puisse les lier directement à l'ESB. Les filières des produits frais sont toujours longues. Je m'interroge depuis longtemps sur l'idée couramment admise selon laquelle il suffit de supprimer certains maillons pour que cela aille mieux. Je pense qu'il faut plutôt rationaliser chaque échelon. J'ai le sentiment, pour avoir travaillé dans d'autres secteurs des produits frais, que chaque fois que l'on supprime des échelons, on met en danger à terme le niveau qualitatif du produit concerné. En outre, d'après ce que je connais de la filière viande, je ne vois pas d'échelon susceptible d'être remis en cause. Mais il y a certainement à rationaliser à chaque stade de la filière. Il peut y avoir trop d'intervenants, il peut y avoir des pratiques insuffisamment transparentes. Là encore, je crois que l'identification va obliger les opérateurs à entrer dans des procédures de traçabilité et à modifier leurs pratiques entre eux. Personnellement, je considère - tout le monde ne partage pas forcément cet avis - que la consommation ne pourra se maintenir que si se maintient le poids respectif du commerce artisanal et des grandes surfaces. La part de marché des produits frais et de la viande rouge en l'occurrence ne se maintiendra pas si l'ensemble de la filière des produits frais ne se maintient pas. Voilà ce que je peux répondre concernant les opérateurs. M. le Rapporteur Monsieur le directeur, vous avez fait état d'un budget de 10 millions de francs. D'où vient ce financement ? M. Louis ORENGA Le financement est à 90 % interprofessionnel - provenant donc de cotisations volontaires obligatoires prélevées par l'interprofession - et pour environ 10 % de programmes d'action qui sont, à la demande de l'OFIVAL, complétés par un financement de cet organisme. M. le Rapporteur Vous sentez-vous tout à fait à l'aise dans ce rôle difficile où vous êtes à la fois juge et partie ? Vous dépendez d'une profession et vous avez à informer sur les produits de cette profession. Il est évident que vous devez parfois être gêné. Etes-vous véritablement libre de dire et de communiquer le fond de votre pensée ? Par ailleurs, vous êtes le directeur du centre d'information des viandes, au pluriel. Or, tout au long de votre propos, vous n'avez parlé que de la viande bovine. Pensez-vous que c'est un créneau sur lequel il faut absolument s'accrocher et essayer de freiner la chute de la consommation ? N'y a-t-il pas tout simplement un nouvel équilibre qui se met en place un peu moins de viande rouge, et notamment de viande bovine, un peu plus de viande blanche ? Les documents que vous nous avez apportés ne sont probablement pas exhaustifs. Je suis quand même choqué par le titre Valeur nutritionnelle des viandes », qui donne l'impression qu'il concerne toutes les viandes alors qu'il ne mentionne que le boeuf, le veau, l'agneau et les abats et ne parle pas du porc ni de la volaille. Ne vous centrez-vous pas de façon préférentielle sur vos plus gros financeurs, si je puis dire ? N'êtes-vous pas plutôt le centre d'information des viandes bovines ? Ma question est volontairement provocatrice. Ma dernière question concerne votre très belle plaquette Le point de vue sur l'encéphalopathie spongiforme bovine ou ESB ». Je me dois de souligner que c'est le centre d'information des viandes qui a élaboré un document à l'intention des médecins et que c'est probablement l'un des mieux réalisés que je connaisse. Permettez-moi cependant de vous faire un reproche il n'est pas daté. C'est grave parce que l'évolution des connaissances dans ce domaine va très vite. En tout cas, il est de qualité compte tenu de la période où il a été édité, c'est-à-dire, je présume, aux alentours d'avril ? M. Louis ORENGA C'était mi-mai. Il a été écrit fin avril. M. le Rapporteur D'après les recoupements scientifiques que j'ai pu faire, j'ai pu le situer mais ce n'est pas évident. M. Louis ORENGA Ce document a été écrit fin avril et publié à la mi-mai. Il va être mis à jour et le nouvelle édition sera datée. Le président Bruel m'a demandé de rendre le CIV opérationnel. J'ai demandé à pouvoir disposer d'un conseil scientifique et d'un conseil consommateurs, afin d'être tout à fait libre. Parfois, cela a joué à court terme contre l'intérêt des professionnels. J'ai toujours affirmé que lorsqu'une marque commerciale commettait une erreur, il convenait de l'arrêter et d'en lancer une autre. Car il ne faut pas donner de fausses informations sur un produit sinon, trois mois après, plus personne ne va l'acheter. Les questions qui se posaient à l'époque étaient fallait-il ou non créer un centre d'information général ? Par qui serait-il financé ? Aujourd'hui, il faut rappeler à l'interprofession de ne pas se cacher derrière un centre d'informations général. Si l'on est du secteur de la viande, il faut reconnaître que c'est le centre d'information des viandes. Si nous fournissons de fausses informations, dans six mois, nous n'existerons plus. Il m'est arrivé une fois d'être en conflit avec les professionnels mais ils ont vite compris quel était leur intérêt. S'ils nous font dire des choses fausses, c'est qu'ils auront pris la décision d'arrêter l'activité du CIV, pour la raison simple qu'il ne sera plus crédible. De plus, dans les quinze jours, le conseil scientifique et le conseil consommateurs donneront leur démission. Jusqu'à maintenant, je n'ai jamais rencontré ce genre de problème. Au contraire, nous avons été souvent amenés à faire prendre aux professionnels des décisions dont je pense modestement qu'elles n'auraient sans doute pas été prises si le CIV n'avait pas existé. Sur les grandes orientations de fond des cinq dernières années, les professionnels se sont aperçus que nos prévisions se réalisaient. Actuellement, je ne les vois pas essayer de nous faire dire des choses qui seraient démenties quelque temps après. Sinon autant supprimer le CIV qui n'aurait plus lieu d'être. Nous parlons surtout du secteur des viandes bovines et ovines parce que nos financements viennent de la seule interprofession de produits carnés qui se soit associée, INTERBEV. Malheureusement, il n'y a pas d'interprofession pour le porc, même si certains l'appellent de leurs voeux. Mais jusqu'à maintenant, cela ne s'est pas fait. Il n'en existe pas non plus pour la volaille, sauf pour la dinde. Nous n'avons donc pas de moyens financiers pour éditer des documents sur ces secteurs. En revanche, nous répondons à toutes les demandes d'informations. Heureusement, il existe pour le secteur de la charcuterie un centre d'informations, le CIC, avec lequel nous sommes en relation et auquel nous renvoyons parfois les questions trop précises qui sortent de notre champ de compétences. Parmi tous les produits carnés, c'est sur la viande bovine qu'existe la plus grande distorsion entre la réalité du produit et la connaissance qu'en a le consommateur. Ce n'est pas le cas pour les viandes blanches, sur lesquelles a été développée une information nutritionnelle. L'objectif du CIV n'est pas d'orienter la consommation, mais de donner au consommateur les moyens de décider en connaissance de cause ce qu'il veut consommer. Une étude a été réalisée sur des étudiantes en médecine. Il en ressortait qu'elles ne mangeaient pas de viande parce qu'elles pensaient que cela les faisait grossir et qu'à la place, elles mangeaient un pain au chocolat ! Cette attitude procède d'un manque total d'information. Nous avons par ailleurs essayé d'expliquer les niveaux réels de consommation, en les distinguant de la notion de tonnes équivalent carcasses, sur laquelle sont fondées les statistiques ; mais personne n'a jamais consommé des tonnes équivalent carcasses ! On a également étudié les valeurs nutritionnelles de la viande bovine. On a constaté que la moyenne de ses matières grasses s'élevait à 8 %, un rumsteck ou un filet n'en contenant que 3 à 4 %. Personne ne le croyait. J'ai suggéré de faire faire des contre-analyses et nous sommes tous arrivés aux mêmes chiffres. Ma carrière professionnelle s'est déroulée dans différents secteurs alimentaires. Je n'ai jamais vu , dans aucun autre, une telle distorsion entre la réalité du produit et la perception qu'en avait le consommateur. Il est clair que la filière viande a été la dernière à constituer des systèmes d'information. Il nous faut maintenant entrer de plain-pied dans le nouveau siècle avec une véritable information à donner aux consommateurs. Nous l'indiquons clairement aux professionnels si nous ne le faisons pas, la part de marché de la viande bovine n'a aucune chance de se maintenir. Trop d'informations erronées circulent sur ce produit. Le consommateur dispose d'un grand choix et s'il n'a pas la bonne information, il se reportera sur d'autres produits qui risquent d'ailleurs d'avoir moins d'avantages. Les viandes bovines et ovines présentent des caractéristiques qui devraient normalement leur permettre de répondre à toutes les attentes du consommateur. Si le consommateur ne le pense pas, c'est qu'il y a une carence dans l'information. Mme Ségolène ROYAL Monsieur le directeur, vous venez de déclarer que la filière bovine avait été la dernière à organiser l'information. Malheureusement, cela continue. Malgré la crise, nous sommes obligés de constater les difficultés que nous rencontrons encore aujourd'hui pour obtenir la mise en place des procédures d'information sur l'origine de la viande et de son étiquetage s'accélère. C'est la raison pour laquelle il est très important pour nous de savoir où il y a eu les blocages. Cela fait quinze ans que les consommateurs, ainsi que de nombreux parlementaires, demandent l'étiquetage sur l'origine de la viande. Pour ma part, cela fait plus de huit ans que je pose des questions sur ce sujet à tous les gouvernements quels qu'ils soient. Nous n'avons jamais obtenu la moindre réponse sur les différents blocages qui empêchent l'identification de l'origine de la viande. On nous a d'abord dit que ce n'était pas du tout comme pour les fruits et légumes. J'ai donc été très intéressée par votre comparaison. Il est très important pour comprendre et lever les actuels blocages de savoir qui s'est opposé à la transparence et à l'identification du marché. S'agit-il de ceux qui vous financent, de ceux qui font les achats de viande, des grandes surfaces, des abattoirs ou de certaines régions productrices ? Vous avez avancé un argument que j'entends pour la première fois et que je trouve très intéressant celui de l'entrave aux échanges. Je pense en effet que c'est probablement la raison de ces différents blocages. L'objection vient-elle des échanges au niveau du consommateur, des grandes surfaces, des échanges internationaux, des échanges entre régions ou est-ce les coûts supplémentaires que cela entraîne sur les abattoirs ? Pouvez-vous fournir à la mission des traces écrites des objections qui vous ont été opposées dans votre effort pour améliorer la transparence et l'identification sur le marché de la viande ? Car je partage votre crainte que dès que la crise s'atténuera, les contrôles se relâchent. M. Yves VAN HAECKE S'il n'y a pas à la sortie de la crise une obligation d'étiquetage, la crise n'aura servi à rien. Elle n'aura fait qu'entretenir un certain nombre de personnes ou de professionnels qui en vivent fort confortablement depuis des années, dans un esprit de quasi-indifférence ou de quasi-complicité et cela à tous les niveaux. L'une des questions clés en matière d'étiquetage est celle de la compatibilité avec les règles européennes. A mon sens, si le pays de production n'est pas indiqué, on n'aura abouti à rien. La Commission de Bruxelles semble avoir en horreur d'indiquer la provenance de la production. Cela se pratique pourtant depuis quinze ans pour l'étiquetage viticole et plus encore pour les fruits et légumes. Mais pour la viande, rien n'a été fait. Pensez-vous qu'il existe une chance d'obtenir gain de cause sur l'étiquetage dans les discussions communautaires ? M. Patrick HOGUET De nombreux autres organismes que le vôtre réfléchissent également à des systèmes d'identification. La multiplicité de ces réflexions ne doit pas déboucher sur des dispositifs trop complexes voire contradictoires. J'aimerais savoir comment vous allez procéder pour y arriver. D'autre part, avec qui travaillez-vous ? Vous avez fait état du caractère interprofessionnel de votre organisme. Jusqu'où va-t-il ? Va-t-il jusqu'à la grande distribution, et celle-ci se prête-t-elle à ce genre d'approche ? M. Louis ORENGA La faute de l'absence d'information incombe un peu à tout le monde, même aux consommateurs. En effet, lorsque ceux-ci se plaignent de ne pas trouver d'information dans tel ou tel magasin, je leur conseille de ne pas y retourner. Notre système économique est tel que la non information n'est pas sanctionnée. Nous avons essayé de persuader le maximum de points de vente de fournir l'information afin que le consommateur trouve sur place ce qu'il recherche. Je pense que la consommation de viande en cette période de crise ne diminue pas suffisamment pour entraîner une réaction économique massive qui aurait permis de modifier les conditions du marché. La responsabilité est donc partagée et chacun trouvait une bonne raison pour expliquer qu'il n'était pas fondamental d'améliorer l'identification du produit. Au niveau européen, chaque fois qu'une tentative était engagée pour indiquer l'origine, une commission d'enquête était aussitôt créée pour démontrer que tout cela n'était fait que dans le seul but de protéger notre marché contre les importations. Par ailleurs, il faut reconnaître qu'il est plus difficile d'indiquer l'origine de la viande que celle des fruits et légumes. La viande est un produit frais qui, contrairement à tous les autres produits alimentaires, est transformé pour 70 % dans le point de vente lui-même. Pour que le système d'information aux consommateurs soit fiable. Il faut contrôler chaque point de vente et vérifier les mentions sur les barquettes. Bien sûr, cela n'explique pas que l'on ne soit pas allé plus vite dans l'identification. Mais cela justifie qu'on ne puisse du jour au lendemain répondre complètement à toutes les demandes d'information émanant des associations de consommateurs. J'appelle donc l'attention des associations de consommateurs sur le fait qu'il vaut mieux ne pas donner une information qui ne serait pas fiable et faire attendre le consommateur pendant un certain temps plutôt que de la fournir rapidement sans avoir pu la contrôler. Le CNC réfléchit actuellement sur l'étiquetage le plus adéquat pour déterminer les informations à rendre obligatoires en viande. Le critère le plus important reste la possiblité d'opérer des contrôles à tous les stades de la filière. Et ceci est beaucoup plus difficile à réaliser en viande bovine et ovine que dans d'autres secteurs car le produit est la plupart du temps transformé dans le point de vente. Actuellement, j'essaie de faire avancer une proposition sur un sigle fédérateur pour éviter la multiplicité des communications sur des sigles très différents. Il faudrait avoir des marques et des partenariats de filières entre éleveurs, entreprises et distributeurs. Pourquoi pas une marque spécifique ? On dit souvent que la boucherie artisanale n'accepterait pas les mêmes marques qu'en grandes surfaces. C'est vrai et les bouchers ont raison mais ce n'est pas spécifique au commerce artisanal. Pourquoi ne pas avoir des marques dotées d'une protection commerciale ? Bien sûr le risque existe de voir se développer une multitude de marques qui donnerait lieu à une communication pas très coordonnée. Le consommateur risquerait d'en pâtir. Nous serions donc partisan d'un signe fédérateur pour toutes ces initiatives, qui concernerait également des marques collectives ou des marques d'entreprises responsables du produit et du prix. Ainsi, le consommateur aurait l'avantage de bénéficier d'une marque de référence qui constituerait une sorte de cahier des charges qualitatif toujours susceptible d'être contrôlé par un organisme tiers indépendant. Cette idée est prioritaire dans le marché d'aujourd'hui. Mais toute initiative collective ou publique a un coût. S'il n'y a pas d'argent pour informer le consommateur, j'ai tendance à conseiller aux producteurs qui voudraient prendre des initiatives de ne pas s'engager. Car le jour où les aides s'arrêtent, il n'y a pas de marché derrière parce qu'on ne l'a pas créé. Lorsqu'on a la volonté d'améliorer la qualité d'une filière en viande ou en produits frais, il faut avoir prévu le processus d'information au consommateur pour que le marché qualitatif existe vraiment. Sinon, on prend le risque de créer des contraintes supplémentaires pour la filière et de donner des arguments à la distribution pour qu'elle obtienne plus d'avantages. De nombreuses réunions ont lieu à ce sujet au CIV, rassemblant tous les partenaires, de l'éleveur au distributeur, en passant par les grandes surfaces et la boucherie artisanale. Nous essayons toujours de démontrer que le problème de la viande aujourd'hui va bien au-delà de la compétition entre les grandes surfaces et la boucherie artisanale. Si celle-ci continue à perdre des parts de marché à la vitesse à laquelle elle les perd, les grandes surfaces en perdront également. Et cela n'est bon pour personne. Mme le Président Monsieur le directeur, nous vous remercions de vos propos qui nous ont beaucoup intéressés et nous ont éclairés sur le circuit de la viande. Audition de M. Patrick LAGADEC, chercheur à l'école Polytechnique extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 10 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Patrick LAGADEC Je suis chercheur à l'Ecole Polytechnique et je travaille depuis 1977 sur les risques technologiques majeurs. Ce sont les grands accidents posant des problèmes stratégiques et politiques assez considérables, qu'il s'agisse de Seveso, de Bhopal, de Tchernobyl, etc. Je me suis spécialisé dans les problèmes de crise accidentelle, mais aussi de crise sociale, et je me suis intéressé à des événements comme le récent détournement d'un Airbus ainsi qu'aux victimes d'attentats. C'est dire que je ne suis pas un spécialiste des bovins et je n'ai pas suivi le dossier de l'intérieur. Ce que je peux faire ici, c'est réfléchir avec vous, à partir de l'expérience que je peux avoir d'autres crises, et essayer de faire en sorte que nous nous posions des questions sur le dossier qui nous occupe aujourd'hui. Je le ferai à grands coups de serpe » puisque le temps ne nous permet pas d'aller vraiment dans les détails et de développer une maïeutique très souple au point de vue pédagogique. J'irai donc directement à ce que je crois être l'essentiel. Si j'avais un message central à délivrer, ce serait que nos sociétés ne sont pas prêtes à affronter de type de crises, qu'il y a urgence à les préparer, parce que quand ce type de crise arrive, les mêmes types de pathologies surgissent, les mêmes paralysies se développent, quel que soit le type de crise. Je vais m'efforcer de dégager le diagnostic que l'on peut poser sur ce type de problèmes. Un mot sur la différence entre urgence et crise. Nos sociétés sont très bien équipées pour traiter les urgences. Un plan rouge» à Paris, on sait faire. Une urgence est un événement connu, répertorié, de durée limitée, pour lequel on dispose de procédures codifiées ; des experts savent intervenir. On sait que c'est gérable. L'ensemble s'insère dans une structure d'autorité simple, reconnue et chacun sait qui joue avec qui ». Les crises ont des caractéristiques diamétralement opposées c'est-à-dire que l'on est confronté à des problèmes quantitatifs qui débordent complètement ce que l'on sait faire d'habitude, des problèmes qualitatifs majeurs avec énormément d'incertitudes -l'expert ne pourra pas être en mesure de donner des réponses dans le temps de la décision-, une convergence tout à fait stupéfiante d'acteurs -des dizaines d'acteurs qui vont intervenir dans le champ traité et non plus quelques-uns comme dans le cas de l'urgence-, une mise en résonance médiatique instantanée, une très longue durée de ces phénomènes et évidemment des enjeux considérables qui débordent largement le petit domaine initial dans lequel est apparue la crise. Donc, la crise, ce n'est pas vite, agissons». Cela va poser un problème de déstabilisation. On veut bien agir vite, mais on ne sait plus avec qui, comment, sur la base de quelle légitimité, à partir de quelles valeurs, dans quel cadre. Il va falloir reconstruire de la rationalité et des capacités d'action pour ce genre de situation. C'est la différence entre l'urgence et la crise. Lorsque ceci arrive dans un organisme non préparé, ou pire, dans un réseau non préparé, des pathologies se mettent en place immédiatement et généralement, quand aucune mesure n'a été anticipée, les conditions seront favorables à son développement. Le terrain » est caractérisé par les éléments suivants - pas d'interrogation collective préalable sur les grandes vulnérabilités ; - pas de partage des questions quand des questions apparaissent, chacun les garde pour soi ; - pas de réflexion sur les signaux faibles » qui demanderaient une action rapide ; - pas de mécanisme de vigilance transverse ; - pas d'entraînement collectif pour le cas où la crise éclaterait réellement ; - et solide défiance vis-à-vis de l'extérieur, du public, des victimes et des médias. Quand on a ce type de terrain », on est sûr que la moindre crise pourra se développer à très grande vitesse. Deuxième type de pathologies qui interviennent lors de l'émergence immédiate de la crise quelque chose se produit, qui sort de l'épure habituelle. Immédiatement, quatre réflexions surgissent, en raison de notre culture, présente dans l'esprit de chaque responsable, sauf s'il est bien entraîné. Première réflexion Ce n'est pas nous. C'est à côté ». Comme la crise est transverse, cela ne marchera pas. Deuxième réflexion Si c'était grave, cela se saurait.». Troisième réflexion Cela n'est pas encore prouvé». Quatrième réflexion Surtout ne disons rien, sinon ce sera la panique.» Vous prenez l'ensemble de ces réflexions, vous les confrontez à notre culture et cela conduira à une situation que j'ai souvent vérifiée, c'est-à-dire que l'information va circuler à trois conditions. Premièrement, j'ai un rapport complet, définitif et sûr de la situation ». Deuxièmement, j'ai pu m'assurer que ni moi, ni mon service ne pouvaient être tenus pour responsables de la situation».Troisièmement, j'ai des éléments pour rassurer mon supérieur et le public ». Quand ces trois conditions sont réunies, l'information circule, mais beaucoup trop tard. Vis-à-vis de l'extérieur, un organisme non préparé aura immédiatement une communication défensive du type Nous ne savons encore rien, mais vous pouvez vous rassurer ce n'est pas grave ». Ce qui va immédiatement être compris, parce qu'on a l'habitude, comme un sauve qui peut ». C'est très grave pour le décideur parce que chacun aura compris que la gestion fondamentale de l'affaire n'est pas sérieuse et cela aura des conséquences sur la conduite ultérieure de la crise. Et même si l'on est là aux tout premiers moments de l'émergence de la crise, la crise a déjà gagné. Au cours de la poursuite du développement de la crise dans les organismes non préparés, on assiste à une usure et à une certaine impuissance. Alors qu'il faudrait se mobiliser en réseaux pour se poser des questions, pour se demander comment on va traiter ensemble cette difficulté, on assiste souvent à une défense jalouse de territoires, à des logiques du tout ou rien, à de l'incohérence, -on fait le contraire de ce qu'on a fait la veille-, à des recherches et à des mises en avant de solutions miracles qui ne tiennent pas, à des tentatives d'imposer des logiques pyramidales dans des réseaux extrêmement ouverts -ce qui ne marche pas-, à des convocations d'experts pour leur demander ce qu'il faut faire et non pas ce que l'on sait. Le mélange des rôles aboutit assez rapidement à la cacophonie. L'on assiste assez souvent à des erreurs majeures en matière de communication externe, comme je l'ai entendu une fois Il y a peut-être des morts, mais ce ne sont que des vieux » ! Cela traduit non pas une volonté, mais un acte manqué consécutif au choix survenu. J'ai entendu aussi Vous êtes peut-être victimes, mais vous allez recevoir un tel pactole... qu'on ne voit pas pourquoi vous vous inquiéteriez ». Autre élément qui fait défaut quand on n'est pas habitué à travailler sur ces domaines les cellules de crise. Comment fonctionnent-elles, comment s'ouvrent-elles les unes aux autres ? Ce sont des réseaux complexes car de nombreuses cellules de crise doivent travailler ensemble. Le schéma est totalement différent d'un système pyramidal simple. Si ces cellules de crise ne sont pas coordonnées avec vigueur, on aboutit rapidement à de la cacophonie et chacun lève les ponts-levis » et se coupe vis-à-vis de l'extérieur. Dans ce cas, la cellule de crise fonctionne sur les quelques données dont elle dispose, en essayant au moins de se protéger elle-même, mais elle ne traite pas la situation. L'obsession va être Vite, trouvons des solutions techniques ». Alors que le véritable enjeu de la crise, c'est de savoir sur quel terrain on se situe, quel est le problème de fond et par quelle procédure on va ensemble conduire et affronter une situation de très longue durée. L'enjeu va se jouer sur des procédures Montrez-moi que vous êtes crédibles et qualifiés sur les procédures et je vous croirai. Ne me vendez pas de solutions miracles tous les deux jours ». Or une cellule non préparée va essayer tous les jours de trouver une solution miracle. Vers la fin de la crise, les cellules vont lâcher prise très rapidement et là, la crise va rebondir. Après la crise, on va succomber au syndrome de l'oubli. Qu'on ne parle plus jamais de l'affaire et au lieu d'en tirer des enseignements, on va oublier et en tirer uniquement de faux enseignements qui seront appliqués lors de la prochaine crise ; et comme on n'aura pas saisi la fin de cette crise, il n'y aura pas de processus de cicatrisation. Il restera un terrain peu propice à un oubli effectif et à une prise en charge. On aura créé un nouveau terrain de crise. Voilà les pathologies classiques d'un organisme non préparé ou de réseaux non préparés puisque aujourd'hui avec les crises actuelles, il faut parler de réseaux et certainement pas d'un organisme particulier. En ce qui concerne le pilotage de l'ESB, il serait important pour notre pays, pour l'Europe, de maîtriser les procédures dans ce type de crise, afin de bénéficier d'un retour d'expérience. Je ne connais pas le cas de l'ESB de l'intérieur. Que peut-on en dire de l'extérieur ? Beaucoup de points positifs peuvent être relevés. Par exemple, une réaction technique rapide de ce côté-ci de la Manche, un ministre français de l'agriculture qui monte en première ligne en matière de communication, des tentatives fortes pour dialoger au niveau européen, des scientifiques rigoureux et une capacité de réflexion insoupçonnée. Mais il faut relever aussi des points faibles majeurs comme l'impréparation des systèmes décisionnels à affronter une telle situation aux premiers temps de la crise et un positionnement étrange car tout est analysé en termes d'agriculture. Si l'objet majeur de cette crise, le coeur de la crise, est la santé publique, il est clair que l'on aura beaucoup de mal à gérer le dossier. Des recherches de solutions miracles ont eu lieu avec l'épisode du slogan vache française». Il a manqué la mise en place, sauf erreur de ma part, de cellules de réflexion stratégique sur la façon dont ce dossier sera conduit dans les dix ans qui viennent, afin de définir aussi quelles étaient les erreurs à éviter dans les deux jours ou dans les trois mois qui viennent. Je me demande où sont conduites les stratégies de l'ensemble des acteurs et s'il existe une réflexion sur ce sujet. Si l'on avait un retour d'expérience véritable sur la période qui a précédé l'éclatement de la crise en 1996, on pourrait se poser les questions suivantes. Quels signaux ont été envoyés aux responsables par les scientifiques ? Quelles ont été les réactions à ces signaux ? Comment a-t-on anticipé le fait que le dossier pourrait sortir» de façon explosive ? Quels acteurs se sont préparés et comment ? Quelles étaient la place et la perception de la santé publique en Europe ? Au moment de l'émergence de la crise, quels ont été les mécanismes du détonateur britannique ? On a l'impression d'un détonateur tout à fait remarquable, il faudrait l'analyser de manière tout à fait précise ; quelle préparation, quels phénomènes connexes ont pu jouer ? Comment cela s'est-il noué ? Quels ingrédients de crise, outre-Manche, ont-ils été posés de façon immédiate et définitive, dès les premiers gestes ? Par exemple, le rappel des scientifiques britanniques en séminaire à Paris était une communication extrêmement forte ; un jeu de Yo-Yo entre le tout détruire» et le rien détruire». J'ai même entendu ceci On va détruire, mais cela n'a aucun fondement scientifique, c'est juste pour rassurer le public ». On le dit, mais on ne sait plus à quoi on joue. De l'extérieur, on se demande de qui l'on se moque. Cela n'a plus de crédibilité et perdre sa crédibilité sur les procédures, c'est perdre la crise. Qu'est-ce qui a été fait du côté britannique, pour que dès le départ, on soit dans l'impasse ? Du côté du continent, il serait intéressant de voir quelles ont été les mesures prises d'urgence. Comment cela s'est-il noué entre les différents responsables ? Qui s'est mobilisé ? Quels leaders se sont affirmés ? Pourquoi, dès le départ, le problème a-t-il été défini comme un problème agricole ? Pourquoi les problèmes de santé publique sont-ils apparus seconds, au moins en apparence ? Au niveau européen, qui a pris le leadership ? Pourquoi a-t-on l'impression que c'est un leadership technique et non politique sur une affaire de cette importance ? Quelles cellules de crise existe-t-il ? Qui réfléchit depuis le printemps ? Quels sont les lieux de suivi stratégique de l'ensemble du problème ? Quelles relations se sont-elles instaurées entre les scientifiques et les politiques ? Comment la dimension médiatique intervient-elle dans le traitement du dossier ? Y a-t-il des recherches de boucs émissaires ? Peut-on comprendre le pilotage de ce dossier ? S'agissant des recommandations, j'en ai peu à faire, car je ne connais pas cette maladie de l'intérieur. Cela dit, il faut créer une structure au niveau européen ou national, comparable à ce qui a été fait pour les problèmes de défense du temps de l'opposition Est-Ouest. C'est-à-dire des capacités de réflexion stratégique pour conduire des dossiers de cette nature. Il faudrait par exemple se poser dès maintenant la question suivante, mais je suis certain que certains se la posent, et vous me pardonnerez son amateurisme Comment piloter le dossier si dans quelques mois, on est toujours dans l'impossibilité de lever l'incertitude sur la gravité de l'affaire ? » Deuxième scénario, on a une convergence d'indicateurs apparemment favorables conduisant à l'impression générale que finalement cela n'était pas si grave que ça. Ou bien des faits majeurs conduiront à devoir considérer l'affaire comme encore plus grave que ce qu'on avait cru. Ces scénarios sont-ils crédibles ? Personne ne peut le dire aujourd'hui. Ce qui est important, c'est de savoir où se fait la réflexion stratégique, sur les modalités de conduite du dossier dans tous ces scénarios qui restent ouverts. Un peu comme Kissinger le faisait quand il traitait de problèmes internationaux complexes. Telle est mon obsession aujourd'hui y a-t-il un lieu de pilotage stratégique de la compréhension des enjeux ? Par ailleurs, et c'est un problème de fond, comment développer une mise à niveau de nos capacités collectives de gestion de ces phénomènes, notamment à haut niveau, et mettre en place des systèmes décisionnels efficaces. Il y a des éléments positifs dans l'expérience. Depuis une dizaine d'années cela se fait dans les meilleures entreprises françaises, dans certaines entreprises étrangères et certains grands services de l'Etat il s'agit d'entraîner les équipes dirigeantes à travailler sur ces terrains de grande déstabilisation, de grande surprise qui sortent complètement de l'épure quotidienne. S'il y a une urgence, il ne s'agit pas d'appeler le SAMU ou les pompiers, mais de savoir comment faire dans des situations aussi complexes. Cela ne s'invente pas. Ce sont beaucoup plus que de nouveaux outils, ce sont de nouvelles cultures qui permettront de développer de nouvelles capacités à se poser ensemble des questions dont on n'a pas les réponses. Plusieurs axes doivent être explorés - travail avec les équipes dirigeantes ; - travail de retour d'expérience systématique dans certaines entreprises très avancées, dès qu'il y a un épisode un peu compliqué, immédiatement et sans avoir besoin de l'aval du président, une démarche collective est engagée pour savoir comment les difficultés se sont nouées et comment l'on pourrait mieux travailler ensemble ; - exercices de simulation il est très important aujourd'hui qu'on n'attende plus de se former uniquement sur des situations réelles ; elles coûtent de plus en plus cher et l'on atteint des coûts faramineux, comme le montre l'exemple de l'amiante. On doit s'entraîner en simulation. Il ne s'agit pas de faire tous les jours un exercice incendie. Il s'agit de concevoir des opérations pédagogiquement utiles pour un cercle de responsables qui veulent se former ; - perfectionnements spécifiques il est clair qu'on a fait un peu de media-training » ces derniers temps, c'est tout à fait nécessaire, mais insuffisant. Comment forme-t-on les responsables des cellules de crise, comment forme-t-on des dirigeants qui ont à travailler avec des responsables de cellules de crise ? Cela ne s'invente pas là encore les rôles, les places, les cultures, ce que les gens ont dans la tête doit être développé, aménagé, transformé ; - apprentissages inter-acteurs il ne s'agit plus que chaque acteur gère sa petite crise dans son coin. Les uns et les autres doivent apprendre à travailler ensemble. J'ai eu l'occasion de le faire dans les zones de défense par exemple, où vingt-cinq spécialistes travaillent ensemble. Il est absolument magnifique de voir qu'au bout de deux jours, une équipe se constitue et chacun est convaincu qu'il ne peut gérer sa crise que s'il travaille avec la dizaine d'autres spécialistes présents. Ainsi, la tendance naturelle au départ, qui pourrait se résumer ainsi Si on me laisse faire, ça ira et surtout ne me dérangez pas» devient Je ne pourrai rien faire si nous n'affrontons pas ensemble cette difficulté qui nous tombe dessus ». Il y a des conditions nécessaires pour réussir cet apprentissage, qui ne va pas de soi il y a d'énormes résistances parce qu'on aime beaucoup travailler sur des systèmes stables et beaucoup moins sur des systèmes inconnus et ouverts. Cela suppose une implication personnelle forte des hauts responsables, y compris des dirigeants. Cela suppose une programmation générale de l'intervention parce qu'il ne s'agit surtout pas d'opérations coup de poing » d'une journée. Il s'agit de maîtriser le processus parce que travailler sur une crise en pédagogie, c'est travailler sur des crises, c'est fabriquer de la crise ». Un peu comme des vaccins, il faut savoir à quoi on joue. Il ne s'agit pas d'opérations mécaniques. Transformer des cultures, cela se fait avec beaucoup de respect, de modestie, de prudence, toutes obligations que je ne respecte pas ici, car vu le temps de parole qui m'est accordé, je ne peux pas faire de la maïeutique sur deux jours. Pour ce travail, il faut aussi de la recherche scientifique, -il y a quelques équipes de pointe en Europe là-dessus, je pense à des collègues de Rotterdam ou de Leiden. Là existent des points d'appui au niveau européen et on pourrait même imaginer la création d'enseignements sur la question pour que les décisions puissent être anticipées. Il y a des pistes, elles fonctionnent, elles sont validées. Le problème aujourd'hui consiste à passer de ces îlots dans lesquels il se fait des choses à des exigences sociales de base ». On ne pilote pas aujourd'hui des systèmes complexes sans s'être entraîné avec d'autres à toutes les grandes failles, à tous les problèmes de sécurité, à toutes les crises potentielles qui pourraient survenir dans ces grands systèmes. Les crises du vingt-et-unième siècle ne laisseront aucune chance aux organisations non préparées. Il est temps de s'y mettre, il ne faudrait pas être en retard d'une guerre, voire de deux. Mme le Président Vous avez fort justement dit que cette crise a été gérée pour partie par M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, alors qu'il s'agit d'un problème de santé publique. Pensez-vous qu'il y aurait intérêt à mettre en place une démarche de communication relayée entre le ministère de la santé et celui de l'agriculture pour avoir un meilleur écho auprès de l'opinion publique ? A votre avis, y a-t-il des points communs entre des crises différentes - sida, amiante, vache folle - ? Y a-t-il une explication commune sur l'étendue de la crise et les réactions de l'opinion publique ? Quel rôle, selon vous, a joué la presse dans la crise de la vache folle ? A-t-elle informé convenablement, avec efficacité ou a-t-elle contribué à créer une psychose en France ? M. Patrick LAGADEC Je ne doute pas un instant qu'il y ait eu des communications fortes entre le ministère de l'agriculture et le ministère de la santé. Mme le Président Certes, mais pensez-vous qu'on aurait pu avoir une gestion commune plus approfondie ? N'y a-t-il pas eu trop de communication de la part d'un ministère et pas assez de la part de l'autre ? M. Patrick LAGADEC Il faudrait connaître le problème de l'intérieur pour répondre précisément à la question, je resterai donc très prudent, mais il est vrai que, vu de l'extérieur, on a eu l'impression au départ que le ministère de l'agriculture était en première ligne, ce qui, techniquement, sur certains aspects, était tout à fait fondé. Si ceux qui sont à l'extérieur perçoivent le problème comme étant d'abord un problème de santé, ils vont immédiatement décrypter les différences d'importance dans la communication comme étant un problème de procédures. Cela va entacher la crédibilité qui est donnée à la conduite de l'affaire. Mais ce ne sont que des impressions. On aurait pu se demander quels types de réseaux communs, de communication commune pouvaient être mis en place, mais peut-être qu'auparavant une réflexion en matière de santé publique devait-elle être menée pour voir si ceci était possible, tant au niveau français qu'au niveau européen. Existe-t-il des points communs entre sida, amiante et vache folle ? On a toujours l'impression d'un grand retard à admettre les choses, d'une non anticipation des phénomènes, avec ce leitmotiv Ce n'était pas encore prouvé ». Et c'est cela le piège, je crois, aujourd'hui, dans nos systèmes. Ce que l'on doit demander aux responsables, ce n'est pas Avez-vous des preuves ? », c'est Quelles questions vous êtes-vous posées, avec qui et à partir de quand ? » On juge la pertinence des questions et non pas la justesse des réponses. Tout le monde sait que c'est un sujet extrêmement difficile mais ce que je vous ai dit tout à l'heure, Je n'ai pas de preuve, donc...», me permet de traiter ces questions. Cela vaut aussi pour l'amiante, encore que, dans ce dernier cas, les choses étaient à peu près claires assez rapidement. En ce qui concerne la presse, j'ai étudié comment la presse a suivi l'affaire de l'Airbus sur l'aéroport de Marseille, et j'ai identifié un certain nombre de dysfonctionnements qui posent de graves problèmes. Dans l'affaire de la vache folle, la presse a fait son travail. Je ne vois pas, mais peut-être faudrait-il faire un examen plus précis, de problèmes aussi graves que ceux que j'ai pu constater avec l'Airbus. M. le Rapporteur Monsieur Lagadec, l'avantage de vous entendre c'est qu'effectivement, vous n'êtes pas un spécialiste de l'ESB et que vous venez nous parler avec, si je puis me permettre, le regard de Candide, de la gestion des crises d'une façon générale. Lorsque vous nous parlez de crise à propos de la vache folle -d'ailleurs, c'est tout à fait symptomatique, Mme la présidente en vous interrogeant a fait allusion au sida et à l'amiante- votre modèle est-il un modèle de crise en termes de santé publique ou est-ce que la crise, au sens vrai du terme, peut se retrouver dans d'autres situations qui n'ont rien à avoir avec la santé publique ? Vous avez évoqué, comme d'ailleurs dans l'introduction de votre livre, l'affaire de l'Airbus retenu à Marseille. Mais, dans un cas comme celui-là, la crise est d'une très courte durée et, en définitive, on a à peine le temps de s'en rendre compte qu'elle est déjà réglée. Aujourd'hui, l'affaire est très différente. Vous avez commencé par distinguer la crise de l'urgence et définir ce qu'était une crise. Si ce n'est pas seulement applicable à la santé publique, pourriez-vous nous citer deux ou trois exemples, pas forcément français, de crises qui pourraient se rapprocher de cette définition ? M. Patrick LAGADEC Je prendrai un exemple dans le domaine technologique, l'affaire de la centrale nucléaire de Three Mile Island. La gestion de l'affaire a été assez pauvre du point de vue organisationnel. Je vous rappelle que le gouverneur de Pennsylvanie avait appris par la radio qu'il avait donné l'ordre d'évacuer un million de personnes, ce qu'il n'avait pas fait. Il finit par demander au président des Etats-Unis de lui envoyer quelqu'un qui gérerait l'affaire avec lui mais il fallut aussi reprendre la situation en main car petit à petit les citoyens américains risquaient de perdre confiance vis-à-vis du nucléaire en général. Finalement, la réponse du président Carter consista à mettre en place une commission présidentielle d'enquête qui était le reflet de la société américaine dans son ensemble afin de restaurer un minimum de crédibilité. Cette affaire était pleine d'inconnues, elle a duré des jours et des jours, et finalement une partie de la crédibilité a été perdue. Crise sociale ? On a des éléments identiques avec la crise de novembre et décembre derniers. Qui peut dire quoi ? Est-ce que c'est, techniquement, ce problème-là qui se pose ou non ? Ce sont des représentations beaucoup plus fortes, ce sont des mutations importantes. Ou on construit une intelligence de la situation, ou on n'arrête pas de donner des réponses tactiques à un problème qui ne se pose plus au moment où on essaie de l'affronter. L'affaire de l'Airbus, certes, est rapide, mais la prise en charge des victimes par exemple va durer très longtemps et au moment où l'on pense que c'est fini, après l'assaut du GIGN, pour beaucoup de gens, je pense à tous les services sociaux, aux victimes, cela ne fait que commencer. S'il y a arrêt de la prise en charge et de la mobilisation des responsables, on va se retrouver dans ces configurations que je vous ai indiquées tout à l'heure. Dès qu'un système est quelque peu déstabilisé par la rigueur des questions, il tombe dans la crise. Cela dit, il est clair que le modèle le plus pur, aujourd'hui, ce sont les crises de santé publique. M. le Rapporteur S'il est vrai que gouverner c'est prévoir, et surtout l'imprévisible, il n'en demeure pas moins qu'il est très difficile d'anticiper quelque chose que l'on ignore. Autrement dit, vous parlez d'anticipation mais j'aimerais que vous précisiez ce qu'il faut anticiper et comment il faut anticiper. Vous avez parlé de la création de cellules de crise. Comment seraient-elles constituées ? Par qui ? Par quels types de spécialistes ? Des psychologues, des sociologues, des éthologues, spécialistes du comportement ? Comment cela pourrait-il être géré ? Sur quelles données ? Ne pensez-vous pas que cela sous-tend en définitive tout le processus de décision politique ? Je crois que, s'il y a une crise, c'est une crise de la décision politique. Aujourd'hui, les politiques, avant de prendre une décision, premièrement, consultent des experts - c'est une très bonne chose, mais quand les experts ne sont pas capables de leur apporter des solutions toutes faites, très souvent ils ne savent plus quoi décider - deuxièmement, regardent les sondages, et naturellement ils sont tentés d'aller dans le sens qui s'en dégage, troisièmement, sont tenus par le principe de précaution » qu'ils n'ont pas inventé mais qui depuis l'affaire du sida est désormais un très fort argument pour décider parfois de façon tout à fait excessive au regard de risques qui n'ont même pas été évalués. Comment intégrez-vous tout cela dans votre réflexion ? M. Patrick LAGADEC On s'aperçoit qu'avant une grande crise, il y a eu souvent des signaux forts. Il suffisait de pouvoir les écouter pour les repérer. Avant toutes les grandes catastrophes que j'ai pu étudier, Flixborough, Seveso, etc. il y avait eu plusieurs avertissements mais, à chaque fois, on disait que ce n'était pas grave puisqu'il ne s'était rien passé. Même après Seveso, on a dit Regardez, il ne s'est rien passé puisqu'il n'y a pas eu de morts », alors que c'était là le prototype même des problèmes dont on discute aujourd'hui. J'irai même plus loin, il peut y avoir beaucoup de signaux faibles ». J'ai travaillé avec des états-majors, notamment d'entreprises, je sais qu'un certain nombre de grandes entreprises ont identifié par exemple les quinze points en France où on perçoit le mieux ces signaux faibles ». Les responsables de ces quinze points se réunissent très fréquemment et si quelqu'un voit un signal un peu affirmé, toute la France se met à regarder ces signaux faibles » et petit à petit on bâtit une anticipation assez simple de la crise éventuelle. Il ne s'agit pas d'anticiper la météorite que l'on ne voit pas sur les écrans radars mais il y a souvent beaucoup d'éléments qui rendent le problème perceptible si l'on s'est mis en condition de pouvoir le percevoir. On est capable d'apercevoir autre chose qu'une explosion généralisée. Mais cela suppose qu'on accepte de s'interroger et de le faire collectivement et donc de croiser des informations. Cela suppose peut-être d'autres cultures. Comme me le disait un grand industriel à propos de sa société, il y a une faute lourde et une seule, c'est de ne pas avoir diffusé l'information. C'est ainsi qu'il définit la stratégie de son entreprise. Sur les cellules de crise, vous me posez une vraie question. Il n'y a pas de constitution type. Il y a des plans qui en précisent la composition dans les cas de figure les plus simples. En cas de séisme, on sait qu'il faut plutôt désigner un sauveteur qu'un notaire. Sur les crises qui prennent vraiment par surprise, le premier travail, avant même que la cellule de crise ne soit formée, est d'étudier comment l'on va travailler ensemble et non pas de foncer et de proposer une solution. On peut faire un test auprès de cercles qui n'ont pas fait ce genre d'apprentissage. Vous leur donnez n'importe quel type de situation, dans les dix minutes, ils vous ont donné la réponse On va faire comme cela parce qu'untel a fait comme cela » et il n'y aura aucune réflexion sur les conditions d'une action collective. Un jour, il faut peut-être un spécialiste de l'éthologie, un autre jour, il faut peut-être quelqu'un de tout à fait différent, mais si on ne s'interroge pas sur la façon dont on va travailler ensemble, avec qui, avec quels réseaux, avec quels mécanismes et si on ne clarifie pas -et si on ne le fait pas c'est que la situation est trop angoissante, donc on fonce sur de solutions miracles- on ne pourra pas constituer utilement de cellules de crise. Donc, il n'y a pas de réponse à votre question, sinon que la vraie question est comment fait-on fonctionner ensemble un groupe qui va devoir définir une conduite stratégique ? M. le Rapporteur Imaginons que le Gouvernement décide de mettre en place une cellule de crise. Encore faut-il que celle-ci soit sollicitée. On déplace le problème, il faudra toujours qu'un ministère, un responsable, à un moment ou à un autre décide que c'est éventuellement un problème susceptible d'être géré par la cellule de crise. Ou bien est-ce la cellule de crise qui s'auto-saisit, ce qui voudrait dire qu'elle a priorité sur tout, et ce qui me paraît difficile à imaginer. Comment faire ? M. Patrick LAGADEC Les pièges sont nombreux. Kissinger disait La première fois qu'on a mis en place enfin notre plus belle cellule de crise, on a passé notre temps à voir comment on fonctionnait, pendant ce temps là on n'a pas géré la crise ». C'est intéressant. La seule réponse, c'est de fabriquer des capacités à travailler ensemble sur ces sujets-là, à fabriquer des capacités de remontée, à croiser des questions, des capacités à repérer des signaux. On me dira que cela existe, mais je pense qu'il y a encore un gros travail à faire. J'essaie de le faire notamment dans l'industrie, c'est long mais cela donne des résultats. Là où il y a cinq ans il fallait trois, quatre jours pour mettre en place une cellule, maintenant cela se fait en trois minutes. Il y a cinq ans, on disait Mais non, ce n'est pas une crise de chez nous, cela ne nous ressemble pas, ce n'est pas ce qu'on traite d'habitude qui pose un problème, c'est totalement étranger ». Maintenant on est capable de faire face. L'apprentissage est donc possible. Je n'ai pas de réponse mécanique parce que si elle était mécanique, elle serait mauvaise. Il s'agit de jouer aussi fin que la crise, sinon celle-ci va faire sienne la cellule et on aura perdu, et ce sera encore plus grave parce que la cellule aura l'impression qu'elle gère l'ensemble. M. le Rapporteur Oui, mais nous, les politiques, nous sommes confrontés à la nécessité d'apporter des réponses perceptibles, tangibles, pratiques. Donc, au point où nous en sommes de cette crise de la vache folle, qui s'inscrit tout fait dans ce que vous avez indiqué, et en restant pragmatique, qu'auriez-vous souhaité a posteriori, et maintenant, que préconiseriez-vous alors que la crise se poursuit, alors que nous manquons de connaissances scientifiques affirmées et que le politique doit prendre un certain nombre de décisions dont les effets, qu'il s'agisse de santé ou d'économie, ne vous échappent pas ? La notion de communication, qui est difficile à gérer, est un élément qu'il faut intégrer. On déplore quelquefois l'excès des propos et l'outrance des médias, il n'en demeure pas moins que si les médias n'étaient pas là pour lever un certain nombre de lièvres », pour nous apporter un certain nombre d'informations que nous sommes, nous, incapables d'obtenir par nos procédés institutionnels, nous serions très désarmés. Je pense que les médias apportent une véritable contribution, et je ne veux pas revenir sur les crises qui ont été mises à jour par leur l'intermédiaire. Il faut donc faire avec, il y a le mauvais coté, mais il y a aussi le bon. Pour le politique, aujourd'hui, que préconiseriez-vous dans ce dossier de la vache folle ? M. Patrick LAGADEC Le rôle du politique est-il de donner des solutions ou... M. le Rapporteur Oui. M. Patrick LAGADEC Oui, il faut qu'il les donne mais... M. le Rapporteur Si on ne donne pas une solution, ce n'est pas la peine de se représenter aux élections. On est là pour tenter de régler les problèmes. La réflexion, c'est extrêmement intéressant, on essaie de comprendre le pourquoi » des choses afin d'éviter dans la mesure du possible que cela ne se reproduise, il n'en demeure pas moins que dans la crise actuelle, nous sommes tous là en train d'essayer de voir quelles solutions on va pouvoir proposer. M. Patrick LAGADEC J'entends bien, mais il est possible qu'une large part de ce travail passe par des voies moins simples que Voilà la solution à laquelle on arrive». J'ai eu le sentiment, depuis le début, qu'il y avait nécessité de montrer que l'on allait s'occuper d'inventer collectivement de nouvelles procédures pour gérer ce genre d'affaires et qu'ainsi, on gagnerait de la confiance, et donc on serait capable de trouver, non pas quelques solutions, mais des terrains de solutions » qui pourraient être plus facilement gérés, pilotés, négociés, en conservant de la confiance et de la crédibilité. C'est peut-être fumeux mais mon sentiment depuis le départ était que l'on souhaitait afficher clairement qu'on allait travailler sur les procédures qu'on allait suivre et de façon ouverte, qu'on ne sortirait pas du chapeau d'un comité x» les bonnes solutions, les bonnes méthodes, etc., mais que ce serait un processus qui serait présenté comme complet et difficile. M. le Rapporteur Oui, mais comment mettez-vous en cohérence un raisonnement logique face à une opinion publique irrationnelle ? Il y a un moment où, dans votre analyse de la crise et des solutions à y apporter éventuellement, vous êtes obligé d'intégrer l'irrationalité de l'opinion publique. Il me semble qu'on est obligé d'en tenir compte, parce qu'elle est très importante. Quelle place lui donnez-vous ? M. Patrick LAGADEC Est-elle irrationnelle ? M. le Rapporteur Il me semble, à certains moments en tout cas. M. Patrick LAGADEC Comment le dossier est-il constitué ? On constate de trop grandes incohérences dans les décisions, dans ce qui est affiché par les différents pays d'un côté et de l'autre. Les réactions sont peut-être du type Prouvez-moi que vous poursuivez de bonnes procédures et je ferai montre moi aussi de plus de calme dans mes réactions ». C'est une sorte de jeu. On l'a vu à Seveso, ou lors d'autres affaires. M. le Rapporteur Je reviens sur l'irrationalité. Si vous évoquez le principe de précaution devant l'opinion publique, au regard de l'exemple passé du sida peu de gens vont vous dire qu'il est excessif et dans le doute, la plupart pensent qu'il vaut mieux préserver les personnes. D'un autre côté, nous voyons défiler ici un certain nombre de professionnels qui nous disent que le principe de précaution doit être relativisé au regard des milliers de chômeurs de telle ou telle branche et - je reprends volontairement des arguments frappants pour vous montrer le type de raisonnement que ces personnes peuvent tenir - que les mesures prises risquent d'entraîner davantage de morts par suicides d'éleveurs qu'il n'y en aurait par encéphalopathie spongiforme bovine. L'image est peut-être excessive, mais illustre bien la très grande difficulté à gérer l'accord général sur le principe de précaution, dont l'application, le cas échéant assez rigoureuse, rencontre les réticences voire l'hostilité de toute une série de personnes. C'est là ce que j'appelle l'irrationalité, on n'arrive pas à avoir une cohérence globale. M. Patrick LAGADEC Il faudra aussi admettre que, dans une crise de cette nature, engagée depuis des années, on va arriver dans des impasses, d'autant que l'on se trouvera aussi face à des impossibilités. Je n'ai pas de réponse à tout. M. le Rapporteur Il faut pourtant que vous me donniez une réponse sur les éléments qui permettent la décision politique et là, vous ne m'avez pas encore répondu. Aujourd'hui, qu'est-ce qui peut fonder la décision politique quand les experts font défaut et qu'il y a les antécédents que l'on sait ? M. Patrick LAGADEC Je suis obsédé par la question. Les crises de l'avenir seront de ce type et le politique gardera sa fonction s'il est capable d'afficher cela et de considérer que la seule solution, c'est de bâtir des consensus collectifs, ouverts, qui jamais ne se fondent sur une assurance totale, qui se feront à un coût important, et donc nécessairement partagé. C'est peut-être très intellectuel mais je pense que restreindre la fonction du politique à donner une solution immédiate à l'affaire ne pourra pas donner de résultats dans les crises de l'avenir. Ces crises seront toujours à très, très haute incertitude et c'est pourquoi l'élément majeur va être, selon moi, non pas la réponse scientifique au problème, on l'aura trop tard, mais la réponse en termes de procédures et de qualité de ces procédures. M. le Rapporteur Autrement dit, cela passe par la confiance que l'opinion publique peut avoir dans les politiques. M. Patrick LAGADEC Absolument. M. le Rapporteur La clé est donc celle-là si l'opinion publique a confiance dans le décideur politique, alors on peut dominer une crise. M. Patrick LAGADEC Tout à fait. M. le Rapporteur Or en même temps que nous sommes en train de parler des crises, on met en cause le manque de confiance de l'opinion publique au regard des décideurs politiques. C'est bien cela que vous êtes en train de dire. M. Patrick LAGADEC Prenez l'affaire de Flixborough, une usine rasée en Angleterre en 1974. Les Anglais avaient perdu confiance. Comment réagit le gouvernement britannique ? Il nomme une commission d'enquête, pour lui demander non pas de faire une enquête sur Flixborough, mais de recenser tous les Flixborough » potentiels en Grande-Bretagne et là, les gens sont étonnés de voir qu'on a eu le courage de le faire. Que fait le président Carter après Three Mile Island ? Il a un problème majeur au niveau de l'ensemble de la nation, il crée une commission qui reflète l'ensemble de la nation américaine et il reconstruit, petit à petit, de la crédibilité. Il faut inventer de nouvelles procédures en face de nouveaux types de crises. C'est dans cette voie-là qu'on peut peut-être chercher. M. Francis GALIZI Monsieur Lagadec, ce que vous suggérez s'apparente en fait à l'étude scientifique des dangers. Est-ce bien cela le message que vous voulez nous faire passer ? Selon vous, l'étude scientifique des grandes crises comme celle de l'ESB, qui peut s'appliquer à tous les secteurs, à l'industrie, au nucléaire, aux risques naturels et autres pourrait permettre, puisque cette étude s'accompagne nécessairement d'un volet communication, traitement de l'information », et en même temps a une très forte consonance démocratique, en matière d'information, de mieux gérer ce genre de situations. C'est cela que vous voulez dire ? M. Patrick LAGADEC Oui, le piège dans lequel il ne faut pas tomber, dans ce que l'on nomme la cindynique, l'étude des dangers, c'est qu'il n'y a pas de catalogue technique de réponses à ce genre d'affaires. Plus les crises sont sévères, mettant en cause nos représentations, les forces sociales, des mutations importantes, plus se posent des problèmes de cultures, de discussions, de rapports de force et autres. Il ne s'agit pas uniquement de solutions techniques. Il y a l'aspect technique assez simple -quand on fait une étude des dangers, on sait ce qui est clair- mais il y a d'autres aspects et plus on travaille sur les crises, plus les changements de culture sont nécessaires. Les entreprises avec lesquelles on a le mieux travaillé sont celles qui ont accepté de changer de culture, selon la façon que je décrivais précédemment. Dans le cas contraire, les crises gagnent à tous les coups. M. Francis GALIZI Faut-il prévoir des scénarios catastrophes ? Doit-on imaginer une population contaminée par son alimentation de base ? Doit-on aller jusque là ? M. Patrick LAGADEC Oui, mais surtout, étant donné que chacun se pose des questions qui sont légitimes mais qui ne seront jamais exhaustives, il faut avoir l'esprit en alerte en termes de sécurité. Aujourd'hui, la sécurité ne peut plus se gérer au rétroviseur ». Cela ne peut être que de l'anticipation forte, à partir de signaux faibles », en se posant des questions et en croisant les informations que l'on peut avoir et en essayant d'être le moins en retard possible sur les événements et jamais sur le mode Ma cellule, ma petite alvéole n'a pas eu de certitude définitive qu'on était bien en danger absolu ». Ce genre de raisonnement était bon en 1914, maintenant cela ne marche plus. M. Georges SARRE Pourquoi, d'après vous, les sociétés d'aujourd'hui sont plus fragiles que la société d'antan ? Qu'est-ce qui les a fragilisées ? La République fonctionne-t-elle moins bien ? Le système de communication est-il inefficace ? Le système de valeurs est-il remis en cause et est-il en voie de disparition ? Si l'on est comme moi attaché à la République, il faut bien quand même, à un moment donné, que les représentants du peuple puissent décider. Sinon, c'est la démocratie, c'est la République qui s'en vont. Dans le cas précis de l'ESB, vous avez disposé des mêmes informations que nous. Quels sont les signaux faibles » qui étaient annonciateurs de cette crise majeure, les symptômes qui auraient pu permettre aux Français, aux Allemands, à d'autres, voire aux Anglais, de la voir arriver ? Personnellement, je ne les vois pas. M. Patrick LAGADEC Quand on interroge les scientifiques qui ont travaillé sur le dossier depuis des années, on constate qu'ils se sont posé beaucoup de questions. Je me rappelle avoir été à l'école vétérinaire il y a deux, trois ans, je ne sais plus la date exacte... M. Georges SARRE Oui, mais là, on était déjà en plein dedans. Parlez-moi des années 1980. Où étaient les symptômes ? Ils étaient sans doute là mais, moi, je le répète, je ne les ai pas vus et je ne suis pas le seul. M. Patrick LAGADEC Il s'agit non pas d'éliminer totalement tous les risques -si on pouvait, ce serait bien -mais de savoir au moins à partir de quand on a eu suffisamment de signaux montrant le danger et quel a été le délai de réaction des uns et des autres à ce moment-là. Il y a une marge grâce à laquelle on peut gagner. En ce qui concerne les vulnérabilités de nos sociétés, j'en ai détaillé quelques-unes dans le texte que je vais vous laisser. Lors du tremblement de terre de San Francisco aux Etats-Unis, on a été très surpris de voir que certains systèmes de détection incendie ne fonctionnaient pas. En fait, ils étaient concentrés à Chicago. Cela marchait très bien en situation calme, beaucoup mieux que s'ils avaient été localisés sur place, mais le jour du tremblement de terre, il n'y avait plus de communications entre Chicago et San Francisco. Les réseaux mondiaux sont aujourd'hui extraordinairement complexes et donc tout problème déborde immédiatement sur d'autres. C'est l'aspect technologique mais il y a aussi de grandes ruptures de l'idée de progrès, peut-être de l'idée de lien social. La notion de responsabilité s'effrite... il est clair que l'on est beaucoup plus vulnérable que dans une république à la Caton. Il y a des éléments qui bougent. M. Jean-Marie MORISSET Je vous remercie de l'analyse que vous avez faite du déroulement d'une crise et je retiendrai le message selon lequel il faut éviter le syndrome de l'oubli et profiter d'une crise justement pour bien ré-analyser le circuit et les processus de décisions. Je pense aussi que les questions que vous avez posées nous permettront peut-être d'avancer. Je retiens également de votre exposé un message fort à propos des procédures. Il faut travailler sur les procédures de manière concrète. Or, aujourd'hui, notre processus de décision en matière de procédures, quel est-il ? Ce sont des arrêtés, des décrets, des circulaires. Souvent ces textes font l'objet, et vous l'avez dit, d'un travail interministériel qui nécessite un certain nombre d'avis et de décisions. Ces procédures sont-elles adaptées à la gestion d'une crise ? Ces prises de décisions et la manière de les répercuter auprès de notre population, à savoir par arrêtés, décrets et circulaires, sont-elles efficaces ? M. Patrick LAGADEC Il y a des procédures qui fonctionnent, heureusement. La question que je me pose est la suivante lorsqu'une crise se profile à l'horizon, lorsqu'elle s'accentue véritablement, comment fonctionnent ces procédures ? Et là, comment sont prises les décisions, qu'est-ce qui se fait, qu'est-ce qui émerge ? Quand on est trop surpris pour ne pas avoir soi-même participé à des simulations, je pense que les procédures qui fonctionnent en situation calme ne fonctionnent plus suffisamment en situations aiguës. Et on perd en quelques heures, comme l'affirmaient les dirigeant de l'industrie chimique suisse Hoffmann Laroche, vingt ans d'investissements. Il faut une accoutumance des plus hauts niveaux de décision à ces situations de déstabilisation rapide. Quel est notre degré d'entraînement dans ce domaine ? Je fais suffisamment d'exercices de crise pour pouvoir dire qu'au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie, on ne rencontre pas un empressement significatif pour participer à ces exercices. Il faudrait peut-être revoir la qualité des exercices en question. Peut-être les responsables ont-ils la conviction suivante Si je suis à un haut poste de responsabilité, c'est que par nature, je sais faire ». Je crois qu'il y a là des pièges. Comme disait Henry Kissinger, plus on monte dans la hiérarchie, moins les personnes ont passé d'heures à étudier les situations de crise internationale. Mme Ségolène ROYAL Comment expliquez-vous que les politiques aient autant de mal à anticiper, même lorsque les signaux dont vous parlez sont visibles ? Car les signaux sur la vache folle étaient visibles. Cela fait des années que l 'on connaît les dégâts potentiels de l'agriculture industrialisée. Je prends différents exemples d'actualité. L'amiante chacun se souvient fort bien des années 1974-1976 et je vois encore ma mère jeter la plaque d'amiante où elle posait les fers à repasser. Il y avait déjà eu des alertes à ce moment-là. La maladie avait été répertoriée comme maladie professionnelle. En 1986, il y a dix ans, le groupement industriel de l'amiante a empêché le gouvernement français de ratifier une convention de l'organisation internationale du travail interdisant l'amiante. Cela fait dix ans de perdu, alors que les autres pays l'ont signée. Ce groupement a sous-estimé le risque et est arrivé à convaincre les politiques que le risque n'était que secondaire par rapport à l'argument économique, que l'on utilise sans jamais y intégrer ni les coûts collectifs ni les coûts sociaux. On voit aujourd'hui des signaux très forts dans d'autres domaines et aucune décision n'est prise. Je ne prendrai que deux exemples, parce qu'ils sont liés et ressemblent à la crise de la vache folle. Premier exemple le domaine de l'eau on sait parfaitement que la loi sur l'eau n'est pas appliquée, que les pollutions des nappes phréatiques continuent sous prétexte là aussi de rentabiliser une forme d'agriculture. Je prends le pari que dans quelques années, on se trouvera au bord du gouffre en ce qui concerne l'eau comme aujourd'hui en ce qui concerne la sécurité alimentaire avec la viande. Deuxième exemple, l'effet de serre on sait parfaitement là aussi que des décisions sont en train d'être prises et que des pays comme la France ont une nouvelle fois reculé les décisions à prendre, que le réchauffement de la planète va conduire sans doute plus vite qu'on le croit à des conséquences dramatiques en termes de santé, en particulier dans les pays du tiers-monde qui se reporteront inévitablement sur les pays développés. Les décisions sur l'eau et sur l'effet de serre sont des décisions que les politiques devraient prendre maintenant et qu'ils ne sont pas capables de prendre parce que le coût de l'anticipation en termes de conséquences politiques est sans doute plus fort que le fait de ne rien faire. On reporte toujours sur les générations politiques suivantes la responsabilité de ces décisions. La vraie question est là. Ce qui me frappe, c'est que bien souvent l'opinion publique a beaucoup plus de maturité que les responsables politiques. C'est-à-dire que nous sous-estimons notre capacité d'action par rapport à l'intuition de l'opinion publique. Par exemple, sur le problème de la circulation en ville, tous les sondages montrent que les Français sont prêts à limiter le recours à la voiture parce qu'ils sont conscients des dégâts sur l'air. Or, les responsables politiques n'ont pas le courage de prendre les décisions que l'opinion publique voudrait voir prendre. L'opinion est maintenant en avance sur les décideurs politiques. Quel est le ressort de cette incapacité, de ce décalage permanent, y compris par rapport aux problèmes que l'on pourrait régler aujourd'hui pour éviter les situations de crise ? Avez-vous théorisé cette question ? Et comment pourrait-on intégrer l'anticipation des dégâts dans la décision politique afin que le politique retrouve un intérêt pour agir ? M. Patrick LAGADEC Aux vraies questions, les réponses sont difficiles. Il y a des choses assez évidentes que l'on voit fonctionner quand on fait des entraînements d'état-major, que ce soit des politiques ou des responsables d'entreprises. L'obsession, dès qu'un problème se présente, est de vouloir rassurer. Quelque part, c'est un déni de démocratie. Si le moindre problème est énoncé, ce sera la panique immédiate Je ne peux faire confiance en rien au citoyen et je dois absolument me comporter en propriétaire de cette information à risques et ne dire les choses que le plus tard possible». C'est pour cela que j'ai vu, dans certains pays, qu'on ne prévient pas lorsqu'un cyclone va arriver parce qu'on ne sait jamais quelles seront les réactions. Cela coûte ensuite extrêmement cher. Il y quelque chose dans notre fonds culturel, qui n'est pas propre aux politiques. Chacun personnellement peut tomber dans ce travers. Je me souviens avoir demandé à une étudiante de venir travailler sur un retour d'expérience relatif à un problème de santé publique. Les gens lui demandaient si ce n'était pas grave. Elle n'était pas médecin, elle les a rassurés. Dès que l'on pose une question du type Ce n'est pas grave ? » La réponse est Je vous rassure ». Lorsque cette réponse est fondée, on peut rassurer les gens. Sinon on craint de semer la panique si l'on dit quoi que ce soit, ce qui peut entraîner des phénomènes énormes que l'on aurait pu éviter. La moindre parcelle d'information va déclencher des mouvements assez incontrôlables. On entre dans un cycle infernal Vous ne nous avez jamais fait confiance, pourquoi voulez-vous qu'on vous fasse confiance aujourd'hui, vous voyez bien que...». Il y a certainement des réponses plus intelligentes. Pour passer à d'autres types de réponses, il faut avoir beaucoup travaillé. Je m'en suis aperçu en travaillant avec certains états-majors. Jour après jour, ils sont capables de faire beaucoup plus confiance, d'ouvrir davantage les réseaux, de ne pas de se comporter en propriétaire du risque en question, de travailler à valoriser l'ensemble des richesses de leur groupe, ce qui permet de mieux surmonter les crises. Il s'agit d'un long travail pour lequel il n'y a pas de technique rapide. Nous devons mettre en oeuvre une capacité culturelle à travailler ensemble sur des problèmes qui ne sont pas encore très bien définis, sans connaître d'un côté la liste exhaustive des risques, de l'autre la liste exhaustive des réponses, ce qui serait notre tendance technocratique immédiate, car la crise se joue de ce genre de choses. Cela suppose une maturation patiente et respectueuse et à cette condition, on fait naître de grandes richesses et c'est ce qui m'intéresse. Arriver au bout de deux jours à avoir en face de soi un groupe humain d'une richesse fantastique qui produit lui-même des scénarios auxquels personne n'avait songé et qui ne sont pas dans les plans et qui seraient extraordinairement intéressants comme appui en cas de crise. C'est un travail de pédagogie sociale, qui s'effectue avec une grande confiance vis-à-vis des citoyens, des responsables, etc. Cela peut se développer si nous renonçons à vouloir à tout prix nous protéger immédiatement en demandant un plan écrit. C'est utile pour les urgences mais pour ce dont on parle il faut des investissements culturels forts de de la part de l'ensemble des partenaires. M. le Rapporteur Pensez-vous qu'il serait utile de créer dans notre pays, sur le modèle de l'IHEDN, un institut des hautes études de gestion des crises, qui permettrait à un certain nombre de personnes d'appréhender tous les mécanismes que vous nous avez exposés et qui pourrait peut-être préparer un certain nombre de responsables, de l'entreprise, du monde politique, tous ceux qui, à un moment ou à un autre, peuvent avoir à gérer des situations de crise ? Serait-ce une initiative heureuse et par hasard, cela existe-t-il déjà ailleurs ? M. Patrick LAGADEC Je pense que ce serait une très bonne idée pour éviter une tétanisation par la peur, chacun dans son bureau Surtout ne bougeons pas, il va se passer quelque chose », pour fabriquer des communautés de réflexion et de travail personnel. A la fin de séminaires, chacun sait qu'il peut appeler l'autre pour lui demander son avis, en sachant bien que l'autre n'a pas de solution à vendre, ne va pas en tirer gloire, mais qu'on va mettre en commun des questions. Créer ces structures où on puisse discuter ensemble de façon ouverte, venir en appui à quelqu'un qui se trouvera confronté à une situation de crise, cela peut être tout à fait extraordinaire afin de sortir de la peur qui paralyse et qui fait sombrer dans des impasses. Et si on avait un jour un dossier aussi complexe que celui de la vache folle, on pourrait même faire une communication du type C'est une des crises de l'avenir, on ne saura pas bien faire, on va travailler avec vous pour la gérer au mieux, on essaiera d'en tirer tous les enseignements en évitant les erreurs majeures ; s'il y a des difficultés, on les résoudra ensemble, mais sachez bien que je ne peux pas être ici pour vous dire qu'il y a une solution simple. Si je le faisais, je ne serais pas crédible, je vais travailler avec vous pour qu'on dote ce pays des meilleurs moyens pour affronter les autres mieux que celle-ci et, pour celle-ci, dégager des capacités communes pour la traiter au moins mal ». Mme le Président Je vous remercie. Audition de M. Jacques BARRIERE, président du Syndicat national des vétérinaires-inspecteurs du ministère de l'agriculture extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 10 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Jacques BARRIERE Madame le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité pour vous présenter, en tant que professionnel, l'état de mes connaissances modestes sur le sujet qui fait l'objet de vos travaux. Je suis vétérinaire-inspecteur, responsable du service d'hygiène alimentaire dans le département des Bouches-du-Rhône. Mon travail consiste à appliquer les dispositions du code rural qui sont destinées à protéger la santé publique. Ces dispositions ont pour but d'assurer la protection des consommateurs en instituant un contrôle, une inspection permanente des denrées alimentaires animales ou d'origine animale. En 1991, les compétences des agents du ministère de l'agriculture ont été étendues aux denrées végétales, mais les dispositions réglementaires dans ce domaine sont encore relativement peu étoffées, pour des raisons scientifiques essentiellement; le risque alimentaire est lié surtout aux aliments d'origine animale. La compétence sur les denrées végétales est partagée avec des agents du ministère de l'économie et des finances, ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. L'organisation administrative des contrôles sur l'alimentation est extrêmement complexe, mais, pour résumer, on peut dire que 95% des compétences en matière de protection de la santé publique sur des questions d'alimentation échoient à deux catégories d'agents du ministère de l'agriculture des agents de catégorie A, les vétérinaires-inspecteurs, qui sont des fonctionnaires recrutés par concours à l'issue de leur formation et suivent une formation complémentaire ; des agents de catégorie B, essentiellement des techniciens des services vétérinaires recrutés au niveau bac puis formés, et des préposés sanitaires qui remplissent les mêmes fonctions que les techniciens des services vétérinaires mais n'ont pas été recrutés par voie de concours ce sont pour la plupart des agents qui étaient en situation de précarité et qui ont été titularisés après de très nombreuses années de service. Cette crise sans précédent, j'ai préféré l'aborder sous l'angle de ses causes plutôt que sous celui de ses conséquences il s'agit, à mon niveau, de faire des propositions non seulement pour en limiter les conséquences, mais surtout pour éviter l'apparition de nouvelles crises. J'ai écouté avec beaucoup d'attention le précédent intervenant, M. Patrick Lagadec, que j'ai déjà rencontré par ailleurs, dans le cadre d'un colloque sur la listériose. En l'écoutant, je me suis demandé si les crises que le ministère de l'agriculture a déjà eu à gérer -tout le monde a en mémoire les épisodes de salmonellose-, qui au plan sanitaire étaient beaucoup plus importantes que la crise actuelle, tout au moins en l'état actuel de nos connaissances de l'incidence de l'ESB sur la santé humaine et animale, n'étaient pas ces signaux faibles dont il nous parlait tout à l'heure. Sur le plan scientifique, le document que j'ai présenté comporte une analyse un peu caricaturale il y est dit que les progrès en matière de thérapeutique sont, somme toute, assez minces depuis la découverte des antibiotiques et que l'on ne dispose toujours pas d'un antiviral efficace pour traiter la grippe ou le sida ; on meurt plus souvent des conséquences du traitement de certaines tumeurs plutôt que des conséquences de la maladie elle-même. Dans le cas des encéphalopathies spongiformes subaiguës, il est certain que les connaissances sont encore plus faibles. On a très peu investi dans le monde, en France en particulier, dans la recherche dans ce domaine. A ma connaissance, environ vingt-cinq vétérinaires seulement travaillent en France dans le monde de la recherche, dont certains probablement sur les maladies à prions, mais pas tous et loin s'en faut. En tant que syndicaliste, je déplore la faiblesse des moyens humains et financiers qui sont consacrés à la recherche scientifique en général. Je crois qu'il faut avant tout favoriser le travail pluridisciplinaire, ce qu'on a du mal à faire en France. Comme pour les cellules de crise, il faut savoir faire appel à toutes les compétences et surtout les regrouper, y compris celles des organismes publics de recherche. Dans le domaine alimentaire en particulier, les compétences sont trop éclatées. Il faut également promouvoir la carrière de chercheur. J'ai entendu il y a quelques mois des responsables de mon administration prétendre qu'à partir de trente-cinq ans, un chercheur ne trouvait plus rien et que la recherche ne pouvait donc pas être le choix de carrière d'un jeune plein d'ambitions. Je me suis simplement reporté à la chronologie des découvertes de Pasteur pour constater qu'avant trente-cinq ans, il n'avait pas été très productif ! Sur le plan sanitaire, en l'état actuel des connaissances et en France, l'impact de cette affection, pour l'homme ou pour les animaux, est infime. Les toxi-infections alimentaires collectives, les maladies transmissibles, comme la brucellose et la tuberculose, ont une incidence bien plus considérable. L'ESB a un impact sanitaire en Grande-Bretagne, au moins pour la santé animale, c'est indéniable, mais guère en France. C'est une des premières interrogations que pose cette crise. Le premier point critique sur ce plan, c'est l'alimentation des animaux et des hommes, cela va de soi. Un autre point critique, c'est l'importation d'animaux vivants et de denrées animales ou d'origine animale depuis 1993, les frontières intra-communautaires ont été abolies ; nous vivons dans une communauté de pays où la confiance mutuelle est de rigueur. Il reste qu'un certain nombre de contrôles qui étaient réalisés aux frontières ne le sont plus. Ils sont théoriquement remplacés par les contrôles à destination », mais ceux-ci sont loin d'être à la hauteur de ce qu'on pourrait attendre il faudrait un investissement en personnels, moyens et formation. Pour le reste, je ne vois pas d'autre conduite à tenir que de suivre les recommandations des experts scientifiques, qui sont encore les personnes les plus crédibles. Il est important, et je le répéterai, d'imposer la traçabilité de l'ensemble des filières de denrées alimentaires, en commençant par les produits carnés -ce serait déjà un bel effort. On a critiqué le dispositif VBF mis très rapidement en place ; ce dispositif est critiquable, mais il s'agissait d'apporter en quinze jours une réponse à une demande des consommateurs qui nécessiterait un travail de plusieurs années. Il faut aller plus loin, modifier les règles d'étiquetage pour informer le consommateur sur un certain nombre de points qu'il ne connaît pas aujourd'hui, en particulier la race et le mode d'alimentation des animaux. Sur le plan économique, nous assistons essentiellement à une crise de confiance internationale. Cette crise intervient dans un contexte déjà très difficile pour les producteurs de boeuf. Curieusement, alors que les associations de consommateurs n'ont pas appelé au boycott de la viande bovine française et de la viande bovine en général, puisque l'importation de la viande d'origine britannique était interdite, une bonne partie de la population l'a pratiqué spontanément. A l'effondrement de la consommation, je vois trois causes essentielles. La première est à mon sens la méconnaissance générale du public en matière médicale et en matière économique. La deuxième tient au rôle de la presse, qui n'a pas diffusé une information suffisante et suffisamment objective. La troisième, c'est la sensibilité des Français aux questions alimentaires. Pour ce qui est de l'ignorance du public, je crois qu'on peut mettre en cause les lacunes de l'Education nationale. J'ai un enfant en sixième on lui enseigne avec force détails la civilisation égyptienne et il ne connaît rien de l'hygiène ! Les connaissances de base en hygiène et en médecine sont quasiment nulles et l'Education nationale n'est d'aucun secours. Quant au monde rural, que notre génération connaissait, c'est aujourd'hui un monde complètement étranger aux enfants, ainsi que l'illustre l'exemple du poisson représenté par des enfants de maternelle par des rectangles, puisque c'est la forme du poisson pané surgelé. Dans les pays anglo-saxons, les choses sont différentes. J'ai rencontré au cours de mes études de vétérinaire une enseignante d'anglais néo-zélandaise je peux vous dire qu'en deuxième année d'école vétérinaire, j'en savais moins sur les maladies des moutons que ce professeur d'anglais qui avait fait des études de français ! Certes, la Nouvelle-Zélande est un pays où le nombre d'habitants est inférieur au nombre de moutons, mais je pense toutefois qu'il y a chez nous un certain nombre de corrections à apporter. En ce qui concerne la sensibilité particulière de nos concitoyens aux questions alimentaires, je citerai l'exemple de l'amiante malgré le nombre de décès, repris dans la presse, dus à ce produit, l'impact médiatique n'est pas comparable à celui de l'ESB. Mme Ségolène ROYAL Si. M. Jacques BARRIERE Ce n'est pas mon avis. Les mesures réglementaires prises ne sont pas comparables l'interdiction de l'utilisation de l''amiante dans l'édification des bâtiments n'intervient qu'à partir du 1er janvier 1997 et la réhabilitation des bâtiments contaminés n'est pas régie avec la même rigueur que celle appliquée aux farines destinées à l'alimentation animale. Je peux vous garantir à ce propos qu'on a envoyé des techniciens des services vétérinaires et des vétérinaires inspecteurs dans toutes les fermes de France et de Navarre à la recherche des sacs de farines qui auraient été introduits avant l'interdiction. En ce qui concerne la presse, la recherche permanente du sensationnel et du scandale a fait le lit de la crise de confiance des consommateurs. Elle n'a pas apporté une information suffisante et objective. Je le répète, je ne comprends pas l'écart entre la gravité du problème de l'amiante - on parle de 2 000 morts en 1996 - et son faible écho médiatique au regard du barouf » médiatique autour de l'ESB. Nos propositions influer sur les programmes scolaires, informer les consommateurs et délivrer en permanence une information à la presse. Sur les questions d'alimentation, le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation communique très peu. Lorsque survient une crise de cette ampleur, les journalistes sont étonnés de constater que ce n'est pas le ministère de la santé qui est compétent, mais celui de l'agriculture. On aurait pu compenser ce défaut et je pense qu'il est nécessaire de rétablir une communication permanente, surtout en dehors des périodes de crise. Concernant la gestion administrative du problème sanitaire, je passerai rapidement sur la qualité et la rapidité des décisions prises. Je ne pense pas qu'on puisse les remettre en cause elles s'appuient d'une part sur les recommandations des experts nationaux et internationaux et d'autre part sur le principe de précaution. L'affaire du sida a laissé des traces positives. Sur la rapidité des décisions, je ne vois pas non plus qu'il y ait matière à incriminer particulièrement nos responsables. En cherchant méticuleusement, on peut trouver que s'est écoulé un délai d'un an entre l'interdiction d'utiliser des farines au Royaume-Uni, qui date de 1988, et l'intervention d'une mesure similaire en France, qui date de 1989. Mais la Communauté, dans le même temps, n'a pris aucune mesure la France a donc dû anticiper les décisions communautaires, ce qui fut loin d'être évident compte tenu du caractère très communautaire de la gestion du secteur agricole et agroalimentaire. Rien ne permet non plus de douter de l'efficacité de la mise en oeuvre de ces mesures. Bien sûr, il y a le problème de l'interdiction d'introduire des farines de viande d'origine anglaise sur notre territoire, qui aurait été inefficace ; sur ce point, on a tendance à faire l'amalgame avec les dérogations qui ont été accordées dans des conditions conformes à la réglementation pendant une bonne période ; cependant, il semble bien que des produits interdits en petite quantité ont pu être introduits en France par l'intermédiaire d'autres pays de la Communauté. Une enquête menée sur ce point par les services du ministère de l'agriculture est actuellement en cours ; ses conclusions ne sont pas encore connues. Surtout, le contrôle qui était opéré sur les farines de viande importées était un contrôle métrologique, c'est-à-dire un contrôle normatif de composition sur le produit fini, effectué par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Manifestement, ce contrôle était insuffisant - ce qui n'implique pas forcément qu'il y a eu fraude - ; un contrôle de process, sur les méthodes de fabrication, eût été plus efficace. C'est le type de contrôle habituellement pratiqué par les agents des services vétérinaires. Mais, curieusement, en France, le seul maillon des productions animales et alimentaires qui ne relève pas de la compétence du ministère de l'agriculture mais de celle du ministère de l'économie, est justement celui de l'alimentation animale. Or, l'intervention de l'administration de l'économie et des finances est forcément limitée, puisqu'on ne peut pas détecter de protéines animales dans une farine si elles sont présentes à un taux inférieur à 1 %, et que seuls deux laboratoires sont capables de mener cette recherche avec succès lorsque le taux est légèrement supérieur à 1 %. Le contrôle du produit fini est donc illusoire. L'absence de collaboration active et efficace, voire la concurrence entre les services de la répression des fraudes, transférés en 1984 du ministère de l'agriculture au ministère de l'économie et des finances, et les services vétérinaires, a donc causé un préjudice aux conséquences heureusement limitées pour la santé publique. Les propositions des vétérinaires consistent, a minima, à associer de manière permanente les actions de prévention systématique qui sont menées par les agents des services vétérinaires, aux opérations plus ponctuelles et plus policières des agents de la répression des fraudes, auxquels il faut adjoindre ceux des services des douanes. Une proposition plus audacieuse serait de regrouper tout ou partie des services déconcentrés en charge de la santé publique alimentaire, pour éviter l'éparpillement des compétences et la concurrence entre les différentes administrations et donner aux consommateurs un interlocuteur unique, compétent, reconnu et crédible. Il s'agirait des services santé-environnement des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, d'une partie des services des directions départementales de la concurrence et de la répression des fraudes les agents compétents pour les questions alimentaires et des services vétérinaires des directions départementales de l'agriculture et de la forêt. Il est important d'assurer la crédibilité des mesures prises par l'administration. Depuis le 21 mars dernier, c'est essentiellement le ministre de l'agriculture qui est intervenu, ce qui est normal puisqu'il s'appuie sur le dispositif législatif du code rural. Or, quelles que soient ses qualités, il apparaît aux yeux des consommateurs comme le ministre des agriculteurs et des producteurs, ce qui leur semble signifier qu'il défend des intérêts opposés aux leurs. Ce sentiment est aggravé par le fait que les liens institutionnels entre le ministère de l'agriculture et les associations de consommateurs sont très minces, alors que le ministère des finances entretient des liens étroits avec elles en contribuant aussi parfois indirectement à leur fonctionnement. A la décharge des consommateurs, il faut reconnaître que la mission de protection de la santé publique assurée par les directions des services vétérinaires - plus de 4 000 agents en France - n'avait pas jusqu'à l'actuel Gouvernement été réellement assumée en termes de communication ni d'organisation administrative. Qui sait aujourd'hui en France que ce sont les services vétérinaires qui s'occupent de protéger la santé du consommateur ? Pratiquement personne. Quant à l'organisation administrative, l'intégration, en 1984, des directions des services vétérinaires dans les directions départementales de l'agriculture et de la forêt a été effectuée au mépris de la déontologie qui sied à une administration de contrôle. Cette incongruité génère un conflit d'intérêt qui a été relevé par la Cour des comptes européenne, mais aussi par la Cour des comptes française dans un rapport de 1990 ou 1991. Cependant, les rémunérations des agents des services vétérinaires, de catégorie A, B et C, restent en moyenne inférieures de 25 % à celles du génie rural. Il faut ajouter que la crédibilité des contrôles exercés par les agents des services vétérinaires est vivement contestée du fait que, dans la majorité des abattoirs français, l'encadrement de l'inspection sanitaire est assuré par des vétérinaires inspecteurs vacataires, c'est-à-dire des agents non titulaires. Les effectifs de vétérinaires inspecteurs ont été considérablement accrus ces dernières années, mais ils restent encore faibles eu égard à leurs nombreuses missions et bon nombre de postes, y compris d'encadrement, sont confiés à des agents non titulaires. Je crois avoir bien mis l'accent sur les points critiques. Nos propositions pour répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens, c'est de procéder au regroupement de services évoqué précédemment, de titulariser les agents en situation précaire, pour répondre aux exigences déontologiques du contrôle et d'augmenter - pardonnez-moi ce langage syndical, mais en matière de protection de la santé publique et en matière alimentaire, il est de mise - les effectifs de fonctionnaires chargés de ces missions. Par le regroupement proposé, nous voulons assurer une plus grande efficacité de l'Etat, en prenant soin toutefois de dissocier les deux missions de service public en cause, l'une relative à l'élaboration du cadre réglementaire de l'alimentation, l'autre de contrôle sur le terrain. La première de ces missions suppose une activité de négociation très importante, notamment à Bruxelles. L'autre pourrait selon nous être avantageusement confiée à un établissement public à caractère administratif. En annexe du document que j'ai apporté, figure une proposition de notre organisation qui concerne la tutelle. Elle a été adressée aux principaux responsables et est complétée par des contributions des présidents des syndicats des médecins inspecteurs de santé publique et des ingénieurs sanitaires. Ce n'est pas une proposition opportuniste. Elle a quelque peu vieilli, ayant été conçue bien avant la crise de l'ESB, mais je l'ai volontairement conservée en l'état. On évoque dans ce document une tutelle ministérielle triple agriculture, économie et santé. Aux yeux du public, le ministère de la santé est apparu absent dans cette crise. Cela se comprend car, du point de vue réglementaire, il n'a pas de compétences dans ce domaine, hormis en matière d'eau. Il reste qu'un problème de santé publique, dans l'esprit du citoyen, c'est un problème du ministère de la Santé. Le ministère de l'économie et des finances a été parfois réclamé vigoureusement par les associations de consommateurs. En l'état actuel des compétences, ce ministère n'est réglementairement pas compétent, hormis pour contrôler l'étiquetage en général et, s'agissant de l'alimentation animale, notamment des farines, la composition. La question se pose à nouveau de savoir si l'alimentation ne devrait pas être du ressort d'une seule tutelle ministérielle. Au plan politique, l'imbroglio administratif a certainement suscité la défiance des consommateurs. Ceux-ci sont en quête d'un service unique, impartial et indépendant. Ils ont logiquement retiré leur confiance à l'administration et par conséquent aux hommes politiques. Je pense que le comportement de la presse ne fait que refléter l'opinion commune. Les affaires » trop fréquentes des dernières années ont certainement entamé le capital confiance des politiques, mais aussi du corps médical. C'est vrai à tel point qu'au lieu de considérer que l'administration française avait relativement su préserver l'agriculture de notre pays d'un fléau, la presse relayant l'opinion majoritaire a jugé que les mesures prises par le ministre de l'agriculture et appliquées par son administration n'étaient pas crédibles. La réponse que nous proposons a pour objet de rétablir la confiance des citoyens en l'Etat, conformément à l'un des objectifs fixés par le Président de la République au gouvernement, et à l'article 25 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire que vous avez adoptée en 1995. L'ESB a déclenché en France une crise sans précédent. Il est à craindre que le secteur de la viande bovine ne s'en remette que très difficilement. Il est à craindre aussi que d'autres branches de l'alimentation puissent subir une pareille tourmente, dans la mesure où, comme le dit un de mes collègues, les tiroirs sont pleins de dossiers plus pourris » que celui-ci la listériose, la brucellose, la tuberculose, la fièvre Q et même la rage ont des conséquences sanitaires largement supérieures à l'ESB. L'opinion publique doit savoir que chaque jour on court des dangers en s'alimentant, mais qu'on est protégé par une administration qui n'est pas la plus mauvaise d'Europe ni du monde. Vous pourrez peut-être considérer que j'ai exagéré en disant que les responsabilités administratives étaient émiettées en France dans le domaine de l'alimentation ; je crois pouvoir affirmer sans être contredit que c'est encore pire aux Etats-Unis, où onze services d'Etat concourent au contrôle de l'alimentation et à la protection du consommateur. Pour caricaturer, un sandwich qui comporte une tranche de jambon et une tranche de pain relève de l'autorité d'un service de contrôle, et un sandwich qui comporte la même tranche de jambon et deux tranches de pain relève d'un autre service de contrôle. Nous ne sommes pas les plus mauvais, mais nous pourrions être bien meilleurs et si la France veut protéger les consommateurs comme ils l'attendent et conserver le rang de deuxième puissance agro-alimentaire mondiale -premier exportateur mondial de produits agro-alimentaires transformés-, elle doit se doter d'un outil qui soit à la pointe du progrès, ce qu'elle a su faire par le passé. L'organisation administrative actuelle, qui date de trente ans, a été calquée par de très nombreux pays. Elle a été copiée en partie à l'échelon communautaire. Mais elle est aujourd'hui relativement dépassée, parce que les attentes des consommateurs sont beaucoup plus fortes. Il faut donc restaurer la crédibilité des contrôles, plus que leur efficacité, en confiant à un organisme unique les moyens d'agir en toute indépendance au plan déontologique, avec l'autonomie fonctionnelle qui en est le corollaire, ce qui ne veut pas dire qu'il pourrait se comporter en électron libre par rapport aux pouvoirs publics et aux décisions politiques. Il faut aussi éduquer les enfants dans les domaines de l'hygiène, de la médecine et du monde rural. Il faut établir -c'est une oeuvre de longue haleine-, la traçabilité des denrées alimentaires dans leur ensemble, en s'attaquant tout de suite aux denrées alimentaires animales ou d'origine animale. Il faut enfin informer clairement, par un étiquetage clair, les consommateurs sur la race et le mode d'alimentation et d'élevage des animaux, car ce sont des éléments d'information plus importants que l'origine géographique. Trop souvent le schéma qui prévaut dans l'esprit de nos concitoyens, c'est que les moutons ou les vaches sont produits un peu comme les vins dans un système d'appellation contrôlée à partir du moment où un mouton est né en Irlande, il est forcément bon, de même que les vins de Bordeaux sont meilleurs que les vins du Lot. Ce schéma n'a aucune valeur dans le domaine des produits carnés. Mme le Président Si nous ne sommes pas parmi les plus mauvais, peut-on dire que nous sommes parmi les meilleurs ? J'aimerais revenir sur les contrôles. Nous avons entendu ce matin le directeur du Centre d'information des viandes nous expliquer que nous pouvons regagner la confiance des consommateurs si les contrôles se maintiennent. Est-ce à dire que les contrôles se sont amplifiés depuis la crise ? Etaient-ils aussi sérieux et aussi poussés avant ? Nous avons au sein de notre mission plusieurs commissaires vétérinaires qui nous ont fait part de pratiques plus ou moins laxistes dans les abattoirs... M. Jacques BARRIERE Je ne crois pas que les contrôles de notre administration soient meilleurs ou plus mauvais que ceux que pourrait effectuer une autre administration qui serait dotée des mêmes moyens et du même dispositif réglementaire. Il est certain que si des agents d'une administration sont intéressés financièrement aux résultats de leur activité, leur mode de contrôle peut dévier ; ce n'est pas le cas des agents des services vétérinaires. Je peux du moins témoigner du dévouement, de la compétence et du sérieux des vétérinaires - inspecteurs et de leurs assistants, les techniciens des services vétérinaires. Il reste que ce ne sont que des hommes et il en est sans doute qui ne font pas tous les jours leur travail correctement. Mme le Président Les contrôles sont-ils plus nombreux et plus poussés depuis le 20 mars ? M. Jacques BARRIÈRE Ils sont différents les contrôles documentaires et l'examen ante mortem -l'examen médical que subissent les animaux avant l'abattage- prennent une importance beaucoup plus grande. Cet effort est effectué au détriment d'autres tâches, puisque les moyens restent les mêmes. Je ne vois pas en ce domaine de carence particulière. M. le Rapporteur Je m'étonne de certaines de vos affirmations concernant la gestion administrative du problème sanitaire. Je suis un peu surpris de constater qu'en face des rubriques -qualité des décisions prises, rapidité et efficacité de ces décisions-, vous n'émettez ni critiques, ni propositions. Or, s'agissant de la qualité des décisions prises, ce matin, notre attention a été attirée sur un arrêté publié le 14 avril 1996 et retirant de la chaîne alimentaire l'encéphale, la moelle épinière, le thymus, les amygdales, la rate et les intestins, pris comme une entité, des bovins nés avant 1991. D'aucuns ont argumenté de façon assez solide que, pour les intestins, cette décision n'était pas fondée, car on ne peut pas considérer comme un tout l'intestin grêle et le gros intestin ; ce sont deux entités anatomiques et physiologiques différentes et les risques qu'ils présentent ne sont pas les mêmes. Comme cet arrêté est signé par le vétérinaire en chef Vallat, je vous demande si vous maintenez votre position sur la qualité des décisions prises. Ne pensez-vous pas, eu égard à l'évolution des connaissances, que cette mesure est excessive ? Pour ce qui est de la rapidité avec laquelle les décisions ont été prises, le directeur général de la santé nous a tenu des propos inverses ; de son point de vue, on aurait pu gagner beaucoup de temps, de nombreux mois, peut-être même quelques années. Comment s'explique cette divergence d'appréciation ? Concernant l'efficacité des mesures mises en place, vous constatez que rien aujourd'hui n'indique qu'elles n'ont pas eu l'effet souhaité ; l'interdiction d'introduire sur notre territoire des farines de viandes d'origine anglaise n'a pas été suivie d'importations clandestines importantes. Or, dans le journal Le Monde » d'aujourd'hui, il est indiqué que de janvier 1993 à mars 1996, la France aurait importé 153 900 tonnes de farines animales britanniques. Ces pratiques auraient continué jusqu'en juin dernier malgré l'embargo. Cet article assez documenté vient à l'appui d'autres éléments. Maintenez-vous que vous n'avez rien à dire sur la qualité des décisions prises, leur rapidité et leur efficacité ? M. Jacques BARRIERE S'agissant de la qualité des décisions, il faut dire que ces décisions reposent sur le principe de précaution, mais doivent aussi tenir compte, dans un deuxième temps, de certaines contraintes techniques de faisabilité des opérations. Des observateurs qui ne prennent pas en compte ces deux éléments ont pu trouver excessives certaines mesures. Quant à la rapidité des décisions, il est évident qu'on peut toujours aller plus vite. Il ne s'est tout de même écoulé qu'un an entre le moment où les farines ont été interdites dans l'alimentation des bovins au Royaume-Uni et le moment où cette interdiction a été prononcée en France, et je ne crois pas pouvoir être contredit lorsque j'affirme que la Communauté, quant à elle, n'a pris de décision à cet égard qu'en 1994 soit cinq ans après. L'obligation d'avoir un troisième feu rouge sur les voitures à hauteur des yeux s'applique aux Etats-Unis depuis au moins dix ou quinze ans. Combien de temps a-t-on mis en France pour la mettre en oeuvre ? Et il est toujours possible d'utiliser de l'amiante dans la construction en France ! Alors, notre administration de l'agriculture a-t-elle été si lente ? S'agissant de l'efficacité de la mise en oeuvre des mesures, en particulier en ce qui concerne l'interdiction d'importer des farines anglaises, c'est une question complexe parce que ces farines n'ont pas servi uniquement à l'alimentation des bovins. Elles ont pu être utilisées pour d'autres espèces, -les porcs, les volailles- chez qui elles n'ont pas de conséquences pathogènes, ou tout au moins pas de conséquences sur la santé publique, puisqu'on a pu infecter expérimentalement un porc. Mais il est certain aussi que ces importations ont pu augmenter et que des importations détournées passant par des pays tiers ou d'autres pays de la Communauté ont pu avoir lieu. Je n'en dirai pas plus une enquête du ministère de l'agriculture est en cours. De toute manière, le mode d'élevage et d'alimentation des bovins en France n'a pas généré un risque comparable à celui qui existe au Royaume-Uni. Je rappelle en outre que les techniques analytiques ne nous permettent pas de rechercher méthodiquement les farines dans les produits finis destinés à l'alimentation des animaux. M. Georges SARRE Tout d'abord, est-il exclu que des farines anglaises légalement importées pour nourrir des volailles aient frauduleusement été données à des bovins ? Un éleveur a pu se dire, au moins avant que l'affaire ne devienne publique, que si les poulets en mangeaient, les vaches le pouvaient aussi. Ensuite, quels sont les pays européens qui auraient vendu des farines susceptibles d 'être contaminées ? Par ailleurs, d'après vous, comment se fait-il que seuls quelques pays européens reconnaissent avoir eu des bêtes victimes de l'ESB ? J'aurais pour ma part tendance à craindre que le cheptel de tous soit peu ou prou atteint. Enfin, est-il exact que lorsque le Gouvernement britannique a pris des mesures d'interdiction pour sa consommation intérieure, les services vétérinaires, les services de contrôle en général, n'étaient plus en mesure d'assurer un suivi et d'avoir une politique efficace, après le passage de l'ouragan libéral soufflé par Mme Thatcher ? Je me permets pour finir une observation. Vous avez parlé de l'hygiène, soit. Mais que vient faire l'Education nationale là-dedans ? J'ai appris à l'école, au collègue, au lycée, mais aussi à la maison, à me laver les mains et les dents. Il me semble que le rôle des familles, à cet égard, est beaucoup plus important que celui de l'école. L'école est là pour transmettre des savoirs. C'est sa mission essentielle. Vous citez les pays anglo-saxons en exemple, mais l'Angleterre n'est-elle pas à l'origine de cette crise ? M. Jacques BARRIERE La réponse est dans votre quatrième question. M. Georges SARRE Quant au troisième feu rouge, c'est moi qui en ai pris la décision. Il faut savoir que toutes les fois que l'on prend une mesure technique en faveur de la sécurité routière, l'on allège la responsabilité du conducteur et d'une certaine façon, l'on favorise un certain nombre d'accidents. Cette décision dont je suis responsable a donc ses avantages et ses inconvénients. M. Jean-Marie MORISSET Je reviens au problème des intestins. Nous ne contestons pas le principe de précaution. Mais pouvez-vous invoquer les contraintes techniques ? Je crois qu'aujourd'hui on sait séparer les gros intestins et les intestins grêles. Plus généralement, quelles relations avez-vous eues avec le CNEVA pour évaluer la portée des différentes mesures prises ? Vous avez parlé d'un regroupement des services de contrôle sans mentionner sous quelle autorité. Il serait important de le savoir. M. Pierre FORGUES Votre exposé me surprend un peu. Vous avez dit qu'il faut rassurer le consommateur et pour ce faire, vous expliquez que l'incidence de l'ESB sur la santé humaine est beaucoup plus faible que celle d'autres maladies. Mais ce n'est pas le problème les autres maladies, on les soigne, celle-là, non. Ce n'est pas un problème statistique. L'opinion publique a perdu confiance dans les contrôles sanitaires. Il y a sans doute des raisons très objectives à cela. Est-ce un problème de moyens ? Est-ce le fait que très souvent on privilégie l'enjeu économique au détriment de la santé publique ? En tout cas, je ne vois pas beaucoup d'informations scientifiques dispensées par vos services aux consommateurs. L'élevage est de plus en plus technique, il utilise toutes sortes de médicaments ; est-ce bon pour la santé ? Nous avons besoin d'informer les consommateurs de façon rigoureuse, objective, indépendante et, à ce moment-là, la confiance se rétablira. On ne les rassure pas en taisant la difficulté, la complexité, sa propre ignorance. Il faut prendre le problème autrement. Vous dites que l'origine d'un animal importe peu ; peut-être, mais la façon dont il a été nourri a beaucoup d'importance, car la viande sera différente selon son alimentation. Je vous invite à goûter des agneaux des Pyrénées, par exemple. Vos services devraient informer les consommateurs de l'influence de l'alimentation des animaux sur le goût de leur viande. Nous avons besoin de créer un système pour la santé publique qui ne soit pas contrôlé par le seul ministère de l'agriculture et uniquement composé de vétérinaires, quelles que soient leur bonne volonté et leurs compétences. Mme Ségolène ROYAL Vous êtes président du syndicat national des vétérinaires-inspecteurs. Vous avez donc, j'imagine, des contacts avec vos homologues étrangers, notamment anglais. Le jour où vous avez appris que les Anglais considéraient que ce qui était mauvais pour eux, à savoir les farines de viande contaminées, restait bon pour leurs voisins, pourquoi votre syndicat s'est-il tu ? Avez-vous une obligation de réserve ? Ou bien, comme on le constate au fil des auditions, y a-t-il une espèce de mollesse générale, chacun se taisant pour ne pas affoler l'opinion tout en éludant ses responsabilités ? M. Jacques BARRIERE Je vais répondre d'abord à Mme Royal. J'ai été informé non par des collègues anglais, mais par la presse anglaise, deux mois avant l'incident du 20 mars. Il y avait un gros titre sur l'ESB, en première page d'une revue scientifique qui a une édition française et américaine, à propos de l'éventualité d'un lien avec des cas humains. Pourquoi le silence de mon syndicat sur ce point ? Les vétérinaires-inspecteurs -600 en France- n'ont pas une disponibilité infiniment extensible. Ils centrent leur action sur les enjeux d'organisation administrative et les aspects statutaires. Tout ce qui relève du travail technique et scientifique effectué au quotidien par l'administration dont nous dépendons ne fait pas l'objet de critiques de notre part, tant que cela ne pose pas de problèmes statutaires ou d'organisation administrative. Mme Ségolène ROYAL Ce n'est pas ma question. Je vous parle du jour où l'utilisation des farines a été interdite en Grande-Bretagne. Compte tenu de vos responsabilités et de vos fonctions, vous avez été informé qu'un certain type de farines était interdit en Grande-Bretagne, mais que, pour des raisons commerciales, elles continuaient à être exportées, notamment en France. Pourquoi, à ce moment-là, ne vous êtes-vous pas opposé à ces importations ? M. Jacques BARRIERE C'était en 1988 ; je n'avais pas de responsabilités syndicales et je ne me rappelle pas non plus avoir eu d'informations relatives à l'interdiction de l'utilisation des farines. Je ne me souviens pas vraiment de cette période. Il faudrait poser la question à des fonctionnaires qui étaient alors en poste à la direction générale de l'alimentation. Quant aux relations avec le CNEVA ou à la réglementation applicable aux intestins, ce sont des questions qui ne sont pas de ma compétence. Je ne peux pas m'engager sur des aspects aussi pointus, sur lesquels vous devriez consultez des spécialistes. Pour ma part, je ne suis qu'un modeste fonctionnaire qui applique les règlements et qui ne cherche pas systématiquement à savoir pourquoi et comment ils ont été élaborés. Sinon, j'aurais beaucoup moins de temps pour les appliquer. Pour le syndicat national des vétérinaires-inspecteurs, le problème de l'ESB n'est pas avant tout un problème de santé publique mais d'opinion publique. Le dernier épisode de listériose a fait soixante ou soixante-dix morts ! Voilà un problème sanitaire aigu. l'ESB est un problème sanitaire comme on en a plein dans les tiroirs », comme dirait un de mes collègues. C'est à dire qu'il y a un danger potentiel, que ce danger est grand aussi bien pour les animaux que pour les humains. Mais nous savons gérer ce genre de problème. En revanche, nous ne savons pas du tout gérer l'opinion publique. Il est vrai que mon administration ne délivre pas d'informations. En termes de communication, la mission de protection de la santé publique assurée par les directions des services vétérinaires n'a pas été assumée jusqu'à l'actuel Gouvernement. Qui, parmi nos citoyens, sait que ce sont les services vétérinaires qui font le contrôle des denrées alimentaires ? Personne. Il faut qu'une communication soit délivrée en permanence par le ministère compétent à l'attention de la presse afin d'apporter au consommateur une information dans le domaine médical, bien sûr, mais aussi sur le monde rural, la façon dont aujourd'hui on élève les animaux. Cela éviterait de voir surgir régulièrement des scandales. Bien sûr, il y aurait peut-être un effet-retour », c'est-à-dire que le comportement des éleveurs se modifierait sous la pression d'un certain nombre d'associations. Je ne porte aucun jugement, d'ailleurs, ni sur les méthodes d'élevage, ni sur les associations qui défendent le bien-être des animaux. Sur l'importance de l'alimentation, je suis d'accord pour dire qu'elle conditionne la qualité de la viande, de même que la race, alors que l'origine de l'animal n'a pratiquement aucune importance. Le mode d'alimentation n'est toutefois pas sans lien avec l'origine géographique il est certain que l'herbe du Limousin est plus verte que celle des plaines de la Crau dans les Bouches-du-Rhône. S'agissant de la tutelle d'un futur établissement public de contrôle, les vétérinaires-inspecteurs et les agents des directions des services vétérinaires auraient certainement tendance, par culture, à proposer celle du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Il n'en reste pas moins vrai que les citoyens, dans leur ensemble, considérant qu'il s'agit d'une mission de protection de la santé publique, pensent que le ministère de la santé est seul légitime. Avec un peu de recul, cela se comprend. Il reste qu'aujourd'hui, la santé publique alimentaire relève du ministère de l'agriculture. Peu importe aux agents des services vétérinaires, si la mission de protection de la santé publique est bien assurée. Quant à la responsabilité de l' ouragan libéral » provoqué par Mme Thatcher, j'aimerais vous faire part des quelques connaissances que j'ai sur la situation anglaise. Il faut savoir que la Grande-Bretagne avait du temps de Mme Thatcher une organisation qui était celle de la France avant 1965 il y avait bien un service d'Etat, mais composé d'un très petit nombre de fonctionnaires ; sur le terrain, il s'appuyait sur l'intervention de fonctionnaires relevant de deux autorités différentes, communes et comtés. Il y a quelques années -et la crise de l'ESB a dû jouer un rôle-, on s'est rendu compte en Grande-Bretagne du décalage entre ce type d'organisation et les exigences sanitaires modernes. Une nouvelle organisation a été décidée ; elle se met en place progressivement, mais elle n'a pas encore produit les effets attendus. On se trouve donc encore en Grande-Bretagne dans une phase de transition entre une organisation complètement dépassée et une organisation beaucoup plus proche de la nôtre, avec une compétence reconnue au ministère de l'agriculture. Tous les pays ont-ils des cas d'ESB ? Et pourquoi, le cas échéant, ne les déclarent-ils pas ? Il y a eu soixante cas d'ESB en Suisse ; il n'y en a eu que vingt en France depuis 1986. Donc, sans doute les Suisses soupçonnent-ils les vétérinaires libéraux français de ne pas faire leur travail et l'administration de les couvrir... Dans la logique communautaire, nous devons bien faire confiance à nos voisins ; en tant que fonctionnaire, je ne peux pas faire autrement que de juger conforme le travail de mon collègue allemand, hollandais ou belge. Il reste que, dans les administrations centrales, les personnes qui participent aux négociations communautaires, qui ont une expérience du fonctionnement des services des autres pays, ont un point de vue précis sur leurs lacunes éventuelles. Chaque pays en a -la France est probablement un de ceux qui en ont le moins, mais elle en a certainement aussi- ; cependant, sur une question aussi grave que l'ESB, je ne pense pas qu'il y ait de dissimulation véritable, d'autant qu'il y a peu de grands pays d'élevage. La Grande-Bretagne a ainsi deux fois moins de bovins que la France. Il n'est donc pas anormal que nous ayons plus de cas d'ESB que d'autres. En ce qui concerne des pays qui auraient pu importer des farines d'origine anglaise, sous toutes réserves, dans l'attente des résultats de l'enquête du ministère de l'agriculture, il me semble qu'il pourrait s'agir des Pays-Bas, de l'Espagne et de la Belgique. Quant à savoir si oui ou non un éleveur peut donner de la farine pour poulet à des vaches, il le peut bien sûr. Il peut aussi leur donner de l'antigel et cela les tue assez rapidement ! Soit on applique un principe de précaution maximal et on s'expose au risque de se voir faire le reproche d'ultra-prévention -je vous renvoie à la question sur les intestins-, soit on essaye d'ajuster au mieux, et on s'expose forcément à un certain nombre de détournements. Mme le Président Je vous remercie. Audition de M. Michel TEYSSEDOU, président de la Chambre d'Agriculture du Cantal extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 10 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Michel TEYSSEDOU Je suis heureux de vous faire part de quelques analyses et de quelques perspectives. Je suis un éleveur du Cantal, très concerné par l'avenir de l'élevage allaitant, qui est un élevage extensif, à partir de l'herbe. Je vous ai remis un document qui, de façon très succincte et condensée, résume les analyses et les perspectives qui sont les nôtres en pleine crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine. L'apparition de l'ESB suscite de nombreuses interrogations, c'est une litote, de la part des consommateurs et de la société quant aux pratiques de l'élevage et de l'alimentation des animaux. Ces interrogations se traduisent aujourd'hui par une perte de confiance, qui, elle-même, se traduit par une baisse de la consommation de viande bovine. Elle intervient dans un secteur qui, de façon structurelle, connaissait des excédents, accrus par la crise de l'ESB, d'une part et par la contrainte très forte que constituent les accords du GATT, d'autre part. Pour comprendre cette situation, il faut analyser les caractéristiques de l'évolution considérable de la production des viandes sur une période assez longue, depuis 1950. J'essaierai ensuite de vous faire partager l'analyse que nous faisons sur le déséquilibre du marché de la viande bovine en Europe, amplifié par la crise de l'ESB. L'accélération de la crise nous interpelle sur le fond et nous oblige à apporter des réponses. Nous, c'est à dire autant la profession que les pouvoirs publics, parce que les choses ne seront plus comme avant. Il y a deux interrogations de fond quels systèmes d'élevage l'Union européenne veut-elle promouvoir demain ? Quelles missions assigner à l'agriculture et à la politique agricole commune ? Sur les caractéristiques de la formidable augmentation de la production mondiale des viandes depuis 1950, le document que je vous ai remis indique l'évolution de sa répartition entre les différentes espèces entre 1950 et 1990. La part de la viande bovine et de la viande ovine n'ont cessé de régresser, alors que celle de la viande porcine et plus encore de la viande de volaille ont augmenté. On peut expliquer cela par des logiques de progrès, qui ont été très différentes selon les espèces. En production porcine, ils sont dûs à la taille des portées, au nombre des porcelets, à la vitesse de la croissance et à la composition de la carcasse, autrement dit le pourcentage de muscles. En production de volailles, le nombre très élevé de petits par femelle a rendu la sélection très rapide et le coût de la nourriture pour les parents bien plus faible. Je me suis appuyé sur les travaux de spécialistes, car je n'ai pas de compétence pour mener de telles études. Par ailleurs, la hiérarchie des prix à la production entre les différentes espèces s'est complètement inversée. C'est ainsi que, sur la base de l'indice 100, la viande bovine représentait 94 en 1950 et 160 en 1990. La viande de volaille représentait 128 en 1950 et 100 en 1990. Ce qui veut dire que plus on a intensifié la production, plus on l'a, j'ose le dire, industrialisé, plus on a baissé les prix, plus on a développé la consommation, il faut le reconnaître. En 1950, les prix étaient peu différents d'une espèce à l `autre, la volaille étant la plus chère. En 1990, les prix sont très différents, la volaille étant l'une des moins chères. Le rendement de la production est par ailleurs très différent d'une espèce à l'autre. Les techniques disponibles permettent d'atteindre dans les meilleures situations les rendements suivants en UF unités fourragères par kilo de viande produite. Il faut trois kilos de céréales pour faire un kilo de poulet, quatre kilos de céréales pour faire un kilo de cochon, treize kilos de céréales pour faire un kilo de viande bovine issue du troupeau laitier ou de viande ovine issue du troupeau lainier et vingt kilos de céréales pour un kilo de viande bovine ou ovine en troupeau spécialisé. La production mondiale de viandes bovine et ovine n'a ainsi été multipliée que par 2,5, croissant au même rythme que la population mondiale, alors que la production de la viande de porc a été multipliée par 4,3 et celle de volaille par 7,5, ce qui est considérable. La viande bovine est donc confrontée à un grave problème de compétitivité. Le rapport des prix des viandes d'herbivores ovins et bovins, à celui des viandes de granivores volailles et porcs, bien qu'il ait augmenté, n'atteint pas le rapport des rendements. Le rapport des prix n'a rien à voir avec les possibilités de rendement. Ainsi, la production de viandes blanches » ou de granivores peut se développer partout sur la base d'une alimentation achetée, stockable et transportable il s'agit de céréales et d'autres concentrés. Elle se développe notamment là où une demande existe, proche des centres de consommation c'est l'exemple du développement de la production porcine en Catalogne. En revanche, les productions ovine et bovine ne peuvent se développer qu'à grande échelle, là où de grands espaces fournissent de l'alimentation peu coûteuse et où la vente d'un autre produit -laine ou lait- couvre une partie des coûts de l'élevage. Ceci démontre qu'il y a nécessité et urgence à se rendre compte que, dans une approche strictement économique, la production de viande bovine est devenue dans des logiques nouvelles, un sous-produit d'une autre production ; là est sa rentabilité. Par déduction, en production principale, elle est extrêmement vulnérable et menacée. Je vous livre quelques analyses du déséquilibre du marché de la viande bovine en Europe. La crise de l'ESB qui s'est déclenchée le 20 mars 1996 a entraîné un recul fort de la consommation, amplifiant ainsi des excédents structurels importants dont les origines sont multiples. Tout d'abord, une tendance à la baisse de la consommation depuis les années 1980 les recommandations nutritionnelles fondées sur l'intérêt d'une diminution des graisses d'origine animale ont été d'autant plus suivies que le prix de la viande de boeuf est resté relativement élevé, alors que l'offre d'autres viandes s'est faite à un prix plus faible et qu'elle a bénéficié d'une meilleure image nutritionnelle. C'est ce que je viens de dire à propos des viandes blanches. D'autre part, avant même l'ESB, les perspectives pour la consommation européenne n'étaient pas bonnes la croissance démographique se ralentit ; la baisse du prix des céréales a des conséquences sur le prix de revient des viandes blanches et accentue la hausse du prix relatif de la viande de boeuf. Par ailleurs, une tendance à l'accroissement de la production due à la réforme de la PAC, qui n'a pas mesuré l'interaction entre les différents secteurs de production, l'interdépendance économique entre les différentes politiques sectorielles par produit, d'un côté les céréales, de l'autre, les animaux. Les instruments de gestion de l'organisation commune du marché de la viande bovine, à savoir les quotas de primes, ont permis la maîtrise budgétaire, mais en aucune manière la maîtrise de la production la production de viande bovine sans prime a pu se développer en marge d'autres ateliers lait-céréales. En outre, les contraintes de chargement ensuite se sont avérées insuffisantes puisque les petits troupeaux inférieurs à 15 UGB en étaient exclus et que le calcul de chargement ne prenait en compte que les animaux pour lesquels une prime était sollicitée. Il s'agissait donc d'un seuil d'écrêtement et non d'un seuil d'exclusion. S'y est ajouté que la prime attribuée aux hectares de céréales autoconsommées, pour des éleveurs de polyculture, offre un avantage comparatif considérable aux ateliers de production intensifs à base de maïs. Ces aides aux céréales autoconsommées représentent tout de même aujourd'hui 4 milliards de francs en France, soit environ autant que la prime à la vache allaitante. Enfin, la limitation des exportations a constitué une autre contrainte en plus de la réduction de la consommation et de l'augmentation de la production. Outre un contingent dérogatoire d'importations d'environ 500 000 tonnes, les accords du GATT prévoient une diminution des exportations sans restitution de 1,2 million de tonnes en 1992 à 800 000 tonnes environ en 2 000. Nous allons avoir un excédent structurel très conséquent qui va encore peser sur le déséquilibre du marché. Il paraît tout à fait illusoire d'espérer exporter de la viande bovine hors restitution compte tenu du différentiel de prix avec les pays tiers, qui est de l'ordre de 10 francs par kilo. De plus, l'Union européenne s'est engagée par les accords Andriessen » - du nom de l'ancien commissaire à l'agriculture -, confirmés lors des négociations du GATT de 1993, à ne pas subventionner ses exportations vers l'Extrême-Orient, zone de potentiel important de développement de la consommation. Ainsi pour l'Union européenne, l'excédent annuel non exportable, de 500 000 tonnes en 1996, qui était au niveau zéro au début de l'année, pourrait s'élever à l'horizon 2000 à un niveau allant de 800 000 tonnes à 1 500 000 tonnes selon les hypothèses d'évolution de consommation, certains parlant même de 2 000 000 tonnes. C'est dire l'urgence d'une réflexion approfondie sur la politique de l'élevage et sur la politique agricole à mettre en oeuvre en Europe. Voilà pour la partie analyse. Quelques perspectives sous la forme interrogative maintenant. Quel système d'élevage l'Union européenne veut-elle promouvoir ? Si on veut répondre à cette question, il faut partir de la situation actuelle. La viande, il faut le reconnaître, est issue de systèmes de production très variés qui peuvent être regroupés en trois catégories. Premièrement, l'élevage extensif de rente. La base de l'alimentation est constituée en ce cas de pâturages non cultivés les grands élevages non sédentaires de l'hémisphère sud, ranchs nord-américains et brésiliens ; l'élevage australien est le plus caractéristique de ce modèle. Ainsi, les deux tiers de la viande bovine australienne sont produits dans 20 000 exploitations de 13 125 hectares en moyenne, soit 728 têtes de bétail et 1,8 UTH par exploitation unité travail homme - équivalent temps plein annuel soit 7 300 hectares/UTA unité de travailleur agricole. Ces exploitations produisent 38,5 tonnes d'équivalent carcasse par UTA, c'est-à-dire 5,3 kilos de carcasse par hectare. Deuxième modèle, l'élevage paysan. Associé à une grande diversité de productions végétales, on le trouve chez tous les paysans du monde. La Chine en est l'exemple le plus significatif avec des centaines de millions de très petites exploitations agricoles. La race limousine correspondait parfaitement à ce type d'élevage familial de petite production. Troisième modèle, l'élevage intensif spécialisé. Ce sont des unités de production spécialisées sur une espèce animale et sur un produit. Ce modèle ne s'est développé que récemment grâce à la baisse du prix des céréales c'est dans la production de volailles qu'on l'observe le plus souvent, mais on le trouve aussi en viande bovine pour la dernière phase de l'élevage, notamment l'engraissement. Ces trois modèles fonctionnent rarement à l'état pur et, dans un pays donné, deux modèles peuvent coexister. Mais ceux-ci fonctionnent sur le même marché international. L'Union européenne doit donc intégrer les conséquences de son option pour la libéralisation des échanges et le rapprochement de ses prix intérieurs avec le prix mondial le système d'élevage européen doit-il évoluer vers le système d'élevage australien ? Si la réponse est positive, il y aura, par exemple trente exploitations dans le Cantal contre 7 500 aujourd'hui, puisque nous avons 380 000 hectares d'herbe. Il faut savoir si la mondialisation de l'économie nous conduira à cette finalité, sinon il faudra apporter très rapidement un certain nombre de réponses en termes de choix politiques. Quelle politique agricole pour l'Europe ? La PAC du traité de Rome de 1957 avait des objectifs précis accroître la productivité de l'agriculture ; assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs ; stabiliser les marchés; garantir la sécurité des approvisionnements ; assurer des prix raisonnables pour le consommateur. Ces objectifs ayant été globalement atteints, il convient aujourd'hui de redéfinir une nouvelle politique à partir de la question essentielle la politique agricole européenne doit-elle avoir pour objectif de fournir des produits au prix mondial, avec les conséquences que comporte ce choix en termes de nombre de producteurs ? Ou bien la politique agricole européenne doit-elle tenir compte des autres missions que peut jouer l'agriculture de façon induite, en matière d'emploi, d'aménagement du territoire, de préservation de l'environnement - il s'est passé des choses importantes au Sommet de Rio, il serait temps que l'agriculture le sache - tout en pérennisant les valeurs culturelles et sociales dont le monde agricole est porteur ? La politique agricole européenne doit être cohérente entre les secteurs de production. Je vous ai parlé tout à l'heure de l'interaction entre les différents secteurs de production qui n'avait pas été prise en compte par la politique agricole commune. Elle doit maintenant l'être très vite, afin de trouver de la cohérence entre les différents secteurs de production. Pour une part importante de la production 70 % en Europe, la viande bovine est un sous-produit du lait. D'autre part, la moitié de la viande résulte de la transformation de céréales et le quart de ces céréales produites dans le monde est transformé en viandes. La viande est ainsi un des régulateurs fondamentaux du marché des céréales au niveau de chaque espace de marché intérieur et ceci au niveau mondial. Je veux dire par là que la politique céréalière quelle qu'elle soit n'est jamais sans conséquences pour le secteur de la viande bovine, bien au contraire. La viande bovine est le sous-produit des viandes blanches, qui elles-mêmes sont le sous-produit par la première transformation des céréales. Donc la politique agricole européenne doit être équitable dans la répartition de ses moyens. Il s'agit d'instruments en l'occurrence. La réforme de la PAC a eu pour conséquence d'accroître de 8,8 milliards d'écus les dépenses budgétaires entre 1991 et 1996, ce qui correspond à une croissance de 27 % en écus courants toutes dépenses confondues interventions, restitutions, aides directes. Ce résultat peut être décomposé en quatre grandes catégories de produits - les cultures arables pour lesquelles les dépenses augmentent de plus de 8 milliard d'écus et qui absorbent 42 % du budget total contre 29 % avant la réforme ; - le lait et les produits laitiers qui ne représentent que 10 % du budget contre 17 % en 1991 ; - la viande bovine dont les crédits progressent d'1 milliard d'écus ; cette augmentation de 25 % conduit à maintenir les dépenses en faveur de cette production à 13 % du total, avant comme après la réforme ; - les autres actions dont les crédits progressent de plus d'1 milliard d'écus. Cette recomposition des dépenses a donc bénéficié principalement aux grandes cultures », en s'accompagnant d'une profonde modification de la nature des dépenses, à savoir l'accroissement des aides directes au détriment des mesures de gestion du marché. Vous comprendrez que ma conclusion soit la suivante le choix d'une agriculture européenne apte à répondre aux attentes de la société nécessite sans aucun doute un rééquilibrage des soutiens de l'intensif vers l'extensif, pour des raisons de qualité et de reconquête de la confiance. Car je suis convaincu personnellement que la qualité ne peut être que synonyme du territoire et qu'elle nécessite une réorientation des moyens budgétaires du végétal vers l'animal, compte tenu de l'interaction économique entre les secteurs de production. La crise de l'ESB peut aussi servir de révélateur et aider à de nouvelles orientations porteuses d'avenir. En tout état de cause, les éleveurs ont besoin de perspectives, car ils sont désorientés. M. le Rapporteur En définitive, vous avez traité des enseignements qu'on pouvait tirer de la crise de l'ESB, c'est à dire l'occasion de réformer notre politique agricole. C'est bien cela le message que vous avez voulu faire passer profitons de ce cataclysme agricole pour remettre les pendules à la bonne heure ? M. Michel TEYSSEDOU Oui, il y a cela. Mais je pense aussi que les logiques d'intensification excessive ont été d'une certaine façon le fait générateur de la crise de l'ESB. Je ne suis pas un scientifique, mais faire manger de la viande à des herbivores, ce n'est pas conforme à l'agronomie, à l'agriculture et aux pratiques ancestrales. M. le Rapporteur Votre message est donc que l'intensification a montré ses limites, qu'elle n'est probablement même plus justifiée au plan économique - outre les désordres qu'elle a engendrés au travers de cette crise - et qu'il faut donc revenir à une agriculture et à un élevage à taille humaine. M. Michel TEYSSEDOU Il ne s'agit pas de faire marche arrière. Les traditions ne valent que parce qu'elles vivent. Mais il s'agit de comprendre que nous devons produire de la qualité de façon économique et il faut expliquer que cette qualité a un coût. On ne peut pas lutter à armes égales, à qualité très différenciée et à prix égal. Ce n'est pas possible. Cela implique un souci de pédagogie en direction du consommateur en développant des logiques de traçabilité », d'identification, de typicité des produits, on peut tout imaginer. Cela coûtera plus cher, mais c'est le prix à payer pour être alimenté en bonne santé. M. le Rapporteur Vous vous exprimez en tant que président de la Chambre d'agriculture du Cantal. Votre point de vue reflète-t-il ce que pensent réellement l'ensemble des éleveurs ? Pensez-vous que votre message peut être reçu ? M. Michel TEYSSEDOU Je peux répondre que lors de chaque crise, en règle générale, la profession a fait des prouesses en matière d'adaptation. Elle est contrainte cette fois-ci encore d'en réaliser de nouvelles. Mais, s'il y a encore un peu de bon sens paysan, il est possible d'affirmer, qu'en dehors du tryptique produit-sol-homme il est peut-être maladroit de mettre l'homme en dernier, mais si je mets le produit en avant, c'est parce que j'ai le souci de l'économie il n'y a pas d'agriculture possible, sinon en termes de production industrielle, c'est-à-dire sans sol. Un seul exemple je vous ai cité le chiffre de la production de viande australienne à l'hectare 5,3 kilos. Je peux maintenant vous dire qu'on produit 180 kilos de viande au mètre carré de poulailler de dinde ! C'est-à-dire plus que sur 10 000 mètres carrés d'herbe dans le Cantal ; à surface équivalente, les Cantaliens produisent donc 10 000 fois moins de kilos de viande que ceux qui produisent de la dinde dans les poulaillers. Il ne peut s'agir du même produit ni du même revenu ni de la même politique agricole ou du même modèle social. C'est l'économie qui le régulera ou bien c'est le politique qui s'emparera de sa responsabilité pour le réguler. M. Jean-Marie MORISSET Comment sont perçues sur le terrain les mesures prises à court terme ? Par ailleurs, j'aimerais avoir votre point de vue par rapport aux trois types d'élevage. Lequel choisiriez-vous ? En quoi consistent précisément l'intensification et l'extensification ? Peut-on aujourd'hui dans un département rural, dire qu'une exploitation de 40 hectares est une exploitation moyenne ? Avec un taux de chargement d'environ 1,4 UGB, peut-on dire qu'il faut descendre à 1,2, parce qu'on estime que cela va régler les problèmes de la production ? Certes, mais cela ne va pas régler celui du revenu. Comment conciliez-vous l'extensification avec le problème du revenu ? Et quel est votre point de vue sur l'équarrissage ? M. Michel TEYSSEDOU Vous posez une question de fond, qui doit avoir une réponse politique et économique. On ne peut défendre le modèle social de l'élevage allaitant français que dans une logique de maîtrise de la production. Vouloir soutenir la compétitivité mondiale aux prix australiens ou argentins, c'est faire le choix, pour mon département, de passer de 7500 exploitations à 38. C'est mathématique. Dans un cas, il y a 50 hectares, dans l'autre, il y en a 13 000. Donc, réponse politique avant la réponse économique. Dans la perspective d'un élevage extensif s'inscrivant dans une logique de maîtrise, l'intérêt est de réduire le nombre de moules à veaux », pardonnez-moi l'expression, c'est-à-dire de mères. Quand on sait que 70 % de la viande bovine est issue du troupeau laitier en Europe, cette proportion étant de 50 % en France, on peut comprendre que le coût de revient d'une production complémentaire à celle du lait, n'est pas le même que dans le cadre d'une production spécialisée en viande bovine. Quand on est producteur de lait, qu'on a un quota de 200 000 litres, 20 hectares de maïs compensé et qu'on fait des taurillons laitiers, on ne se situe pas sur les mêmes bases de compétitivité que quelqu'un qui fait seulement de l'allaitant et du broutard à partir d'herbe. C'est cela l'interaction économique entre les productions. Et si, de plus, cette viande issue du troupeau laitier ou des troupeaux allaitants est concurrencée par la compétitivité de la dinde et du poulet, voire du porc qui, eux-mêmes tirent leur compétitivité de la baisse du prix des céréales, parce qu'on a choisi de les aligner sur le prix mondial, vous comprenez bien qu'économiquement, on va laminer des pans entiers de notre territoire. Il faut donc des réponses différentes de celles qui peuvent être données pour les céréales. Mon propos n'est pas de dire non aux exportations de céréales et à la compétitivité des céréaliers sur le marché mondial des céréales. Il est de dire qu'on ne peut pas appliquer une même politique pour des secteurs très différents et très interdépendants. La logique de l'extensification est simple accroître la performance individuelle de l'animal en réduisant le nombre d'animaux, ce qui permet de diminuer celui des veaux et de rééquilibrer l'offre et la demande. Ceci, on le fait pour la qualité dans le cadre d'une traçabilité » au service des consommateurs qui doivent, eux, arbitrer le bien-fondé de cette orientation politique. S'ils arbitrent avec des logiques de type viande blanche », on n'y arrivera jamais. Sur le terrain, quelle est la situation ? Les gens sont très choqués, le vingt-deuxième cas d'ESB ayant été observé dans mon département ; ils ne comprennent pas ce qui se passe. Cela peut avoir une valeur pédagogique, mais c'est dévastateur sur les plans professionnel et économique. Il n'y a en effet plus de perspectives. Aujourd'hui, les gens refusent de mettre en marché des veaux à huit francs le kilo qu'ils vendaient l `an dernier quinze francs. Le niveau des marchés n'est absolument pas le résultat d'une situation normale, mais celui d'une rétention de l'offre avec l'attente d'un plan compensatoire pour le maigre, faute de quoi, il y aura des faillites. Cela dit, le plan compensatoire ne pourra pas couvrir la totalité de la perte et il faudra qu'une partie de la non compensation conjoncturelle soit apportée sous forme de perspective dans la future politique de l'élevage. Et si l'on attend deux ans pour définir celle-ci, je peux vous dire que des dégâts considérables se seront produits et que bien des bonnes volontés seront désespérées. Sur l'équarrissage, nous avons une position particulière dans le Cantal, parce que depuis plus de vingt ans la profession avait pris l'initiative de créer une usine d'équarrissage avec un partenaire privé qui est Sanofi. Nous avons donc eu, jusqu'à aujourd'hui, une rentabilité économique suffisante permettant le ramassage gracieux des cadavres. C'était un choix politique pour éradiquer plus vite la brucellose dont nous étions infestés. Nous avons pensé que la meilleure façon de ramasser les cadavres et d'être sûrs de tous les ramasser, c'était de le faire gratuitement. Aujourd'hui, nous sommes dans une moins mauvaise posture que les autres, mais nous sommes quand même mal et nous cherchons des solutions au niveau d'un financement à partir des collectivités locales, du conseil général, voire même peut-être de la profession. Mme le Président Selon vous, comment pourrait-on organiser le nouveau marché communautaire de la viande ? Vous nous disiez qu'il n'était pas question de remettre en cause le rôle des céréaliers, car ils ont un rôle économique prépondérant. Mais que pensez-vous du combat »entre l'extensif et l'intensif ? Je crois qu'il ne faut pas aller dans ce sens et qu'il ne faut pas créer de catégories. Chaque région a un type de production adaptée. Ceci dit, je vous rejoins quand vous dites qu'il y des pans entiers de la France qui disparaîtront si on supprime l'extensif. M. Michel TEYSSEDOU Sur la dernière question, mon propos n'est pas de dire, comme le préconisait la Communauté depuis plusieurs années on va vous aider financièrement à désintensifier. Mon propos est de dire qu'on n'a jamais pris en compte les schémas extensifs. C'est totalement différent. On a, depuis trente ans, au nom de l'autosuffisance alimentaire, aidé avec l'argent public au développement de la production, à la conquête de gains de productivité, certains ont dit au productivisme. Tout ceci s'est fait avec quelques inconvénients pour l'environnement. Et aujourd'hui, l'on dit il faut encore que la collectivité aide à la mise aux normes des bâtiments, pour protéger l'environnement qui a été dégradé. Ceux qui se sont le moins développés, parce qu'ils n'en ont pas eu les moyens, ceux qui n'ont pas dégradé l'environnement, qui pratiquent un élevage extensif et qui n'ont jamais été pris en considération nulle part, qui s'avèrent porter le meilleur imaginaire dans le produit lorsqu'on parle de sa fonction nutritionnelle ; le consommateur achète le produit, d'une part pour se nourrir et d'autre part il y a une part d'imaginaire, doivent être reconnus dans leur système de production. Ils doivent être pris en considération au moment où l'Europe a besoin d'une logique de maîtrise. Elle en a besoin, parce que les accords du GATT font mal, que la crise de la vache folle » fait mal, parce que la production est excédentaire de façon structurelle. Même avant le 20 mars, on était sur cette pente-là. Si l'Europe ne répond pas par la maîtrise, cela veut dire qu'elle fait le choix de la baisse des prix et de l'alignement sur les prix mondiaux. Alors il faut en tirer les conséquences. S'il faut 10 000 hectares par éleveur dans le Massif central, disons-le. Mais, arrêtons à ce moment-là de nous battre dans les départements, pour installer des jeunes conformément à l'esprit qui a prévalu au moment de la signature de la charte en faveur de l'installation des jeunes par le Premier ministre et le CNJA. La perspective est-elle à six mois, à six ans ou à quinze ans ? Les jeunes partent pour vingt-cinq ans. Dans vingt-cinq ans, en sera-t-on aux prix australiens et argentins ou bien aura-t-on un prix européen grâce à une maîtrise ? Le problème est là. Et l'ESB est le révélateur, l'amplificateur de cette problématique latente et non exprimée. Profitons-en pour la régler ! M. Hervé MARITON Je comprends bien votre raisonnement politique et ce qui vous amène à dire que l'ESB a été le révélateur et l'amplificateur des contradictions. Mais je ne comprends pas très bien comment vous prenez appui dans votre raisonnement sur l'ESB pour dénoncer les pratiques intensives. Je crois qu'il y a une distinction entre le choix politique -ce que vous venez de dire en ce qui concerne l'installation des jeunes- et la question de savoir de quelle surface il faut disposer quand on est éleveur dans le Massif central. Vous avez, faisant écho à d'autres analyses, estimé que l'ESB démontre les limites des logiques d'intensification et évoqué un certain nombre de contradictions apparentes sur les conditions d'alimentation des animaux, qui ne sont peut-être pas aussi réelles qu'elles le semblent. Votre raisonnement ne mêle-t-il pas deux temps qui, de mon point de vue, sont assez différents, une part de raisonnement politique sur ce que doivent être les conditions d'installation et d'exploitation aujourd'hui, et l'appui que vous prenez sur la crise de l'ESB pour dire on vous l'avait bien dit, c'est la contradiction à laquelle mène l'intensification. Pourquoi a-t-on besoin de contradictions physiques pour dénoncer les politiques d'intensification ? Le raisonnement politique et économique que vous avez développé ne suffirait-il pas ? M. Michel TEYSSEDOU Peut-être ma démonstration n'est-elle pas suffisamment convaincante. Dès 1992, j'insistais sur le fait que la politique agricole commune n'a jamais mesuré l'interaction économique entre les différents secteurs et que, surtout, elle n'a pas eu le souci de faire prévaloir de la cohérence entre les différentes politiques de produits soumis à des organisations communes de marché. Quand le prix des céréales baisse, vous avez des avantages compétitifs considérables qui sont apportés aux viandes blanches, qui gagnent des parts de marché sur les viandes rouges, lesquelles ne peuvent que connaître des baisses de prix et, de fait, des excédents structurels. D'un côté, et là est le raisonnement politique, il y a une logique de développement de la production de nature quasi industrielle, et de l'autre, il y a un modèle de production qui tient le territoire » et n'a rien à voir avec les logiques de hors-sol ». Et j'affirme que la qualité sera synonyme de territoire. M. Hervé MARITON J'entends votre raisonnement politique et j'y souscris. Je trouve cependant dommage que vous fassiez écho à des raisonnements de nature écolo-fondamentalistes » pour dire on vous l'avait démontré, le progrès nuit non seulement aux conditions économiques de production, mais aussi à la qualité technique et la crise de la vache folle » en est le révélateur. M. Michel TEYSSEDOU Si j'ai donné cette impression, c'est bien malgré moi, je le regrette. Je dis simplement que les logiques de profit ont conduit à ce que le prion puisse vivre dans l'aliment et dans le cerveau de la vache ; ce sont là des logiques économiques. Ce ne sont pas des raisonnements écologiques ou fondamentalistes. Ce sont des logiques de profit et de productivisme qui sont en cause, quand on supprime l'utilisation des solvants, que l'on abaisse les températures et qu'on n'a pas compris que nos arrières-grands-pères et nos arrières-grands-mères avaient déjà du bon sens la tremblante du mouton, il y en avait au dix-huitième siècle, mais on ne mangeait pas la tête. Depuis lors, la tête a été mise dans le broyeur puis donnée à manger à une vache. Ce n'est pas la vache qui est folle, c'est le système ! Et là, il s'agit de logiques de production et de rentabilité économique. Moi, je ne suis pas un écologiste fondamentaliste. J'aime la nature, j'y vis, j'aime mon métier et je souhaiterais que l'on se pose au plan politique la question de savoir quelles sont les missions nouvelles de l'agriculture qui étaient hier induites, gracieuses, et qui ne seront pas pour autant marchandes demain, mais qui justifient que, sur l'ensemble du territoire, on privilégie l'acte de production pour une production de qualité, rémunérée le plus possible, parce qu'il n'y a pas de métier digne de ce nom sans sanction économique. Il faudra donc bien une vérité économique. Mais cela, c'est la justification d'une politique agricole, sinon il n'y a qu'à laisser faire le marché. M. Pierre FORGUES Je suis d'accord avec votre analyse et les conséquences que vous essayez d'en tirer. Donc, j'aurais envie de vous faire confiance. Mais peut-on pour autant vous faire confiance ? Parce qu'aujourd'hui, vous donnez aux politiques des pouvoirs qu'ils n'ont pas eus ou qu'en tout cas ils n'ont pas exercés. Parce que les politiques agricoles françaises, ou la politique agricole commune, ont été pensées, initiées et mises en place par votre profession, par vos responsables syndicaux. L'agriculture telle qu'elle est aujourd' hui, on n'a pas trop eu à y penser. C'était la profession qui s'exprimait. Je trouve formidable ce que vous dites. Alors si c'est à la lumière de la crise actuelle que vous prenez conscience de tout cela, je pense que c'est très bien. Et chacun a le droit de se tromper ou de s'être trompé. Je regrette que la profession soit si silencieuse, alors que les agriculteurs ne sont pas responsables de ce qui arrive. Il faut les défendre. J'aimerais voir des analyses de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, des organisations syndicales, indiquant clairement qu'à avoir trop voulu sectoriser l'agriculture, on en arrive aux contradictions actuelles. Je vais personnellement plus loin. En réalité, on a tout sectorisé, le vin, les fruits et légumes. Alors chacun défend son pré carré indépendamment des autres. Il est donc bien que l'on prenne conscience de tout cela aujourd'hui. Je partage votre analyse et en même temps, je suis réticent est-ce vraiment votre sentiment et celui de la profession ? Que l'élevage intensif ait répondu à une nécessité à un moment donné, soit. Je ne veux pas condamner non plus, c'est trop facile de le faire après. Mais aujourd'hui, la profession va se rendre compte qu'il faut faire très attention ; on n'a pas besoin de cela en France. Il faut une organisation à l'échelle européenne et d'autres accords mondiaux. Je le vois pour les veaux ; ce sont les Espagnols qui nous en achètent. Ils n'ont pas besoin de l'espace et de l'herbe du Limousin pour faire du taurillon. Il suffit d'avoir des mètres carrés couverts. M. Michel TEYSSEDOU C'est ce que j'ai dit. M Pierre FORGUES Et tout cela repose sur une alimentation à base de farines. Ces taurillons viennent ensuite chez nous, évidemment ils sont beaux quand on les voit, mais je ne suis pas du tout sûr que ce soit une viande de grande qualité. Dans l'industrie, on connaît les délocalisations. En agricultre, aujourd'hui on délocalise, en Espagne, en Italie, des ateliers de production de taurillons. Demain, ce sera peut-être ailleurs, dans les pays de l'est, le sud-est asiatique ! Il faut mener une réflexion très sérieuse sur l'organisation agricole. Il ne s'agit pas de supprimer un élevage hors-sol » ici ou là. Mais il faut prendre des orientations très fermes ; la profession et les politiques doivent vraiment examiner cela calmement. Vous êtes d' une région où l'on fait beaucoup de vaches allaitantes et de bonne qualité. Mais le troupeau allaitant existe. Quand on est éleveur, on sait que, lorsqu'une vache laitière a fini son cycle, on en fait du beefsteak. Vous me dites que c'est un produit qui coûte moins cher que celui que j'ai fait chez moi. Mais que faut-il dire à ces éleveurs ? Je ne suis même pas sûr que cette viande n'est pas au moins d'aussi grande qualité que les taurillons qui nous viennent d'Espagne. M. Michel TEYSSEDOU Bien sûr. M. Pierre FORGUES Remarquez que ces vaches n'ont pas vu non plus beaucoup d'herbe. J'aimerais qu'à l'intérieur de votre profession, vous fassiez passer vos messages, que vous ne renvoyiez pas la balle dans le camp des politiques parce qu'il y a une crise. Vous savez bien qu'en matière agricole, les politiques ne prendront pas leurs responsabilités sans l'aval de la profession. M. Michel TEYSSEDOU Il me semble que la profession a une vraie responsabilité, une responsabilité d'arbitrage. Mais elle est faillible elle aussi. La responsabilité incombe aux politiques. On ne peut pas faire de procès sur les choix qui ont été faits, au moment de la signature du Traité de Rome, sur l'auto-suffisance alimentaire, même s'il y a probablement eu des excès au regard de l'exigence de qualité et de la préservation de l'environnement. C'est un problème d'équilibre entre l'intérêt général et des intérêts particuliers contradictoires. Si la profession n'est pas capable d'arbitrer, il faut bien qu'in fine celui qui fait de la compétitivité économique à partir de subventions, c'est-à-dire qui prélève l'impôt et le redistribue, dise son choix ; si celui-ci correspond aux attentes de la société, le politique aura toutes les chances d'être réélu ou tout ou moins compris. M. René BEAUMONT Je remercie le président de la chambre d'agriculture du Cantal pour son vigoureux plaidoyer et pour l'élevage extensif qui est sans doute la grande dominante de son département. Cela étant, vouloir résumer les problèmes de l'agriculture française à ceux du Cantal me paraît quand même simpliste. Je vous ferai remarquer qu'il y a eu aussi quelques bavures dans le Cantal puiqu'un cas d'ESB y a été détecté, ce qui prouve qu'il y a eu au moins un éleveur pour nourrir des animaux avec des farines de viande. Je partage le point de vue de mon collègue Forgues en ce qui concerne les responsabilités respectivement des politiques et de la profession agricole. Vous avez quelques griefs contre la production de viandes blanches ; mais vous pourriez peut-être vous inspirer de l'organisation du marché de la volaille dans notre pays, qui est à mes yeux tout à fait exemplaire par rapport à celui de la viande bovine. Je suis tout à fait d'accord pour dire avec vous que, sur le plan de la qualité, incontestablement, une viande charolaise ou limousine élevée dans des élevages extensifs sur vos pâturages est sûrement de très bonne qualité. Cela ne veut pas dire qu'une vache de réforme engraissée correctement et bien finie » comme on dit chez nous, ne soit pas aussi d'excellente qualité. Je vous défie même de faire la différence entre les deux. En revanche, il existe d'autres qualités de viande qui sont inférieures. Or aujourd'hui, que se passe-t-il dans l'organisation interne de notre marché ? On vend la viande de taurillon, laitier ou de race allaitante, engraissé à l'ensilage de maïs ou au tourteau de soja, le même prix que votre viande à vous. Alors que dans l'élevage de volaille, il y a trois catégories de volailles qui trouvent leur place sur le marché avec des prix complètement différents, parce que le besoin existe, d'une part d'apports en protides à bas prix pour l'alimentation quotidienne, d'autre part, de produits de qualité pour des occasions particulières. Les trois catégories de volailles ont donc chacune leur clientèle, souvent la même, mais à des moments différents. Or actuellement, on vend dans ce pays des viandes de qualité organoleptique complètement différente, toutes au même prix, parce qu'on ne sait pas faire la différence. Vous ne pouvez pas nier non plus, et vous l'avez dit d'ailleurs, que 50 % de la consommation de viande bovine en France vient du troupeau laitier. Et comme on l'a dit avant moi, pour avoir du lait, il faut avoir des vaches, que ces vaches soient inséminées et qu'elles produisent des veaux. Or il faut bien faire quelque chose des veaux mâles ainsi que des vaches en fin de carrière. Le troupeau allaitant n'a pas le monopole de la production de la viande bovine, mais il a un devoir d'organisation du marché. Je suis de Saône-et-Loire, le coeur du Charolais. Il existe quatre labels dans mon département, qui représentent 2 % de la consommation. S'il y a quatre labels, cela revient au même que s'il n'y en avait pas et cela signifie que la profession est incapable de s'organiser. Je suis comme vous, j'espère que l'électrochoc sera salutaire. Actuellement, la profession a des vélléités d'organisation. Ne vous retranchez pas trop sur vos pâturages et sur leur qualité, certes belle sur le plan de la production et du paysage, mais essayez aussi d'organiser cette production et de faire en sorte qu'elle soit reconnue. C'est aussi le but de la traçabilité » lancée par le ministère actuellement des produits de qualité par rapport à d'autres, qui sont nécessaires, mais sur lesquels on devrait pouvoir faire la différence. M. Michel TEYSSEDOU J'ai dû très mal m'exprimer. Je n'ai pas cru seulement le faire au nom des éleveurs allaitants du Cantal. J'ai encore quelques responsabilités nationales. Vous faites une erreur de compréhension dans mon propos, parce que, sur 4 millions de vaches allaitantes en France, 86 % bénéficient de la prime à l'extensification. Seules 14 % ne sont pas éligibles aux normes actuelles communautaires, c'est-à-dire qu'elles ont un taux de chargement supérieur à 1,4. Ce n'était donc pas le Cantal qui faisait l'objet de mon propos. M. René BEAUMONT Le Massif central. M. Michel TEYSSEDOU Non. 86 % de 4 millions de vaches, cela dépasse les frontières du Massif central. Vous avez raison de dire que la filière viande bovine doit s'organiser, c'est probablement la plus mal organisée. Mais de grâce, ne prenez pas l'exemple de la volaille! Même si dans l'Ain il s'est fait des choses remarquables. Les principaux aviculteurs, en nombre, sont des aviculteurs intégrés. Si c'est la salarisation de l'agriculture qu'on veut pour l'élevage, alors disons-le tout de suite. Je veux savoir qui fournit les capitaux et à quel niveau se situent les salaires. Ce n'est pas le modèle que je défends. Demandez aux intégrateurs et aux intégrés comment cela fonctionne. Je ne défends personnellement pas ce type de modèle, cela c'est le modèle libéral et nous n'en voulons pas. Nous voulons garder de la responsabilité sur nos entreprises, l'avenir de nos familles, de nos générations et la vie sociale de notre territoire. Là est le débat de fond. Sinon, effectivement, on peut entrer dans la logique industrielle ; on peut afforester » le Massif central -un spécialiste d'hydraulique affirme que cela asséchèrait la Loire, c'est intéressant parce qu'il y a quelques centrales nucléaires qui ne fonctionneraient plus, mais dans ce cas, je deviendrai un fondamentaliste de l'écologie. Il y a un vrai débat de société autour de l'ESB et de la non politique » de l'élevage. Si on ne sait pas répondre à cela ou si on ne répond que par l'économie, de grâce, ne faites pas porter à la profession l'absence de ces choix ou le tort de ces mauvais choix. Ce n'est pas la profession qui a signé les accords du GATT. Ce n'est pas la profession qui a choisi d'exporter sans subvention. Alors que les prix intérieurs étaient avant la crise de la vache folle », trois fois supérieurs au prix mondial, maintenant on est plus qu'à deux fois le prix mondial. Peut-être que demain, on sera au prix mondial. Mais ce sera alors une autre agriculture. Je vous prie d'excuser mon emportement, mais je suis comme vous passionné par ce que je fais. M. Yves VAN HAECKE En matière d'étiquetage, quelles sont, selon vous, les dispositions à rendre obligatoires et celles qui seraient facultatives ? M. Michel TEYSSEDOU La traçabilité » du produit est une logique d'organisation de la filière. Si on peut avoir quelques moyens juridiques pour lui donner force réglementaire, bien sûr, on est preneur. Je pense qu'il faut aller plus loin vers l'étiquetage des aliments du bétail. Jusqu'à aujourd'hui, on s'est contenté de certifier la qualité du produit. Maintenant, il va falloir qu'on s'impose la certification des pratiques d'élevage et donc la qualité de l'alimentation du bétail. Et il me semble qu'il y a un vide juridique en matière d'étiquetage des formules utilisées pour la fabrication des aliments. Mme le Président Nous vous remercions. Audition de MM. Gérard CHAPPERT et Alain GAIGNEROT, respectivement président et directeur du Mouvement de défense des exploitations familiales MODEF extrait du procès-verbal de la première séance du 11 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Gérard CHAPPERT Je tiens tout d'abord à remercier la mission d'information pour sa volonté de faire jouer le pluralisme syndical et de prendre à bras le corps une crise grave, à la fois pour les éleveurs et pour les consommateurs. Depuis que, à la fin du mois de mars, ont commencé à circuler les informations sur l'épidémie de la vache folle et qu'a été décrété l'embargo sur les importations en provenance de Grande-Bretagne, pas une semaine ne s'est écoulée sans que les éleveurs et leurs organisations syndicales manifestent, pour sensibiliser les consommateurs, alerter le Gouvernement et demander un soutien des revenus. Le désarroi de toute une profession est aujourd'hui à la mesure d'une crise qui va bien au-delà de l'affaire de la vache folle et qui s'est développée sur un terrain déjà fertilisé par la réforme de la PAC, par les accords du GATT, par une politique agricole nationale et communautaire qui favorise l'industrialisation de l'agriculture, dans une Europe sans frontières où il n'est question que de libre marché, de libre concurrence et de libéralisme. Si la maladie s'est développée en Grande-Bretagne, ce n'est pas parce qu'elle apprécie le flegme britannique ou le brouillard londonien, mais parce que, dans ce pays, la déréglementation nationale et l'industrialisation de l'agriculture ont balayé toute considération humaine. C'est en effet à la suite de la décision de Margaret Thatcher, en 1981, de déréglementer la législation sur l'incorporation de protéines animales produites à partir de déchets d'abattoirs dans l'alimentation animale que les équarrisseurs anglais, pour réduire leurs coûts de fabrication, ont abandonné l'utilisation de solvants comme le phénol et abaissé les températures de cuisson des déchets d'animaux. Quatre ans après, apparaissaient les premiers cas dits de vache folle... Or les scientifiques considèrent aujourd'hui avec une quasi-certitude les farines de viande comme vecteurs de passage de la tremblante du mouton à l'ESB. Pour gagner plus d'argent, pour être concurrentiels vis-à-vis des protéines végétales, pour conquérir le marché de l'alimentation animale tant en Grande-Bretagne qu'en Europe, les industriels ont pris tous les risques, ils ont même joué aux apprentis-sorciers en transformant des herbivores en carnivores. Ainsi, ils ont mis en danger la santé des animaux mais malheureusement aussi, selon toute probabilité, la santé humaine et il est intolérable qu'aucune sanction financière ni juridique ne soit aujourd'hui prise contre eux. Le Gouvernement anglais est aussi responsable en raison de sa politique d'industrialisation et de concentration de l'agriculture qui explique la rapidité de la propagation de la maladie dans le cheptel britannique. La taille des exploitations - 70 hectares en moyenne - comme des élevages bovins - 70 animaux en moyenne - place en la matière l'Angleterre largement en tête des pays européens. Avec une conduite d'élevage de type intensif alliée à des structures importantes, les animaux deviennent de plus en plus fragiles et les agriculteurs sont de plus en plus soumis aux secteurs d'amont de l'agriculture. La recherche de la productivité maximum amène à des prises de risques de plus en plus importantes. Les vaches deviennent des formules 1 » qu'il faut piloter au plus près et pour lesquelles tout changement dans la composition du carburant peut être dramatique. Ne conviendrait-il pas aujourd'hui de faire une pause dans le développement de ce type d'agriculture pour réfléchir à l'agriculture du 21e siècle ? Le laxisme avec lequel l'Angleterre a traité cette épidémie, la lenteur des décisions prises pour éradiquer la maladie témoignent d'une irresponsabilité criminelle où l'aspect financier l'emporte sur les considérations humaines. Cela dit, la Commission européenne et l'ensemble des gouvernements des Etats membres de l'Union européenne n'ont guère de leçons à donner étant donné la manière dont ils ont abordé ce problème entre 1986 et 1996 ; toute la presse montre chaque jour leur légèreté et leur inconscience. Ils ont, eux aussi, passé sous silence les risques pour l'homme, au nom d'intérêts financiers. Ils ont même pratiqué la désinformation comme le prouve une note des services de la Commission européenne datée de 1990. Pire, ils ont fait pression sur les scientifiques anglais pour qu'ils ne publient pas les résultats de leurs recherches, ce qui a retardé la mise en oeuvre de mesures efficaces contre la propagation de la maladie. Pourquoi, alors que l'Angleterre, qui avait découvert que le vecteur de la maladie était contenu dans les farines de viande, avait interdit dès 1988 l'utilisation des farines carnées pour l'ensemble des animaux de ferme, le Gouvernement français a-t-il attendu un an pour en interdire l'importation ? Cette décision n'a d'ailleurs même pas été appliquée, puisque le journal Le Monde » a révélé aujourd'hui qu'entre janvier 1993 et mars 1996, 153 900 tonnes de farines de viande ont été importées. Pendant un an, en toute impunité, fabricants anglais et importateurs français ont ainsi gagné de l'argent en vendant la maladie aux éleveurs français qui eux étaient tenus dans l'ignorance. Quant à l'embargo sur l'importation des animaux vivants, des abats, des viandes, n'est-il pas intervenu trop tard, en mars 1996, alors que certaines régions d'Allemagne boycottaient déjà depuis deux ans la viande anglaise ? Qui plus est, certaines décisions de l'Union européenne se sont révélées totalement inapplicables, le contrôle étant soumis aux services vétérinaires anglais dont on connaît les défaillances depuis qu'ils ont été privatisés. Il en est allé ainsi notamment de la décision prise par l'Union européenne en juillet 1994 d'interdire l'exportation de viande bovine britannique avec os si un cas d'ESB avait été diagnostiqué dans l'élevage fournisseur au cours des six dernières années. Autre problème avec la suppression des frontières, les contrôles ne sont plus systématiques alors que les services vétérinaires, la direction de la concurrence, de la consommation et des fraudes et les douanes sont dotés de moyens financiers et humains insuffisants. Face à une épidémie gérée avec autant d'irresponsabilité, la perte de confiance du consommateur dans la viande bovine n'a rien d'étonnant. Mais ce sont aujourd'hui les éleveurs français qui trinquent, eux qui ne sont en rien responsables, eux qui produisent dans leur grande majorité des viandes de qualité à partir de races que nous envient de nombreux pays à travers le monde et qui ont des élevages à base d'herbe. Malgré cette qualité, ils sont victimes d'une crise sans précédent et d'une chute vertigineuse des prix -de 1 500 à 2 500 F par animal vendu par rapport à 1994- et ils sont aujourd'hui au bord de la faillite, l'aide prévue au début de l'été, qui ne représente même pas 500 F par tête, étant bien dérisoire. Ils ont donc aujourd'hui besoin au plus vite d'une aide compensant l'intégralité de leurs pertes, même si elle ne suffira pas à résoudre une crise qui trouve ses origines dans la réforme de la PAC et les accords du GATT. Depuis des mois, le MODEF dénonce ceux qui, tels la Commission européenne, le Gouvernement ou certains professionnels, voudraient justifier, au nom de l'épidémie, une restructuration de l'élevage qui éliminerait au moins un producteur sur deux. On veut nous refaire le coup des excédents, en considérant la baisse de la consommation comme acquise et durable. Mais n'oublions pas que l'Europe cherche surtout à répondre aux injonctions américaines de réduire ses exportations de 506 000 tonnes d'ici l'an 2000 et d'ouvrir ses frontières aux exportations des pays tiers. De même, si la crise actuelle a accentué la dégringolade des prix à la production, n'oublions pas que la réforme de la PAC de 1992 avait pour objectif de ramener les prix européens au niveau des cours mondiaux situés à environ 8 F le kilo. Le MODEF ne saurait accepter que l'on détruise ainsi une production ainsi que des milliers d'emplois. Il n'y a pas d'avenir en dehors de prix rémunérateurs et du respect de la préférence communautaire. C'est pourquoi nous proposons un véritable changement de politique agricole prenant le contrepied des orientations actuelles de la politique européenne. La crise a par ailleurs révélé un certain nombre de carences imputables aux différents acteurs de la filière bovine, dont la plus importante tient sans doute au manque d'information du consommateur sur l'origine, la qualité, le type d'élevage des animaux dont la viande lui est proposée. Si le logo viande bovine française » marque une nette amélioration en matière de traçabilité, il faut à l'évidence aller plus loin encore en informant le consommateur sur l'origine, la race, les catégories d'animaux, le type d'élevage, voire en assortissant le logo VBF d'un cahier des charges garantissant la qualité et protégeant nos élevages contre les pressions des industriels et des centrales d'achat prêts à tout pour mettre sur le marché des produits à très bas prix. Il convient également de renforcer la labellisation et les AOC pour distinguer clairement la viande bovine issue d'élevage à l'herbe, qui s'apparente à une production traditionnelle de terroir. D'autre part, la baisse de la consommation enregistrée depuis le mois de mars n'est pas seulement imputable à la perte de confiance ; la baisse du pouvoir d'achat a eu aussi ses effets, d'autant que le prix de la viande au détail est resté stable. En conclusion, cette crise dite de la vache folle est un signal d'alarme et il faut en tirer les enseignements sur l'évolution future de l'agriculture et la politique agricole. Entre l'agriculture industrielle, source de danger pour la santé lorsqu'elle contrarie la nature, et l'extensification forcenée, n'y a-t-il pas place pour une agriculture qui protège l'emploi et favorise la diversification, la qualité des produits, l'aménagement rural, le respect de l'environnement ? Cette agriculture, c'est l'agriculture familiale. Toute innovation n'est pas forcément un progrès ; il serait donc opportun, comme cela existe par exemple pour les médicaments, de mettre en place une commission d'experts chargée d'évaluer les conséquences sur les aliments des produits employés pour les produire ainsi que des nouvelles matières premières. Le consommateur est un citoyen. Il a son mot à dire sur l'évolution de l'alimentation, qui ne peut être pilotée uniquement par les industriels de l'agro-alimentaire et par la distribution. Chaque pays de l'Union européenne doit retrouver son autonomie en ce qui concerne les normes sanitaires et le contrôle des flux de marchandises agro-alimentaires notamment afin de pallier les carences de l'Union européenne. Pour cela, il est important de doter le service public de moyens humains et financiers. La France est riche des produits de ses terroirs. Sachons les valoriser par des labels et appellations d'origine en concertation avec les consommateurs. Mme le Président Que pensez-vous d'un abattage éventuel des veaux laitiers et de la régulation de la production qui est évoquée dans les débats sur la nouvelle organisation commune de marché ? Quelles seraient selon vous les mesures choc susceptibles de rétablir rapidement la confiance des consommateurs ? M. Gérard CHAPPERT Pour bien des éleveurs qui aiment leur métier, cet abattage serait un crève-coeur ; c'est une solution inacceptable, quand on pense en plus au nombre de gens qui dans le monde meurent de faim. Mme le Président Et la régulation de la production ? Est-il d'ailleurs nécessaire selon vous de maîtriser la production ? M. Alain GAIGNEROT Je voudrais ajouter que, dans les conditions actuelles, il est bien difficile de rétablir la confiance du consommateur, quand chaque jour apporte de nouvelles révélations sur la gestion de la crise notamment au niveau européen. Il est urgent, avant le mois de décembre, de faire la lumière sur ce qui s'est passé et de continuer à informer le consommateur. Mais il y a des blocages de la part des centrales d'achat et même des bouchers traditionnels pour informer sur l'origine de la viande. On sait bien qu'ils servent la bonne viande » à leurs habitués et les morceaux moins bons aux clients de passage. De même, les professionnels prétendent que le consommateur français ne veut pas de jeune bovin. Mais le consommateur ne sait pas s'il achète de la génisse, de la vache ou des boeufs de 2-3 ans...! Aussi n'est-il pas étonnant qu'il n'achète plus de viande tant qu'il n'y voit pas clair ; cette information peut être faite rapidement car, même imparfaite, l'identification existe. On peut identifier pratiquement chaque morceau de viande. Par ailleurs, peut-on continuer à importer de la viande d'Argentine ou des pays de l'Est alors que nos producteurs ne trouvent pas de débouchés ? C'est un scandale. Bien sûr, l'autarcie est impossible. Mais les échanges normaux ne devraient pas se faire au détriment des producteurs et même finalement des consommateurs. M. le Rapporteur Il est certes capital de comprendre, mais j'aimerais surtout connaître votre jugement sur les mesures prises actuellement. Nous reviendrons sur la réorganisation de la filière, sur le besoin de reconsidérer les pratiques d'élevage, mais notre mission est d'abord de répondre dans l'urgence à un problème de santé publique. En tant que citoyen et que syndicaliste, estimez-vous que les mesures prises dans un souci de santé publique sont justifiées, insuffisantes ou excessives ? D'autre part, votre souci premier est la réorganisation de la filière. Vous avez refusé le caractère prétendument inéluctable du déclin de la consommation de viande bovine. Il se faisait pourtant sentir avant la crise dite de la vache folle qui a atteint un marché déjà en difficulté structurelle et a agi comme un révélateur. Ne doit-on pas en tenir compte ? Sur la réorganisation de la filière, au-delà de l'information du consommateur et des labels de qualité, avez-vous des propositions concrètes à faire ? M. Gérard CHAPPERT Les mesures prises sont plus que justifiées et même tardives. Notre souci est plutôt qu'elles soient effectivement et rapidement appliquées. Or il existe des blocages très graves en ce qui concerne l'information des éleveurs et des consommateurs. S'agissant de la restructuration de la filière, il est vrai que le marché est en difficulté. Mais il y a à cela plusieurs causes, parmi lesquelles la baisse du pouvoir d'achat, qui est une réalité quotidienne. Nous craignons aussi que les consommateurs ne prennent de nouvelles habitudes et qu'il soit ensuite difficile de leur faire reprendre le chemin de la boucherie. C'est pourquoi, la filière viande et notamment Interbev, doit bénéficier de meilleurs moyens de promotion, notamment financiers. Car il y a dans la France profonde des éleveurs sérieux dont les bêtes mangent de l'herbe. Rien n'est perdu. Mais il faut aussi tenir compte de la taille des exploitations ; de plus en plus, l'agriculture industrielle ne respecte ni la santé, ni l'environnement, ni l'emploi. Privilégier l'agriculture à taille humaine qui, elle, respecte la nature, le bétail et l'homme est une de nos propositions. Pour réorganiser la filière, il faut mettre un frein à l'agriculture industrielle. En ce qui concerne les labels, il faut privilégier les produits de terroir, de petites zones. C'est une protection pour le consommateur et l'environnement et aussi contre les importations. M. Alain GAIGNEROT La baisse de la consommation est-elle inéluctable ? Je voudrais renvoyer la balle » à M. Juppé. Celui-ci nous dit qu'il faut garder le moral, que les choses vont aller mieux. Si alors le pouvoir d'achat augmente, il est probable que la consommation reprendra. Mais cela ne dépend pas de nous, mais du gouvernement. M. Jean-Marc NESME L'ESB est un peu l'arbre qui cache la forêt. Bien avant cette crise, le marché bovin était en excédent, puisque l'offre augmentait alors que la demande diminuait, avec pour conséquence la chute des cours - et je ne parle que de la production nationale ou européenne sans tenir compte des importations -. Si l'on n'agit pas sur cela, l'inadéquation entre l'offre et la demande ne fera que s'accentuer. La situation n'est pas supportable pour les éleveurs, les éleveurs spécialisés en particulier. Pour retrouver un niveau de prix normal, la plupart des organismes professionnels sont d'accord sur le fait qu'il faut rapprocher l'offre de la demande. Est-ce votre point de vue, et, dans ce cas, par quels moyens estimez-vous qu'il faut assurer la maîtrise de la production, tous secteurs confondus ? M. Charles JOSSELIN Vous avez regretté, monsieur le président, que les pouvoirs publics aient tardé à réagir face à la crise de la vache folle. Mais vous-même, quand avez-vous été informé de ce qui se passait en Grande-Bretagne et quand avez-vous commencé à prendre position ? D'autre part, la Commission de Bruxelles vient d'annoncer son intention de faire participer les céréaliers à l'effort financier qu'exigent les compensations légitimes et encore insuffisantes prévues en faveur des éleveurs de viande bovine que pensez-vous de cette solidarité forcée » ? M. Pierre FORGUES Vous expliquez en partie la crise par la réforme de la PAC et par les accords du GATT. Or, la première n'est intervenue qu'en 1992 et les seconds ont été négociés encore plus tard, alors que c'est dès 1988 que les Anglais ont interdit l'utilisation des farines animales dans l'alimentation bovine. Si cette réforme et ces accords ont pu amplifier la crise, ils ne peuvent en être l'origine ! Pouvez-vous donc préciser votre pensée ? M. Gérard CHAPPERT Quand vous évoquez l'inadéquation de l'offre et de la demande, Monsieur Nesme, vous faites un peu vite abstraction des importations. Quant à la chute des cours, elle est indéniable, mais à la production seulement ! Le prix à l'étal n'a pas changé ; en revanche, les éleveurs ont subi une énorme perte de pouvoir d'achat. Parce qu'une vache vaut 2 500 francs de moins qu'en 1994, sa qualité a-t-elle baissé ? Il est inaceptable que les importations fassent ainsi pression sur les cours à la production. Ce n'est pas pour rien que les éleveurs, aujourd'hui, prennent la route de Paris pour venir dire leur désarroi au Président de la République, ou qu'ils barrent les routes pour assainir nos approvisionnements... La maîtrise de la production ? Oui, elle est nécessaire, mais il y a des préalables d'abord la maîtrise des importations ; ensuite, le respect de la préférence communautaire et de la clause de sauvegarde, qui sont autant de filets de protection indispensables. Par ailleurs, opposé à l'agriculture industrielle, le MODEF estime que cette maîtrise de la production passe par une action sur la taille des exploitations. Je le constate chaque jour sur le terrain nous allons vers une explosion grave si les mesures que j'énumère ne sont pas prises rapidement ! Déjà, on enregistre des suicides chez les éleveurs, des huissiers se font courser »... Nous déplorons en effet le caractère tardif des réactions, Monsieur Josselin. Comme, à l'exception d'aujourd'hui, nous sommes rarement associés à la réflexion des pouvoirs publics, c'est en mars que nous avons su ». Notre réaction a alors été immédiate et claire, comme en font foi les documents que nous avons publiés. Nous avons souhaité que toute la clarté soit faite et que les véritables responsables - les éleveurs ne sont que des victimes - soient traduits sur le banc des accusés. Nous ne sommes pas partisans que les céréaliers participent à l'effort budgétaire qu'exige cette crise, ne serait-ce que parce que certains sont aussi des éleveurs. Mais je crois aussi savoir que les fonds du FEOGA ne sont pas tous utilisés et que la France verse plus qu'elle ne reçoit il faut prendre le pognon » là où il est ! Je suis effaré du retard qu'on a pris. Lisant Le Monde », je découvre qu'il est question de 153 900 tonnes importées illégalement entre 1993 et 1996 où va-t-on s'arrêter ? Ne vaudrait-il pas mieux appliquer les décisions déjà prises ? Il est exact que la réforme de la PAC date de 1992, mais elle a encore augmenté l'appétit financier des industriels de l'agro-alimentaire, avec les conséquences qu'on sait pour la santé publique. Au moment où le Premier ministre invite à ne pas céder à la morosité, il n'est que temps de réagir sérieusement et je compte beaucoup sur vous pour cela. Mme Muguette JACQUAINT Il est évident que la crise n'a fait qu'amplifier le décalage entre l'offre et la demande et il importe donc de donner aux Français une meilleure information, afin d'apaiser leur inquiétude. On ne peut nier en effet que notre pays produit de la viande de qualité. Mais il y a un autre élément à prendre en compte la baisse du pouvoir d'achat. Malgré tous les efforts des collectivités, nombreux sont les enfants qui ne fréquentent plus les cantines scolaires, faute pour leurs familles de pouvoir payer. Alors que nous avons des surplus de fruits et de légumes, les gens sont obligés de se priver. Pourtant, je vous assure que beaucoup n'aimeraient rien tant que manger davantage de viande... Je suis favorable à une réglementation et, comme M. Chappert, opposée à un élevage industriel qui a d'abord été regardé comme un progrès mais qui, en définitive, ne sert pas l'homme. Monsieur le Président, croyez-vous qu'une information plus précoce aurait permis d'enrayer la crise ? Et ne pensez-vous pas qu'un débat sur les choix essentiels en matière agricole serait utile, à l'Assemblée comme à Bruxelles ? M. Patrick OLLIER Je crois, monsieur le président, que vous avez commis une confusion en répondant à M. Josselin que le MODEF avait réagi en mars ». La question portait sur votre réaction après la décision britannique de 1988. Le représentant d'un autre syndicat agricole a dit que son organisation avait réagi en 1990 qu'en est-il de la vôtre ? Notre souci est en effet d'éclaircir la zone d'ombre qui se situe entre 1988 et 1992. Je ne comprends pas votre position en ce qui concerne la participation financière des céréaliers, surtout à un moment où les cours de leurs productions ne cessent de monter. Enfin, pour ma part, je suis favorable à une extensification de l'élevage et au développement des signes de qualité ; en est-il de même de votre côté ? M. Dominique BOUSQUET Vous avez raison de dire que cette crise a des causes complexes, mais je crois qu'il en est de même pour la chute de la consommation. Vous insistez à cet égard sur la déperdition de pouvoir d'achat, mais on constate aussi que les Français se détournent de plus en plus des bas morceaux, du pot-au-feu par exemple croyez-vous possible de peser sur cette évolution des comportements ? Plus on achète de la viande chère, plus les prix à la consommation augmentent -sans bénéfice pour les éleveurs- et plus l'on renforce la spirale de rentabilité » dans l'ensemble de la filière, avec tous les dérapages que cela comporte. Vous avez dit, par ailleurs, que la consommation aurait moins baissé si des mesures draconiennes avaient été prises dès le début. Je voudrais vous donner une information qui tend à relativiser votre propos en Grande-Bretagne, où près de 180 000 têtes de bétail ont été abattues, la consommation n'a presque pas baissé, non plus que les prix. M. Gérard CHAPPERT Sur la question du productivisme, mon opinion est que la crise dite de la vache folle » a le mérite de mettre en lumière l'opposition entre eux types d'exploitation, familiale et industrielle, et sur les conséquences qu'entraîne la priorité donnée au second. Sur le deuxième point, il est clair que la confiance des consommateurs aurait été moins ébranlée si les informations et les décisions avaient été moins tardives et si les mesures prises avaient vraiment été appliquées. Or, nous n'avons réagi que dans les années 90 et nous ne l'avons fait ni de la façon, ni au niveau qu'il aurait fallu, car l'ensemble de la profession a mal pris la mesure de la gravité de la chose. Il faut dire, à notre décharge, qu'on nous a caché l'ampleur des dégâts, tant en France qu'en Grande-Bretagne, où l'on a fait taire les scientifiques, ou en Belgique, où un vétérinaire a même été assassiné, à telle enseigne que l'on ne peut exclure qu'un système mafieux ait imposé sa loi. La preuve est faite, en tout cas, que l'agriculture productiviste n'a rien de bon, et que, lorsque l'on concentre le bétail et que l'on fait des usines à lait », cela ne peut pas être bon pour la santé. J'irai même plus loin quand on entend certains scientifiques s'interroger sur la transmission de l'ESB de la vache au veau, soit durant la gestation, soit par le lait, on ne peut que s'interroger sur le risque de transmission de l'ESB à l'homme par le lait, le beurre, le fromage, les yaourts... Enfin, si la baisse du pouvoir d'achat n'explique pas toute la baisse de la consommation, elle l'explique au moins en partie, et le fait même qu'il y ait moins d'acheteurs qui achètent davantage de morceaux de qualité comme l'aloyau, au détriment du pot-au-feu, prouve bien qu'il y a un problème de pouvoir d'achat. M. Dominique BOUSQUET C'est aussi un problème de société ! Les gens ne peuvent plus faire cuire un pot-au-feu ! M. Gérard CHAPPERT C'est sans doute un peu vrai, mais parmi l'ensemble des facteurs, la quantité d'argent que les gens ont dans leur portefeuille détermine très largement leur consommation. Je suis d'une génération où l'on mangeait le pot-au-feu une fois par mois ; peut-être sommes-nous en train d'y revenir ? M. Alain GAIGNEROT J'ajoute que la crise a connu son développement le plus grave lorsqu'a été dévoilée la possibilité de transmission de l'ESB à l'homme et de cela, nous n'avons été informés qu'en mars dernier, comme tout le monde. Cela dit, je ne sais pas si les dirigeants politiques français et européens ont été mis au courant avant. Quant aux décisions prises, elles sont bonnes, qu'il s'agisse de la déclaration obligatoire des cas d'ESB ou de l'abattage de l'ensemble du cheptel dont une tête est atteinte. Parmi les mesures que pourraient prendre les élus, je pense notamment à des actions auprès des usagers des restaurants collectifs, scolaires en particulier, pour les convaincre de l'innocuité de la viande bovine on pourrait organiser, par exemple, des visites d'exploitations... Mme le Président Cela commence à se faire... Il me reste, messieurs, à vous remercier... M. Georges SARRE J'avais demandé la parole ! Mme le Président Je ne peux plus prendre en compte votre demande. J'ai même dû refuser celles de trois ou quatre de vos collègues, car nous devons passer à l'audition suivante. M. Georges SARRE Cela fait trois quarts d'heure que je demande la parole ! Je n'accepte pas que vous me la refusiez ! A quoi sert-il de venir dans ces conditions, en prenant sur son temps ? Mme le Président Chacun de nous prend sur son temps pour venir et s'est porté volontaire pour cela. Nous avons un horaire à respecter. M. Georges SARRE Vous n'avez qu'à maîtriser mieux les débats ! protestations Mme le Président Je m'efforce de donner la parole à tout le monde, toutes étiquettes politiques confondues et en particulier, en fin d'audition, à ceux qui ne prennent pas souvent la parole -vous-même avez posé hier de nombreuses questions. Nous devons maintenant entendre l'intervenant suivant. M. Georges SARRE Le temps que vous avez perdu à parler au lieu de me donner la parole aurait pu être employé à demander à M. Chappert quels sont les blocages » dont il a fait état dans sa réponse au rapporteur sur les mesures de santé publique qui ont été prises, quelles sont les décisions dont il a laissé entendre qu'elles n'étaient pas appliquées et comment il se fait que les éleveurs français aient pu importer, ainsi que nous l'apprenait le Monde » hier, 153 900 tonnes de farines animales britanniques au cours des dernières années ! M. le Rapporteur Vous avez raison de vous poser ces questions, mais je propose, compte tenu des contraintes horaires, que M. Chappert y réponde par écrit. Mme le Président Je remercie M. Chappert et M. Gaignerot. Audition de M. Philippe GUÉRIN, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture accompagné de Mme Françoise FOURNIÉ, adjoint au directeur général, et de M. Bernard VALLAT, chef du service de la qualité et des actions vétérinaires et phytosanitaires extrait du procès-verbal de la première séance du 11 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Philippe GUÉRIN Je ne crois pas utile, au stade où vous en êtes, de refaire l'historique de la crise. Un excellent dossier, à la fois exhaustif et synthétique, a d'ailleurs été publié il y a quelques jours par AGRA. Je vous le recommande, car je n'y ai trouvé ni erreur, ni oubli. Quelle a été l'action de la direction générale de l'alimentation dans la crise de la vache folle ? J'ai pris mes fonctions de directeur général en avril 1994. Parmi les tâches que m'a alors assignées M. Puech, et qu'a confirmées M. Vasseur l'année suivante, la première était de tirer les conséquences des accords de Marrackech en matière de normes sanitaires et phytosanitaires, appelées à devenir, compte tenu de la libéralisation des échanges, un enjeu stratégique considérable. Autres tâches importantes coordonner davantage dans le cadre européen et aussi français l'action des services de contrôle du ministère et développer les actions liées à la qualité et à la salubrité des produits. C'est d'ailleurs l'objet d'un projet de loi qui doit prochainement vous être soumis par Il nous appartient également de développer un esprit de co-responsabilité au sein de la filière agroalimentaire. Et si nous intervenons bien évidemment en amont en ce qui concerne la santé animale et la protection des végétaux, notre rôle en aval, auprès des industriels que nous soutenons dans leurs programmes d'investissement et de recherche, me paraît également important. Pour mener à bien ces missions, nous disposons de 230 agents à Paris répartis en deux grands services, celui de la qualité et celui des industries agro-alimentaires et de moyens financiers globalement satisfaisants, d'autant qu'ils ont été préservés des coupes budgétaires de ces dernières années. En ce qui concerne les maladies transmissibles à l'homme, nous cherchons à intervenir le plus tôt possible, notamment en favorisant les auto-contrôles, ce qui ne nous dispense pas de jouer le rôle de surveillance de la distribution que nous assignent le code rural et le code de la consommation. La sécurité du territoire en ce qui concerne la protection des végétaux est également très importante à nos yeux, d'autant que l'ouverture des frontières et le développement des échanges ont rendu cette mission plus difficile encore. Nous nous appuyons sur des organismes comme le CNEVA qui dispose de moyens importants, ainsi que, dans le domaine de la qualité, sur la commission nationale des labels et des certifications et sur l'AFNOR notamment. En ce qui concerne la crise de la vache folle, nous ne sommes pas seuls compétents puisque la direction de la production et des échanges est en première ligne pour la production et la gestion des marchés ; nous jouons aussi un rôle d'appui technique dans les négociations communautaires et internationales. Il convient de distinguer, parmi les organes placés à Bruxelles auprès de la Commission, deux instances d'experts vétérinaires le Comité vétérinaire permanent et le Comité scientifique vétérinaire. Le premier est placé auprès de la Commission et présidé par un représentant de celle-ci ; composé d'experts désignés par les Etats membres au nombre de deux par Etat, il donne son avis sur les projets de la Commission européenne et prend ses décisions, comme le Conseil, à la majorité qualifiée. La recherche de l'équilibre explique sans doute certaines de ses décisions récentes. Le second est composé d'experts indépendants des Etats, nommés intuitu personae par la Commission. Ses délibérations sont secrètes. Des divergences ont pu apparaître ces derniers mois entre ces deux organismes. Pour ma part, j'ai cherché à entretenir des contacts réguliers avec les experts, car la bonne information réciproque me paraît indispensable. L'organisation internationale la plus directement concernée par l'ESB est l'Office international des épizooties, qui siège à Paris et qui est dirigé par un Français. C'est à cet office qu'il est revenu d'organiser l'échange d'informations sur la maladie. On peut toutefois regretter qu'il ne dispose pas de moyens d'investigation propres car le système déclaratif actuel peut défavoriser des pays qui, comme la France, jouent parfaitement le jeu. Dans toute cette affaire, l'administration française a réagi dès qu'elle a eu connaissance des faits. En situation de doute, nous avons privilégié les mesures de précaution, fût-ce au détriment de l'économie. Nos préoccupations ont concerné d'abord la santé animale puis, de plus en plus, la santé humaine. Nous avons recherché également avant tout la cohérence. Toutefois, nous avons été tributaires des informations en provenance de Grande-Bretagne et l'on peut avoir quelques doutes sur ce qu'ont bien voulu nous transmettre nos homologues britanniques, comme d'ailleurs sur ce que les scientifiques anglais ont transmis à leurs confrères... L'application du principe de précaution a valu à la France une réputation d'extrémisme que certains de nos concurrents lointains ont utilisée pour nous voler des marchés. Aussi avons-nous dépêché de nombreuses missions vétérinaires à l'étranger pour soutenir nos entreprises. Au fil des années, nous avons donc tenu cette ligne. Nous avons renforcé nos moyens en crédits et aussi en personnels les deux ministres avec lesquels j'ai travaillé ont accepté de renforcer les effectifs des services vétérinaires et le ministère de l'Agriculture dispose aujourd'hui de 4 000 agents sur le terrain. Mme le Président Chaque jour, la crise connaît de nouveaux rebondissements. Or les fonctionnaires que nous recevons nous disent que tout va bien et que la France a pris les mesures adaptées et les applique. Mais par exemple, la presse nous annonce que les importations de farines britanniques ont continué malgré l'embargo. Comment l'expliquer ? Il y a là un décalage qui nous choque et qui choque l'opinion. D'autre part, un boyaudier nous a fait remarquer que le décret établissant la liste des organes interdits à la consommation était un peu extrémiste. Est-il toujours justifié ? N'y aurait-il pas notamment confusion entre la masse intestinale et l'intestin grêle ? M. le Rapporteur Je souscris tout à fait à la remarque de Mme le Président. Nous commençons à être agacés d'entendre tous les hauts fonctionnaires et responsables d'administration centrale nous expliquer que les bonnes décisions ont été prises au bon moment, que les contrôles sont effectués et que tout se passe pour le mieux dans leur direction générale. Or la réalité est différente. Si nous n'arrivons pas à obtenir plus d'informations, il faudra une commission d'enquête et d'autres investigations pour aller plus loin. A vous entendre, tout va très bien. J'ai pourtant plusieurs questions à vous poser. En ce qui concerne les intestins, les précautions prises ont peut-être été excessives dans un premier temps. Cela se justifie par notre expérience des crises de santé publique dans le passé. Aujourd'hui, est-il justifié de les maintenir ? Pour les médecins et vétérinaires qui siègent ici, il est excessif de parler de l'intestin dans son ensemble, alors que l'intestin grêle et le gros colon ont une anatomie et une fonction différente et qu'ils n'ont probablement pas le même rôle dans la transmission de l'infection. Plus préoccupant vous paraît-il normal que le contrôle sanitaire de l'alimentation relève du ministère de l'Agriculture, qui a également en charge les problèmes économiques et se trouve donc en première ligne au regard de la filière ? Face à un problème de santé urgent, il me semble qu'au début du moins on n'a pas impliqué le ministère de la Santé comme on aurait dû. Par exemple, le projet de loi sur la salubrité dont vous avez parlé serait présenté par le ministère de l'Agriculture et irait donc devant notre commission de la production et des échanges, alors qu'il concerne des aspects sanitaires. Cela ne manque-t-il pas de cohérence ? Enfin, ne trouvez-vous pas un peu pesante la tutelle européenne ? Avez-vous l'impression de pouvoir décider ce que vous souhaitez et le sentiment que si vous le faites, cela ne pénalise pas la France ? M. Philippe GUÉRIN En ce qui concerne l'information donnée dans un journal du soir hier sur les chiffres d'importation, c'est pure affabulation, comme l'a déjà indiqué un communiqué. Le chiffre de 153 900 tonnes de farines importées en France de janvier 1993 à mai 1996 correspond aux importations du monde entier et non de Grande-Bretagne, contrairement à ce qu'affirme M. Jean-Yves Nau, signataire de l'article. Ces farines proviennent du monde entier. Plusieurs députés D'où ? M. Charles JOSSELIN Allez-vous faire un procès à M. Nau ? M. Philippe GUÉRIN Ce n'est pas à moi de le faire. Un communiqué de mise au point a été fait hier. M. Georges SARRE Qui a fait ce communiqué de presse ? M. Philippe GUÉRIN Le ministère des Finances, chargé notamment de la tutelle des douanes. Mme le Président Quelle est la provenance de ces farines ? M. Philippe GUÉRIN Selon les statistiques douanières, les importations de Grande-Bretagne sur cette période s'élèvent à 13 164 tonnes. M. Henri de RICHEMONT C'est encore trop. M. Philippe GUÉRIN La nomenclature des douanes ne permet pas de faire de différences entre les différentes farines animales - bovines, porcines, de volaille - ; le chiffre recouvre aussi des farines saines ne provenant pas de déchets. Mais une certaine presse s'ingénie à agiter le secteur. Ainsi, en juin, le même journaliste a écrit que les importations de farines anglaises avaient été relativement importantes jusqu'en 1990. C'est exact, mais ce n'était pas un scoop. Je l'avais dit dès le début. En relançant l'affaire de cette façon, il a fait beaucoup de mal. M. Nau utilise des techniques qui relèvent de l'amalgame, et cela me semble inadmissible. M. Charles JOSSELIN D'où viennent les farines, outre de Grande-Bretagne ? Mme le Président Monsieur Josselin, vous êtes inscrit ; vous poserez cette question ultérieurement. M. Philippe GUÉRIN Je vous donnerai les chiffres. En ce qui concerne les dispositions qui ont mis en difficulté l'entreprise de boyauderie Peignon, à laquelle votre question faisait implicitement référence, lorsque M. Morrisset m'a appelé, j'ai tout de suite dépêché sur place une mission composée d'un chercheur du CNEVA et du chef de bureau compétent de ma direction pour examiner les procédés techniques utilisés pour fabriquer les produits. L'entreprise utilise des intestins de bovins âgés et était donc privée en partie de matières premières par l'interdiction de mettre à la consommation les organes de bovins nés avant le 31 juillet 1991. Des essais ont été faits. Au premier, on a encore trouvé dans le gros intestin des plaques de Peyer, considérées comme susceptibles de contenir des produits infectants. D'autres analyses ont eu lieu ensuite, dont l'une diligentée par l'entreprise a eu un résultat favorable. Ces problèmes d'expertise scientifique sont bien difficiles. Souvenez-vous du procès de Marie Besnard, accusée d'avoir empoisonné ses proches à l'arsenic. On en avait trouvé dans leurs ongles et leurs cheveux mais pas dans le sol du cimetière de Loudun. Un de mes professeurs à l'Institut agronomique, appelé comme expert, a fait valoir que le cimetière étant en pente, ce pouvait être le ruissellement qui avait entraîné l'arsenic alors présent dans les produits utilisés pour lutter contre les doryphores dans les champs de pommes de terre, le produit se concentrant ensuite naturellement dans les ongles et les cheveux des cadavres... En matière d'expertise scientifique, les choses sont toujours très délicates. De toute façon, nous avons pris cette mesure sur la base de l'avis de l'OMS du 3 avril, reprenant l'avis des scientifiques britanniques pour lesquels les intestins sont des abats spécifiques. La difficulté aujourd'hui est d'obtenir l'avis scientifique d'un collège représentatif, européen et même international. Mais nous poserons de nouveau le problème. Le risque est le produit d'un danger potentiel par une probabilité. Pour ce qui est du danger, il convient de vérifier s'il y a dans l'intestin des tissus transmettant l'infection. Quant à la probabilité, elle est faible dans notre pays. Je rappelle que nous n'avons enregistré officiellement que 22 cas déclarés d'ESB contre 170 000 en Grande-Bretagne. En instaurant des mesures de précaution maximum, le Gouvernement a assumé ses responsabilités. Tout va-t-il donc pour le mieux ? Permettez-moi de faire le point sur les missions et les moyens de ma direction générale. La première de ces missions est de veiller à ce que l'action des uns et des autres soit cohérente, au sein du ministère pour commencer. Certains le savent ici avant d'occuper ces fonctions, j'ai été chargé d'un audit de la filière produits de la mer » par M. Puech. A cette occasion, j'ai pu mesurer combien les comportements pouvaient varier d'un département à l'autre. Comme la science médicale, la science vétérinaire est difficile et ne peut s'appuyer que sur peu de certitudes. D'autre part, la culture de la profession et son code de déontologie laissent une certaine marge d'interprétation des textes. Sans aller contre cette responsabilité individuelle, j'ai mis en place depuis plus de deux ans des procédures susceptibles d'assurer une certaine harmonisation. Il y a près d'un an, j'ai en outre réuni toute une journée en convention nationale les services vétérinaires, les industriels, les producteurs et les groupements de défense sanitaire autour du thème la certification, une responsabilité partagée ». C'est en effet une responsabilité si lourde de conséquences, y compris personnelles, qu'on ne peut la laisser reposer sur un seul, et il est donc bon que le Parlement ait récemment modifié la loi sur ce point. Quant à la qualité de notre réseau de surveillance épidémiologique, je crois pouvoir dire qu'elle est remarquable. La vigilance peut parfois se détendre, en fonction de l'état des connaissances ou de l'évolution des situations, mais j'ai lancé récemment une enquête -qui se poursuit- dont les résultats sont très rassurants ce réseau a très bien fonctionné. Certains de vous peuvent s'étonner que tel ou tel département n'ait pas fait l'objet d'une suspicion légitime, mais ce serait oublier que certains symptômes sont communs à l'ESB et à la rage, autre maladie neuro-dégénérative le réseau de surveillance de celle-ci, qui fonctionne surtout dans le nord-est de la France, a systématiquement demandé que les encéphales de bovins suspects de rage soient aussi soumis à une analyse pour rechercher des traces d'ESB. De ce côté-là non plus, nous n'avons donc pas grand chose à nous reprocher. De même, les 5 000 vétérinaires sanitaires placés auprès des élevages, qui exercent un mandat confié par l'Etat et qui jouent un rôle considérable dans la détection de cette maladie, apparaissent avoir fait leur travail comme il convient -leur action est coordonnée dans chaque département par l'un d'entre eux. On peut bien sûr penser que certains éleveurs ont dissimulé quelques cas d'ESB mais la France a été le seul pays à pratiquer, dès le début, l'abattage intégral des troupeaux contaminés et à indemniser intégralement les producteurs de leurs pertes réelles nous y avons ainsi gagné en confiance. S'agissant du suivi scientifique et du CNEVA, je veux rappeler que les Britanniques, qui étaient les seuls à disposer de données scientifiques, considéraient cette affaire comme une affaire de santé animale pure. La première hypothèse échafaudée -le transfert aux bovins de la scrapie » du mouton- excluait tout risque pour la santé publique. Ce n'est que progressivement que les idées ont changé, avec le progrès des connaissances... S'agissant du projet de loi sur la qualité, vous permettrez à un vieux fonctionnaire de dire ce qu'il pense pour moi, mieux vaut privilégier l'homme, l'état d'esprit, les instructions qu'on lui donne et les procédures qu'on met en place plutôt que les structures. Je ne crois donc pas comme vous qu'il faille faire du nouveau. D'abord parce qu'il existe un lien évident entre la santé animale et la santé publique ; et la tutelle du ministère de l'agriculture sur les services de contrôle et d'hygiène animale et alimentaire se justifie pleinement. Elle permet à la co-responsabilité de tous les acteurs de la filière de s'exercer. Le ministère de l'agriculture a une culture de prévention et de conseil, ainsi qu'une culture de contrôle. La brigade nationale d'enquêtes vétérinaires, petite équipe efficace, a rendu des services considérables, travaillant en parfaite harmonie avec les douanes et avec la direction générale de la concurrence. En revanche, la répression n'est pas notre premier souci nous cherchons avant tout à remonter le plus en amont possible pour éradiquer les risques et modifier les attitudes. C'est dans cet esprit que, depuis quelques mois, nous avons mis en place dans notre administration -à commencer par la base, le terrain- des procédures d'assurance-qualité. Je suis d'autant plus à l'aise pour vous répondre, et je le serais encore davantage s'il existait une traçabilité » des décisions ! Le projet de loi sur la qualité vise, lui aussi, à remonter le plus en amont possible et croyez qu'il n'a pas été facile de convaincre la profession agricole de la nécessité de renforcer le dispositif administratif de prévention, de contrôle et de sanction ! Mais, au terme d'une concertation interministérielle approfondie, peu d'arbitrages ont été demandés au Premier ministre. S'agissant de l'Europe et de sa place dans le monde, les enjeux sont considérables et l'harmonisation ne doit donc pas rester théorique. En raison de sa culture jacobine -que n'a pas l'Allemagne par exemple-, la France a l'habitude d'appliquer rigoureusement les textes communautaires, et ce d'une façon cohérente sur tout son territoire. Il faut dire aussi que notre vocation exportatrice pousse dans le même sens trouver un compromis entre les mesures de précaution et les impératifs économiques. M. Patrick OLLIER Je suis heureux des précisions que vous venez d'apporter mais cette mission essaie de faire la lumière sur ce qui s'est passé entre 1988 et 1992, moment où M. Curien a le premier demandé que soient menées des recherches. Quelles initiatives votre direction générale a-t-elle prises dans ce laps de temps ? Comment le système de surveillance a-t-il fonctionné ? M. Georges SARRE Quand et comment avez-vous appris l'apparition de l'ESB en Grande-Bretagne ? Quelles mesures votre direction a-t-elle alors proposées au Gouvernement ? A quelle date avez-vous su que cette maladie pouvait être transmissible à l'homme, et comment avez-vous réagi alors ? Vous avez démenti les informations parues dans Le Monde », mais pouvez-vous nous indiquer la quantité de farines importée chaque année de Grande-Bretagne depuis 1989 ? Je voudrais également savoir qui donne son feu vert à l'entrée de nouveaux produits, qu'ils soient d'origine britannique, allemande ou autre, sur le marché français ? Quels sont, par ailleurs, les pays susceptibles, selon vous, d'avoir adressé à l'OIE des déclarations non conformes à la réalité ? Quant à la politique de désinformation et de rétention d'information menée par la Commission de Bruxelles, comment l'expliquez-vous ? Par le souci de rentabilité à tout prix ? Par le dogmatisme libre-échangiste ? Comment expliquez-vous, enfin, que les prix baissent à la production, mais pas à la consommation ? M. Jean-Marie MORISSET Ma question portera notamment sur la boyauderie, ce qui ne vous étonnera guère. Je vous félicite de la rapidité avec laquelle ont été effectués les contrôles dans l'entreprise qui défraie la chronique, et approuve l'application du principe de précaution, mais celui-ci doit aller de pair avec le principe de cohérence. Je souhaiterais savoir ce qu'il en est pour les gros intestins, qui semblent, selon ce que nous a dit le professeur Dormont, n'être pas infectieux. Je suis un peu perdu, en outre, dans la répartition des responsabilités entre l'administration de la Santé, celle de l'Agriculture et le CNEVA lorsque la direction de la Santé m'écrit que les normes prises ne sont que des recommandations », qui doivent faire l'objet d' interprétations », je me demande à qui il revient de les interpréter ! Je m'interroge également, toujours au regard du principe de cohérence, sur la portée de mesures propres à la France, quand nous continuons d'importer des boyaux d'Espagne, d'Italie et même de Chine... Je vous demanderai, enfin, comment vous envisagez de résoudre le problème de l'équarrissage au-delà du 15 septembre. M. Marc LAFFINEUR Quand avez-vous commencé d'avoir des soupçons quant à la transmission de l'ESB à l'homme ? Sait-on quelle est la provenance des 15 300 tonnes de farines importées ? Est-il possible qu'une partie des farines censément irlandaises soient en fait britanniques ? S'agissant des déclarations à l'OIE, vous en avez dit trop ou pas assez. A quels pays précis pensez-vous ? Sont-ils fortement infectés ou non ? Enfin, quelles mesures préconisez-vous pour faire repartir la consommation, qui avait commencé à baisser, rappelons-le, avant la crise de la vache folle ? M. Philippe GUÉRIN La première déclaration officielle de cas d'ESB à l'OIE - dans laquelle le nombre de cas était d'ailleurs sous-estimé - date de mai 1988. L'alimentation à base de farines fabriquées à partir de déchets ovins était, à cette époque, considérée comme l'hypothèse la plus plausible de contamination. A ma connaissance, cependant, personne n'avait alors d'information sur les processus de traitement des produits de l'équarrissage. La première circulaire d'information du ministère, de deux pages environ, est légèrement postérieure à cette communication et souligne l'analogie entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il a fallu attendre un an pour que les mesures prises par les Anglais soient adoptées en France c'est en août 1989 qu'ont été interdites les importations en provenance de Grande-Bretagne et en décembre 1989 que cette interdiction a été étendue à l'Irlande. Je n'ai pas retrouvé, dans les archives du ministère, d'éléments aidant à comprendre le processus selon lequel ces décisions ont été prises. A Bruxelles, par contre, la Commission était d'avis de ne pas prendre de mesures particulières et de se contenter de faire en sorte que l'information circule davantage. Puis, en mai-juin 1990, il a été décidé d'interdire, non plus seulement l'importation de farines animales mais encore leur incorporation dans l'alimentation des bovins. Pour cette décision, en revanche, j'ai trouvé des comptes rendus de réunions préparatoires, associant les professionnels de l'alimentation animale, le ministère de la santé et les responsables du CNEVA. Les choses se sont faites en l'absence de réponse de Bruxelles à nos sollicitations et en marge du droit communautaire. Cela a d'ailleurs conduit à une crise au niveau européen et il a fallu réunir en juin 1990 un conseil des ministres exceptionnel qui a pris des mesures draconiennes, malgré l'avis plutôt rassurant donné par le Comité scientifique vétérinaire. Parallèlement, il a été décidé, toujours en 1990, de lancer une étude sur le prion et la façon de l'inactiver, étude qui n'a abouti qu'en 1994, compte tenu des délais nécessaires pour mener à bien les recherches sur la souris. Les mesures prises depuis ont collé le plus près possible à l'évolution des connaissances c'est à la suite du premier rapport Dormont, en 1992, que le système d'épidémio-surveillance mis en place deux ans avant pour l'ESB a été étendu à la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Si les premiers cas d'ESB ont été notifiés officiellement en 1988 par le Royaume-Uni, les premières rumeurs datent de 1986. Quant à la transmission de l'ESB à l'homme, elle n'a d'abord été qu'une hypothèse parmi d'autres, compte tenu de la barrière d'espèce ». En fait, la crise que nous connaissons actuellement a été déclenchée le 20 mars dernier, lorsque les ministres de la Santé et de l'Agriculture du Royaume-Uni ont annoncé la parution, trois semaines plus tard, de l'article du Lancet » rapprochant l'ESB des nouvelles formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Selon mon homologue britannique, si l'information ne nous a pas été transmise plus tôt, c'est simplement parce que le Gouvernement britannique a l'obligation d'informer en premier lieu le Parlement. Ceci explique sans doute beaucoup de choses. On peut toutefois se demander pourquoi les experts britanniques, qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, ont quitté au même moment le colloque sur les maladies à prions qui se tenait au Val-de-Grâce. Quant à l'article en question, il montrait seulement que nulle part ailleurs qu'en Angleterre, pays où l'ESB avait une telle importance, ne s'étaient manifestés de tels cas de nouvelles formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ce qui autorisait le rapprochement. En ce qui concerne les importations de farines britanniques autorisées par dérogation, elles ont été de 4 800 tonnes de 1989 au début de 1990 ces autorisations étaient fondées sur des demandes et concernaient uniquement l'alimentation des porcs et des volailles. Quant aux importations globales du Royaume-Uni, elles ont été de 9 510 tonnes en 1986, de 8 375 tonnes en 1987, de 10 280 tonnes en 1988, de 16 031 tonnes en 1989, de 1 801 tonnes en 1990, nulles en 1991 et 1992, de 612 tonnes en 1993, de 4327 tonnes en 1994 et de 4 094 tonnes en 1995. Nos autres fournisseurs sont essentiellement la Belgique... M. Pierre FORGUES Qui fabrique des farines ? M. Philippe GUÉRIN En effet, mais aussi qui en assure le négoce. A ce propos, à la suite des 22 cas d'ESB, nous avons mené des enquêtes très approfondies qui nous ont révélé l'utilisation de 730 aliments différents, d'origines diverses. Il est à noter que nous exportons plus de farines de viande que nous n'en importons. Mme le Président La mission souhaite que vous lui fournissiez tous ces chiffres. M. Philippe GUÉRIN Bien évidemment. En ce qui concerne les nouveaux produits destinés à l'alimentation animale, leur élaboration est soumise à des directives européennes très strictes, la dernière imposant le procédé censé inactiver les prions de l'ESB et de la tremblante. Les établissements sont soumis à agrément et nous leur imposons des auto-contrôles. L'étiquetage est plus difficile dans la mesure où les formules de fabrication varient sans cesse en fonction des cours des matières premières. Une directive est toutefois en cours de transposition en droit français. Notons à ce propos que cette crise aura au moins eu le mérite de nous conduire à améliorer l'information du consommateur et la traçabilité de la viande. Désormais, tous les échanges de produits d'origine animale doivent être accompagnés d'un certificat signé par un vétérinaire officiel. Bien évidemment tout dépend de la confiance que nous plaçons dans les contrôles effectués par nos homologues. En ce qui concerne les déclarations effectuées par les autres pays, il est difficile d'avoir des certitudes. Mais en utilisant toutes les sources d'information disponibles, notamment Internet, on peut avoir quelques doutes. Ainsi, les publications scientifiques nous prouvent que le cheptel américain est affecté par d'autres maladies neuro-dégénératives que l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme frappant toutefois les bisons et les cervidés. Quant au système d'épidémio-surveillance, son efficacité reste à démontrer, puisqu'une analyse d'encéphale après abattage n'a été pratiquée que sur 2 000 à 2 500 bovins sur 100 millions. M. Bernard VALLAT Le plan américain de surveillance de l'ESB n'aurait permis de découvrir aucun cas en Grande-Bretagne exclamations. M. Philippe GUÉRIN Nous avons aussi des doutes pour certains pays d'Amérique latine et pour certains de nos partenaires de l'Union européenne. M. Marc LAFFINEUR Donnez des noms. M. Philippe GUÉRIN Je pense surtout à l'Espagne et aux Pays-Bas. La Commission a-t-elle fait de la rétention d'information ? Au vu du compte rendu de notre représentant au Comité vétérinaire permanent le jour où un fonctionnaire européen a suggéré la désinformation de l'opinion », je ne le pense pas. Cela dit, en raison des implications économiques de la maladie, il ne me semble pas anormal que l'on ait pesé le pour et le contre avant de divulguer les informations. Pourquoi les prix à la consommation n'ont-ils pas suivi la baisse des prix à la production ? Cela tient d'abord aux habitudes de nos consommateurs qui privilégient les arrières et se détournent traditionnellement des avants. La crise ayant rendu l'exportation de ces derniers presque impossible, les prix ont dû être maintenus par des opérateurs qui travaillaient déjà avec une marge très faible. Chargé de favoriser l'amélioration des relations entre la grande distribution et l'ensemble de la production, je suis conscient que beaucoup reste à faire en ce qui concerne la logistique. Quant à la qualité, je me réjouis du changement de comportement d'un grand distributeur comme Carrefour, qui a signé avec les éleveurs une charte de certification celle-ci leur garantit un supplément de prix et permet à la marque de vendre plus cher. En Grande-Bretagne, les opérations massives de destockage ont porté leurs fruits, les consommateurs remplissant leurs réfrigérateurs de viande congelée. Mais ces viandes d'intervention sont surtout constituées de quartiers avants qui, je le répète, n'intéressent guère le consommateur français. Le consommateur connaît mal les morceaux. Il faut améliorer son information et faire un effort sur la maturation et la traçabilité des viandes. Mais il faudra de toute façon plusieurs années avant que la confiance revienne. En ce qui concerne l'équarrissage, la situation est très difficile, nous ne savons pas ce qui va se passer après le 15 septembre. Du moins, le nombre d'accords dans les départements est en augmentation, ce qui est une indication favorable. On peut espérer que le bon sens l'emportera et que chacun prendra ses responsabilités, y compris financières. Pour ce qui est de la transmission à l'homme, j'ai déjà répondu et, pour les farines chauffées, j'ai mentionné l'évaluation des procédés. Sans mettre toujours en cause les médias, là aussi il y a eu amalgame. Le traitement des farines ne se limite pas au degré de chauffe. En l'absence de test permettant de déterminer la présence de prions, on se fonde sur la persistance ou non de bactéries résistant à la chaleur. Sinon, il faudrait procéder à des injections sur des souris, puis attendre deux ans... S'agissant de la consommation de viande bovine, elle diminuait régulièrement depuis un certain temps en raison de différents facteurs et notamment des comportements sociaux. Il y a eu quand même une certaine remontée en 1995 qui s'est faite cette fois non par substitution des viandes de porc ou de la volaille, mais au bénéfice de l'agneau. Comme je l'ai dit, il faudra du temps pour retrouver la confiance et la filière l'a bien compris. En ce qui concerne la traçabilité, des progrès considérables s'accomplissent. De ce point de vue, la crise a eu des effets positifs dans cette filière qui comprend beaucoup d'opérateurs, il était difficile de faire l'unanimité et il y avait quelques blocages en ce qui concerne les démarches de normalisation et de certification. Avec la crise, l'ensemble des acteurs ont compris qu'il fallait coopérer. Il faut espérer aussi que dans les prochaines semaines, la Commission de Bruxelles publiera quelque chose dans ce domaine. On pourra alors accorder des garanties officielles de qualité comme Carrefour l'a fait pour la filière normande. On a dit que la certification était coûteuse ; mais l'exemple de Carrefour montre que le coût par kilo de viande est faible eu égard au bénéfice. Il y a eu également des améliorations en ce qui concerne la normalisation. La traçabilité est désormais meilleure en abattoir, il faudra compléter cela au niveau de la découpe. Là aussi, une démarche interprofessionnelle est en cours. M. Patrick HOGUET Je souhaite que vous nous fournissiez un document retraçant l'historique du dossier depuis 1988. Il apparaît qu'au plan national, des dispositions ont été prises pour renforcer le contrôle sanitaire du cheptel mais qu'en raison de différences de structures ou de culture, il est difficile d'obtenir les mêmes assurances de certains partenaires européens chez lesquels les contrôles laissent à désirer. Vous allez présenter un projet de loi sur la sécurité sanitaire. Agira-t-on parallèlement auprès de la Commission pour obtenir une harmonisation avec ce que nous souhaitons instaurer ou le décalage avec nos partenaires risque-t-il de s'accroître ? D'autre part, y aura-t-il des initiatives bilatérales, par exemple avec l'Allemagne en ce qui concerne les produits provenant de l'Est européen, pour tenir compte de cette nouvelle situation ? M. Yves VAN HAECKE Toujours sur le plan communautaire, quelle est l'harmonisation actuelle et que devrait-elle être en ce qui concerne la surveillance de l'épizootie et la communication ? Pour la traçabilité, ce qui existe est insuffisant ; que peut-on faire ? Dans quelle mesure aussi la Commission européenne peut-elle soulever le problème des corps de contrôle ? Cela est essentiel avant toute perspective de réforme de l'OCM ou l'intervention d'autres mesures comme l'étiquetage. Notre rapporteur a brocardé le fait que le ministère de l'agriculture soit chargé des contrôles alimentaires. Mais serait-ce mieux si le ministère des Finances en était seul chargé ? Ne peut-on imaginer une autre solution, par exemple un corps de contrôle dépendant du Premier ministre ? De toute façon M. Guérin a eu raison de défendre les services vétérinaires. Pour l'avenir de la filière, il serait intéressant de savoir ce que la direction générale de l'alimentation pense de l'étiquetage. Les industriels ne sont pas favorables au marquage, mais la direction doit s'occuper de la qualité non seulement sanitaire mais aussi gustative. En quoi consistera l'étiquetage obligatoire ? Peut-on espérer qu'il indiquera le pays d'origine ? M. Dominique BOUSQUET En tant que vétérinaire, je tiens d'abord à souligner que l'état sanitaire du bétail s'est considérablement amélioré depuis quelques années avec les abattages d'animaux atteints de brucellose, de leucose ou même de tuberculose. De plus, personne en France n'aurait osé cacher un cas d'ESB en raison des risques de rage pour l'éleveur et le vétérinaire. Par ailleurs, différentes espèces animales développent actuellement de nouvelles maladies à virus. Quel réseau épidémiologique va-t-on mettre en oeuvre et où en est la recherche ? Mme le Président M. Van Haecke ayant dû nous quitter, je vous suggère de lui transmettre une réponse par écrit. M. Philippe GUÉRIN D'accord. Par ailleurs, je vous remettrai bien entendu un historique reprenant les décisions et l'évolution des connaissances scientifiques. L'harmonisation européenne est effectivement un problème de fond. Il s'agit d'harmoniser la réglementation et la législation communautaire mais aussi l'application effective de ces mesures. Nous avions déjà demandé auparavant que l'harmonisation soit renforcée afin que les systèmes de contrôle travaillent dans la même optique. C'est notamment tout le problème de la certification des élevages. Les services sont très différents d'un pays à l'autre. On peut penser que ce qui s'est passé en Grande-Bretagne tient à l'affaiblissement des services de contrôle et à la déréglementation. Aux Pays-Bas, il y a également une évolution vers la privatisation des services de contrôle vétérinaire. A Bruxelles en tout cas, en raison de problèmes culturels, il est difficile d'aboutir à une mise en oeuvre cohérente des mesures. Il y a un réel dysfonctionnement dans le système communautaire de surveillance aux frontières, notamment dans le domaine sanitaire. Il est prévu un contrôle des documents et un contrôle de salubrité. Celui-ci n'est pas toujours effectué au point d'entrée, mais sur le lieu de destination. Le système ne peut fonctionner que s'il y a une réelle ciculation de l'information entre les pays. Aujourd'hui ce n'est pas le cas. La Commission européenne veut mettre en place un réseau informatisé mais nous n'avons toujours rien vu venir. Sur le plan bilatéral, nous développons beaucoup les accords afin que les services travaillent mieux ensemble grâce à des échanges réguliers d'informations et à la formation continue. Les stages de coopération administrative se multiplient également, en particulier avec l'Allemagne. Mais tout cela n'est certainement pas suffisant, d'autant que, dans ce domaine, des compromis sont souvent nécessaires pour que chacun y trouve son compte. M. Bousquet a raison de rappeler que l'état sanitaire de notre cheptel est sans doute le meilleur du monde. Pour autant, l'effort ne doit pas être relâché car nous souffrons de la transparence que nous nous imposons et nos concurrents exploitent la moindre faille. Il nous faut en particulier éradiquer la tuberculose, mais surtout la brucellose ; nous y consacrons des moyens importants. Enfin, s'agissant des nouvelles maladies, dès mon entrée en fonction, j'ai demandé au CNEVA de faire une sorte d'exercice d'anticipation sur tous les risques possibles afin d'éviter d'être pris de court. Même si les chercheurs ne sont jamais satisfaits, des moyens ont été dégagés et un réseau mis en place. Mme le Président Je vous remercie, monsieur le directeur général. M. Philippe GUÉRIN Je reste à votre disposition pour vous fournir toute la documentation que vous souhaiterez. Audition de M. Thierry BARON, chef de l'unité virologie agent transmissible non conventionnel ATNC au Centre national d'études vétérinaires et alimentaires CNEVA extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 11 septembre 1996 Présidence de Mme Evelyne GUILHEM, Président M. Thierry BARON Avant d'exposer les activités du laboratoire du CNEVA de Lyon, je rappelle quelques notions fondamentales relatives aux maladies à prions. Leur incubation est très longue chez l'homme, alors qu'on ne dispose pas du moyen de détection de cette infection du vivant de l'animal au cours de la période d'incubation, et que le diagnostic de ces maladies ne peut pratiquement être réalisé qu'à partir d'un prélèvement sur le cerveau de l'individu malade. La détection de l'agent infectieux nécessite toujours une transmission expérimentale de la maladie à l'animal, le plus souvent la souris. Ces procédures d'expérimentation sont donc particulièrement lourdes, puisqu'elles reposent sur l'expérimentation animale, lentes, compte tenu de la durée d'incubation -d'un an, voire deux ans chez la souris- et aussi aléatoires, en raison de l'obstacle élevé, assez souvent, par la barrière d'espèce. Pourtant, seules ces méthodes de transmission à l'animal permettront d'appréhender les risques d'infection et de transmission de la maladie. L'ESB a été découverte en 1986, et son origine alimentaire établie en 1988. En 1989, suffisamment d'éléments étaient réunis pour penser que l'ESB pouvait exister en France. En 1990, un système d'épidémio-surveillance de cette maladie a été mis en place, dont le laboratoire de Lyon du CNEVA est devenu l'animateur. En 1991, le laboratoire a recruté un scientifique, moi-même en l'occurrence ; en 1992 a été créée une unité de virologie, dont j'ai la responsabilité depuis octobre 1993, qui a pour mission, outre la virologie bovine, de s'intéresser aux encéphalopathies spongiformes. En 1990, donc, la surveillance commence, et un premier cas d'ESB est recensé en février 1991. Il existe 22 cas aujourd'hui recensés sur le territoire national. La surveillance s'exerce dans le cadre d'un réseau bien formalisé, tant du point de vue de l'organisation, avec les directions des services vétérinaires, le laboratoire de Lyon et la direction générale de l'alimentation, que du point de vue de la méthodologie, qu'il s'agisse de l'acheminement des prélèvements adéquats et des méthodes de diagnostic utilisées. Les perspectives sont analogues s'agissant de la surveillance de la tremblante des petits ruminants grâce à une convention passée avec le ministère de l'agriculture, de juillet à décembre 1996. La constitution de banques de matériels biologiques a été réalisée selon les règles en vigueur ; elle permet la collecte de prélèvements dans ces réseaux pour faire les diagnostics, les travaux de recherche et leur validation. La réglementation existante n'est pas sans influence sur les résultats que l'on peut attendre de ces prélèvements. Ainsi les prélèvements servant à l'étude de l'ESB sont conservés dans du formol, ce qui limite certaines possibilités pour l'évaluation des méthodes diagnostiques. D'autres types de prélèvements sont envisagés, mais cela suppose une modification des protocoles réglementaires pour disposer d'autres techniques de diagnostic. Le CNEVA pratique aussi la surveillance d'un troupeau dans lequel un animal malade a été identifié. De même, pour étudier la tremblante, le CNEVA a pu, par convention avec le ministère de l'agriculture, acquérir des troupeaux de moutons atteints par la maladie et disposer ainsi d'un matériel biologique. Quel est l'état de la recherche, quelles sont les perspectives ? Actuellement, les méthodologies diagnostiques sont élaborées sur la base de méthodes histologiques -c'est-à-dire l'examen du cerveau-, calquées sur celles préconisées par les scientifiques britanniques. Le secteur d'activité concerné du laboratoire est désormais accrédité pour cette technique. Depuis 1992, nous cherchons à développer des méthodes immunologiques, liées à la découverte de la molécule protéine prion en 1982. Ce travail a consisté à préparer les réactifs immunologiques pour cette détection, à assurer la mise au point des techniques de purification de l'agent infectieux et de son identification. Ces techniques sont dès à présent disponibles et peuvent être validées dans leur application dans le cadre des systèmes de surveillance notamment de l'ESB et du mouton. Il nous faut maintenant envisager la mise au point de nouveaux tests, dont on parle tant. Dans notre laboratoire, ces travaux sur les méthodes diagnostiques ont été rendus possibles par le recrutement d'un scientifique, titularisé en 1995, et par le développement de collaborations régionales. Le lancement de recherches sur de nouvelles techniques de détection de l'agent infectieux a été décidé à l'automne 1994. Nous avons ainsi proposé de nous consacrer aux systèmes de production de protéines prions in vitro, c'est-à-dire dans des bactéries ou des cellules de mammifères. Il s'agit d'essayer de fabriquer de nouveaux systèmes de nature à compléter les techniques d'expérimentation animale sur lesquelles repose la détection de l'agent infectieux. Il s'agit aussi d'élaborer pour la communauté scientifique des outils destinés à des recherches appliquées, comme la production de réactifs immunologiques, ou à des études plus fondamentales, comme celles consacrées à la structure de la protéine ou aux trafics intracellulaires. Pour cela, nous avons fait appel au scientifique que nous avions recruté en juin 1995 et à la collaboration avec des laboratoires de la région, notamment pour la production des réactifs immunologiques de détection et la fabrication de ces systèmes d'expression. Au début de 1996, en collaboration avec l'École nationale supérieure de Lyon, nous avons proposé de nouvelles orientations de recherche, à savoir la production de souris transgéniques exprimant la protéine ovine, dans le même but de détection et d'identification de l'agent infectieux responsable de la tremblante des petits ruminants. Ce projet pourra être mis en place si des moyens, en particulier humains, sont prévus à cette fin. Nos travaux portent également, en effet, sur la caractérisation des agents infectieux responsables de la maladie des petits ruminants, ce qui suppose de transmettre la maladie à des souris. Il s'agit de vérifier, ou non, si les cas d'ESB détectés en France proviennent de la même souche que ceux constatés en Grande-Bretagne afin de déterminer s'ils ont une origine alimentaire commune, ou s'il existerait chez nous, plus anciennement, une maladie bovine sporadique, méconnue jusqu'à l'apparition de l'épidémie britannique. Il s'agit aussi de comparer l'ESB à la tremblante du mouton, car il n'est pas possible d'affirmer aujourd'hui avec des arguments scientifiques décisifs que la maladie bovine provient du mouton. Enfin, il est nécessaire de comparer les résultats de la maladie bovine avec ceux de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, sous ses différentes variantes suspectées d'être liées à la maladie bovine. Tous ces travaux requièrent de grandes précautions matérielles -compte tenu du fait que l'on manipule un agent infectieux potentiellement transmissible à l'homme- et des moyens humains importants. Or, ces moyens, seule la Grande-Bretagne en dispose actuellement, ce qui nous rend tributaires des résultats observés par les scientifiques britanniques. Cette situation explique qu'à l'heure actuelle, un grand nombre de questions demeurent non résolues. On peut en citer quelques unes. Ainsi, la vérification expérimentale de la transmission alimentaire de la maladie aux ruminants par des farines animales et d'os n'a jamais été effectuée. Il en va de même pour la validation de l'inactivation des agents infectieux dans les denrées alimentaires. Les caractéristiques de la maladie du mouton -s'il venait à être contaminé par l'agent bovin, comme cela est possible par les farines de viande et d'os- restent à définir, en particulier en comparaison avec la tremblante naturelle du mouton, qui masquerait l'apparition d'une nouvelle épidémie chez les petits ruminants. Il conviendra donc de préciser la clinique, les lésions, la distribution de l'infectiosité et les risques de transmission de cette souche bovine transmise aux moutons, comme l'ont montré les résultats préliminaires de l'étude britannique présentée en juin dernier. Certaines des caractéristiques de la maladie bovine elle-même soulèvent en effet deux questions quel est le statut infectieux des animaux d'un troupeau ayant ingéré des farines de viande et d'os contaminées sans développer la maladie, sur lesquels nous n'avons aucune information précise ? Qu'en est-il de la transmission de la vache au veau, réalité constatée depuis août dernier et dont on ignore les mécanismes possibles ? Toute cette action repose sur des structures à la fois médicales et vétérinaires. Pour la région Rhône-Alpes, le CNEVA de Lyon pour les maladies animales est bien représenté ; l'hôpital neurologique suit les maladies humaines. Cela permet de constituer des banques de matériel biologique. Le CNEVA pourra réhabiliter en 1997 son laboratoire de virologie, qui permettra la manipulation de ce type d'agents infectieux. Il n'existe pas à l'heure actuelle d'animalerie permettant des travaux sur ces souches infectieuses et en particulier chez les grands animaux. Avec ses trois postes de scientifiques, le CNEVA propose donc de développer l'activité dans le domaine de l'épidémio-surveillance, de la caractérisation des souches, afin de disposer en dehors de la Grande-Bretagne des compétences nécessaires ; il en va de même de la mise au point de nouvelles techniques diagnostiques et de leur évaluation dans le cadre des systèmes de surveillance, du développement de nouveaux outils biologiques de détection, qu'il s'agisse de méthodes in vivo ou in vitro, de l'évaluation des risques alimentaires et des procédés d'inactivation. Depuis 1994, nous avons cherché à mettre en place des collaborations régionales avec les laboratoires de l'INSERM, le CNRS, l'ENS, le CEA, l'Institut Pasteur, qu'il s'agisse de l'expérimentation ou de la recherche fondamentale, en nous appuyant sur un pôle médical et sur un pôle vétérinaire, afin de rapprocher tant la recherche fondamentale de la recherche appliquée que la médecine humaine de la médecine vétérinaire. François GUILLAUME Le CNEVA a joué un rôle important dans l'éradication de la tuberculose, de la brucellose, de la leucose, une certaine discipline des éleveurs concourant également à la réalisation de cet objectif. Avait-on signalé dans le passé des cas sporadiques de la maladie de la vache folle ? Il me semble que c'est le cas, mais il est vrai que des confusions ont pu avoir lieu avec d'autres maladies telles que les tétanies d'élevage dont les symptômes sont un peu comparables. Où en êtes-vous de la recherche de tests sur les animaux vivants qui permettrait une prophylaxie comparable à celle grâce à laquelle les épizooties dont j'ai parlé ont été éliminées ? Quant aux abattages, leur nombre a été fixé au niveau européen, les Britanniques ayant été contraints à augmenter les leurs. Mais sur quels critères peut-on aujourd'hui appuyer cette exigence d'abattre des animaux ? La mesure arrêtée n'est-elle pas un leurre si l'on agit à l'aveuglette, sans critères scientifiques de sélection des animaux ? Enfin, si la concurrence entre laboratoires peut être stimulante, y a-t-il entre les équipes de chercheurs des coopérations susceptibles d'accélérer les recherches ? M. René BEAUMONT Le CNEVA s'est-il auto-saisi du dossier de la vache folle ou a-t-il été saisi officiellement par le ministère de la recherche ou celui de l'agriculture et dans ce cas, à quelle date ? Où en est-on exactement de la recherche d'un test sur les animaux vivants en France et dans le reste du monde ? M. Jean DESANLIS Parmi les personnes atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en Angleterre, il y a quatre éleveurs qui avaient dans leurs troupeaux des bêtes atteintes d'ESB. Si l'on peut penser qu'ils ont été contaminés en absorbant des aliments d'origine animale venant de l'extérieur, ne peut-on penser aussi qu'ils ont peut-être été contaminés directement par leurs animaux malades ? M. Thierry BARON Une publication de 1883-1884 fait état d'un cas ressemblant à la tremblante du mouton mais il faut resituer cette publication dans le contexte de l'époque. On n'avait aucune information sur la liste des pathologies, sur la nature transmissible de ces maladies. Ces informations doivent donc être accueillies avec prudence mais ces observations existent cependant. M. le Rapporteur Quel est le diagnostic différentiel sur l'ESB ? Y a-t-il des maladies autres avec lesquelles elle peut être confondue ? M. Thierry BARON M. Guillaume a cité la tétanie ; l'ESB peut également être confondue avec la listériose ou la rage. Il faut donc être prudent dans l'interprétation des publications dont nous disposons. Quant au diagnostic sur l'animal vivant, les choses sont plus faciles chez le mouton que chez les bovins. Chez le mouton en effet la distribution de l'infectiosité et du prion est assez large car le prion est présent dans les amygdales, les ganglions lymphatiques et la rate ; sa détection est donc possible avant l'apparition des signes cliniques, sur un prélèvement réalisable du vivant de l'animal. Ces méthodes existent en France et peuvent être validées dans le cadre d'un système d'épidémio-surveillance. Ceci sera pris en compte dans la mise en place de la surveillance de la tremblante, puisqu'on demandera de tels prélèvements pour exploiter ce type de techniques. Pour les bovins en revanche, l'infectiosité et la protéine-prion pathologiques n'ont été détectées que dans le système nerveux central, la rétine ou l'iléon dans la situation expérimentale. M. le Rapporteur Vous avez évoqué l'abattage de troupeaux en France. A-t-on fait des études anatomo-pathologiques du cerveau et des amygdales sur les bêtes apparemment saines appartenant à un troupeau dans lequel on aurait trouvé un animal malade ? M. Thierry BARON Non. Le système de prélèvement fixé par voie réglementaire ne permet de mettre dans le formol que des éléments prélevés sur l'animal suspect, et non pas sur les autres animaux. Nous avons proposé en juillet dernier à la direction générale de l'alimentation d'autoriser la récupération d'autres éléments cerveau, sang pour rechercher des lésions, de l'infectiosité et de la protéine-prion. M. le Rapporteur Ne vous semble-t-il pas aberrant que, dans un troupeau où il y a un animal malade, on abatte tous les animaux sans vérifier si ceux qui n'avaient pas déclaré la maladie présentent des signes infracliniques ? M. Thierry BARON Quand le système de surveillance a été mis en place, certains animaux ont été récupérés, mais ces travaux ont été abandonnés pour des raisons que j'ignore et ils n'ont été repris que tout récemment. M. le Rapporteur Dans quels laboratoires ces travaux ont-ils été entrepris puis abandonnés ? Nous ne voulons pas mettre en cause, mais comprendre ! M. Thierry BARON Les animaux concernés sont les premiers cas identifiés au début de 1991. François GUILLAUME Je partage l'indignation de notre rapporteur. Comment se fait-il que la direction des services vétérinaires des départements où du cheptel a été abattu systématiquement n'ait pas demandé qu'on fasse des prélèvements pour voir si des animaux autres que l'animal malade étaient atteints ? M. René BEAUMONT Je souhaiterais une réponse à propos de la saisine du CNEVA. M. Thierry BARON J'en termine auparavant avec la question précédente. Il y a eu un décalage entre l'apparition de la maladie et la mise au point des méthodes. Celle qui permet de juger de l'infectiosité n'a été disponible au laboratoire de Lyon qu'en juin 1994. Jusque là, on ne disposait que de l'histopathologie qui est malgré tout d'une efficacité limitée pour détecter des lésions infracliniques. Quant à la saisine du CNEVA, je ne peux vous répondre, n'y ayant pris mes fonctions qu'en 1991. Le directeur qui m'a accueilli avait activement pris part en 1990 à la mise en place de l'épidémio-surveillance. M. Francis GALIZI Est-ce que le CNEVA a tenu compte dans ses travaux de l'existence de deux logiques bien différentes, à savoir la logique britannique selon laquelle si un animal est malade, il ne transmet pas pour autant la maladie aux autres bêtes du troupeau et la logique française selon laquelle la maladie étant due à la consommation de farine polluée, si un animal est malade, le troupeau tout entier a dû être contaminé ? Les chercheurs n'auraient-ils pas plutôt d'entrée de jeu opté pour la logique britannique ? Par ailleurs, à quelle logique les chercheurs se sont-ils ralliés en Suisse ? M. Thierry BARON J'ai peu d'informations sur la Suisse. Il est clair, en effet, que s'opposent la logique britannique et la logique française, celle de l'individu malade et celle du troupeau malade. Et justement si l'on n'a pas fait de recherches en France sur les animaux apparemment sains, c'est parce qu'on est parti de l'idée que tout le troupeau était contaminé. M. le Rapporteur La contamination peut se faire de deux façons un animal malade peut transmettre une maladie contagieuse aux autres animaux du troupeau ou l'un des animaux du troupeau a pu être contaminé parce qu'il a absorbé une farine polluée. Mais on peut envisager le cas où la maladie ne serait pas contagieuse ; vous n'avez pas parlé des facteurs génétiques éventuels. M. Thierry BARON C'est que jusqu'à présent, contrairement à la situation du mouton ou de l'homme, on n'a jamais détecté de prédisposition génétique à cette maladie, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas. M. François GUILLAUME En Grande-Bretagne, un troupeau sur deux a été touché. Si l'on doit abattre l'ensemble du troupeau dans lequel un animal a été atteint, c'est la moitié du cheptel britannique qu'il faut abattre ! Quelle logique va-t-on suivre pour donner toute garantie au consommateur ? Si aucune logique ne prévaut, il ne faut pas abattre ! M. Thierry BARON Si des animaux ont été contaminés par la consommation de farines de viande et d'os, la question se pose de maîtriser l'utilisation et le contrôle de ces farines. La maladie peut-elle se transmettre en dehors de la consommation de farines ? Il faut évaluer les risques de transmission de la vache au veau. M. Rémy AUCHEDÉ Y a-t-il des cas avérés d'ESB chez des animaux n'ayant pas consommé de farines animales ? A-t-on pu constater des différences dans les souches des animaux selon qu'ils ont ou non consommé ces farines ? A-t-on les moyens d'entretenir un troupeau de bovins auxquels l'on donnerait, aux fins d'études, des farines animales ? M. Thierry BARON Non, nous n'avons pas les moyens de procéder à de telles expériences. M. le Rapporteur Voulez-vous parler des moyens matériels ou des compétences humaines ? M. Thierry BARON Il serait nécessaire de recourir à des techniques plus approfondies que par le passé pour caractériser les souches, mais cela nécessite des compétences en neuropathologie que nous n'avons pas. Nous manquons souvent aussi d'informations précises sur la consommation éventuelle de farines de viandes et d'os par les animaux, mais nous nous interrogeons sur certains cas pour lesquels nous n'avons pas pu établir cette consommation ou qui sont intervenus dans des régions peu atteintes ou encore chez des animaux nés après la date d'interdiction, encore que l'on ne puisse garantir que celle-ci a bien été respectée. M. le Rapporteur Lorsque vous parlez de souches » de quoi parlez-vous exactement ? Ce terme peut-il s'appliquer au prion, qui est une protéine ? Peut-on faire un anti-corps anticonformationnel ? M. Thierry BARON Nous n'avons pas la certitude absolue, en l'état actuel des connaissances, que le prion soit bien l'agent infectieux. Le développement d'anticorps contre la protéine-prion est essentiel. Il permet de détecter le marqueur d'infection et de l'utiliser dans les différentes techniques abordées. Cependant, la nature exacte de l'agent infectieux est inconnue et lorsque l'on parle de souches », il s'agit d'une caractérisation biologique c'est-à-dire des caractéristiques de la maladie après transmission expérimentale. Ce sont des prélèvements cérébraux inoculés à la souris dans lesquels on observe des délais d'incubation et des caractéristiques lésionnelles et cliniques spécifiques d'une souche d'agent infectieux, de telle sorte que chez le mouton on a identifié une quinzaine à une vingtaine de souches et une seule chez les bovins. M. le Rapporteur Voulez-vous dire que vous prélevez un tissu cérébral d'animal malade pour l'inoculer à une souris et récupérer ensuite les cellules cérébrales de ladite souris, qui peuvent être contaminées ? M. Thierry BARON On inocule le prélèvement cérébral du malade dans le cerveau de la souris. On a une souche de souris en France. Les Britanniques ont pu établir quatre lignées de souris, caractérisées par leur durée d'incubation en réponse à l'agent infectieux et par la distribution des lésions cérébrales. M. le Rapporteur Donc, à une même souche correspond un même animal malade ? M. Thierry BARON Oui. M. Jean-Yves LE DÉAUT Les Britanniques ont fait une expérience sur le mode de contamination des veaux, dont il ressort que le système nerveux central n'est toujours pas atteint au bout de vingt à vingt-deux mois. Le rapport Dormont préconisait en 1992 de faire aussi ce type d'expérience. Comment se fait-il que quatre ans après, nous n'en ayons toujours pas les moyens ? M. Thierry BARON Il est clair que nous avons quelques difficultés à faire financer des expérimentations animales. Ainsi, les petits travaux que j'avais proposés et qui consistaient simplement à inoculer une dizaine de tissus bovins à des souris, n'ont pu être commencés que récemment du fait des lenteurs de l'administration. M. Jean-Yves LE DÉAUT Si le système nerveux central n'est toujours pas contaminé au bout de deux ans, a-t-on au moins les moyens de détecter, à ce stade, une forme protéique anormale ? Il serait intéressant de connaître le résultat des tests pratiqués par les Britanniques. M. Thierry BARON Je n'en suis guère mieux informé que vous. L'incubation de la maladie chez les bovins dure généralement cinq ans et il n'y a pas de marqueur » avant deux ans et demi, soit la moitié de la durée d'incubation. Les études réalisées sur des moutons ont permis d'ébaucher le chemin suivi par la contamination, qui remonte du tube digestif vers le système nerveux central, où elle se développe de façon exponentielle dans la seconde moitié de la période d'incubation. M. le Rapporteur Vous avez parlé d'épidémio-surveillance. Pensez-vous que tous les cas aient été déclarés ? Si non, quelle est votre estimation du taux de sous-déclaration ? Par ailleurs, peut-on parler d'épidémie lorsque seuls vingt-deux cas ont été répertoriés ? M. Thierry BARON Sur ce dernier point non, bien sûr. Quant à la sous-déclaration, je ne puis ni l'exclure, ni la quantifier. On est dans un système de volontariat, fondé sur la déclaration de l'éleveur. M. le Rapporteur Il existe pourtant en épidémiologie des techniques permettant d'évaluer la marge d'erreur d'une estimation. Il est pour le moins curieux de faire de l'épidémio-surveillance en ne sachant pas si tous les cas ont été déclarés. M. Thierry BARON Je n'ai aucune compétence épidémiologique pour vous répondre. M. François GUILLAUME Je crois qu'en fait peu de cas échappent à la surveillance vétérinaire. N'oublions pas que les éleveurs, lorsqu'ils appellent le vétérinaire, ne savent pas à quelle maladie ils ont affaire. Les vingt-deux cas répertoriés constituent donc vraisemblablement l'essentiel des cas existants. M. le Rapporteur C'est précisément ce que j'aimerais que nous puissions dire avec une certaine force pour démontrer que l'on n'est pas dans une épidémie, encore que l'on puisse discuter de la durée d'incubation. Pour en revenir au prion, il y a trois possibilités soit il est bien le coupable », soit il est complice » d'un autre cofacteur, soit il n'est que le témoin » d'un infection virale dont nous ne connaissons pas l'agent infectieux. Est-ce bien sur ces trois hypothèses que raisonnent les chercheurs ? M. Thierry BARON Oui. Après une période d'incrédulité en 1982 et dans les années suivantes, les recherches menées depuis ont donné plus de poids à l'hypothèse du prion, qui suscite cependant de vifs débats au sein de la communauté scientifique. M. René BEAUMONT Pour avoir été vétérinaire de campagne pendant vingt ans, je considère moi aussi que la non-déclaration est, sans aucun doute, très limitée. Généralement, les troubles ne sont pas identifiés lorsque le vétérinaire est appelé et même si le vétérinaire n'est pas appelé, la simple venue du camion d'équarrissage dans une ferme suscite la curiosité et l'inquiétude des voisins ; pour la peste porcine, on a pu établir que les cas non déclarés représentaient moins de 10 % de l'ensemble. Pour l'ESB, il en va probablement de même et le nombre total de cas ne doit guère dépasser les 25 pour 22 déclarés. Mme le Président Je vous remercie. Audition de M. Michel BARNIER, ministre délégué aux affaires européennes extrait du procès-verbal de la deuxième séance du 10 septembre 1996 Présidence de M. Jean-François Mattei, Rapporteur M. le Rapporteur Je vous souhaite la bienvenue au nom de Mme le Président, malheureusement retenue par ses obligations et dont je vous prie donc d'excuser l'absence. Dès le mois de juillet, consciente du rôle joué par l'Union européenne dans la gestion de cette crise, la mission a souhaité vous entendre et l'annonce de la création d'une commission d'enquête par le Parlement européen ne rend cette audition que plus indispensable aujourd'hui . Nous écouterons donc avec le plus grand intérêt votre exposé. M. Michel BARNIER Je suis très heureux de cette occasion que vous m'offrez d'exposer mon point de vue et de retrouver une maison que j'aime. Dans un domaine aussi vital pour le consommateur, l'action du Gouvernement a constamment obéi à deux principes -celui de la transparence et le principe de précaution- ainsi qu'à une exigence protéger la santé publique. Mon propos ne souffrira donc d'autres limites que celles qu'impose le caractère de mes fonctions ministérielles le ministère des affaires européennes n'intervient que de façon transversale », en soutien des ministères techniques, et, sur une telle affaire, il ne pouvait être en première ligne. J'articulerai mon propos autour des deux axes suivants tout d'abord, mon expérience personnelle au cours de cette crise, autour des décisions à l'élaboration desquelles j'ai participé ; ensuite, le fonctionnement des institutions communautaires. Personnellement, j'ai participé depuis mars 1996 à deux réunions communautaires importantes dominées par la question de l'ESB le conclave » des ministres des affaires étrangères tenu le 17 juin à Rome, où je suppléais M. de Charette, puis, les 22 et 23 juin, le Conseil européen de Florence. Vous vous souvenez sans doute que la réunion de Rome a eu lieu alors que nous étions alors en plein chantage britannique, le Royaume-Uni opposant son veto à toute décision communautaire. Les quatorze autres Etats membres ont fermement refusé d'entrer dans ce jeu, s'agissant d'une question de santé publique, et M. Rifkind a bien dû comprendre que sa réponse politique à un problème technique n'était pas appropriée. Nous nous sommes de même opposés à sa demande d'autoriser les exportations de viande britannique vers les pays tiers - c'eût été ouvrir la porte à des réexportations vers l'Union. C'est à Rome aussi que le Président Santer a présenté, de façon informelle, un schéma de sortie de la crise », soumettant toute levée progressive de l'embargo à l'approbation préalable d'experts scientifiques et vétérinaires, ainsi qu'à l'application d'un plan complet d'éradication de l'épidémie. Ce schéma a été approuvé par les 14 ministres présents. M. Santer a également, ce jour, confirmé que serait mis en place le comité scientifique pluridisciplinaire demandé par la France dès le 18 avril et par le Conseil de l'agriculture. Le Conseil européen de Florence, auquel a participé le Président de la République, a marqué une étape déterminante, quelques jours plus tard. C'est cette réunion qui a mis fin à la crise politique, sur des bases scientifiques et techniques, permettant ainsi aux conseils spécialisés -notamment celui de l'agriculture- de reprendre leurs travaux dans un climat plus serein. Le Conseil s'est mis d'accord sur le document soumis par la Commission, décrivant les conditions auxquelles l'embargo pourrait être assoupli - en vertu notamment de critères sanitaires et scientifiques objectifs. Il a ainsi joué tout son rôle en dénouant la crise institutionnelle sans pour autant s'ériger en super-conseil de l'agriculture et en arrêtant une méthodologie pour une levée de l'embargo qui ne pourrait être que progressive. Je crois pouvoir dire que nous avons eu là l'exemple d'un fonctionnement correct des institutions communautaires. A l'échelon national, je n'ai pour ma part pas eu à participer aux décisions concernant ce dossier de l'ESB mais j'ai suivi attentivement ce qui était fait et, dans les réunions interministérielles, je n'ai jamais hésité à recommander de faire passer les exigences du marché intérieur après celles de la santé publique et après la protection du consommateur ainsi en a-t-il été en ce qui concerne les cosmétiques, pour la fabrication de farines animales ou lorsqu'il s'est agi d'exclure de la chaîne alimentaire certains tissus à risque provenant de ruminants. La réglementation française est, dans ces domaines, plus stricte que la réglementation communautaire et nous essayons de convaincre Bruxelles de s'aligner sur nous. Par ailleurs, lorsque le Royaume-Uni a attaqué devant la Cour de justice la décision d'embargo prise par le Conseil, la France a agi en sorte que la Commission ne soit pas isolée et l'ensemble de nos partenaires l'ont appuyée lors de ce contentieux. J'en arrive maintenant à la question qui fait l'objet du second point de mon exposé les institutions communautaires ont-elles correctement fonctionné durant cette crise ? Jamais l'Union n'avait eu à traiter d'un sujet de santé publique aussi complexe. Or, depuis 1989, elle a pris à mon sens les mesures qu'appelait l'état des connaissances scientifiques, les adaptant ensuite régulièrement. Vous avez fait allusion, monsieur le Rapporteur, à la commission d'enquête formée par le Parlement européen je souhaiterais à ce propos insister -dans la limite que m'autorisent mes fonctions- pour qu'on ne reporte pas sur les fonctionnaires, quel que soit leur rang, une responsabilité politique qui ne doit peser que sur les commissaires. Pour en venir au fond, en mars dernier, au lendemain de l'annonce par les Britanniques de nouvelles données scientifiques, la France a interdit l'importation de produits bovins britanniques, imitée en cela par une majorité des autres Etats membres. Après avoir recueilli l'avis des comités scientifiques et vétérinaires compétents, la Commission a décidé de maintenir l'embargo, à destination des Etats membres et des pays tiers, sur ces mêmes produits -et, à ce jour, cet embargo s'impose toujours. Lorsqu'on examine la chronologie des décisions intervenues depuis le 27 mars dernier, il apparaît que la France a joué un rôle moteur dans la gestion de cette crise par la Communauté. C'est elle qui est à l'origine de l'embargo décrété le 27 mars. C'est elle aussi qui a demandé la tenue, du 1er au 3 avril, d'une réunion extraordinaire des ministres de l'agriculture. En outre, le 18 juin, elle a obtenu la mise en place d'un comité scientifique pluridisciplinaire, destiné à éclairer préalablement les décisions de l'Union sur ce sujet particulièrement complexe. En outre, la France cherche à faire prévaloir au sein des institutions communautaires une approche fondée sur le principe de précaution, qu'elle a mis en oeuvre sur le plan interne. Enfin, elle a toujours agi envers Bruxelles avec la plus grande transparence, communiquant à l'Union tous les rapports de ses experts. Mais l'impulsion en faveur de la solidarité avec les éleveurs est également venue de France. A Florence, c'est sur l'insistance du Président de la République que le Conseil a porté l'enveloppe consacrée à ce soutien de 650 à 850 millions d'écus. Au conseil des ministres de l'agriculture qui se tiendra les 16 et 17 septembre prochains à Bruxelles, M. Vasseur demandera d'augmenter la prime à la vache allaitante, afin de faire face à la crise des broutards ; s'y ajouteront si nécessaire des compléments nationaux. Au total, face à une telle crise, doit-on considérer qu'il y a eu trop ou pas assez d'Europe ? Dans le débat sur les origines de la crise, certains ont été tentés d'incriminer l'existence même du marché unique et sa philosophie libérale. Ils ont en partie raison, du moins pour la période où l'endémie est apparue au Royaume-Uni. Mais c'est bien à une insuffisante harmonisation de normes sanitaires entre les Quinze, aux différences dans les pratiques d'étiquetage et de contrôle, qu'est probablement dû le développement de la crise. Quand ces lacunes ont été constatées, la Communauté a réagi avec des mesures utiles, mais l'absence préalable d'un système unifié de contrôles vétérinaires fut un handicap évident. La leçon que je retire de tout cela est donc qu'il n'y avait pas assez d'Europe. Cet exemple, dans toute sa gravité, illustre d'ailleurs les difficultés que soulèverait une application trop dogmatique du principe de subsidiarité. Nous aurons à nous en souvenir dans les négociations au sein de la conférence intergouvernementale. Car c'est bien au nom de ce principe que chaque pays avait mis en place la politique de contrôle vétérinaire qu'il souhaitait. On mesure ainsi combien l'Europe a encore à faire. Elle doit se doter d'un système d'épidémio-surveillance commun sur le modèle de celui existant en France qui, s'il n'est pas parfait, est actuellement le meilleur. L'Europe doit également coordonner les recherches sur les liens entre l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La création d'une agence vétérinaire européenne est elle aussi à envisager. Enfin, l'Europe doit examiner les mesures à prendre pour garantir l'avenir de la filière bovine. Sur ce point, la Commission de Bruxelles a présenté à la fin juillet des modifications relatives à l'OCM de la viande bovine. Certaines devront intervenir de toute urgence. C'est ainsi notamment qu'il faudra augmenter les plafonds d'achats publics à l'intervention qui vont être très prochainement saturés. La crise a également fait apparaître peut-être, pour la première fois, une Europe des consommateurs. Les hommes politiques ont dû tenir compte de cette affirmation. Je l'ai ressenti très nettement à Rome et à Florence. Et sur le terrain, j'ai entendu s'exprimer les réactions très vives des consommateurs. Les consommateurs attendent eux aussi que l'Europe intervienne par exemple sur l'étiquetage de la viande et des produits à base de viande. La Commission devrait faire prochainement des propositions sur ce point, tout comme elle va proposer, comme le souhaite la France, des mesures propres à encourager l'élevage extensif qui correspond mieux aux attentes actuelles des consommateurs. Les leçons tirées de la crise permettront certainement d'accélérer la réforme de la PAC. Désormais, on ne peut plus raconter n'importe quoi aux gens. La nature se venge toujours, et le besoin de vérité comme d'authenticité est de plus en plus vivement ressenti. M. Patrick HOGUET Vous avez précisé le rôle respectif, au sein de l'Union européenne, de la Commission et du Conseil, en indiquant ce qui a été fait depuis mars 1996. Pourriez-vous indiquer si, de 1988 à 1995, le Conseil a eu à délibérer de la question de l'ESB ? S'agissant de la nécessaire harmonisation des réglementations et des pratiques de contrôle vétérinaire, quelles initiatives comptez-vous prendre au niveau communautaire ? Les dispositions actuelles du traité suffisent-elles pour agir efficacement dans le domaine sanitaire ? La conférence intergouvernementale n'offre-t-elle pas l'occasion de préciser le traité sur ce point ? M. Jean-Marie MORISSET Vous fondez votre action sur les principes de précaution et de transparence. Ne faudrait-il pas y ajouter le principe de cohérence ? Je pense notamment aux différences dans les pratiques d'abattage en France et en Grande-Bretagne lorsqu'un animal a été reconnu atteint d'ESB au sein d'un troupeau. De même, les avis du comité scientifique européen seront-ils opposables à ceux des instances nationales ? Par ailleurs, le dispositif adopté par la France s'est-il révélé, au bout de six mois, aussi efficace que l'on espérait, ou s'est-il révélé excessif ? Enfin, hier, quelqu'un nous a mis en garde contre le syndrome de l'oubli. Comment obtenir qu'en cas d'autres crises d'une telle gravité, les instances européennes ne soient plus prises au dépourvu ? Pour finir, dans un document émanant du Parlement européen, informant de la création d'une commission d'enquête, on peut lire le Parlement européen a fait preuve d'une grande vigilance, et a adopté nombre de résolutions.... Il dénonce la mauvaise volonté apparente de certains services de la Commission ». Qu'en est-il de ce dernier point ? M. Alain Le VERN En Grande-Bretagne, le Président de la République s'est prononcé pour la levée de l'embargo sur la gélatine, le sperme et les tissus. Une semaine plus tard, en Allemagne, il se déclarait favorable à cet embargo. Comment expliquer ce revirement ? La presse fait état d'importations de farines en provenance de Grande-Bretagne depuis plusieurs années en dépit des interdictions. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? Quant à l'avenir, je partage les préoccupations que vous avez exprimées, mais les mesures simples que vous avez indiquées tardent à entrer en vigueur. Pourquoi, six mois après, les dispositions relatives à la circulation des viandes en Europe et à leur identification ne sont-elles toujours pas appliquées ? Dans le domaine de la traçabilité, vous l'avez rappelé, la France est très en avance, et le dispositif qu'elle a mis en place coûte cher. De sorte que si les autres pays ne prennent pas des mesures identiques, nos producteurs en souffriront. Comment comptez-vous faire adopter par l'ensemble de nos partenaires européens des procédures d'identification des animaux analogues aux nôtres, afin que les consommateurs soient partout complètement informés et que la consommation puisse ainsi redémarrer ? M. Francis GALIZI J'approuve ce que vous nous dîtes, monsieur le Ministre, mais ne serait-il pas temps de doter l'Europe d'un équivalent de la Food and drugs administration » américaine ? Comment jugez-vous l'action des Etats-Unis ? Ne font-ils pas payer aux membres de l'Union européenne leur refus d'importer des veaux aux hormones ? L'ESB touche quatorze pays dans le monde sur trois continents et sévit jusque dans les Malouines. Les chefs d'Etat du continent américain ont-ils pris conscience du problème et sont-ils disposés à nous aider ou ont-ils au contraire tendance à utiliser cette crise pour régler des comptes à la suite de l'attitude que nous avons adoptée sur leurs veaux aux hormones ? M. Michel BARNIER Je transmettrai à votre mission dans les jours qui viennent une chronologie des décisions de l'Union. Je précise à ce propos que depuis le début de cette affaire, tant les Etats membres que les institutions communautaires n'ont pu travailler que sur la base des données scientifiques dont ils disposaient et dont les développements des dernières semaines ont montré à quel point elles pouvaient évoluer. La Cour de justice a validé l'embargo c'est-à-dire que le Traité offre, selon elle, une bonne base pour prendre une telle décision. Dans ces conditions, et sans fermer la porte à de nouvelles réglementations, je considère que la question relève davantage de la volonté politique, comme l'ont montré les toutes dernières décisions de l'Union européenne. J'ajoute que le document de la Commission relatif à la méthodologie à suivre, que le Conseil européen a accueilli favorablement, est très strict en ce qui concerne les obligations qui s'imposent aux Etats membres. Comme M. Vasseur, je suis favorable à une coordination des méthodes d'identification. Dans bien des pays, il n'y a pas de banques de données sur les animaux. Il faut partir sur de bonnes bases pour organiser la traçabilité. C'est bien ainsi qu'on rétablira la confiance du consommateur. Le citoyen a, en effet droit à la sécurité alimentaire. La cohérence est à coup sûr nécessaire, même s'il est difficile d'y parvenir quand on est quinze et que les commissaires et les gouvernements changent. J'ai acquis à Florence la certitude que les avis du comité scientifique pluridisciplinaire récemment mis en place seraient respectés. Quel gouvernement, en effet, prendrait la responsabilité de faire prévaloir ses avis sur ceux d'un comité national, aussi compétent soit-il ? Il n'est pas question que je m'engage dans une quelconque polémique avec le Parlement européen. Il a constitué une commission d'enquête comme c'est son droit et nous serons attentifs à ses travaux. Vous pourrez d'ailleurs vous aussi -je sais que vous le ferez prochainement- entendre des responsables de la Commission de Bruxelles. A cet égard, j'attire une nouvelle fois votre attention sur la nécessité de bien faire la part des choses entre la responsabilité des commissaires, qui est première, et le rôle des fonctionnaires, qui ne doivent pas être chargés injustement. Le Président de la République a souhaité à Londres que l'embargo puisse être levé. Tous les pays européens le souhaitent, mais il faut voir sous quelles conditions cela peut se faire. M. Chirac a tenu à Londres, en public et en privé, un langage très clair. Sans doute était-il le mieux placé pour se montrer très exigeant vis-à-vis des Anglais et ce qu'il leur a dit a contribué à faire évoluer leur position au Conseil européen. Il a ainsi fait passer aux Anglais le message selon lequel tous les européens devaient rester solidaires dans la crise, et que la solidarité financière qui jouerait en leur faveur ne pouvait rester sans contrepartie. A propos de l'agence américaine, vous avez entendu le secrétaire d'Etat à la santé qui revenait d'un voyage aux Etats-Unis consacré à l'étude de ce dispositif. M. Gaymard souhaite vivement que nous disposions d'un tel outil pour prévenir les crises. Nous examinons donc l'expérience américaine et les enseignements qui pourraient être tirés. Un débat est engagé sur ce point au sein du Gouvernement. Mais aucune décision n'a encore été prise, ni sur le plan national, ni sur le plan européen. Une concertation internationale est bien nécessaire. Il y a, me semble-t-il, longtemps que les Américains n'importent plus de viande britannique, non plus d'ailleurs que les Canadiens ni que Hong-Kong. La coordination pourrait se faire à l'OMS, institution qui devra tirer les conclusions de cette crise. M. Rémy AUCHEDÉ La France a eu raison, dans cette crise, d'appliquer le principe de subsidiarité et de faire prévaloir les impératifs de santé publique, notamment en décidant l'embargo. Mais des produits de même nature que ceux sur lesquels portait cet embargo ont continué à circuler en Europe. Il y a donc bien un problème de cohérence au sein de l'Union. Ainsi, l'arrêté d'interdiction concernant les boyaux, dont je ne conteste pas le bien-fondé, a pénalisé les industriels français sans mettre fin à l'utilisation de boyaux importés dans notre pays. Que comptez-vous faire pour arriver à plus de cohérence ? M. le Rapporteur Ce cas particulier illustre bien, il est vrai, le défaut de cohérence à l'échelon européen. On a interdit l'utilisation des intestins en confondant d'ailleurs gros intestins et intestins grêles. Aussi ne peut-on plus fabriquer de salami mais on continue d'importer du salami fabriqué avec des intestins venus d'ailleurs... M. Yves VAN HAECKE Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur les effets de l'instauration du marché unique en 1993 et sur l'efficacité de la législation concernant les farines animales ? Je partage tout à fait votre avis sur la nécessité d'harmoniser les législations de la Communauté afin d'assurer la traçabilité. Mais pourriez-vous nous dire à quelle date des décisions communautaires interviendront ? Enfin, pouvez-vous nous donner des indications sur la position qu'adoptera le gouvernement français au prochain conseil agriculture sur la proposition de la Commission du 30 juillet dernier ? M. Jean-Yves Le DÉAUT Je souhaiterais que vous fassiez le bilan des décisions communautaires concernant l'importation de farines animales. En 1988, les Anglais se sont aperçu que la consommation de ces farines représentait un risque et ont décidé de ne plus les utiliser. En 1989, le gouvernement français a interdit l'importation de ces produits, sauf dérogation, par un avis aux importateurs, mais il apparaît maintenant que les importations se sont poursuivies. Quant à l'Allemagne et au Danemark, ils avaient interdit ces importations alimentaires. La réglementation française, a-t-on dit, est plus restrictive que la réglementation communautaire, qui semble bien floue. A quoi bon, si cette législation n'est pas appliquée ? Il faudrait que l'on puisse vérifier que les mesures arrêtées sont bien appliquées. Nous comptons sur vous, enfin, pour faire avancer le système des labels, car certains de nos partenaires n'en souhaitent pas du tout la généralisation. M. Charles JOSSELIN Je voudrais savoir quelle position le Gouvernement défendra prochainement à Bruxelles sur la mise à contribution des céréaliers. M. Michel BARNIER Je ne me choque nullement des propos de M. Auchedé je conviens volontiers des insuffisances du marché unique et de la nécessité de les corriger. L'une des façons de le faire est d'harmoniser les contrôles vétérinaires sur la base de la pratique française qui est la plus rigoureuse en la matière, ainsi que l'étiquetage des produits, y compris avec les futurs membres de l'Union européenne. Lorsque je me suis rendu dans les 12 Etats candidats à l'adhésion, j'ai d'ailleurs abordé cette question. Pour ce qui est des farines, je ne puis dire que ce que je sais par mon collègue en charge des douanes, et vous renvoyer à la mise au point faite cet après-midi par la direction générale des douanes. Pour ce qui est de la chronologie des décisions communautaires, je vous ferai parvenir -comme je l'ai déjà indiqué- un document le plus complet possible car je tiens à faire preuve sur ce point de la plus grande transparence. Enfin, nous estimons que les propositions de la Commission pour l'OCM viande bovine » sont insuffisantes, et nous proposerons une aide complémentaire pour faire face à la crise des broutards. Sur la question des céréaliers, le Gouvernement français s'exprimera par la voix de M. Vasseur, dans le sens que celui-ci avait indiqué devant vous. M. le Rapporteur Je vous remercie. ____________ N° 3291 10ème législature.- Rapport d'information de M. Jean-François Mattei, au nom de la mission d'information commune sur l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidemie d'encéphalopathie spongiforme bovine auditions, volume 2. © Assemblée nationale
CROUSde Nantes - Pays de la Loire . Type de procédure : Appel d'offres ouvert - Accord cadre Intitulé de la consultation : ENTRETIEN DES ESPACES VERTS POUR LES ETABLISSEMENTS DU CROUS DE NANTES . Référence de la consultation : 2020FCS006 . Type de marché : Services . Avis de publicité Liste des avis de publicité publiés / parus pour ce marché;
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